La catastrophe climatique oubliée : 50 millions de morts entre 1876 et 1878

Article mis à jour le 9 janvier 2022

Un cataclysme climatique inouï, peut-être la pire catastrophe climatique de l’histoire humaine provoqua la mort de plus de 50 millions de personnes au terme d’une famine historique qui sévit pendant les années 1876 à 1878. L’année 1877 fut une année sans mousson pendant laquelle l’Inde a connu la pire sécheresse de toute son histoire. D’une façon générale, l’Asie des moussons a connu la sécheresse la plus intense des 800 dernières années.

Les mécanismes expliquant cette perturbation globale ne sont pas bien connus, mais il existe de nombreuses preuves que l’épisode majeur d’El Niño qui a débuté vers la fin de 1876 et a culminé au cours de l’hiver boréal de 1877-1878 y a contribué de manière significative. 

El Niño a entraîné un déficit pluviométrique et des sécheresses dans la partie nord du continent indien ainsi que dans le nord-est du Brésil et dans les hautes terres des Andes centrales (Altiplano). Inversement, des épisodes de précipitations et d’inondations anormalement intenses se sont produites dans les zones côtières du sud de l’Équateur et du nord du Pérou, ainsi que le long de la côte ouest extratropicale du continent et dans le Paraná. Les impacts de loin les plus dévastateurs en termes de souffrances et de pertes de vies humaines se sont produits dans la région semi-aride du nord-est du Brésil, où plusieurs centaines de milliers de personnes sont mortes de faim et de maladies pendant la sécheresse qui a commencé en 1877.

La Grande Sécheresse de 1876-1878 a été analysée en 2001 par Mike Davis dans un livre intitulé « Late Victorian Holocausts: El Niño Famines and the Making of the Third World », traduit en français: « Génocides tropicaux : catastrophes naturelles et famines coloniales (1870-1900) : aux origines du sous-développement » qui met l’accent sur l’influence sur la mortalité du niveau de développement économique et de l’organisation sociale et politique des territoires affectés par les catastrophes naturelles.

Sous l’angle climatologique, cet événement a été étudié en profondeur en 2018 par la météorologue Deepti Singh qui a publié ses conclusions dans The American Meteorological society.

Selon cette étude, la gravité, la durée, et l’étendue de cet événement mondial s’expliquent par une extraordinaire conjonction de conditions météorologiques :

  • Les eaux du Pacifique tropical restées froides pendant la période précédente (1870-1876) ;
  • Pendant les années 1877 et 1878, un évènement El Niño d’une violence extrême, plus puissant que ceux de 1997-98 et de 2015-16 ;
  • En 1877, un dipôle de l’océan Indien le plus puissant jamais enregistré avec la partie occidentale de l’océan Indien plus chaude que sa partie Est, ce qui a affaibli fortement les moussons de l’Inde ;
  • En 1878, des températures de surface de l’Atlantique Nord anormalement élevées, probablement aidées par le fort El Niño de 1877-1878, qui ont intensifié et prolongé la sécheresse en Australie et au Brésil, et étendu leur impact au nord et au sud-est de l’Afrique.

Si un tel événement se produisait à l’époque actuelle, nul doute qu’il serait perçu, tel L’Étoile mystérieuse d’Hergé, comme la survenue de l’inéluctable désastre annoncé ; outre les dégâts humains qu’il provoquerait, gageons qu’il aurait aussi des conséquences politiques et sociétales majeures.


La revue Science&vie a consacré un article à cet événement sans son numéro du 22 mars 2019.

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12 réflexions au sujet de « La catastrophe climatique oubliée : 50 millions de morts entre 1876 et 1878 »

  1. En inhalation, 10 minutes chaque matin :

    https://meteofrance.fr/missions/etude-climat/observer-le-changement-climatique
    https://meteofrance.fr/missions/etude-climat/meteo-france-en-appui-du-giec

    Quelques extraits :

    “Grâce à des modèles de climat parmi les plus performants au monde, Météo-France contribue à la lutte contre le changement climatique en participant activement aux travaux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec)“

    “Les trois années avec les températures moyennes les plus élevées ont été observées au XXIe siècle, après 2010, respectivement en 2020, 2018, 2014.
    Cela se traduit par une augmentation de la fréquence des vagues de chaleur, une accentuation des sécheresses, une diminution de la durée de l’enneigement en moyenne montagne. On observe également des pluies extrêmes plus intenses et plus fréquentes sur le sud-est“.

    • Quand on est sur un trend haussier (même faible comme maintenant) depuis longtemps, les dernières années sont toujours les plus chaudes par construction. Et de plus, ce constat logique ne dit rien sur l’origine et l’intensité du phénomène.
      Donc, non évènement!

  2. Bonne année Serge
    “”””” On observe également des pluies extrêmes plus intenses et plus fréquentes sur le sud-est“.”””””
    Wiki nous dit
    “”””” Épisodes cévenols
    Ces phénomènes existent depuis des siècles. Ainsi, l’épisode du 17 août 1697 est ressenti comme une punition divine””””
    Sinon, je ne vois pas en quoi en jouant avec des modèles et faire des prévisions on puisse contribuer à la lutte contre le changement climatique , sauf s’il s’agit de donner des arguments bidons aux décideurs de la planète et de Davos

  3. Bonjour
    Ah c’est pas le C02 d’origine anthropique, zut alors !
    Comment ont-ils résolu le problème ? avec une taxe et des malus sur les chevaux ?
    Merci

  4. M.J.Daren.2 très bons livres pour remettre les idées en place:Les dérangements du temps (500 ans de chaud et de froid en Europe) et:Le climat et ses excès (en France de1700 à nos jours).

  5. J’aimerai apporter une nuance à la phrase suivante: «La Grande Sécheresse de 1876-1878 n’a été étudiée en profondeur pour la première fois qu’en 2018, par la météorologue Deepti Singh qui a publié ses conclusions dans The American Meteorological society». Je fus totalement surpris de lire cela, car en fait, en 2001, Mike Davis a publié l’excellent livre «Late Victorian Holocausts: El Niño Famines and the Making of the Third World», traduit en français: «Génocides tropicaux : catastrophes naturelles et famines coloniales (1870-1900) : aux origines du sous-développement» qui traitait justement de cela; j’ai consulté l’article mentionné, et il cite parfaitement le travail de Davis à ce sujet; donc formulation à revoir.

    C’est important pour nous aujourd’hui, car jamais une catastrophe naturelle n’est la seule cause de la hausse de mortalité : le niveau de développement économique du territoire qu’affecte une catastrophe naturelle sera un déterminant tout aussi important. Ainsi, les infrastructures, le niveau d’énergie disponible par habitant, l’industrialisation, les capacités agricoles et le mode d’organisation sociale et économique sont tout aussi importants. Qu’on pense simplement au temps de reconstruction au Japon après le tremblement de terre de 1923 et celui d’Haïti après 2008 pour comprendre le point.

    Et dans l’Inde sous domination coloniale britannique, les sécheresses qui l’affectèrent à la fin du dernier quart du 19e siècle ne peuvent expliquer le nombre de morts faramineux de mort, d’on Staline et Mao n’ont rien à envier. C’est que les élites britanniques d’alors, imbues de libre-échange à sens unique et de malthusianisme (qui avait dédouané les élites britanniques de ses politiques économiques anti-développement désastreuses en Irlande qui ont causé 1 million de morts et 1 million d’émigrants lors de la famine de la patate en 1848; le pays était resté net exportateur de nourriture en blé et porc pendant qu’on crevait, question d’être sûr de payer la rente aux lords) ont non seulement crée un système «libéral» de spéculation qui fit exploser les prix (et tout aussi incapable que l’Union européenne de réguler les prix lorsque la spéculation devient folle par idéologie et intérêt) rendant la nourriture trop cher au point d’en mourir, mais ils continuèrent l’exportation des grains vers l’Angleterre alors qu’on mourait à côté du train. Bon, on peut certes mentionnés que les élites firent des camps de travail pour les nécessiteux, à 1630 calories par jour pour de lourds travaux, soient moins que les 1750 calories de Buchenwald… Les anciennes élites britanniques du 19e siècle, très souvent malthusiennes, sont aujourd’hui reconverties au malthusianisme environnemental, poursuivre cette même politique de déni de développement des pays en voie de développement, autant se faire que peut, voire le livre du pro nucléaire Michael Shellenberger à ce propos: ceci explique comment un Mark Carney, qui fut à la tête de la banque d’Angleterre, rien de moins, peut être un champion de la «lutte contre le changement climatique» : au menu, priver des énergies fossiles aux pays en Afrique et même de façon transitoire, et de surcroît, positon anti-scientifique de premier plan, contre le nucléaire! Alors que c’est la France et la Suède nucléaires (et Hydro) qui ont les émissions les plus basses en CO2 en Europe(si on s’en inquiète) et l’échec complet des renouvelables en Allemagne, avec aucune baisse des CO2 et augmentation de l’utilisation du charbon et une explosion des prix en prime… Comme le mentionne Gwede Mantashe, ministre de l’Énergie en Afrique du Sud, plus qu’un amour de l’environnement, s’agirait-il de maintenir l’Afrique dans une pauvreté énergétique avec les conséquences de pauvreté qu’on connaît? Car peu importe les causes de catastrophes naturelles, avec le développement, on a réduit de 92% la mortalité entre la décennie de 1920 à 2010 avec une population mondiale qui a pourtant quadruplé pour la même période, n’en déplaise aux chantres de l’apocalypse https://ourworldindata.org/natural-disasters ; mais qui est encore affecté? Les pays sous-développés et seule une haute consommation d’énergie permet le développement. Greta a-t-elle vraiment à coeur la population de ces pays ou au contraire, s’agirait-elle d’une idiote utile d’une nouvelle politique de la canonnière autrement plus efficace que la guerre de l’opium? (dixit Georges Rossi)

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