Venise sauvée des eaux

Par Rémy Prud’homme, professeur des universités (émérite)

Pour les amoureux de Venise, le 4 octobre 2020 fera date. Depuis des siècles, tous les hivers, une marée haute un peu plus forte que les autres inonde périodiquement une partie de la ville, à commencer par la Place Saint Marc, qui est le point le plus bas de la cité. Au bout de quelques heures, la marée haute, comme toute les marées, se retire; mais elle a grandement endommagé les boutiques et les logements des rez-de-chaussée des rues inondées. A des hauteurs diverses, cette acqua alta frappe la ville plusieurs dizaines de fois par an. Cette malédiction est enfin conjurée. On a érigé avec succès un barrage contre l’Adriatique.

 Ce barrage s’appelle le MOSE, un acronyme qui désigne Moïse en italien. Ce n’est pas Moïse qui est sauvé des eaux, c’est Moïse qui sauve Venise des eaux. Venise est une ile au milieu d’une grande lagune qui communique avec la mer par trois détroits, trois « bouches » comme disent le Vénitiens. Sur chacune de ces bouches, on a édifié une sorte de porte (plus précisément un ensemble de portes) habituellement ouverte, mais que l’on peut fermer quand on le désire, afin d’empêcher pour quelques heures l’eau de l’Adriatique de pénétrer dans la lagune, et d’inonder Venise. Le projet date d’au moins vingt ans. Il a été financé par le gouvernement italien. Il a connu des déboires (on a parlé de corruption). Il a coûté quelques six milliards d’euros. Mais il a été mené à terme. Le 4 octobre 2020, alors qu’une marée particulièrement haute s’annonçait, le MOSE a été actionné, et tout s’est passé comme prévu : la Place Saint Marc est restée à sec. Champagne ! (ou : Proseco !)Il faut d’abord saluer le génie italien. Aux deux sens du mot : la capacité de création, et l’ingéniérie (ce qu’on appelle le génie civil). La fermeture de la lagune à Venise intervient au même moment que l’ouverture du nouveau pont Morandi à Gênes, autre exploit de ce génie.

Il faut surtout y voir le triomphe de l’homme sur la nature. Déjà, la naissance et le développement de Venise ont été une suite de défis relevés. Au sixième siècle, pour se protéger des barbares, des habitants du delta du Po se sont réfugiés sur cette ile inondable. Par leur travail, leur intelligence et leur courage, ils ont littéralement transformé la boue en or, et fait de ce lieu inhospitalier un centre de richesse, de pouvoir et de beauté.

 Ce 4 octobre 2020 est aussi une victoire des réalistes sur les pessimistes, ou en caricaturant un peu, des ingénieurs sur les écologistes. C’est la deuxième à Venise depuis la dernière guerre. Dans les années 1970, les catastrophistes affirmaient que la pollution de l’air (par le souffre) condamnait la cité à l’asphyxie à court terme. Une jolie trouvaille de com’, le tableau d’un doge coiffé d’un masque de plongée, contribua beaucoup à populariser cette perception. En réalité, la désulphuration des rejets des usines chimiques de Porto Marghera, sur les rives de la lagune, réduisit puis élimina complètement cette menace, ridiculisant la prophétie. Elle fut immédiatement remplacée par une autre : la ruine imminente de la ville par submersion, par la multiplication et l’aggravation des inondations. Le MOSE vient de montrer la vanité de cet avis de décès cent fois envoyé. Venise est comme le phénix qui renait de ses cendres, réelles ou annoncées ; ce n’est pas par hasard que le bel opéra de la ville s’appelle la Fenice.

Les fermetures temporaires que permet le MOSE sont critiquées par les écologistes. Ils expliquent qu’empêcher les marées hautes, et l’oxygène qu’elles apportent, engendrera l’eutrophisation de la lagune. La mort de celle-ci serait le prix de la survie de la ville. Il est vrai que la lagune est un écosystème fragile. Gageons que la science et la technologie sauront, une fois de plus, déjouer ce pronostic des prophètes de malheur.


Référence :

L’inondation de Venise n’est pas due à la montée des eaux résultant du changement climatique

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