Le « Gare aux migrants climatiques ! » de la Banque Mondiale

Selon une nouvelle étude de la Banque mondiale, l’aggravation des effets du changement climatique dans trois régions du monde densément peuplées pourrait pousser plus de 140 millions de personnes à migrer à l’intérieur de leur propre pays d’ici 2050. Nous avons récemment évoqué sur ce site le caractère mythique de la notion de « réfugié climatique ». Rémy Prud’homme, Professeur des Universités (émérite), décrypte ci-dessous l’étude de la banque mondiale, un texte de 220 pages.

Par Rémy Prud’homme [1]

La Banque Mondiale vient de publier une étude intitulée : La Lame de fond – Se préparer à la migration climatique. Elle a été accueillie par un grand concert de lamentations dans la presse française : « cri d’alarme », « sonnette d’alarme », « grand dérangement climatique », « crise migratoire sans précédent », « chute vertigineuse de la production agricole », etc. L’examen du rapport suggère pourtant une lecture moins alarmiste.

Tout d’abord, l’étude concerne exclusivement les migrations internes aux différents pays. Elle ignore les migrations climatiques internationales. Cela ne fait guère l’affaire des politiciens et des journalistes européens qui préfèrent terroriser leurs lecteurs en agitant la menace de hordes brunes ou noires poussées chez nous par le changement climatique. La distinction entre migrations internes et externes est clairement faite dans le rapport : dans la plupart des commentaires, elle est cachée derrière la notion générique de « migrations ».

Ensuite, la Banque Mondiale se focalise entièrement sur le futur (2050) en faisant une impasse totale sur le présent ou le passé proche. Quelle est l’importance actuelle des migrants climatiques internes ? Le rapport concède en passant que « les nombres actuels des migrants climatiques internes ne sont probablement pas grands » (p. 51). Mais il ne les connaît pas, ces nombres, et ne veut pas les connaître : trop petits sans doute pour effrayer, incapables de mobiliser pour la bonne cause. La Banque préfère fabriquer les chiffres de 2050. Beaucoup des commentaires (pas tous) ignorent ou font semblant d’ignorer ce détail, et confondent les projections pour 2050 avec la description des réalités de 2018.

Certes, la réflexion prospective a ses mérites et son utilité. Mais elle s’enracine habituellement dans une connaissance fine de l’évolution récente et de la situation d’aujourd’hui, et prend généralement une forme séquentielle (ce qui se passe en t dépend de ce qui se passe en t-1). Rien de tel ici. Un modèle mathématique décrit la situation de la production à une échelle géographique fine en 2050 à la fois avec et sans augmentation de la température. La différence est attribuée à l’augmentation de la température. Cette différence engendre des migrations internes, qu’un autre modèle (un modèle migratoire classique) permet d’évaluer. L’avantage de cette préférence pour le futur est qu’elle protège bien ses auteurs de la confrontation avec la réalité. Son inconvénient, et sa limite, sont que ses résultats dépendent totalement de la structure du modèle et des valeurs données aux paramètres qui le nourrissent.

Troisièmement, d’ou sortent ces paramètres ? Du GIEC, et uniquement du GIEC. Qui les sort lui-même de considérations théoriques, sans rapport avec l’observation des évolutions passées. Les deux facteurs explicatifs principaux du modèle sont l’élévation du niveau des mers et les rendements agricoles. Pour le GIEC, et donc pour la Banque, l’augmentation des températures entraîne une élévation du niveau des mers d’environ 10 mm par an (p. 91) ; en réalité au cours du passé récent, cette élévation a été d’environ 2,5 mm par an, trois ou quatre fois moindre. Pour le GIEC, l’augmentation de la température fait fortement baisser les rendements agricoles ; en réalité au cours du passé récent les rendements agricoles (et même le degré de verdure du Sahara) ont partout augmenté, dans des proportions considérables. Un grand journal français rendant compte du rapport, écrit, à propos de l’Ethiopie : « Réchauffement oblige, les terres rendent de moins en moins ». Fake news. Un article scientifique récent [2] donne les rendements éthiopiens pour la période 2001-2017 et conclut : « Pour toutes les récoltes, à tous les niveaux, les chiffres montrent une augmentation durant la période ». La « chute vertigineuse de la production agricole » dont parle une agence de presse africaine est du pur fantasme : en Ethiopie, cette production a plus que doublé entre 2000 et 2014 [3]. Le moins que l’on puisse dire est que les résultats des modèles de la Banque reposent sur des fondations fragiles.

Enfin, ces résultats – en dépit des biais à la hausse soulignés ci-dessus – restent relativement modestes. Les 140 millions de réfugiés climatiques internes en 2050, sont des personnes qui au cours des 30 années à venir quitteraient des zones rurales incapables de les nourrir, dans les trois régions du globe les plus affectées par le changement climatique (l’Afrique au sud du Sahara, l’Asie du Sud, l’Amérique Latine). Ces migrations climatiques internes seraient une composante de l’exode rural, composante déplorable bien sûr, mais qui représenterait seulement moins de 3% de la population totale de 2050 de ces régions (5 milliards). A titre de comparaison, en France, l’exode rural des années 1950-80 (11 millions de personnes) a représenté près de 20% de la population totale de la France de 1980 (55 millions) – presque 7 fois plus en pourcentage.

Trois conclusions. Primo, aujourd’hui, il n’y a pratiquement pas de migrations internationales climatiques, comme l’ont toujours affirmé les rapports du l’Agence des Nations Unies pour les Réfugiés. Secundo, sur ce dossier les médias pratiquent le mensonge par omission, voire le mensonge tout court, pour alimenter l’alarmisme climatique. Tertio, il est navrant de voir la Banque Mondiale, qui a longtemps été le principal foyer de l’économie du développement, se ravaler au rôle peu glorieux de faire-valoir ou de caisse de résonnance du GIEC.


[1] Professeur des Universités (émérite) ; n’est nullement un ennemi de la Banque Mondiale, qui l’a envoyé en mission dans des dizaines de pays, l’a invité comme « chercheur en visite » pendant plusieurs mois,et lui a proposé un poste de direction (qu’il a refusé).

[2] L. Cochrane, Y. Bekele. 2018. Average crop yields (2001-2017) in Ethiopia ; Trends at national, regional and zonal levels. Data in Brief. 16(2018). 1025-33 [www.elesevier.com/locate/dib]

[3] Indice calculé et publié par la FAO

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