Alain Préat (*)
Bien que présentées comme durables, les filières vertes et numériques reposent sur une exploitation intensive des ressources minérales, dont les effets environnementaux, sanitaires et géopolitiques appellent à une analyse critique de la transition nergétique contemporaine. Le géologue Alain Préat, membre du comité scientifiques de notre association fait le point sur cette question dans la perspective de l’objectif « zéro émission nette » décidé par l’Union européenne.
Le texte complet de cette étude peut être téléchargé en cliquant sur ce lien
Quelle est la situation minière de l’Europe ?
L’Europe est dépendante à plus de 90% pour 51% des métaux pour la transition carbone et, pour certains (lithium, cobalt, REE…), elle l’est de manière « critique ». Cette situation est d’autant plus préoccupante que depuis 2012 ce sont les pays du Sud qui consomment les trois quarts des métaux tout en possédant les gisements avec les meilleures teneurs. La concurrence ne peut qu’être rude dans ce contexte où nous n’avons pas beaucoup de réserves. La géologie nous est défavorable, la plupart des métaux sont généralement liés à des boucliers et aires cratoniques de la partie supérieure de la lithosphère : il s’agit de croûtes continentales stabilisées depuis longtemps (milliards d’années pour les premiers, centaines de millions d’années pour les secondes) constituées de roches magmatiques (granites, granodiorites…) et métamorphiques (gneiss, amphibolites…) porteuses de métaux (y compris les Terres rares (REE). En Europe, nous sommes à nouveau mal lotis et ne pouvons seulement compter que sur les boucliers précambriens scandinave (ou baltique) et ukrainien.
Les besoins en métaux requis par la transition énergétique sont énormes
Les besoins en métaux tels qu’ils résultent des accords de Paris pour une technologie « clean » en 2050 sont estimés dans une fourchette de 45 millions de tonnes jusqu’à 75 millions de tonnes (pour une politique plus ambitieuse). C’est surtout l’aluminium (Al) et le cuivre (Cu) qui dominent (30-35% de la demande actuelle), ensuite lithium (Li), cobalt (Co) et terres rares (REE). L’Union européenne aura besoin de 26 fois plus de terres rares qu’aujourd’hui pour atteindre la neutralité carbone en 2050
Pour atteindre l’objectif « zéro émission nette », l’Europe n’a d’autre solution que de relancer l’activité minière en réexploitant d’anciennes mines, en en ouvrant de nouvelles et en élargissant ou approfondissant les mines actuelles. Les quantités de métaux critiques requises sont énormes et l’Europe, notre continent, ne les a pas, faute d’un contexte géologique favorable. L’Europe est en réalité un « nain minier » à l’échelle mondiale. Nous sommes 6% de la population mondiale, nous consommons 25 à 30% de la production et n’en produisons que 5% pour assurer nos besoins. Nous nous plaçons, depuis les années 1990, au dernier rang des efforts d’exploration avec seulement 3%, nous sommes loin derrière les compagnies anglo-saxonnes et asiatiques qui dominent non seulement l’exploration mais également la production. Nos réserves sont faibles face à l’enjeu. Seuls 2% des métaux dont nous avons besoin pour la transition énergétique sont disponibles sur le continent européen (CDS, 2023)
Extraire des métaux nécessite beaucoup d’énergie et de grandes quantités d’eau
Extraire des métaux nécessite beaucoup d’énergie. Aujourd’hui, cette énergie représente 12% de l’énergie primaire mondiale, assurée par l’énergie fossile, et va croître de 9% par an pour satisfaire les besoins en métaux. Extraire des métaux requiert aussi de grandes quantités d’eau avec des éléments chimiques souvent toxiques afin de récupérer les métaux du minerai.
Extraire des métaux est polluant
De plus en plus de déchets sont à prévoir, les teneurs des gisements étant basses, car ce sont les gisements à plus fortes teneurs qui furent d’abord exploités.Il faudra ainsi extraire 5 à 10 fois plus de métaux que la production actuelle pour alimenter le renouvelable bas- carbone, ce qui revient à extraire en 25 ans (échéance 2050) plus de métaux que dans l’histoire humaine depuis ses débuts il y 2500 ans, pour une Europe à 100% de véhicules électriques. La compétition pour les ressources sera énorme, d’autant plus que 60 pays se sont engagés sur la même voie, à savoir atteindre la neutralité carbone en 2050.
Extraire des métaux coûte cher
L’Agence internationale de l’énergie (IEA) estime le coût de la transition énergétique européenne à 1 300 milliards de dollars/an de 2021 à 2030, ensuite 1 540 milliards de dollars/an jusqu’en 2050. L’objectif pour 2030 (c’est-à- dire demain) est une diminution de 55% des gaz à effet de serre par rapport à 1990, pour atteindre le Net-Zéro carbone en 2050. Christine Lagarde (BCE) va plus loin, dans le Financial Times du 7/11/2024, ce sont 11 000 milliards de dollars/an que le monde doit investir, soit 10% du PIB mondial.
Le cas tes terres rares (rare-earth element)
L’extraction des REE et leur raffinage sont très polluants car elles sont souvent associées à de l’uranium (U) et du thorium (Th), radioactifs. Elles nécessitent de nombreuses opérations chimiques impliquant des acides. Les terres rares lourdes (HREE) sont produites uniquement en Chine, ce pays ayant ainsi un quasi- monopole sur ces éléments.
Leurs réserves estimées en 2023 sont de 120 millions de tonnes d’oxydes (dont 44 millions en Chine) et la production 2023 fut de 350 000 tonnes d’oxydes, principalement par la Chine. Elles sont présentes dans 34 pays mais seuls quelques-uns en produisent. Aucune mine de REE n’est présente en Europe. La plus proche est la mine russe de Lovozero-Khibina. Un gisement a récemment (2023) été découvert en Suède (gisement de Per Geijer, en Laponie), il renfermerait 1% des réserves mondiales et la production est envisagée d’ici 10 à 15 ans. À nouveau la mine est un temps long…
Ce rythme est imposé par la réduction du CO2 (« zéro émission nette ») en 2050.
Il faut en effet aller vite (pour rappel, le temps de la mine est long, égal à 17 ans), ce qui suppose des investissements risqués (science et géopolitique), avec des financements difficiles : il faut investir au minimum 180 milliards de dollars/an, soit deux fois les investissements actuels (AIE 2023).
Cette transition va remplacer une dépendance du fossile par une dépendance aux métaux
L’Europe est donc face à un défi, a-elle mesuré l’agenda court terme qu’elle s’est fixée pour son objectif « zéro émission nette » ? Cet agenda doit intégrer la dimension minière qui se décline sur le long terme : explorer et prospecter sont des phases longues, il faut pour rappel en moyenne 17 ans et de très gros budgets pour ouvrir une nouvelle mine, en espérant qu’elle réponde pleinement aux attentes… De plus, suite à la situation économique et géopolitique mondiale tendue, les efforts d’exploration dans les non ferreux ont récemment diminué de quelques pourcents…
La conclusion est assez simple, pour une planète 100% bas-carbone, à partir de 100% d’énergies renouvelables, il faudra extraire 3 milliards de tonnes de métaux en remplacement des 15 milliards de tonnes fournies par le fossile. Cet objectif nécessite un taux de retour énergétique ERoEI (« Energy Returned On Energy Invested ») de 50:1 ou plus (égale à la quantité nette à obtenir à partir des diverses énergies). Il faut également souligner que, pour de très nombreux métaux, les réserves sont inférieures aujourd’hui à la demande. Les réserves globales en métaux sont ainsi insuffisantes pour 100% de voitures électriques et de stockage stationnaire d’électricité.
Restons donc vigilants et ne prenons pas pour argent comptant ce qui nous est « vendu » comme une évidence. Oui, la transition a une face cachée. Non, les énergies vertes et le numérique ne sont pas propres. Le constater devrait ensuite permettre à chacun de consommer de manière a minima informée, et de relativiser cette fameuse transition écologique.
Le texte qui précède fait suite à une conférence donnée dans le cadre du CEPULB le 16 décembre 2024 à l’ULB. Un court texte intitulé « Le pacte vert à la lumière de la géologie »
(*) Alain Préat est docteur en sciences géologiques et professeur à l’Université libre de Bruxelles. Sa spécialité est l’analyse des bassins sédimentaires du Précambrien au Mésozoïque.
Parfaitement exact, ce qui risque de donner du grain à moudre pour une autre catégorie de nuisibles, les decroisseurs.
La seule terre rare (lanthanide) qui n’est pas rare, c’est le cérium, qui sert à fabriquer les pierres à briquet, çà va faire des étincelles !
Pour ceux qui ne le savent pas, la loi Hulot adoptée en 2017 a interdit toute nouvelle exploitation et même toutes recherches d’hydrocarbures sur le territoire français, ce qui inclut les Outre Mers, dont la zone maritime de Guyane française qui en serait riche et plus grave encore la zone maritime de Nouvelle Calédonie qui posséderait de très importantes réserves.
Il y a eu quelques exemptions depuis mais les associations écologistes montent au créneau et bloquent les projets.