Réapprécier le discours sur le changement climatique

Richard S. Lindzen, Institut de technologie du Massachusetts, Cambridge, MA

John R. Christy, Université de l’Alabama à Huntsville, Huntsville, AL

(Traduit de l’anglais par Camille Veyres)


Résumé.

Nous constatons que l’atmosphère possède des régimes tropicaux et extratropicaux distincts. Le régime tropical dépend de manière significative de l’effet de serre et se caractérise par des températures largement homogénéisées dans le plan horizontal. Le régime extratropical est dominé par des tourbillons convectifs instables à grande échelle qui transportent la chaleur entre les tropiques et les pôles (les pôles sont ainsi plus chauds qu’ils ne le seraient autrement) et servent à déterminer la différence de température entre les tropiques et les pôles. Les variations de la température tropicale et de la différence de température entre les tropiques et les pôles contribuent toutes deux aux variations de la température moyenne mondiale. Il s’avère que les changements de la température moyenne mondiale associés à des changements climatiques majeurs (c’est-à-dire le dernier maximum glaciaire et la période chaude de l’Éocène, il y a environ 50 millions d’années) ont été principalement liés à des changements des différences de température entre les tropiques et les pôles. En revanche, les changements de la température moyenne mondiale au cours des 150 dernières années environ sont presque entièrement associés à des changements de la température tropicale. Donc il n’y a pas d’amplification intrinsèque associée à un changement de la différence de température entre les tropiques et les pôles. Cependant, des simulations climatiques par des modèles se comportent différemment des observations et différemment les unes des autres. En particulier, toutes  montrent des contributions plus importantes de la différence de température entre les tropiques et les pôles – parfois beaucoup plus importantes. Elles montrent également un réchauffement tropical excessif.

1- Introduction et concepts de base.

L’idée qui sous-tend les préoccupations actuelles concernant le réchauffement de la planète est que l’effet de serre est le bouton de commande essentiel des principaux changements climatiques sur la Terre [1]. Le présent document expliquera, nous l’espérons, pourquoi cette vision est erronée en ce qui concerne les changements climatiques majeurs sur cette Terre. Le présent document est un développement d’idées présentées précédemment.[2]

 Nous commençons par noter que l’atmosphère présente deux régimes d’écoulement distincts : l’un décrit les tropiques (approximativement entre -30° et +30° de latitude), et l’autre, les régions extratropicales (~ au-delà de ±30° de latitude). Cela résulte de la rotation de la Terre et de la force de Coriolis associée à la composante du vecteur de rotation de la Terre perpendiculaire à sa surface. Cette composante est faible sous les tropiques, mais d’une importance dominante dans les régions extratropicales.

Lorsque la force de Coriolis est dominante, nous avons ce que l’on appelle un mouvement quasi-géostrophique où l’air s’écoule principalement horizontalement et principalement le long des isobares plutôt qu’à travers les isobares. C’est la situation qui prévaut en dehors des tropiques. Entre les tropiques, où la force de Coriolis est faible, le mouvement à travers les isobares élimine les gradients horizontaux. Il est généralement qualifié d’a-géostrophique. Cependant, il y a des vents dirigés zonalement dans les tropiques (les alizés) en raison de la conservation du moment angulaire absolu (Schneider, 1977, Held et Hou, 1980) qui ne traversent pas les isobares. Ces vents sont principalement des vents d’est (c’est-à-dire de l’est vers l’ouest) [3]. En revanche, les vents dominants dans les régions extratropicales sont principalement orientés vers l’ouest. Les deux régimes d’écoulement sont illustrés par la figure suivante     [4]  [5]

Figure 1. Représentation schématique des deux régimes d’écoulement de l’air sur Terre. L’hémisphère estival est caractérisé par une activité barocline plus faible. Bien entendu, il s’agit d’une simplification de la pléthore de régimes climatiques réels qui découlent de la topographie complexe de la Terre.

  Les données sur lesquelles le schéma est basé se trouvent dans Sun et Lindzen, 1994.

Si le vecteur de rotation est surtout perpendiculaire à la surface : la force de Coriolis inhibe l’écoulement à travers l’isobare.

Si le vecteur de rotation est surtout parallèle à la surface : l’écoulement à travers les isobares est permis

La circulation de Hadley se produit sous les tropiques. Là, la convection des cumulonimbus agit globalement pour établir rapidement un profil vertical de température présentant un gradient de température dit «  adiabatique humide », et la circulation de l’air étend ce gradient à l’ensemble des tropiques. La démarcation entre la région intertropicale et les régions extratropicales est clairement indiquée dans la circulation générale moyenne zonale par le jet subtropical et par une forte diminution de la hauteur de la tropopause, de 16 km environ dans les tropiques à 12 km environ dans les régions extratropicales. Ce phénomène se produit, tant dans les modèles que dans la nature, suffisamment près de la latitude 30°pour que les variations de température y soient faibles.

 Des perturbations à grande échelle connues sous le nom de tourbillons baroclines apparaissent dans les régions extratropicales et transportent la chaleur vers les hautes latitudes, réduisant ainsi la différence de température qui existerait en leur absence. Ces tourbillons fonctionnent collectivement comme une pompe à chaleur qui régule le gradient de température entre la région équatoriale et la région polaire. Ce sont les systèmes cycloniques et anticycloniques qui se déplacent vers l’est et que l’on voit sur les cartes météorologiques des régions extratropicales. Les stries noires du schéma de la figure 1 correspondent à des surfaces d’égale température potentielle [6] (appelées isentropes) le long desquelles se fait le transport. La pente de l’isentrope qui quitte la surface à la limite des tropiques détermine la limite entre la troposphère polaire et la stratosphère (c’est-à-dire la tropopause polaire), et lorsque cette pente est inférieure à une certaine valeur, les tourbillons baroclines cessent de croître (Jansen et Ferrari, 2013) [7]. Il est à noter que dans la majeure partie des régions extratropicales, les isentropes prennent naissance dans les tropiques et, comme ces isentropes sont à peu près parallèles les unes aux autres, elles produisent approximativement des gradients de température similaires à ceux des tropiques. On peut dire que c’est dû à la convection dans les tropiques. Cependant, ça ne vient pas de manière significative de la convection humide dans les régions extratropicales.

Les tourbillons agissent pour ramener cette pente à une valeur neutre où ils cessent de croître en amplitude et où la pompe à chaleur correspondante s’éteint.

Cela établit la différence de température entre les tropiques et les pôles à la tropopause polaire à une valeur d’environ 20°C, ce qui est observé (Newell et al, 1972). C’était aussi, de manière significative, la différence à la surface pendant l’Eocène [8] . Cependant, les isentropes inférieures à l’isentrope critique proviennent de la surface non tropicale et dépendent des conditions de surface qui y règnent, comme la présence ou l’absence de glace.

La présence de glace entraîne des inversions arctiques où sur plusieurs kilomètres à partir de la surface la température augmente avec l’altitude au lieu de décroitre, ce qui se traduit par des différences de température de surface entre tropique et pôle plus importantes que la différence des températures au niveau de la tropopause polaire.

2. Les grands changements climatiques du passé.

Dans les années 1980, grâce aux progrès de la paléoclimatologie, plusieurs aspects de l’histoire du climat sont apparus plus clairement. Nous avons commencé à voir la nature cyclique des cycles de glaciation du dernier million d’années. Les périodes chaudes comme l’Éocène (il y a environ 50 millions d’années) ont été mieux définies. Les données suggèrent que tant pour les périodes glaciaires que pour l’Éocène, les températures équatoriales différaient peu des valeurs actuelles, mais que la différence de température entre les tropiques et les hautes latitudes variait considérablement. Les différences estimées sont les suivantes avec ∆T différence de température entre tropiques et pôles :

Éocène                        ∆𝑇 ≈ 20°C (Shackleton et Boersma, 1981)

Maximum glaciaire    ∆𝑇 ≈ 60°C (Imbrie et Imbrie, 1979)

Présent                        ∆𝑇 ≈ 40°C (Newell et al, 1972).

 Voici une représentation simplifiée [9] de la température méridienne entre l’équateur (sin (φ) = 0) et le pôle (sin(φ) = 1 (x1 = 0,5 pour φ=30° ) :

Figure 2. Représentation grossière de la distribution méridienne de la température de la Terre. T1 est la température tropicale, T2 la température extratropicale et δT2 la différence de température entre les tropiques et le pôle. x1 est la limite entre les tropiques et les régions extratropicales, c’est-à-dire la latitude du saut de la hauteur de la tropopause qui passe d’environ 16 km dans les tropiques à environ 12 km dans les régions extratropicales. φ est la latitude.

En général, les variations de ∆₸ sont dominées par ∆(δT2) ; ∆(δT2) est déterminé par la dynamique des régions extratropicales et non par celle des régions tropicales qui sont, elles, soumises à l’effet de serre.

Ce qui précède permet de tirer les conclusions suivantes en ce qui concerne les grands changements climatiques :

1. D’après les enregistrements paléoclimatiques, il semble que la température dans les tropiques ait été relativement constante, en comparaison des variations des températures aux pôles.

2. Les gaz à effet de serre jouent un rôle dans les changements de température sous les tropiques mais ils ont relativement peu à voir avec les forces qui influencent les différences de température entre les tropiques et les pôles.[10]

 3. Historiquement, les différences de température entre les pôles et les tropiques ont fluctué beaucoup plus que les changements de température à l’équateur.

 4. Ces fluctuations dépendent des conditions à la surface de la Terre en dehors des tropiques et ne sont pas en principe affectées par des effets de serre.

5. Si des effets de serre étaient un facteur significatif du climat, la température dans les tropiques serait le principal facteur du changement de la température moyenne de la terre. Les études des changements historiques de température montrent le contraire : c’est la différence entre les températures polaires et les températures tropicales qui a varié, et ça n’a pas grand-chose à voir avec des effets de serre. Il est donc inapproprié de comparer les changements de ∆₸ dans le passé avec des estimations de l’effet de serre. Notons que c’est en grande partie sur cette base inappropriée que l’on a prétendu que des changements relativement faibles de ∆₸ dus à des changements des « gaz à effet de serre » étaient associés à des changements climatiques majeurs.

6. Notez que les changements de ∆₸ associés à ces changements climatiques majeurs ne sont que de l’ordre de 5°C, ce qui permet d’affirmer que les estimations très gonflées (gonflées par des rétroactions positives supposées) de la sensibilité climatique fondées sur le mécanisme de la serre sont proches de changements associés à des changements climatiques majeurs ; mais les changements associés à ces changements [majeurs du passé] n’étaient pas dus à un forçage par effet de serre.

7. Un facteur que nous n’avons pas essayé d’estimer est la variation du flux de chaleur venant des tropiques et provoqué par la variation de la différence de température entre les tropiques et les pôles. Cependant ces changements semblent n’avoir entraîné que peu de changement de la température tropicale ce qui pourrait avoir des implications importantes pour la sensibilité climatique.

Il est certain que l’image de la serre est utile pour comparer les climats globaux de différentes planètes. Dans ce cas, les changements de la température moyenne sont en effet dominés par les changements de la température tropicale. Les changements climatiques à l’intérieur d’une planète donnée sont une tout autre affaire.

3. Comment l’évolution du climat de la Terre depuis le XIXe siècle se compare-t-elle aux grands changements climatiques du passé ?

L’on compare parfois les changements climatiques survenus depuis le XIXe siècle avec les grands changements climatiques du passé : il est légitime de se demander si la comparaison est pertinente. Les changements climatiques récents ont été associés à la croissance des teneurs de l’air en CO2, tandis que pour les cycles glaciaire les changements de l’insolation estivale dans l’Arctique dus à des variations orbitales sont considérés comme le facteur déterminant (Milankovitch, 1941 ; Roe, 2006 ; Edvardsson et al., 2002) et les changements de CO2 semblent suivre et non pas précéder les changements de température. Pour l’Éocène chaud c’est moins clair mais, là encore, des processus autres que les changements de CO2 semblent être en cause.

Cependant, on entend dire que les changements relativement faibles de l’anomalie de la température moyenne associés au réchauffement actuel pourraient représenter un changement climatique majeur. Dans les changements climatiques majeurs du passé, des changements importants de la différence de température entre tropiques et pôles étaient associés à des changements relativement faibles de la température moyenne (comme déjà noté au point 6 de la section 2, en utilisant l’équation 1, ∆₸ ∼ 20°C / 4 = 5°C , ce qui est comparable à des estimations du réchauffement dû à un doublement du CO2). Il a été suggéré que les changements tropicaux seraient accompagnés d’une amplification polaire qui rendrait les petits changements apparents de l’anomalie de la température moyenne beaucoup plus importants.

C’est cette hypothèse là que nous souhaitons étudier.

En utilisant à la fois les données instrumentales et les résultats des modèles, il n’est pas nécessaire d’utiliser la représentation grossière de la figure 2 et l’équation 1. Nous utiliserons plutôt les distributions réelles des anomalies de la température moyenne annuelle (voir Lindzen et Christy, 2020). Les indices relatifs aux données des température de surface que nous utilisons ont été calculés à partir des données « température de surface sur un grille » de la NOAA, téléchargées à l’adresse https://psl.noaa.gov/data/gridded/data.noaaglobaltemp.html

Ici, ₸ sera simplement l’anomalie de la moyenne des températures entre -90° et +90°.

T1 moyenne = moyenne de T entre -30° et +30° appliquée à -90° à 90°.

C’est essentiellement la contribution du changement de température tropicale à la température moyenne globale.

T2 = 0 pour φ entre -30° et +30° ,

T2 = T(φ) – T(30° ) pour φ entre 30° et 90°,

T2 = T(φ) – T(-30°) pour φ entre -30° et -90°,

T2 moyenne = moyenne de T2 de -90° à 90°.

Il s’agit essentiellement de la contribution à la température moyenne mondiale de la différence de température entre les tropiques (à 30° de latitude) et les pôles.

Nous comparons ensuite les séries temporelles de T2 moyenne, T1 moyenne et de T moyenne.

L’intérêt de cette comparaison est de voir dans quelle mesure les changements de la température tropicale et les changements de la différence de température entre les tropiques et les pôles ont contribué aux changements observés de la température moyenne mondiale.

Figure 3. Contribution à l’évolution de la température moyenne de la différence de température entre la zone  (30° à 90°) et les tropiques (bande de latitude de 30°).

 On notera que la contribution à la figure 3 est irrégulière et faible, et qu’elle ne présente pratiquement aucune tendance.

Figure 4. Température annuelle moyenne en fonction de l’année.
 Figure 5. Température tropicale moyenne en fonction de l’année.

 Notez que la moyenne tropicale et la moyenne annuelle sont presque identiques, tandis que la contribution des changements de la différence de température entre les tropiques et les pôles est négligeable et irrégulière. Cette situation est profondément différente de celle qui caractérise les changements climatiques majeurs dans les archives paléoclimatiques.

4. Comment les données se comparent-elles aux prévisions des modèles ?

 Dans cette section, nous répétons l’analyse de la section 3 pour les sorties des modèles du GIEC en les comparant aux données observées. Les résultats des modèles proviennent de 12 modèles climatiques participant au projet n° 6 de comparaison des modèles climatiques ou CMIP6, téléchargés à partir des archives de Climate Explorer (https://climexp.knmi.nl/start.cgi ). Pour la clarté de la présentation, nous avons sélectionné des exemples caractéristiques des modèles utilisés par le GIEC dans le dernier rapport d’évaluation n° 6 ou AR6.

Figure 6                    Moyenne annuelle de la différence entre l’anomalie de température pour la moyenne de la zone 30°-90° N, S et la bande de latitude à 30° N, S. Les valeurs sont des moyennes glissantes sur 10 ans se terminant en 2022.

  Les différences par rapport au comportement observé sont claires et prononcées. Cela est particulièrement évident après 1973, comme le montre la figure suivante, où l’on constate que les températures polaires augmentent beaucoup plus rapidement pour les modèles que pour les données d’observation.

Figure 7. Différence entre les vitesses de réchauffement des températures polaires  et celles de la bande entre les latitudes de  30°S  et 30°N , sur 1973 et 2022

Comme indiqué aux figures 6 et 7, le gradient moyen de température de surface entre les pôles et les régions subtropicales diminue dans les modèles (les pôles se réchauffent par rapport aux régions subtropicales), ce qui n’est pas évident dans les observations.

Notons que les modèles présentent une large gamme de valeurs.

Nous avons examiné les hémisphères séparément et avons trouvé des résultats opposés dans les observations, c’est-à-dire que le gradient (pôles moins sub-tropiques) s’est légèrement renforcé (refroidissement des pôles par rapport aux sub-tropiques) dans l’hémisphère Sud et a légèrement diminué dans l’hémisphère Nord : différences [en plus au sud et en moins au nord] de 0,3°C au cours des 50 dernières années.

En revanche, le résultat moyen du modèle indique une légère diminution du gradient SH (plutôt qu’un renforcement comme observé) et une réduction plus forte du gradient NH que celle observée.

Figure 8. Température moyenne annuelle globale exprimée en anomalies de la température moyenne lissées sur 10 ans glissant, anomalies décomptées par rapport à la moyenne sur 1951-1980.
Figure 9. Température moyenne annuelle tropicale (30°S-30°N) exprimée en anomalies de la température moyenne lissées sur 10 ans glissant, anomalies décomptées par rapport à la moyenne sur 1951-1980.

  Alors que les températures observées aux figures 8 et 9 sont essentiellement indiscernables, on ne peut pas en dire autant pour la plupart des résultats de modèles. L’étendue de la différence entre les modèles (avec l’origine nationale des modèles) est présentée au tableau 1 ci-dessous.

Tableau 1. Tableau des modèles utilisés.

Tous ont été forcés avec le forçage historique jusqu’en 2014, et après forcés avec le scénario ssp2-4.5 scénario considéré comme le plus vraisemblable [“middle of the road” en anglais]. Des corrélations modestes de +0,68 et +0,73 respectivement sont calculées entre la sensibilité climatique à l’équilibre de chaque modèle et

(a) la valeur de la tendance du gradient Pôle-Eq et

(b) la tendance de la température de la troposphère tropicale au cours de l’ère satellitaire (1979-2022, McKitrick et Christy 2020 mis à jour jusqu’en 2022).

Alors que les principaux régimes climatiques tels que le régime actuel, le dernier maximum glaciaire et le climat stable de l’Éocène se distinguaient principalement par la différence de température entre les tropiques et les pôles, les données montrent que le réchauffement actuel est presque entièrement dû au réchauffement tropical, sans contribution significative de la supposée amplification polaire (Fig. 3).

Cependant, on ne peut pas en dire autant de la plupart des résultats des modèles (figures 7 et 8). Cela est presque certainement lié au fait que ces modèles ont tous tendance à être trop chauds (McKitrick et Christy 2020, tableau 1).

Il est depuis longtemps évident qu’au moins certains modèles ont des difficultés à représenter correctement les différences de température entre les tropiques et les pôles.

Et donc les tentatives de modélisation de la période chaude de l’Éocène en augmentant le CO2 ont en général produit des distributions des écarts de  température entre tropique et pôle presque identiques à la distribution actuelle, ça malgré l’absence de glace à l‘Eocène (Barron et Washington, 1985, Huber et Sloan, 1999, Huber et Caballero, 2011). Ce qui implique que les températures tropicales augmentent à peu près autant que les températures polaires, ce qui est tout à fait contraire aux données observées.

Ces problèmes avaient déjà été relevés par Greenwood et Wing (1995).

Le fait même que les divers modèles que nous avons examinés produisent des résultats très différents pour les différences de température entre les tropiques et les pôles (ainsi qu’un réchauffement tropical excessif) indique un problème important.

 5. Remarques pour conclure

Nous avons noté que des changements majeurs dans le paléoclimat de la Terre étaient caractérisés par des grands changements de la différence de température entre les tropiques et les pôles et par des changements relativement faibles de la température tropicale. Au contraire le réchauffement depuis 1880 est presque entièrement dû à des changements de la température tropicale, avec des changements insignifiants de la différence des température de surface entre tropiques et pôles. Cette constatation a de profondes implications, car le faible réchauffement tropical n’est pas le révélateur d’un réchauffement plus important dans les zones extratropicales.

Pourtant, tous les modèles que nous avons examinés affichent non seulement un réchauffement tropical plus important que celui observé sur la période 1880-2022, mais aussi, contrairement aux observations, des augmentations significatives de la différence de température entre les tropiques et les pôles.

Le réchauffement tropical plus important est probablement lié aux rétroactions radiatives associées à l’effet de serre de la vapeur d’eau et des nuages, ainsi qu’à la réflectivité des nuages. Tous ces éléments sont d’importantes sources d’incertitude. Cela a été noté dans la section 7.2.2 du troisième rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/03/WGI_TAR_full_report.pdf ) et ça reste d’actualité (Mauritsen et Stevens, 2015, ; Trenberth et Fasullo, 2009 ; Lindzen et Choi, 2021).

L’évolution anormale [dans les modèles] de la différence de température entre les tropiques et les pôles met en évidence les problèmes de modélisation du flux méridien hydrodynamique de chaleur. Pour que les modèles soient utiles, ces problèmes doivent être identifiés et corrigés. En fait, les résultats présentés dans cet article suggèrent qu’un éventuel modèle [correct] du climat serait caractérisé par des tropiques relativement insensibles, y compris pour ces isentropes extratropicales venant des tropiques (comme dans la figure 1) [11], les principaux changements climatiques étant associés au comportement à la surface dans les régions extratropicales, qui est déterminé par diverses influences, y compris les variations orbitales de l’insolation aux hautes latitudes (c’est-à-dire le mécanisme de Milankovitch : Milankovitch, 1941,  Roe, 2006, et Edvardsson et al, 2002) et la variété des circulations océaniques qui transportent la chaleur vers et depuis la surface sur des échelles de temps allant de l’année au millénaire.

 Remerciements.

Le travail de J. Christy a été soutenu par le contrat DE-SC0019296 du ministère américain de l’énergie. Nous tenons également à remercier Michael Montgomery, John Marshall et Christopher Essex pour leurs commentaires utiles.

Références

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[1] 1 Une explication de “l’effet de serre” lui-même peut être trouvée dans https://www.thegwpf.org/content/uploads/2022/09/Lindzen-global-warming-narrative.pdf

[2]   Une discussion antérieure du mécanisme décrit dans ce document se trouve dans Lindzen (2020).

[3]   Pour des raisons de simplicité, cet aperçu ne tient pas compte du flux de mousson d’ouest dans certains secteurs de cette zone  Des vents d’ouest de mousson naissent en association avec les mouvements d’air transéquatoriaux entraînés par les effets de réchauffement des terres et par  la déviation de Coriolis qui s’ensuit pour produire un flux d’ouest.

[4]  Il convient de souligner qu’il s’agit d’une représentation schématique. En réalité, les isentropes ne sont pas des lignes droites parallèles. De plus, celles qui prennent naissance à la surface sont déformées par les inversions arctiques. L’image observée se trouve dans la figure 2 de Sun et Lindzen, 1994.

[5]    ITCZ désigne la zone de convergence intertropicale où se concentre la convection des cumulonimbus.

[6]   En météorologie, l’entropie est donnée par la température potentielle, qui est la température d’une parcelle d’air ramenée à la pression de la surface.

[7]   Un exemple idéalisé des régimes tropicaux-extratropicaux est présenté dans Lewis et Langford, 2008.

[8]   En principe, cela suggère que 20°C est la différence de température minimale entre les tropiques et les pôles.

[9]   Le peu de détail des données paléoclimatiques justifie que l’on se contente guère de l’image simplifiée de la figure 2. Toutefois, pour évaluer le climat actuel nous pourrons utiliser les données instrumentales beaucoup plus détaillées disponibles pour l’époque moderne.

[10]    Il serait difficile d’exclure toute influence tropicale (autre qu’une constante d’intégration, c’est-à-dire le premier terme du côté droit de l’équation (1)) sur les régions extratropicales. Toutefois, les effets identifiés, tels que la distance de la Zone de Convergence InterTropicale (ITCZ en anglais) par rapport à l’équateur (Lindzen et Hou, 1988), la concentration de la ITCZ (Hou et Lindzen, 1992) ou le rôle des changements de la topographie (Molnar, 2008), sont eux-mêmes largement sans rapport avec l’effet de serre. Certes, le modeste réchauffement dû à l’effet de serre qui affecte les régions extratropicales pourrait modifier la répartition de la couverture neigeuse et glaciaire et entraîner un petit réchauffement supplémentaire. Cependant, comme nous le verrons sur la figure 3, cela ne semble pas significatif pour le réchauffement actuel.

[11] Notons qu’en en l’absence d’amplification polaire un réchauffement même de quelques degrés dans les tropiques ne serait qu’un phénomène relativement mineur.

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17 réflexions au sujet de « Réapprécier le discours sur le changement climatique »

  1. Monsieur Lindzen me déçoit beaucoup avec ce papier
    Parler des climats de l’Eocène pour dire quoi que ce soit pour les climats depuis le Petit âge glaciaire ou le développement industriel est complètement absurde puisque la configuration terrestre était complètement différente et les données de température entre tropique et pôles, n’en parlons pas

  2. 5 occurrences du verbe “sembler” dans le corps du raisonnement et l’emploi de “probablement” dans la conclusion confirment qu’il reste beaucoup de travail avant de “comprendre” le climat.

    • Ce qui porte à “comprendre” que c’est foutrement compliqué.

      Quelques courbes de “moyennes” et de “reconstitutions” corrélées à une courbe de “moyenne” de la teneur en CO2 de l’atmosphère ne m’ont absolument pas convaincu de l’irréfutabilité de la thèse du RCA portée par les écologistes. Cette thèse est trop “polie” pour être “honnête” -je veux dire trop simpliste pour être vraie.

    • C’est vrai, les sciences du climat n’en sont qu’à leur balbutiement, malgré les affirmations péremptoires des dévots de la nouvelle religion. Les facteurs qui jouent sur les changements climatiques sont nombreux, les gaz à effet de serre étant marginaux parmi ceux-ci. Chez les réalistes on s’en tient au conditionnel, chez les religieux CO2phobes , le « pourrait » des rapports du GIEC se transforme instantanément en « sera » dans les médias complices. On n’est plus dans la science mais dans la plus abjecte propagande.

  3. Article confus. Est-ce dû à une traduction approximative ? Par exemple, il faudra m’expliquer ce qu’est un ”hémisphère estival”. Il m’a fallu un petit moment pour comprendre que la Fig. 1 n’était pas autre chose (en plus compliqué) que le modèle courant de circulation atmosphérique à 3 cellules (Hadley, Ferrel, Polaire) sur laquelle se superpose l’effet de la force de Coriolis, faible sous les tropiques, fort aux latitudes élevées, et qui dévie le vent au sol soit vers l’ouest (donnant des vents d’est, alizés, front polaire), soit vers l’est (donnant les vents d’ouest habituels des latitudes moyennes).
    Quant au fond, il y aurait beaucoup à dire et c’est là que je ne suis plus. Lindzen semble rechercher dans le système climatique terrestre lui-même les causes des grands changements, par effet de ces fameuses boucles de rétroaction (feedback du feedback…). Mais il me semble que c’est l’éternel problème de l’oeuf qui fait la poule ou de la poule qui fait l’oeuf. Pourquoi est-ce qu’une dérive générale irait dans un sens puis dans l’autre ? Quel mécanisme ferait changer les boucles de rétroaction ? Les facteurs de forçage externes (par exemple le soleil) sont ignorés. Curieux. Ou alors je n’ai pas bien compris.

  4. Je viens de trouver sur YouTube la chaine bright blue que j’ai trouvé particulièrement didactique sur les sujets de la météorologie et du climat.
    (Quelques exemples: https://www.youtube.com/playlist?list=PLWmD7oxrrnzS4wwypAn1QZKpVM6a7TNKx)
    Elle parait destinée aux enfants mais quand on est peu cultivé dans un domaine, nous sommes tous des enfants.
    Est-ce parce qu’elle vient de Suisse, c’est neutre. En tous cas le CO2 n’y est mentionné que comme un des gaz à effets de serre et pas comme le moteur du climat.
    C’est certes basique mais d’un basique de bon aloi pour se plonger dans des articles plus complexes en en maitrisant au moins les grands principes.
    Faites en bon profit.

  5. Personnellement et contrairement à plusieurs commentateurs, je n’ai pas trouvé l’article confus mais prudent. Il m’a éclairé sur les échanges méridiens (Leroux, vous vous souvenez ?) et il fait référence au principal moteur des changements climatiques majeurs, l’insolation. Celle-ci n’est pas seulement fonction des cycles de Milankovitch comme l’a démontré Javier Vinos dans son ouvrage Climat Passé, Présent et Futur.

    • scaletrans16 février 2024 at 11 h 03 min
      Peut-être que vous n’êtes pas d’accord avec le premier commentaire
      “”””””””frederic sommer8 février 2024 at 13 h 27 min
      Monsieur Lindzen me déçoit beaucoup avec ce papier”””””””
      Mais êtes vous d’accord avec cela
      “””””””Cependant, il y a des vents dirigés zonalement dans les tropiques (les alizés) en raison de la conservation du moment angulaire absolu (Schneider, 1977, Held et Hou, 1980) qui ne traversent pas les isobares. Ces vents sont principalement des vents d’est (c’est-à-dire de l’est vers l’ouest) [3]. En revanche, les vents dominants dans les régions extratropicales sont principalement orientés vers l’ouest. Les deux régimes d’écoulement sont illustrés par la figure suivante “”””””

      • A vrai dire ces détails sur les vents zonaux me passent un peu au-dessus de la tête, et leur critique n’apporte rien au débat qui, pour moi doit se tenir avec une focale plus éloignée.

  6. Les Glaciers, le Climat, … L’Histoire
    Les liens essentiels pour bien comprendre tous nos cycles de Glaciations
    les graphes, les textes, les etudes … imparable

    Depuis 1850 cela rechauffe et fond .; et cela pour 400 ans
    en 2030 Nous ne sommes pas encore à l’Etiage du Moyen Age .. il faut nous comparé à 1230
    celui des Romains et Grecs est encore bien plus haut .. il faut nous comparer a 430 / -430

    Pour nous Encore 200 ans de chaud avant nouvel Petit Age Glaciaire de 400 ans
    Ceci pendant encore 30 000 ans avant la prochaine poussée glaciaire avec la Glace jusqu’à Lyon durant 50 000 ans et cela pendant encore 50 Millions d’années .. notre ere glaciaire, la 7eme de l’histoire de la Terre a commencé apres Lucy il y a 2 Millions d’années … A son epoque et jusqu’aux Dinosaures -300 Millions d’année pas de glace meme aux poles …

    Lisez bien tous ces liens c’est trop fort

    https://books.openedition.org/irdeditions/9982?lang=fr

    http://www.geologie-montblanc.fr/glaciations.html
    https://www.glaciers-climat.com/gp/mer-de-glace/
    http://glaciers-climat.fr/Glacia…/Periodes_glaciaires.html
    https://www.encyclo-ecolo.com/Eres_glaciaires
    https://www.u-picardie.fr/…/Paleoclim/Paleoclimats-1.html

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