Contribution des aérosols au changement climatique observé en Europe

Nabat, P., S. Somot, M. Mallet, A. Sanchez-Lorenzo, and M. Wild (2014), Contribution of anthropogenic sulfate aerosols to the changing Euro-Mediterranean climate since 1980, Geophys. Res. Lett., 41, doi:10.1002/2014GL060798. Publié le 23 juillet 2014

Résumé français par le Centre National de Recherches Météorologiques – UMR 3589


La diminution des aérosols sulfatés anthropiques explique une partie des tendances climatiques en Europe et en Méditerranée observée depuis 1980.

Depuis plus d’une trentaine d’années, la quantité d’aérosols en Europe et en Méditerranée a été significativement réduite suite à la diminution des émissions anthropiques. Ces variations constituent une hypothèse probable pour expliquer l’évolution du rayonnement incident en surface qui a connu une augmentation importante sur la même période, ce qui est néanmoins mal reproduite par les modèles globaux et régionaux de climat. Dans cette étude menée par des chercheurs de Météo-France et du Laboratoire d’Aérologie en collaboration avec des équipes suisse et espagnole, une nouvelle approche de modélisation est utilisée afin de quantifier la contribution des aérosols aux tendances de rayonnement et de température dans cette région.

Depuis le début des années 1980, l’Europe a connu une augmentation importante du rayonnement solaire incident en surface. Ce phénomène appelé « brightening » (éclaircissement), succédant à une période marquée par l’effet inverse de « dimming » (assombrissement), ne peut pas être expliqué seulement par les variations de nébulosité. En revanche, une hypothèse plus probable consiste à considérer les aérosols sulfatés anthropiques, dont les émissions de leurs précurseurs ont considérablement diminué depuis 1980 suite à la mise en place de nouvelles normes dans les industries et le transport pour améliorer la qualité de l’air, et aux crises économiques des années 1980 en Europe. Jusqu’à maintenant, la plupart des modèles globaux et régionaux de climat peinent toutefois à reproduire correctement les variations décennales observées de rayonnement en Europe, mais aussi pour certains le réchauffement observé depuis une trentaine d’années.

Dans cette nouvelle étude publiée dans la revue Geophysical Research Letters, la question de la contribution des aérosols aux tendances climatiques des trois dernières décennies a été abordée au moyen d’une approche originale. En effet, des simulations numériques ont été réalisées en utilisant un système de modélisation régionale comprenant un couplage complet entre l’atmosphère, la mer Méditerranée, les surfaces continentales, et les rivières, tout en assurant la reproductibilité des conditions météorologiques observées de grande échelle grâce à un pilotage aux bords du domaine régional par une réanalyse. Ces simulations, menées sur la période de brightening (1980-2012), en incluant ou non la diminution des aérosols sulfatés anthropiques, ont été évaluées à la lumière de séries temporelles récemment homogénéisées de rayonnement solaire et de température en surface.

Les résultats indiquent que l’augmentation du rayonnement solaire incident en surface quelles que soient les conditions nuageuses est plus importante dans le cas où la diminution des aérosols est prise en compte. Celle-ci permet ainsi de mieux reproduire à la fois la structure spatiale et l’intensité du brightening observé en Europe, révélant donc que les aérosols ont contribué à que les changements d’aérosols expliquent 81 ± 16% de l’éclaircissement et 23 ± 5% du réchauffement de surface simulé pour la période 1980-2012 sur l’Europe. Des tests complémentaires sur les différents effets des aérosols montrent que c’est l’effet direct des aérosols qui prédomine dans cette tendance par rapport aux effets semi-direct et indirect.

De plus, ce travail révèle aussi que le réchauffement climatique en surface simulé par le modèle est sous-estimé en absence de variations de la quantité d’aérosols sulfatés. Ainsi, l’augmentation du rayonnement incident en surface entraîne un réchauffement supplémentaire, notamment dans les régions marquées par une forte diminution en aérosols anthropiques. La comparaison avec les séries temporelles homogénéisées prouve que la réduction des aérosols doit être prise en compte pour pouvoir reproduire correctement l’augmentation de température en surface, à la fois sur terre en Europe, et pour la température de surface de la mer Méditerranée. Les aérosols expliquent ainsi 23 ± 5 % de l’augmentation de température en surface en Europe, contribuant de manière notable au réchauffement climatique régional.

En résumé, les résultats obtenus soulignent l’importance des aérosols dans le changement climatique observé en Europe et en Méditerranée, et confirment le besoin de mieux les représenter dans les projections climatiques.

Comparaison des tendances de rayonnement solaire incident en surface (W/m²/décade) sur la période 1980-2009 pour deux simulations régionales avec (TRANS) et sans (REF) inclusion de la diminution des aérosols sulfatés. Les points colorés indiquent des séries temporelles observées.

Pour approfondir ce sujet :

L’étude publiée le 3 février 2020 dans la revue Nature qui a quantifié l’effet de la réduction des aérosols anthropiques sur les conditions météorologiques hivernales de l’hémisphère Nord au cours de la période 1970-2005 (commentée sur notre site le 10 février 2020).

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dans Climat.

11 réflexions au sujet de « Contribution des aérosols au changement climatique observé en Europe »

  1. Oui, et de la même manière, l’augmentation des aérosols pendant les “trente glorieuses” explique une grande partie du léger refroidissement avant 1970.

    • Non Anton. Premièrement, c’est : pourrait expliquer et non pas explique. Il n’y a rien de prouvé. Secondement, le refroidissement du troisième quart du XXème siècle n’a pas été léger du tout. C’est même l’événement climatique le plus remarquable sur quelques siècles. Les glaciers ont recommencé à avancer dans cette période, les températures moyennes estivales y étaient donc inférieures à celles régnant autour de 1850.

      • Phi: Mais regardez pour une fois les données, vous voulez bien ? Prenons la série GISTEMP. Si on exclue la période qui correspond à la deuxième guerre mondiale, on ne verrait rien de particulier à part un plateau. Et même en prenant en compte cette période, elle est très loin d’être la période la plus remarquable du siècle (et donc pas de plusieurs siècles non plus). Il suffit de regarder les courbes. Comment pouvez-vous raconter de tels mensonges si facilement réfutables ?

        Et vous connaissez bien le problème des données de la période 1940-1945, non ? Une petite aide : Les British ne faisaient pas de mesures pendant cette période, alors que les Américains continuaient. Il se trouve que les techniques de mesure des British donnaient des températures plus froides que celles de Américains. D’où cette anomalie de la 2e guerre mondiale. Difficile à corriger, malheureusement. Mais on peut le faire : Chan et Huybers, “Correcting Observational Biases in Sea Surface Temperature Observations Removes Anomalous Warmth during World War II”, Journal of Climate 2021.

        Ensuite, seulement la moitié des glaciers suisses avançait dans les années 1980 (et moins dans les années 1970 et encore moins après). Et ce n’est clairement pas une preuve quelconque que les températures étaient inférieures à la celles autour de 1850. Au mieux, une indication qu’elles étaient inférieures aux décennies d’avant.

        Bref, la vérité est très loin de vos désirs.

        • 1. Je connais assez bien les courbes GISSTemp, HadCRUT et cie, merci. Ce ne sont pas des courbes de températures relevées mais des constructions basées sur les différences interannuelles des températures des segments de données homogènes. La divergence de ces courbes bidouillées avec l’évolution relevée des températures (disponibles pour un certain nombre de régions) est de l’ordre de grandeur du réchauffement mis sur le compte du CO2. Non, je ne vous parle pas de ces manipulations fort peu à la gloire des personnes qui s’y adonnent, je m’intéresse aux simples observations climatiques.

          2. Les SST, dont on peut discuter de la pertinence pour les glaciers continentaux, sont avant les années 1970 trivialement ajustées pour suivre les données homogénéisées (point 1) des stations continentales. Voir plus bas un mail hilarant rendu public en 2009.

          3. Comme vous l’avez justement signalé dans un fil précédent, la position des langues, si elle dépend essentiellement de la température estivale, n’y est pas liée simplement notamment pour une raison d’inertie. Toutefois, cette inertie est faible pour les petits et moyens glaciers qui ont eu le loisir d’avancer dans le troisième quart du XXème siècle.
          Si ces glaciers ont pu avancer pendant une ou deux décennies, c’est que les températures estivales étaient a priori inférieures à celles des années 1850 qui les voyaient au contraire régresser et dans tous les cas inférieures à celles des années 1920 pour la même raison. Ce comportement est tout à fait cohérent avec l’évolution du niveau des océans et avec tous les proxies de la température à la qualité démontrée. Incohérent par contre avec les courbes bidouillées des points 1 et 2.

          Voyez-vous, Anton, il ne s’agit pas là de mes désirs mais de simples observations bien solides.

          —————–

          “Phil, Here are some speculations on correcting SSTs to partly explain the 1940s warming blip. If you look at the attached plot you will see that the land also shows the 1940s blip (as I’m sure you know). So, if we could reduce the ocean blip by, say, 0.15 degC, then this would be significant for the global mean — but we’d still have to explain the land blip. I’ve chosen 0.15 here deliberately. This still leaves an ocean blip, and i think one needs to have some form of ocean blip to explain the land blip (via either some common forcing, or ocean forcing land, or vice versa, or all of these). When you look at other blips, the land blips are 1.5 to 2 times (roughly) the ocean blips — higher sensitivity plus thermal inertia effects. My 0.15 adjustment leaves things consistent with this, so you can see where I am coming from. Removing ENSO does not affect this. It would be good to remove at least part of the 1940s blip, but we are still left with “why the blip”. [Tom Wigley, to Phil Jones and Ben Santer]”

          • Phi, de quoi parlez-vous ? Regardez les courbes d’évolution des masses des glaciers au niveau mondial – parler d’une avance des glaciers entre 1950 et 1980 est clairement hilarant. Par exemple la figure 9.21 du chapitre 9 du IPCC AR6 WGI (https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg1/downloads/report/IPCC_AR6_WGI_Chapter09.pdf). Et au niveau local, encore une fois, seulement la moitié des glaciers suisses avançaient, l’autre moitié reculait. Donc ils étaient, au mieux, en équilibre avec les climat de la période.

            Ensuite, lisez Chan et Huybers. C’est récent (2021), et il explique le “pourquoi” sur lequel les gens se posaient des questions il y a 15 ans. Leur significance statement est celui-ci : “Major observational sea surface temperature (SST) estimates show a warm anomaly during World War II (WW2) that exceeds the warming expected from internal variability and known climate forcing. We systematically intercompare different groups of SST observations and trace the origin of the WW2 warmth foremost to anomalously warm U.S. and U.K. naval observations. We also find that nighttime bucket SSTs are anomalously warm, likely because of being measured inboard to avoid light pollution. SST estimates adjusted for these systematic biases give a more stable and smoothly evolving record of historical warming with a WW2 SST anomaly within the 95% range of internal variability found in an ensemble of general circulation model simulations.”

          • Anton,
            J’espère que vous avez apprécié à sa juste valeur la manière dont Wigley entreprend la construction des SST. SST dont on dispose pourtant de nombreuses mesures instrumentales et cela depuis bien longtemps. Jusque là, nous parlions de la position des langues pour lesquelles nous disposons d’observations directes. Vous me sortez maintenant des courbes globales de bilans de masses depuis 1950. Savez-vous comment ces courbes sont construites ? Comment mesure-t-on le bilan de masse global depuis 1950 ? Un peu comme on construit les SST avant les années 1970 ?

            Si vous voulez prouver quelque chose, faites le sur la base de données d’observations sérieuses.

        • Anton,
          Vous avez écrit :
          “Et au niveau local, encore une fois, seulement la moitié des glaciers suisses avançaient, l’autre moitié reculait. Donc ils étaient, au mieux, en équilibre avec les climat de la période.”

          Non. Justement du fait de l’effet inertiel sur les positions des langues, cela signifie que très probablement tous les glaciers alpins accumulaient sur la trentaine d’années entre 1960 et 1990.

  2. Bonjour Anton, effectivement les sulfides sont vraisemblablement responsables partiellement de cette baisse des températures entre 1945 et 1975. Autre exemple au début du 20 siècle la hausse des températures mondiale était favorisée par la quasi disparition des incendies de forêt de l’hémisphère sud. Les fumées des incendies produisent les mêmes effets rafraîchissant que les éruptions volcaniques. Tout ceci pour dire que l’imputation systématique des variations de températures à la hausse des émissions de carbone est parfois un peu hâtive.

    • Oui Taylor, et les chercheurs font bien la part des choses, il me semble. Comme par exemple Gillett et collègues dans un article publié dans Nature Climate Change en 2021 (“Constraining human contributions to observed warming since the pre-industrial period”). Cet article montre que les aérosols compensent une partie non négligeable du réchauffement induit par les gaz à effet de serre :

      “Here we […] show that anthropogenic forcings caused 0.9 to 1.3 °C of warming in global mean near-surface air temperature in 2010–2019 relative to 1850–1900, compared with an observed warming of 1.1 °C. Greenhouse gases and aerosols contributed changes of 1.2 to 1.9 °C and −0.7 to −0.1 °C, respectively, and natural forcings contributed negligibly.”

      On est donc d’accord ! Merci.

  3. Ben oui, mais si le fait de dépolluer fait monter la température, il y en a qui vont être contrariés…

    Cet article révèle une chose importante. Le climat, la température, la météo, tout ça, c’est quand même compliqué.
    Raison de plus pour ne pas s’emballer aveuglément sur une hypothèse qui est, finalement, loin d’être prouvée.

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