Le dérèglement climatique, lequel ?

Les fluctuations de températures terrestres sont la règle depuis au moins 540 millions d’années.

par Alain Préat, Professeur émérite Université Libre de Bruxelles (article Initialement publié sur le site belge Sciences climat et énergie).


Scotese et al. (2021) ont publié une remarquable étude sur l’évolution des températures terrestres au cours des 540 derniers millions d’années (Ma), soit la totalité des temps phanérozoïques  (la limite Précambrien/Cambrien a été fixée en août 2023 à 538,8 Ma (à ± 0.2 Ma) sur base des règles chronostratigraphiques internationales).

Il n’est pas possible de discuter de cet article de 127 pages fort complet et richement illustré. Cet article peu connu hors de la sphère des géologues mérite l’attention d’un large public, car il montre ce que nous avions déjà ici à SCE rapporté (par exemple SCE, 2021), à savoir que la température à toujours fluctué sur Terre (SCE, 2023), que la notion de climat ‘réglé ou dérèglé’ n’a aucun sens, et qu’à l’inverse les fluctuations des températures sont la règle, avec souvent des amplitudes très fortes (bien plus fortes que les actuelles) comme par exemple au cours du Pléistocène (SCE, 2020). Enfin il est important de noter que la température actuelle est parmi les plus basses dans l’histoire phanérozoïque de la Terre.

Cycles de Dansgaard-Oeschger enregistrant de très fortes fluctuations de températures en des temps très courts. .

Comme mentionné ci-dessus il n’est pas question de discuter cet article dense, les lecteurs intéressés pourront le lire et se rendre compte de la méthodologie, des arguments pour les interprétations et les conclusions.

Je donnerai ici le résumé de cet article traduit en français et le complèterai par les trois graphiques synthétiques (Figures 1, 2 et 3) les plus importants donnant l’évolution de la température au cours du Phanérozoïque. J’ai ensuite fusionné les trois graphiques pour présenter une vision globale depuis le Cambrien jusqu’ à aujourd’hui (Figure 4). J’ai également considéré une quatrième figure  (= Figure 5 ici) des auteurs qui souligne les périodes géologiques majeures concernées par ces fluctuations.

Il n’est pas non plus question de discuter ici de la notion de température moyenne globale, qui est encore bien plus délicate en ce qui concerne les temps anciens. Cette notion a été abordée plusieurs fois dans des articles de SCE  (iciici et ici).

En conclusion, oui la température varie à différentes échelles de temps, même courtes comme le montre le Pléistocène. Pour la majorité des périodes, les variations sont la règle, les recherches futures vont en préciser les fréquences à mesure que la précision temporelle s’améliorera. N’oublions pas que le géologue se ‘bat’ avec des échelles de temps qu’il doit sans cesse améliorer, les résolutions temporelles devenant de plus en plus mauvaises ou peu satisfaisantes avec l’ancienneté des séries : aujourd’hui une année est vite identifiée dans les fluctuations récentes, ce sont des dizaines ou centaines d’années au Pléistocène, ensuite des dizaines de milliers, des centaines de milliers et parfois des millions d’années pour les séries de plus en plus anciennes, pour lesquelles des cycles courts sont difficilement à mettre en évidence, bien qu’ils aient surement existé. Comme on dit : ‘la cyclicité à court terme est noyée dans le bruit de fond’…. et de nombreuses proxies ont été ‘effacées’, c’est-à-dire perdues suite à l’action de nombreux processus géologiques.  Néanmoins grâce à de nombreuses nouvelles proxies disponibles et à l’utilisation de traitements mathématiques (série de Fourrier…) adéquats, la situation s’améliore significativement.

Scotese et al. (2021) discutent de l’origine des fluctuations de températures  aux différentes échelles (long terme  >50 Ma, moyen terme 10-20 Ma, court terme  <10 Ma) et reconnaissent 24 chrono-périodes (ou ‘intervalles chauds et froids’). Parmi les  (très) nombreux paramètres impliqués, les auteurs privilégient dans certains intervalles la teneur atmosphérique en CO2 (notamment pour la période actuelle) comme facteur majeur pilotant la température. Comme souvent mentionné dans SCE ce facteur s’il intervient ne peut qu’être négligeable. A nouveau le but visé ici est de présenter les courbes qui montrent notamment qu’un climat réglé n’a pas de sens et non une discussion particulière sur le CO2. Notons que d’autres auteurs, comme souligné dans l’article de Scotese et al. (2021), rapportent des amplitudes plus fortes de variations de la température (surtout sur base des isotopes de l’oxygène), mais le schéma général reste le même.

Voici ci-dessous le résumé des auteurs

« Cette étude fournit une estimation complète et quantitative de l’évolution des températures mondiales au cours des 540 derniers millions d’années. Elle combine des mesures de paléotempératures déterminées à partir d’isotopes de l’oxygène avec des informations plus générales obtenues à partir de l’évolution de la distribution des indicateurs lithologiques du climat, tels que les charbons, les évaporites, les calcaires, les récifs et les gisements de bauxite. La répartition passée des tillites, des dropstones et des glendonites a permis de cartographier l’apparition et la disparition des grandes calottes polaires de la Terre. Le modèle de température globale présenté ici comprend des estimations des températures tempérées globales moyennes (GAT), des températures tropicales changeantes (∆T° tropical), des températures des océans profonds et des températures polaires. Bien que similaire, à de nombreux égards, à l’histoire des températures déduite directement de l’étude des isotopes de l’oxygène, notre modèle ne prédit pas les températures extrêmement élevées du Paléozoïque précoce résultant des études isotopiques. L’histoire des changements globaux de température au cours du Phanérozoïque a été résumée dans une « échelle de temps-paléotempérature » qui subdivise les nombreux événements climatiques passés en 8 modes climatiques majeurs, chaque mode climatique est composé de 3-4 paires d’épisodes de réchauffement et de refroidissement (chronotemps). Un récit détaillé décrit comment ces événements passés de température ont été affectés par des processus géologiques tels que l’éruption de grandes provinces ignées (LIPS) (réchauffement) et les impacts de bolides (refroidissement). Le modèle de paléotempérature présenté ici permet d’approfondir la compréhension de l’évolution des températures dans le passé. En décrivant quantitativement le schéma de l’évolution des paléotempératures au fil du temps, nous pourrions obtenir des informations importantes sur l’histoire du système terrestre et les causes fondamentales du changement climatique à l’échelle des temps géologiques. Ces connaissances peuvent nous aider à mieux comprendre les problèmes et les défis auxquels nous sommes confrontés en raison du réchauffement climatique à venir ».

Ci-dessous les figures majeures de l’évolution de la température moyenne globale en fonction de l’échelle chronostratigraphique internationale.

Figure 1. Echelle des températures pour le Paléozoïque. En blanc = intervalles chauds, en noir = intervalles froids.  Ligne noire pleine = température moyenne globale,  lorsque <18°C = présence de grandes calottes glaciaires, >18°C absence de grandes calottes glaciaires, lignes irrégulières gris clair  (en ‘yoyo’) = représentation schématique de plus de 50  cycles glaciaire/interglaciaire au Permo-Carbonifère. Échelle des temps géologiques : charte internationale chronostratigraphique v2020/01 (nb dernière version ici). Pour les abréviations, se reporter au Tableau 3 des auteurs, Scotese et al. (2021).
Figure 2. Echelle des températures pour le Mésozoïque. En blanc = intervalles chauds, en noir = intervalles froids. Ligne noire pleine = température moyenne globale,  lorsque <18°C = présence de grandes calottes glaciaires, >18°C absence de grandes calottes glaciaires. Échelle des temps géologiques : charte internationale chronostratigraphique v2020/01 (nb dernière version ici).Pour les abréviations, se reporter au Tableau 3 des auteurs, Scotese et al. (2021).
Figure 3. Echelle des températures pour le Cénozoïque. En blanc = intervalles chauds, en noir = intervalles froids.  Ligne noire pleine = température moyenne globale,  lorsque <18°C = présence de grandes calottes glaciaires, >18°C absence de grandes calottes glaciaires, lignes irrégulières gris clair  (en ‘yoyo’) = représentation schématique de plus de 50 cycles glaciaire/interglaciaire au Plio-Pléistocène. Échelle des temps géologiques : charte internationale chronostratigraphique v2020/01 (nb dernière version ici) .Pour les abréviations, se reporter au Tableau 3 des auteurs. La température actuelle lors de la publication de l’article de Scotese et al. 2021 est de 14,5°C. Nb : PAW (19,5 °C, en rouge = Post Anthropogenic Warming) est la température ‘post-réchauffement actuel’ reprise par les auteurs à partir du GIEC. Ce point n’est pas l’objet du présent article (SCE).
Figure 4. Assemblage des figures 1, 2 et 3 donnant l’évolution de la température moyenne globale pour les 540 derniers millions d’années (Phanérozoïque).
Figure 5. Grandes périodes géologiques de fluctuations de la température moyenne globale au Phanérozoïque. PAW (en rouge) comme dans figure 3. En considérant les données du GIEC les auteurs estiment que  la température moyenne globale de la Terre sera comprise entre 16,5°C et 19,5°C après le réchauffement actuel, de sorte que la Terre ne sera jamais aussi chaude que lors des périodes très chaudes qu’elle a connues (cfr. les boîtes ou rectangles rose foncé de la figure). L’intervalle ‘froid’ (échelle géologique) Eocène tardif – Miocène est celui qui semble le mieux correspondre à la situation future. La température moyenne globale maximale qui pourrait être atteinte lors du réchauffement actuel serait de 20,5° C (basée sur l’hypothèse de l’effet de serre du GIEC in Scotese et al. 2021).

La conclusion est simple :
Il n’y a pas de dérèglement climatique, les fluctuations sont la règle. La géologie est explicite sur ce point… Pourtant malgré cette évidence, il n’est pas un jour où un média, un politique, parfois même un scientifique nous parlent de dérèglement.
Restons objectif, honnête et ne propageons pas n’importe quoi.
L’alarmisme n’est pas de mise, notre période est bien loin de tout épisode vraiment chaud que la Terre a connu. En considérant les données du GIEC les auteurs estiment que  la température moyenne globale de la Terre sera comprise entre 16,5°C et 19,5°C après le réchauffement actuel, de sorte que la Terre ne sera jamais aussi chaude que lors des périodes très chaudes qu’elle a connues. L’intervalle ‘froid’ (échelle géologique) Eocène tardif – Miocène est celui qui semble le mieux correspondre à la situation future.

Partager

13 réflexions au sujet de « Le dérèglement climatique, lequel ? »

    • Bokken
      Ça ne risque pas. Le robot automatisé que vous citez reprend systématiquement tous les commentaires, y compris ceux qui ne lui sont pas adressés, et déverse indéfiniment les mêmes fausses courbes confectionnées par ses complices militants. Ce faisant, il plombe les sites qui n’entrent pas dans la doxa, en attendant de les interdire. Quand la mode du carbocentrisme sera passée, nul doute que le totalitarisme réapparaîtra sous un autre alibi : la guerre, les astéroïdes… On peut leur faire confiance, ils trouveront toujours quelque chose, pour nous surtaxer, à interdire, pour nous contrôler.

  1. Merci pour votre article, vos références et vos compléments.

    Comme vous l’écrivez, une année est vite identifiée dans les fluctuations récentes et la difficulté est de mettre en évidence des cycles courts dans les séries anciennes.
    L’argument “le réchauffement global se produit sur un ou deux siècles, donc il est causé par les humains” est abondamment utilisé par les partisans du “dérèglement” climatique.

  2. Il n’y a pas de dérèglement climatique, les variations climatiques sont la règle, et l’épisode actuel n’y échappe pas.
    Avec un lent réchauffement depuis des décennies, lié à une activité solaire depuis le cycle 19 inclus supérieure à ce qu’elle était antérieurement, on a observé une baisse moyenne des vents dans les zones océaniques intertropicales chauffées, d’où une moindre évaporation et donc une moindre formation nuageuse. En parallèle l’échauffement des océans a accéléré en conséquence le dégazage de CO2 observé, avec une faible part anthropique. Mais s’ajoute au phénomène de moindre évaporation une diminution complémentaire de la couverture nuageuse liée à l’activité solaire qui masque les rayons cosmiques alors que ceux-ci favorisent la formation des nuages, et ce depuis la première partie du cycle 25. La combinaison de ces phénomènes a provoqué une baisse globale de l’albédo de la Terre et explique en partie le fort réchauffement récent de 2023/24, un pic, au demeurant, que les modèles existants n’ont pas vu venir, pour la bonne raison qu’ils ne modélisent pas les nombreux facteurs influant sur le climat, scotchés à une approche monofactorielle GEScentrée trop simpliste. On peut ajouter qu’après le cycle 25 est prévue une activité solaire nulle en terme de taches, et pour une longue période. Non seulement les prévisions des alarmistes « pour la fin du siècle » sont extravagantes mais on risque même de basculer vers une longue période froide, type minimum de Maunder. Et émettre du CO2 n’y changera rien !

    • Merci pour votre commentaire. Comme disait Alphonse Allais, la prévision est un art difficile, surtout en ce qui concerne l’avenir. Dans les années 70, plutôt froides, les “scientifiques” craignaient l’arrivée d’une nouvelle glaciation inéluctable.

  3. Ils n’avaient pas tort. Les périodes interglaciaires chaudes autour de Riss et Wurm ont été très courtes. Après Wurm nous sommes dans une interglaciaire chaude exceptionnellement longue avec déjà 10000 ans d’holocène. La prochaine période glaciaire est donc logiquement « en retard ». Au lieu de s’occuper du stupide CO2 les climatologues gieciens feraient bien de nous expliquer d’où vient cette anomalie.

  4. “Les fluctuations de températures terrestres sont la règle depuis au moins 540 millions d’années.”
    C’est pas faux mais ça ne démontre rien à propos de la situation actuelle, ce n’est qu’un constat.

    Je cite maintenant les auteurs initiaux de l’étude:
    “Ces connaissances peuvent nous aider à mieux comprendre les problèmes et les défis auxquels nous sommes confrontés en raison du réchauffement climatique à venir ” (cf le résumé dans l’article)

    C’est pas faux non plus et tout est dit. :))

    … Impayables …

    • “”””C’est pas faux mais ça ne démontre rien à propos de la situation actuelle,”””””
      Cela montre juste que la fluctuation actuelle est un détail par rapport à ce qui s’est passé depuis la sortie du dernier âge glaciaire et on peut l’oublier si on regarde 540 millions d’années en arrière

      • Je me demande si vous faites exprès d’ignorer le fond du sujet ou s’il s’agit vraiment chez vous d’une forme de scotomisation, donc en étant sincère.

        Il est bien évident que dans le passé notre terre a connu des t° très élevées ou très basses par rapport à aujourd’hui. Il n’y a guère d’intérêt à rappeler cela si on n’en tire aucune leçon dans le cadre de la ligne éditoriale du site.
        C’est un peu comme si je dis que l’eau mouille. La belle affaire.

        Le sujet de fond est de savoir quel est l’impact d’un nouveau régime de températures. Je ne parle pas de la Nature en général. Le vivant s’adaptera toujours mais par effet de sélection, au détriment de certaines formes de vie et au profit d’autres formes.

        Et justement ne faut-il pas tenter d’éviter les conséquences graves pour l’humanité d’un réchauffement de 2 ou 5 degrés ?

        C’est à cause de cela que l’auteur de l’étude utilise l’expression “défis auxquels nous sommes confrontés en raison du réchauffement climatique à venir” ce que vous vous gardez bien de commenter malheureusement.

    • @E.libres
      Le passé éclaire l’avenir, parce que…
      “Si le passé n’éclaire plus l’avenir, l’esprit marche dans les ténèbres.” (Tocqueville)

  5. @E.libres
    Vous pouvez vous connecter avec votre nom et prénom pour que je sache si vous n’êtes pas un pseudo de plus de MLA
    C’est quoi votre “nouveau régime de témpérature” ? Sérieusement vous croyez qu’en consommant le reste des fossiles dans les 50 ans à venir , on fera augmenter la température terrestre de 5 degrés C

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

captcha