La taxe carbone est arrivée

Par Rémy Prud’homme, professeur des universités (émérite)

Un peu en avance sur le Beaujolais nouveau, c’est la taxe carbone qui est arrivée. Elle prend la forme d’une forte augmentation du prix des combustibles fossiles, et par ricochet de l’électricité. Chacun peut la déguster, la comparer, la commenter, et regarnir sa cave.

L’énergie nouvelle a d’abord un goût de cherté : son prix s’est élevé d’au moins 20% en un an, parfois davantage. C’est l’équivalent d’une augmentation de la taxe carbone d’environ 90 euros par tonne de CO2[1]. Une augmentation de cette ampleur est tout-à-fait en ligne avec ce que la Commission européenne, le gouvernement français, tous les écologistes, et la plupart des économistes, préconisent avec passion, comme étant absolument indispensable au sauvetage de la planète. Beaucoup exigent même des taxes carbone d’un montant beaucoup plus élevé, allant jusqu’à 200 ou 300 euros la tonne.

La cuvée 2021 nous permet de toucher du doigt les conséquences d’une taxe carbone – qui étaient du reste faciles à prévoir et à évaluer. Pour les ménages, elle augmente le coût des dépenses contraintes de chauffage et de déplacement, en particulier des déplacements domicile-travail qui se font en France à 74% en voiture (en nombre de déplacements, beaucoup plus encore en nombre de kilomètres parcourus), et qui pèsent en pourcentage beaucoup plus chez les pauvres que chez les riches, ce qui en fait une taxe très régressive. Elle oblige les plus démunis à choisir entre manger et se chauffer – to eat or to heat, comme disent nos amis anglais. Le gouvernement semble l’avoir enfin compris, et met dans la précipitation 4 milliards d’euros sur la table. Pour les entreprises, la taxe carbone frappe durement les secteurs les plus consommateurs d’énergie, c’est-à-dire les secteurs industriels, ceux que tous les discours politiques prétendent ressusciter ou développer ou maintenir. Le gouvernement ne semble pas encore l’avoir compris.

Cette augmentation du prix des combustibles fossiles, d’une ampleur inédite depuis 1973, est mondiale, pas française. Elle ne s’explique pas par une augmentation brutale de la demande, qui serait causée par une forte poussée de la croissance mondiale, comme beaucoup le disent. Les taux de croissance élevés de 2021 (6% pour le globe) ne le sont que par rapport à la décroissance de 2020 (-3%). Entre 2019 et 2021, le PIB mondial a augmenté de moins de 3%, soit de 1,5% par an, ce qui est plutôt modeste, et bien inférieur à la croissance des années précédentes.  La hausse des prix provient presque uniquement de la baisse de l’offre, qui a elle-même deux causes principales.

La première, sans doute la plus importante, est la guerre menée par les pays développés contre les combustibles fossiles. Elle évoque irrésistiblement les Croisades, avec le Carbone dans le rôle des Infidèles : même motivation religieuse de purification, même élan populaire, même mobilisation des Etats, même guerre sans merci, même mépris des dégâts collatéraux, mêmes intérêts particuliers aussi. Les pays européens, suivis par les Etats-Unis de Jo Biden, ont jeté l’anathème sur les combustibles fossiles.

Ils refusent le gaz de schiste, ferment leurs mines de charbon, interdisent à leurs banques publiques de développement d’aider les pays pauvres à utiliser ces combustibles bon marché, et freinent autant qu’ils le peuvent les investissements dans le pétrole, le gaz et le charbon. Cette excommunication a eu les résultats souhaités : en 2020 et 2021, les investissements dans la recherche et l’extraction du pétrole et du gaz sont la moitié de ce qu’ils étaient dans les années 2010-14 (selon l’Agence Internationale de l’Energie). Moins d’investissements dans les combustibles, moins de combustible disponible. Demande constante plus offre moindre égale prix plus élevés.

La deuxième cause de hausse des prix est l’OPEC. Ce cartel de producteurs a eu un comportement classique de monopoleur, en choisissant le niveau de production, et les prix qui lui sont associés, susceptibles de maximiser ses revenus. C’est le rêve de tous les monopoleurs. La difficulté est d’empêcher certains membres du cartel de tricher, c’est-à-dire de profiter du prix élevé pour augmenter leur production. Cette difficulté a apparemment, pour le moment, été surmontée par l’Arabie Saoudite, avec le concours de la Russie. Les producteurs ont donc accru l’ampleur de leur rente pétrolière et gazière. Tout se passe comme si c’était eux qui imposent la taxe carbone ! Leur comportement augmente le prix des combustibles fossiles et réduit (un peu) les rejets de CO2. C’est exactement ce que les pays importateurs riches veulent faire avec une taxe carbone. La différence est que  le produit de la taxe ne va pas dans leurs caisses. Et que, cette taxe étant universelle, le développement économique des pays importateurs pauvres en est freiné.

L’absurdité des politiques occidentales est illustrée d’une façon caricaturale par une démarche récente du président des Etats-Unis. Au nom de la croisade contre le CO2, il a tout fait pour réduire la production de gaz, de pétrole et de charbon de son pays, ce qui y a causé une hausse du prix de l’énergie. Le voilà qui s’en désole. Que fait-il ? Il supplie l’Arabie Saoudite de bien vouloir avoir la gentillesse d’augmenter sa production, afin de peser sur les prix de l’énergie. On imagine MBS, le prince héritier d’Arabie Saoudite, pourtant peu connu pour son sens de l’humour, éclatant de rire en écoutant cet appel au secours.  


[1] Entre septembre 2020 et septembre 2021 le prix du litre de gazole, qui contient 2,64 kg de CO2, a augmenté de 0,24 €, c’est-à dire de 91 euros par tonne.

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10 réflexions au sujet de « La taxe carbone est arrivée »

  1. “”””””” Les pays européens, suivis par les Etats-Unis de Jo Biden, ont jeté l’anathème sur les combustibles fossiles.

    Ils refusent le gaz de schiste, ferment leurs mines de charbon”””””””
    Sauf l’Allemagne qui ferme ses centrales nucléaires et rouvre ses mines de lignites ; je pense qu’elle va nous montrer rapidement ce qui va se passer dans un avenir pas trop lointain , à savoir revenir au nucléaire et exploiter les énergies fossiles , pétrole, gaz, charbon qui seront exploités jusqu’à la dernière goutte, bulle ou pelletée

  2. Les gilets jaunes ont de quoi se remettre à occuper les ronds points…….comme on les comprend !!
    Certes, certains d’entre eux bénéficieront d’une aumone de 100 € par ménage…….s’ils sont sages !!!
    Jusqu’à quand et jusqu’où va-t-on se faire plumer ??
    Certes c’est pour la bonne cause: sauver la planète, mais quand même ????
    Ma voisine me disait hier …… la planète est en danger….c’est même pire que cela, disait-elle, il faut sauver le cosmos…….
    C’est affligeant !!

    • Je me permets de nuancer vos propos. Certes, il y a des hausses de prix, comme il y en a toujours eu au fil des siècles, selon la conjoncture du moment. Il y a une dizaine d’année, l’essence était à 1,66 euros, soit environ le même tarif qu’aujourd’hui, alors que les salaires ont – un peu – augmenté.
      Les gens dépensent de plus en plus : voyages, prendre la voiture pour faire 3 km alors qu’ils pourraient marcher, étudiants qui ont leur voiture quand leurs parents prenaient le bus, portables dès le primaire, appareils électroniques à foison (quand on voit le nombre d’écrans par foyer, ça laisse songeur)… J’ai 56 ans, quand j’étais ado mes loisirs se limitaient à une BD, un livre bon marché et du vélo. Aujourd’hui, on veut toujours plus. A force de créer une société d’enfants gâtés, il est légitime que d’aucuns réclament. Un peu de bon sens.

      • Je suis d’accord avec certains points, mais je ne partage pas votre avis concernant les voyages. Je pense que les gens ne voyagent pas assez, au contraire. Cela vient en partie de la baisse de leur pouvoir d’achat, mais aussi d’une certaine forme de propagande. Aller voir ce qui se passe ailleurs permet de garder un esprit plus ouvert ; les gens qui ont l’esprit ouvert sont bien plus difficiles à manipuler. Le prétexte du CO2 est bien pratique pour qu’Aurelien Barrau ou la maire EELV de Poitiers, pour citer deux exemples au hasard, conseillent aux jeunes gens de ne plus prendre l’avion. Pensez-vous, en cercle fermé, dans un petit monde cloisonné, contrôlé, ils ne seront que plus faciles a convaincre!

        Un bon exemple des croyances modernes de ceux qui ne bougent pas de leur Bretagne ou de leur Auvergne natale est la caricature grotesque faite du peuple américain, à gauche comme à droite, ce n’est pas une question d’orientation politique. J’y croyais moi aussi étant jeune, ayant été bombardé depuis l’enfance de clichés sur les américains aussi ridicules que celui du Français portant un béret qui écoute du Piaf en mangeant des escargots.
        Un jour, je suis allé vivre sur l’autre continent et je me suis rendu compte de la réalité ; du décalage entre cette réalité et les clichés que je considérais comme des certitudes ; et de la bêtise crasse de journalistes bien plus incultes que les américains qu’ils fantasment dans leurs reportages low-cost pour enquête exclusive ou d’autres émissions similaires. J’ai vécu dans trois états différents aux US, travaillé avec des gens de tous milieux sociaux. Croyez moi ou non, ces “reportages” sont truffés d’âneries plus grosses les unes que les autres, qui confortent le bas peuple dans ses croyances absurdes mais rassurantes. Si tout est mieux en France et que tous les autres sont des imbéciles, alors pourquoi se méfier des privations de nos libertés : c’est assurément pour notre bien.

        Voyagez, prenez l’avion, rencontrez des gens différents ! Cela aura pour effet de bord de ne pas détruire une industrie aéronautique précieuse pour la santé économique des pays d’Europe.

  3. Si La Fontaine existait encore, il pourrait écrire la fable des fourmis sous l’Everest qui se contraindraient à ne plus creuser de galeries et mourraient étouffées les unes sur les autres parce qu’il y a eu un éboulement dans la montagne… qui leur ferait craindre un effondrement total, si elles continuaient !
    Moralité : Tout le mal que fait fourmi ne peut toucher à l’univers : ne vous donnez pas plus de pouvoir sur Dame nature que vous n’en avez en réalité, car c’est là immense orgueil, pauvres insectes !
    Bon, j’essaierai de faire mieux la prochaine fois : que La Fontaine m’excuse !

    • Les écologistes ont déjà réussi à provoquer une très grave crise sociale. Et rien ne dit que les gilets jaunes, c’est fini…
      Faisons-leur confiance pour nous emmener droit dans le mur.

  4. En effet Dame Nature n’a pas besoin de nous pour se rétablir. Tout au plus l’homme peut lui faire du mal en contaminant l’environnement. Il y a eu des périodes plus chaudes au Moyen Age et sous les Romains, mais les coraux sont toujours revenus et les glaciers du Groenland (« terre verte ») se sont rechargés. En revanche faire la chasse au CO2 nous prive de récoltes plus abondantes alors que , même si la malnutrition a diminué depuis les années 60, elle sévit encore dans le monde, ce qui bizarrement ne semble pas émouvoir les écolo-religieux devenus plus sensibles à l’éventuelle diminution de la largeur de la plage préférée de leur lieu de villégiature.

    • C’est pire que ça.
      Les écologistes vont nous faire dépenser des sommes colossales pour planter de stupides éoliennes inefficaces, des panneaux photovoltaïques encore plus inefficaces (je les connais bien), et cerise sur le gâteau, des usines à gaz chargées de “décarboner ” l’atmosphère. (ben voyons !)
      Pendant ce temps, il y a encore des centaines de millions d’êtres humains qui ne mangent pas à leur faim ou qui n’ont même pas accès à l’eau potable, ou à l’éducation, ou à la santé.
      Quel scandaleux gâchis . Ces caprices de bobos citadins trop gâtés sont surréalistes.

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