L’Optimum Climatique Romain

par Prof. Dr Alain Préat, Université Libre de Bruxelles

Le texte qui suit est extrait d’un article publié par le site Science Climat & Energie le 4 septembre 2020.


L’Optimum Climatique Romain (OCR), s’étend d’environ 250 ans avant J.-C à 400 après J.-C,  c’est-à-dire au cours d’une période assez proche de la nôtre. C’est au cours de cet Optimum qu’Hannibal traversa (en 218 av. J.-C ) les Alpes avec ses éléphants, situation impensable aujourd’hui. Cet OCR connu depuis assez longtemps (au moins depuis 1999 avec la première mention dans un article de Nature) est resté assez discret dans la littérature, cette  dernière se portant plus volontiers sur l’Optimum Climatique Médiéval (autour de l’an mil), plus proche de nous. Pourtant de nombreux articles suggéraient que l’OCR est l’Optimum le plus chaud de la période récente, du moins pour les deux ou trois derniers millénaires. Un article récent de Maragritelli et al. (2020), en Open Acess, publié dans Nature vient de montrer que c’est bien le cas, à savoir que l’OCR fut la période la plus chaude de ses 2000 dernières années (de plus 2°C, en moyenne par rapport à aujourd’hui dans la région étudiée de la Sicile et de la Méditerranée occidentale) et que l’augmentation de température fut principalement le fait de l’activité solaire (Margaritelli et al., 2016).

L’étude de Maragritelli et al. 2020

Cet article factuel ne prend pas en considération le CO2 et ne conclut pas à une ‘TMG’ valable à l’échelle de la planète, faute de données suffisantes (à cette échelle). Ce point particulier n’est pas spécifiquement abordé dans l’étude et reste donc en suspens, même si l’article suggère que la ‘TMG’ de l’Optimum Climatique Romain portait au moins sur l’ensemble de l’hémisphère Nord et est liée à des processus naturels (activité solaire et NAO ou Oscillation Nord-AtlantiqueMargaritelli et al., 2016).

L’étude porte sur la mer Méditerranée, à partir du Canal/Détroit de Sicile, qui forme un seuil (d’environ 500 m de profondeur), c’est-à-dire une barrière physique dans le bassin de la Méditerranée orientale, ce qui exerce un contrôle majeur sur les processus biogéochimiques  dans le bassin. Les températures des eaux de surface (SST) sont déduites de l’étude (géo)chimique du zooplancton (foraminifères) dans les eaux du Détroit de Sicile. Les températures sont calibrées temporellement (datations isotopiques par le 10Pb, 137Cs  et 14C) et comparées à celles déjà publiées dans la mer d’Alboran, dans le bassin de Minorque et dans la mer Egée, soit sur une distance Ouest-Est de plus de 2000 kilomètres.

Ces comparaisons montrent un réchauffement conséquent, a minima à l’échelle régionale de l’ensemble de la Méditerranée lors de l’OCR. Ensuite la région subira un refroidissement entrecoupé de quelques oscillations de faibles amplitudes.

Les auteurs ont porté leur attention sur la mer Méditerranée car la région est fort sensible aux changements climatiques passés et actuels, étant située entre l’Afrique du Nord et les climats européens, soit de la zone aride de l’anticyclone subtropical aux flux d’air humides du nord-ouest.  Plusieurs sites marins avaient  déjà fait l’objet d’études et montré une variabilité climatique à court terme à l’échelle régionale durant le dernier millénaire [3,4] sans qu’un schéma général ne se dégage, faute de résolution temporelle suffisante. Selon Margaretelli et al. (2020) la variabilité climatique au cours de l’OCR n’a pu être mise en évidence au cours de ces études,  les proxies  (= ‘indicateurs’) utilisés et le manque de résolution temporelle ne permettant pas d’interprétation en terme de saisonnalité et/ou de processus locaux. Les auteurs vont ainsi établir une nouvelle courbe d’évolution de la température des eaux de surface (SST) de la partie centrale de la mer Méditerranée, à partir d’un site de forage déjà connu (SW104-ND11) dans la partie nord-ouest du Détroit de Sicile (ici) en mesurant le rapport Mg/Ca sur les tests (ou ‘coquilles’) carbonatés du foraminifère planctonique Globigerinoides ruber pour les 5000 derniers mille ans BPavec une attention particulière pour la période de l’OCR. La température des eaux de surface (1-15 m) varie de 22,0°C à 23,0°C en cet endroit de l’étude en juillet 2014.

Les résultats

Les estimations de la SST déduites à partir des rapports Mg/Ca de Globigerinoides ruber vont de 16,4 °C ± 1,5 °C à 22,7 °C ± 1,5 °C avec une valeur moyenne de 19,5 °C ± 1,5 °C (Fig. 1) et un réchauffement progressif de 6,3 °C ± 2,0 °C de 3300  BCE , à la base de la séquence étudiée, à 330 CE, lors de la période romaine moyenne durant laquelle les maxima de la SST sont atteints (Fig. 1). 

Figure 1 : Comparaison temporelle des températures de surface de l’eau de mer (SST) du Détroit de Sicile (Mg/Ca G. ruber core SW104-ND11), de la mer d’Alboran, du bassin de Minorque, de la mer Égée, avec reconstitution de la température de l’hémisphère Nord et l’indice d’Oscillation Nord Atlantique (NAO). La ligne bleu clair (en haut) en pointillé, superposée aux données brutes de SST, concernant la mer d’Alboran, est une moyenne mobile de 3 points, la ligne rouge en pointillé du relevé du Détroit de Sicile représente la courbe lissée de l’IC -intervalle de confiance- à 95% (simulation de Monte Carlo) et les fines lignes rouges sont les réalisations ajustées des données de 2,5% et 97,5% de l’IC de 10000 LOESS. Les points noirs sur l’enregistrement du Détroit de Sicile (courbe bleue) représentent les données analysées et l’ombre bleu clair est l’erreur de propagation. Les bandes grises rapportent les principaux événements climatiques documentés dans le bassin méditerranéen.  Les points de datation avec les barres d’erreur figurent pour presque tous les enregistrements de la SST. Abréviations : LALIA = Petit Age Glaciaire de la fin de l’Antiquité, MWP = l’Optimum Climatique Médiéval, LIA = Petit Age Glaciaire. D’après Margaritelli et al. (2020).

Cette tendance au réchauffement à long terme est ponctuée de plusieurs oscillations à court terme d’amplitude et de durée différentes (Fig. 1). De la période romaine à 1700 CE, la SST montre une tendance au refroidissement de 4,5 °C ± 2,1 °C. L’enregistrement de la SST montre une légère tendance au réchauffement entre 1700 et 2014 CE.

Ce résultat est ensuite comparé à d’autres valeurs de la SST déjà publiées pour la mer Méditerranée, établies soit par l’analyse des rapports Mg/Ca d’un autre foraminifère planctonique, G. bulloides à partir de 5 forages dans les îles Baléares, par l’analyse des alcénones dans deux sites de la mer Egée (UK’37 , Fig. 1 et Grauel et al., 2013), et d’autres températures connues de l’hémisphère Nord (Ljungqvist, 2010) en relation avec l’indice NAO (Faust et al., 2016).

Bien que des biais soient présents dans les estimations des SST à partir de proxies différents, chaque fois particuliers à une zone d’étude (ici une séquence ‘géologique’ provenant de plusieurs forages), les auteurs comparent ensuite l’évolution des SST en Mer Egée, Mer d’Alboran, bassin de Minorque et au large de la Sicile. Ils montrent que le trait marquant et commun sur plus de 2000 ans est le maximum de la SST durant l’OCR (de 1 à 500 CE, c’est-à-dire de 1 à 500 ans de notre ère, Fig. 2).

Figure 2 : Comparaison des SST du Détroit de Sicile (ligne épaisse bleu foncé) de la mer d’ Alboran (ligne épaisse bleu clair), du bassin de Minorque (ligne épaisse rouge) et de la mer Égée (lignes épaisses vert foncé et vert clair) exprimés en anomalies SST par rapport à la période de référence de 750 BCE (avant J.-C.) à 1250 CE (après J.-C.).  Les données brutes de la SST du Détroit de Sicile sont superposées à la courbe lissée de l’IC -intervalle de confiance- à 95 % calculée comme le quantile de 2,5 % (ligne fine bleu foncé) et de 97,5 % (ligne fine bleu foncé) des 10 000 valeurs lissées. L’échelle graduée de la SST (°C) ne se réfère qu’aux données brutes de la SST du Détroit de Sicile. Les SST des mers d’Alboran, Minorque et Egée sont représentées par une moyenne mobile de 3 points. Les bandes grises indiquent les principaux événements climatiques documentés dans le bassin méditerranéen. Abréviations : LALIA = Petit Age Glaciaire de la fin de l’Antiquité, MWP = l’Optimum Climatique Médiéval, LIA = Petit Age Glaciaire. D’après Margaritelli et al. (2020).

La courbe d’évolution de la SST montre que différentes situations régionales existaient dans la mer Méditerranée avant l’avènement de l’OCR. Cela concerne donc la période pré-OCR avec un refroidissement général en Mer Egée, un réchauffement dans le Détroit de Sicile et des conditions stables en Mer d’Alboran (Fig. 2). Le Détroit de Sicile est affecté de plusieurs périodes de réchauffement (cf. ‘Age ou période’ du Cuivre, du Bronze , … Fig. 2) et certaines sont à mettre en relation avec une aridification progressive rapportée dans le nord de l’Egypte (également mise en évidence par une nette diminution des pollens en Méditerranée centrale). Les conséquences dans les pratiques agricoles et l’effondrement des premières grandes civilisations sont énormes (non discutées ici) et traitées en détail par les archéologues. Mentionnons cependant , qu’à l’inverse, lors de la transition de l’Age du Bronze à l’Age du Fer, vers 800 BCE (soit lors de la ‘période Homeric’, Fig. 2) a lieu un refroidissement de court terme associé à un ‘grand minimum solaire’. Durant cet intervalle les valeurs de l’indice NAO étaient négatives (Fig. 1) et l’agriculture fut en expansion en Méditerranée orientale.

La période pré-OCR (500 BCE à 200 BCE) était donc globalement plus froide malgré des oscillations, et correspond au début de la phase dite ‘sub-Atlantique’ (Zolitschka et al., 2003 Kotthoff et al., 2017) avec un climat pluvieux, froid et humide qui a perduré jusqu’à environ 100 BCE. L’avance des glaciers est bien documentée  pour cette période.

La période post-OCR  est caractérisée par un refroidissement progressif de 4,5°C ± 2,1°C et se termine avec le Petit Age Glaciaire (LIA) (Fig. 1). La période est entrecoupée de deux brefs intervalles avec refroidissement important, à savoir le ‘Petit Age Glaciaire de la fin de l’Antiquité ou ‘LALIA’ de 650 à 700 CE et le LIA, et d’au moins  une période de réchauffement important, représentée par  l’Optimum Climatique Médiéval (MWP) autour de 1300 CE (ici), également reconnu en Méditerranée. Deux autres périodes de réchauffement (et refroidissement) moins important sont également observés sur la courbe SST de la figure 1, mais ne sont pas nommées vu leur moindre importance. Elles encadrent l’Optimum Climatique Médiéval (MWP). L’épisode LIA, popularisé dans les tableaux de Breughel l’Ancien exposés à Bruxelles, et ceux de la Tamise gelée exposés au Muséum de Londres ) s’étend de 1300 CE à environ 1700 CE et enregistre un refroidissement de 2,1°C ± 2°C (par exemple de 1,5-1,0 °C in Zharkova, 2020). Il a affecté l’ensemble de la Méditerranée. Depuis environ 1700 CE la SST du Détroit de Sicile a augmenté malgré un court refroidissement en 1980 CE.

 Discussion

L’OCR est une période de réchauffement importante, régionale et  polyphasée entre 1 CE et 500 CE.  Les auteurs de l’article (dé)montrent que ces conditions chaudes sont indépendantes des proxies considérés. L’Optimum Climatique Romain est une réalité, même s’il est souvent ignoré des médias et de nombreux scientifiques climatologues. Les proxies considérés permettent  d’établir que les conditions chaudes de l’OCR avaient cours toute l’année en Méditerranée, et n’étaient donc pas uniquement saisonnières. Des différences  de plusieurs degrés existaient néanmoins à l’échelle régionale avec des SST de 19,6±1,5°C à 22,7±1,5°C dans le Détroit de Sicile, de 16,6 à 18,5 °C dans le bassin de Minorque, et 14,4 à 16,1°C dans les mers Egée et d’Alboran. Ainsi à l’échelle régionale la température était-elle plus élevée de quelques degrés dans la partie centrale de la Méditerranée par rapport à ses bassins occidentaux et orientaux. L’intervalle temporel le plus chaud (de l’OCR) se situe entre 240 CE et 420 CE et correspond également à la phase la plus chaude mise en évidence dans l’hémisphère Nord (Ljungqvist, 2010). Les disparités régionales des SST mentionnées ci-dessus montrent que l’évolution des températures n’est pas synchrone au cours de cet épisode globalement stable et chaud. Les conséquences politiques et agricoles sont multiples et discutées dans l’article de Margaretelli et al. (2020). 

Un autre paramètre semble associé aux fluctuations climatiques, il s’agit de l’indice NAO, ou Oscillation Nord Atlantique, basé sur une différence de pression atmosphérique, mesurée à la surface de l’eau de mer, entre l’anticyclone des Açores et la dépression d’Islande (Hurell et al., 2005, et partie 2.2 ici dans SCE). Cet indice a fluctué de valeurs négatives à positives durant l’OCR (Fig. 1) suggérant un transfert des zones de précipitations ou des pluies vers l’Europe Centrale et l’Europe du Nord. L’Europe du Sud et l’Afrique du Nord connaissent alors des conditions plus sèches pénalisant leur développement économique (agriculture).

Conclusions

L’OCR montre que les changements climatiques sont la règle confirmant plusieurs articles rapportés par SCE à la fois aux échelles géologiques et historiques. Lorsque la résolution temporelle est bonne, on constate que les changements climatiques sont souvent rapides, de l’échelle pluriséculaire à l’échelle de plusieurs dizaines d’années, et qu’ils ne sont pas synchrones, même à une échelle régionale (le millier de km). Ce dernier point confirme le non-sens de la notion de ‘température moyenne globale’ pour la planète, la température est bien, une grandeur intensive (également ici) comme le suggère les données de l’OCR, notamment par l’asynchronicité des changements climatiques. Les changements sont rapides, parfois même beaucoup plus rapides que ceux de la période récente de 0,8°C sur 150 ans. La courbe d ‘évolution de la SST durant l’OCR montre deux fluctuations de 2°C sur chaque fois 100 ans, et même au-delà de 2°C pour la période de l’Age du Cuivre (Fig. 1). Cette courbe établie sur un peu plus de 5000 ans, montre surtout que les fluctuations de la SST sont la règle à l’échelle séculaire à pluriséculaire. Visiblement les fluctuations de l’OCR et de la période pré-OCR semblent plus importantes que celles qui ont suivi (MWP, LIA, et Aujourd’hui), ces dernières montrant des fluctuations d’à peine 1 °C à 1,5°C à l’échelle pluriséculaire

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