Disparition des stratocumulus marins et réchauffement climatique, l’analyse du Dr Roy Spencer

Une étude publiée le 25 février 2019 dans Nature Geoscience [1] prétend démontrer par la modélisation que l’augmentation de la concentration du CO2 dans l’atmosphère en faisant disparaître certains types de nuages (les stratocumulus marins), pourrait provoquer un réchauffement climatique bien supérieur a celui annoncé par le GIEC (12 degrés Celsius ).

Le scientifique du climat Roy Spencer [2] a réagi à cette publication par un article intitulé : No, Increasing CO2 isn’t going to trigger a hot world without clouds (« Non, l’augmentation de la concentration de COn’entraînera pas un monde chaud et sans nuages »). Nous en proposons ci-dessous une traduction.

 Introduction

Cette étude sur la disparition des nuages est fondée sur la modélisation des stratocumulus marins, dont l’existence refroidit considérablement la Terre. Ces couches nuageuses étendues mais peu épaisses couvrent les régions océaniques subtropicales situées à l’est des bassins océaniques où des remontées d’eaux froides créent une forte inversion de température au-dessus de la couche limite.

Stratocumulus

Stratocumulus marins au large de la côte ouest des États-Unis, qui se forment dans une couche superficielle d’air peu profonde et refroidie par eau, coiffée par un air plus chaud en altitude (NASA / GSFC).

En d’autres termes, l’eau froide crée une mince couche d’air froid d’un kilomètre d’épaisseur, laquelle est recouverte par un air plus chaud en altitude. La couche d’inversion résultante (la limite entre l’air froid en dessous et l’air chaud en altitude) inhibe la convection et le développement de cumulus, de sorte que l’eau évaporée de l’océan s’accumule dans la couche limite et que des nuages se développent sous l’inversion. Des processus radiatifs complexes en infrarouge thermique aident également à la conservation de cette couche nuageuse [3].

Cette nouvelle étude par modélisation décrit la manière dont ces couches nuageuses pourraient se dissiper si la concentration de CO2 dans l’atmosphère devenait trop élevée, provoquant ainsi une boucle de rétroaction positive sur le réchauffement qui augmenterait considérablement les températures mondiales futures, bien au-delà de ce que le GIEC a prédit à partir de modèles climatiques mondiaux. La réaction des stratocumulus marins au réchauffement n’est pas un problème nouveau, car les modélisateurs s’interrogent depuis des décennies pour savoir si ces nuages augmenteraient ou diminueraient avec le réchauffement, réduisant ou amplifiant le faible réchauffement radiatif direct provoqué par l’augmentation du CO2.[4]

Cette nouvelle étude utilise un modèle à très haute résolution qui simule la croissance des stratocumulus marins (les modèles climatiques du GIEC ont une résolution beaucoup plus basse et doivent paramétrer le comportement des nuages). Ces modèles à haute résolution existent depuis de nombreuses années, mais cette étude tente plus spécifiquement de déterminer comment l’augmentation du CO2 dans l’atmosphère modifierait cette mince mais importante couche nuageuse.[5]

Les simulations à haute résolution qui couvrent un domaine de 4,8 x 4,8 kilomètres sont d’un réalisme stupéfiant :

La principale conclusion de l’étude est que, lorsque les concentrations de CO2 dans le modèle atteignent 1 200 ppm environ – ce qui ne prendrait qu’une centaine d’années supplémentaires dans l’ hypothèse la plus défavorable, avec les projections de consommation énergétique et de croissance démographique sur lesquelles se fonde le scénario RCP8.5 , ces nuages se dissiperaient ce qui entraînerait un réchauffement planétaire supplémentaire considérable, pouvant atteindre 12 degrés Celsius.

Les lacunes de cette étude : l’environnement océanique et atmosphérique à grande échelle

Toutes les études de ce genre nécessitent des hypothèses. Selon moi [Roy Spencer] le problème ne vient pas du modèle à haute résolution des nuages lui-même, mais plutôt de des hypothèses faites sur l’environnement -à grande échelle- de ces nuages. Il est important de se rappeler que ces nuages existent là où les eaux froides remontent de l’océan profond où elles ont résidé pendant des siècles, voire des millénaires, après avoir été, dans les régions polaires, initialement refroidies presque au point de congélation. Ces eaux froides de surface continuellement renouvelées dans les zones à stratocumulus marins contribuent à maintenir la forte inversion de température qui surplombe la couche limite marine.[6] Au lieu de cela, le modèle de cette étude représente l’océan par une unique couche de 1 mètre d’épaisseur qui réagit rapidement à toute modification de la concentration de gaz à effet de serre dans le domaine du modèle, domaine minuscule (5 km). Un tel océan sans profondeur serait comme l’affirment les auteurs correct SI la partie « océan » de leur modèle était un système fermé … cet océan sans profondeur ne ferait qu’accroître la rapidité à laquelle le modèle répond sans changement de l’état final à l’équilibre. Mais vu l’afflux continu d’eaux froides dans ces régions à stratocumulus, on est bien loin d’avoir affaire à un système fermé. [7]

D’autre part, l’environnement atmosphérique où est intégré le modèle haute résolution des nuages est supposé avoir des caractéristiques similaires à celles produites par les modèles climatiques, dont une augmentation substantielle de la vapeur d’eau dans la troposphère libre, avec une humidité relative supposée constante dans toute la troposphère. Dans les modèles climatiques, les effets de cette augmentation absolue de la vapeur d’eau conduisent à un « point chaud » dans la haute troposphère tropicale, que les observations, jusqu’à présent, ne montrent pas. [8]

C’est une deuxième raison qui fait que les résultats de l’étude sont exagérés. Une partie de la disparition des nuages, dans leurs modèles, vient de l’augmentation du flux infrarouge thermique rayonné vers le bas, dans la troposphère, augmentation qui vient de l’augmentation du CO2 et du feedback positif amplificateur de la vapeur d’eau qui dans les modèles « climatiques » fait croître plus encore ce flux infrarouge thermique rayonné vers le bas par la vapeur d’eau et le CO2. Cela réduit en valeur le refroidissement du haut des nuages par le rayonnement infrarouge thermique qu’ils émettent vers le cosmos, processus qui assure l’existence du nuage par la condensation de la vapeur d’eau sous le cisaillement d’alizés [9]. Les nuages, dans le modèle disparaissent donc,  d’où bien plus d’ensoleillement qui vient chauffer la couche d’un mètre d’eau – un mètre seulement !- qui, dans ce modèle, représente l’océan. Mais si la troposphère libre au-dessus des nuages ne génère pas un effet aussi considérable [plus de flux infrarouge descendant] dû à l’accroissement supposé de la quantité de vapeur d’eau au-dessus des nuages stratus marins, ces nuages ne présenteront pas cet effet dramatique.

Sans l’hypothèse d’un fort accroissement de la vapeur d’eau dans la troposphère au-dessus des nuages stratus marins, et donc du flux infrarouge thermique rayonné vers le bas par cette vapeur d’eau, et absorbé par ces stratus, rien n’arriverait à ces nuages. Il faut comprendre que l’existence des stratocumulus marins vient de la forte inversion de température assurée par l’eau froide des upwellings et par de l’eau froide venant des hautes latitudes. L’air de la couche limite [NdT : le premier kilomètre], ainsi rafraîchi, rencontre l’air plus chaud de la troposphère libre, lui réchauffé par la subsidence, subsidence provoquée par la convection dans les systèmes convectifs pluvieux [NdT ceux de la « cheminée équatoriale »] situés à peut-être des milliers de kilomètres de là

Cette inversion de température sera, très vraisemblablement, fort bien conservée dans un monde qui se réchauffe, comme sa nappe de nuages stratus marins, et ce, sans causer de réchauffement climatique catastrophique.


[1] « Possible climate transitions from breakup of stratocumulus decks under greenhouse warming » https://www.nature.com/articles/s41561-019-0310-1

[2] Roy Warren Spencer est chercheur principal à l’Université de Alabama et chef de l’équipe scientifique américaine du radiomètre à balayage hyperfréquence avancé du satellite Aqua de la NASA. Il a été scientifique principal en études du climat au Marshall Space Flight Center de la NASA

Notes du traducteur

[3] Les stratus marins sont produits par la superposition à l’ouest des continents  de deux alizés d’orientation différente ; le cisaillement entre 1 km et 2 km fait que les cumulus ne peuvent pas se développer et qu’il ne pleut donc pas ; la couche en dessous du cisaillement est pourtant saturée en humidité, que par exemple aux îles du Cap Vert on recueille en étendant des linges qui gouttent dans des récipients  ; l’alizé supérieur est beaucoup plus sec, par exemple, en Atlantique il vient du Sahara  et mobilise de l’air subsident très sec et chaud, alors que l’alizé inférieur vient de la haute pression des Açores. Ces zones sont particulièrement visibles sur les cartes de l’OLR (rayonnement infrarouge thermique du globe vers le cosmo, Outgoing Longwave Radiation) car le sommet des nuages vers 1 km ou 2 km fait le gros du rayonnement et est relativement plus chaud que dans le cas d’une vapeur d’eau qui sur la moitié du spectre rayonne depuis les couches beaucoup plus froides vers 8 km ou 9 km ou au-dessus. Voir la carte de l’OLR montrant des zones de stratus marins au large de la Californie, du Sénégal, du Pérou, de la Namibie. Voir aussi la distribution annuelle des (a) nuages bas en-dessous de 3 km, (b) nuages hauts au-dessus de 4 km, (c) zones sans nuages, (d) autres nuages qui sont surtout des nuages optiquement épais qui atténuent complètement le lidar. Profiles regroupés en cellules de 2.5° × 2.5° et moyennés sur les  50 mois d’observations de CloudSat sur 2006–11 dans l’article : Radiative Impacts of Free-Tropospheric Clouds on the Properties of Marine Stratocumulus (Source https://journals.ametsoc.org/doi/10.1175/JAS-D-12-0287.1)

[4] Le réchauffement par l’augmentation du CO2 reposent sur le postulat que la quantité de vapeur d’eau vers 9 km (du genre 300 grammes par tonne d’air) est constante ou augmente. Quarante années d’observations satellitaires et par ballons-sondes montrent qu’elle diminue et qu’il n’y a aucun réchauffement significatif sous la tropopause

[5] Les derniers articles et conférences de Henrik Svensmark suggèrent que les noyaux de condensation de nuages (ccn) produits dans la cheminée équatoriale se retrouvent au-dessus des zones de stratus marins : voir Svensmark , M.B. Enghoff , N.J. Shaviv & J. Svensmark Increased ionization supports growth of aerosols into cloud condensation nuclei,  Nature Communications 2017, Clarke, A. D. et al. Nucleation in the equatorial free troposphere: Favorable environments during pem-tropics. J. Geophys. Res.: Atmos. 104, 5735–5744 (1999), Clarke, A. D. et al. Free troposphere as a major source of ccn for the equatorial pacific boundary layer: long-range transport and teleconnections. Atmos. Chem. Phys. 13, 7511–7529 (2013).]

[6] Le premier ou les deux premiers kilomètres de l’atmosphère au-dessus de l’océan ;  voir par exemple Marine Boundary Layer Heights and Their Longitudinal, Diurnal, and Interseasonal Variability in the Southeastern Pacific Using COSMIC, CALIOP, and Radiosonde Data (https://journals.ametsoc.org/doi/10.1175/JCLI-D-14-00238.1)

[7] Remarque évidement exacte, mais en sus de l‘eau froide importe le cisaillement d’alizés, avec au-dessus de la couche de stratus marins de l’air subsident chaud et sec retombant, selon la circulation de Hadley, au-dessus des hautes pressions des anticyclones permanents, genre anticyclone des Açores]

[8] Les modèles posent a priori que la seule façon de compenser un moindre rayonnement OLR est que la température de la haute troposphère augmente. En réalité la température n’augmente pas mais c’est la quantité de vapeur d’eau par tonne d’air sous la tropopause qui décroît très légèrement. Pour une mise au point récente voir  : https://wattsupwiththat.com/2018/04/06/uah-finds-a-warming-error-in-satellite-data-lowers-global-temperature-trend-constradicts-ipcc-models/. Depuis 40 ans les températures de la haute tropopause intertropicale sont stables (les +0,16°C/siècle des derniers 40 ans sont à comparer aux +6°C/siècle des « modèles ».

[9] Au-dessus de la couche de stratus marins on a un air très sec qui laisse, dans la fenêtre de la vapeur d’eau, entre 25 THz et 39 THz, passer presque tout le rayonnement infrarouge thermique émis par le haut du nuage et « normalement » ne rayonne, dans cette bande de fréquences, presque rien vers le nuage

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