Ségo en campagne, le feuilleton de l’été (épisode 1)

Par Benoît Rittaud

Après Le Référendum maudit (une fiction politique parue en 2015 dans L’Opinion qui pourrait bien devenir réalité si Emmanuel Macron va au bout du projet annoncé le 14 juillet), Benoît Rittaud, mathématicien, président de l’association des climato-réalistes publie un nouveau feuilleton politique pour l’été, cette fois dans Valeurs Actuelles.

Episode 1/6

Nous sommes à l’automne 2021. Toute la Gaule est occupée par le duel annoncé entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen à la prochaine élection présidentielle. Toute ? Non. Le jeune parti de Ségolène Royal, « Désir de France, Avenir de la Planète », résiste encore et toujours à la submersion médiatique. Mais la vie n’est pas toujours facile au sein de l’appareil politique que l’ancienne ministre de l’Écologie a mis en place pour servir ses ambitions…


Une future candidate à la présidentielle dont le parti s’appelle « Désir de France, Avenir de la planète » ne peut qu’accorder une importance prépondérante aux thématiques environnementales. En introduction à la réunion du jour à son QG, Ségolène Royal avait à nouveau martelé ce message avec force. Elle était même allée plus loin : l’écologie constituerait la colonne vertébrale, l’horizon indépassable de son programme. On frapperait fort. On montrerait aux citoyens qu’on n’aurait pas peur des lobbys. L’ancienne ministre de l’Environnement demandait à tout le monde d’avoir des idées à la hauteur des fortes paroles qu’elle avait lancées lors de sa dernière réunion publique, où elle avait annoncé des propositions « tournées vers les solutions disruptives », car, avait-elle précisé, « les demi-mesures sont toujours les alliées objectives de l’immobilisme ».

Dans le groupe de réflexion, c’était donc à qui proposerait les idées les plus hardies. Le premier point, la pollution, fit consensus en un temps record. La conversation parvint rapidement à l’idée qu’il convenait de bannir à peu près tous les composés aux noms compliqués susceptibles d’être soupçonnés de quelque chose.
— On ne va quand même pas interdire toutes les molécules, tempéra l’un.
— Non, bien sûr, concéda l’autre. Seulement les molécules chimiques. Nuance.
— Il faut éviter de se disperser, dit Ségolène Royal. Dans un premier temps, on va se focaliser sur le CO2, qui est la molécule la plus emblématique. D’ailleurs j’ai réfléchi à un slogan, qu’on pourrait décliner en hashtag : « Pour un monde sans CO2 ! »
— Ah, ça c’est pas de chance, EDF l’utilise déjà !
— Ça prouve au moins que c’est un bon slogan !
— Le problème d’interdire le CO2, c’est que les agriculteurs risquent de gueuler…
— Pourquoi ?
— Le CO2, ils en injectent dans leurs serres.
— QUOI ?
— Oui, il paraît que ça augmente les rendements.

La stupéfaction envahit les visages, un concours d’indignation s’improvisa :
— C’est pas possible, c’est une fake news ?
— Non mais sérieux ils sont vraiment prêts à tout pour faire du profit ! Le capitalisme, voilà l’ennemi !
— Ils ont le droit de faire ça ?
— À tous les coups il y a eu une manœuvre des lobbys des pesticides chimiques à Bruxelles !
— CO2 plus glyphosate, on parlerait d’effet cocktail que ça m’étonnerait pas !

Une minute plus tard, un lien était fermement établi avec la recrudescence des cancers. Un projet de pétition commençait à prendre forme quand Gilles Bœuf, le seul membre du groupe avec le climatologue Jean Jouzel à disposer d’une formation scientifique, lâcha une autre bombe :
— Dans le même registre, on peut aussi évoquer le DHMO ! Les agriculteurs l’utilisent en grandes quantités alors qu’il provoque chaque année des suffocations mortelles ! Question lobbys, avec le DHMO on est servis : c’est silence radio. Aucun élu n’a le courage d’en proposer l’interdiction.

Le groupe s’électrisa. L’ancien président du Muséum national d’histoire naturelle ne se fit pas prier pour détailler les risques associés à ce solvant, « tueur invisible » qui, sous sa forme gazeuse, était susceptible de provoquer de graves brûlures. Ses effets sur l’érosion des sols étaient avérés. On le retrouvait dans toutes les rivières. Il serait virtuellement impossible de s’en débarrasser.

— C’est très grave ! Comment dis-tu que cette saloperie s’appelle ?
— DHMO. Le sigle anglais pour dihydrogen monoxide. Regardez : di…

Au milieu d’une feuille vierge il dessina en grand un chiffre 2.

— …hydrogen

Il inscrivit un H plus gros, à gauche et légèrement au-dessus du 2.

— …monoxide.

Un O compléta l’ensemble. Sur la feuille apparaissait ainsi la formule « H2O ».

— On peut désigner cette molécule de différentes manières, ajouta-t-il imperturbablement. Envisagé comme un atome d’hydrogène lié au groupe OH, le DHMO est l’« acide oxhydrique ». Si on prend le point de vue de l’autoprotolyse et des joueurs de Scrabble, on l’appelle « hydroxyde d’hydronium ». Et quand on veut faire court on emploie la dénomination vernaculaire, « eau ».

Un silence pénible s’installa que vint rompre un coup de tonnerre.

— Gilles, vous croyez que c’est le moment pour des enfantillages ?

Ségolène Royal venait de siffler la fin de la récréation.

— Notre réunion est sérieuse !, ajouta-t-elle d’une voix blanche. Le CO2 nous empoisonne tous ! L’urgence écologique ne nous donne pas le temps de nous amuser ! Si tout ce que vous inspire notre discussion ce sont des plaisanteries de collégiens, je ne comprends pas le sens de votre présence ici !

Le souffle de cette claque verbale fut ressenti par tous les participants. Ségolène Royal comptait décidément éviter amateurisme et dérapages. Il n’était pas question de revivre le terrible trou d’air de 2007 symbolisé par son directeur de campagne d’alors, Arnaud Montebourg, qui s’était laissé aller en plein direct à une blague plus que douteuse (« le défaut de Ségolène Royal, c’est son compagnon ! »). Trou d’air sans lequel elle aurait peut-être gagné face à Nicolas Sarkozy. Pour garder une bonne dynamique, elle avait décidé d’imposer à ses troupes une discipline de fer.

— Je voulais juste faire comprendre qu’il faut faire attention quand on parle de chimie, plaida un Gilles Bœuf qui, tout professeur à l’université et vieux compagnon de route qu’il était, se retrouvait soudain KO debout. Ce n’est pas parce qu’une molécule a un nom compliqué qu’il faut en avoir peur. Ce n’est pas parce qu’un composé est naturel qu’il est bon, ni parce qu’il est artificiel qu’il est mauvais. Surtout, un produit n’est pas bon ou mauvais en soi. Paracelse le savait déjà au XVIe siècle : « Seule la dose fait qu’une chose n’est pas poison. »

La pièce se constella de regards accusateurs. Comment pouvait-on encore défendre la chimie alors que la dévastation écologique était partout ? Face à l’urgence de l’action, qui donc osait encore se vautrer dans des arguties intellectualisantes ?

L’accusé implora du regard le soutien de Jean Jouzel, mais celui-ci semblait loin de la conversation. Il avait l’air distrait de celui qui n’était pas concerné par la discussion. Le terrible DHMO fit donc sa nouvelle victime en la personne de Gilles Bœuf, qui à l’instant venait de perdre sa place dans l’équipe de campagne. Il ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même. La sagesse n’est pas synonyme de science : le vrai sage est celui qui comprend l’ignorance.

Quand fusèrent quolibets et rires mauvais, le spécialiste reconnu de la biodiversité marine sut qu’il ne pourrait même pas rester jusqu’à la fin de la réunion.
— Tu devrais postuler dans l’industrie des pesticides, ils te feront un pont d’or !
— Si ça se trouve ils te payent déjà. Eh, tous : en fait c’est une taupe qu’ils nous ont envoyée !
— Bientôt il va nous expliquer que le CO2 est bon pour la planète !

Résigné, l’accusé rassembla ses affaires, se leva puis, parvenu au seuil de la porte, se retourna une dernière fois et lança d’un ton bravache :
— Pour votre gouverne, sachez que oui, le CO2 a des qualités. Tapez donc « cycle de Calvin » sur Wikipédia, vous apprendrez un tas de trucs sur ce qu’on appelle la photosynthèse. Ce n’est pas pour rien qu’on injecte du CO2 dans les serres : ça nourrit les plantes ! C’est en bonne partie pour ça que les rendements agricoles augmentent et que la Terre a verdi de 18 millions de kilomètres carrés en 35 ans ! Oui, oui, grâce au CO2 que nous émettons ! Le slogan d’EDF est de la pure désinformation, la vérité c’est que sans CO2 il n’y aurait pas un seul arbre ! Pas une seule plante ! Pas de vie sur Terre ! Et le CO2 n’a jamais tué personne, nom de Dieu ! La preuve ? Tous autant que vous êtes, vous en produisez en grande quantité en ce moment même simplement en respirant ! Ridiculisez-vous si vous voulez, mais si votre programme c’est d’interdire les « molécules chimiques » vous ne mériterez que de finir ex æquo avec Asselineau !
— C’est ça. Nos amitiés à Bayer-Monsanto !

La porte claqua.

Jean Jouzel, le grand spécialiste français du climat et de son dérèglement, n’avait toujours pas prononcé le moindre mot. Sollicité par tous les visages pour qu’il délivre son verdict, il évacua d’un geste les paroles du traître :
— Il y a deux sujets, c’est tout… Le problème du CO2 c’est l’effet de serre… La photosynthèse ça n’a rien à voir…

Même dits d’une voix absente, les mots apaisèrent. L’académicien validait l’expulsion de l’importun, rien d’autre ne comptait. Une onde de soulagement traversa la pièce. D’un sourire mécanique Ségolène Royal marqua la fin de la séquence, et la discussion reprit :
— Alors pour le CO2, on fait quoi ?
— Ben… on l’interdit, comme on a dit.
— Dans un premier temps on devrait peut-être restreindre cette interdiction aux grandes agglomérations ?
— Bonne idée. Ça évitera qu’on nous traite d’extrémistes.

Prochain épisode : « Il y a un défaut de parité dans la Sainte Trinité ! »

Partager