ZFE : Le prétexte sanitaire

Jean de Kervasdoué – Fondateur de l’école Pasteur/CNAM de santé publique

Article initialement publié par Le Point (le 02/05/2025 )

Il est urgent de disposer d’une expertise sérieuse pour connaître l’impact sanitaire de la circulation automobile en centre-ville

Selon le Ministère de la santé qui, une fois encore, reprend les chiffres de Santé publique France, « chaque année près de 40 000 décès seraient attribuables à une exposition des personnes âgées de 30 ans et plus aux particules fines[1]. » Cela est considérable (environ 7% des décès) et, si c’était vrai, justifierait les mesures drastiques de lutte contre la pollution atmosphérique et, par voie de conséquence, la création de ZFE (zone à faible émission) dans les centres villes. Leur éventuelle, future, étendue est à l’heure actuelle débattue au Parlement. Il est en effet proposé d’interdire dans ces zones les voitures « Crit’Air 3 et plus », autrement dit les voitures les plus anciennes et les moins onéreuses.
Avec un argument politique, l’écrivain Alexandre Jardin combat ces mesures qu’il qualifie d’« anti-gueux ». En effet, si elles étaient votées, elles toucheraient 9 millions de personnes et notamment laisseraient aux seuls « Riches » le droit de circuler dans Paris et ainsi, dit-il, « privatiserait davantage la capitale de la France ». A ses arguments politiques s’ajoutent de sérieux arguments de santé publique qui fragilisent l’argument central des pouvoirs publics à savoir que ces interdictions amélioreraient grandement la santé de la population.
Comme nous allons le voir, la mortalité prématurée due à la pollution atmosphérique est très surestimée ; en outre la pollution de l’air à Paris a pour première origine (49%) le chauffage au bois et si, heureusement, elle baisse, cela provient des nouveaux véhicules qu’ils soient électriques, hybrides ou thermiques qui ne rejettent pas ou peu de particules fines, à l’exception du frottement des plaquettes de freins. Ce ne sont donc pas les contraintes punitives imposées aux automobilistes parisiens les moins aisés et, plus encore aux artisans et commerçants qui tentent chaque jour de venir travailler dans la capitale, qui jouent le rôle central dans cette heureuse évolution.
Airparif inquiète. « Malgré les progrès observés, la pollution de l’air reste responsable d’impacts importants sur la santé. En Île-de-France, elle entraînait encore en 2019 une perte moyenne de 10 mois d’espérance de vie par adulte, et contribuait à 10 à 20 % des cas de maladies respiratoires chroniques (asthme, BPCO, cancers), et 5 à 10 % des maladies cardiovasculaires ou métaboliques (AVC, infarctus, diabète de type 2).[2] »
Ces chiffres sont on ne peut plus discutables, ce qui ne veut pas dire que la pollution atmosphérique n’est pas un sujet majeur de santé publique, notamment dans les pays pauvres où la cuisine au feu de bois se prépare dans des habitations mal ventilées, où les enfants respirent à longueur d’année un air pollué et pour certains mortels. Mais, Santé Publique France, Airparif et l’OMS à trop en faire, notamment en baissant les seuils acceptables, touchent au ridicule.
Selon l’OMS, en 2019, 99 % de la population mondiale vivaient dans des endroits où les seuils préconisés par cet organisme n’étaient pas respectés ! On se demande où vivent les 1% qui respectent ces normes et comment on pourrait passer de 1% de bons élèves à 100% ? Car il est difficile de vivre sans faire de poussière, de couper les foins sans soulever des particules allergisantes, de bruler du bois sans produire de fumée, de jouir du printemps sans respirer de pollen ou de conduire une voiture thermique sans émettre de gaz d’échappement. Il est vrai que le ridicule ne touche guère cette organisation internationale qui prétend aussi que « la santé est un état complet de bienêtre », ce qui m’a toujours semblé être une forte incitation à l’usage de drogues euphorisantes !
Mais revenons à la pollution atmosphérique, toujours selon l’OMS : « les effets combinés de la pollution de l’air ambiant et de la pollution de l’air intérieur sont associés à 6,7 millions de décès prématurés par an. »[3] Soit 4,2 millions pour l’air ambiant et 2,5 pour la pollution intérieure. Or, selon un article de Catherine Hill[4], épidémiologiste de renom, « En France, par cette méthode, on estime que 13 200 décès par an sont liés à la pollution particulaire de l’air extérieur et 1 100 à l’ozone. Santé publique France, qui conclut que 48 000 décès par an sont attribuables à la pollution de l’air en France, surévalue donc le risque d’un facteur proche de 4 en surestimant, d’une part, l’effet de la pollution et en prenant, d’autre part, une pollution de référence utopique. »
Mais la méthode elle-même, fût-elle rigoureusement appliquée, est discutable car on ne connait pas l’exposition réelle aux particules fines de la population et surtout, pour arriver à ces chiffres, même ceux repris par Catherine Hill, il faut pouvoir attribuer à la pollution atmosphérique la survenue d’une bronchopathie, d’un cancer du poumon ou d’une cardiopathie. On calcule ainsi, pour le cancer du poumon, la proportion « attribuable » à la pollution en faisant l’hypothèse que « passer d’une exposition inférieure ou égale à 10 μg/m3 à une exposition entre 10,1 et 20 μg/m3 augmente le risque de 9 %, donc multiplie le risque par 1,09. Passer d’une exposition inférieure ou égale à 10 μg/m3 à une exposition entre 20,1 et 30 μg/m3 multiplie le risque par 1,09 × 1,09 = 1,18 » et ainsi de suite…Et comme le rappelle Catherine Hill : « Le résultat dépend beaucoup du choix du niveau d’exposition de référence. »
Revenons maintenant à l’interdiction des automobiles Crit’Air 3 et plus dans les ZFE. Je n’ai jamais vu d’étude qui montrerait ce que serait la baisse attendue de particules fines due à cette mesure – à mon avis moins du centième – et donc si son impact serait ou ne serait pas, comme je le pense, infime sur la santé des Parisiens. En outre et surtout, pour revenir à une chronique publiée dans ces colonnes le 12 octobre 2019, le Centre International de recherche sur le Cancer (CIRC), publiant en 2018 des « nouvelles données sur les cas de cancers au mode de vie et à l’environnement en France »[5] avait des chiffres très différents. Pour la France donc, « 68 000 nouveaux cas de cancers sont imputables au tabagisme, 27 680, à l’alcool, 10 380 à l’exposition au soleil (rayons ultra-violets), 1 384 à la pollution atmosphérique et 346 à une exposition à des substances chimiques dans l’environnement (arsenic dans l’eau de boisson et benzène dans l’air intérieur des habitations). »
En ce qui concerne la pollution de l’air, il s’agit bien de toutes les pollutions atmosphériques : celles des habitations, des usines, des feux de bois, des centrales thermiques et de la circulation de tous les véhicules. La part des vieux moteurs diesels, aujourd’hui interdits était donc infime, à supposer d’ailleurs qu’elle fut significative car ces chiffres provenaient de modèles qui ne partaient pas de données observées et ne connaissent donc pas l’exposition des victimes éventuelles, pas plus qu’elles ne mesuraient les effets relatifs des différents polluants.

1 384 (CIRC) ou 40 000 (Santé publique France) ?
La question est essentielle pour les Parisiens et l’industrie automobile. C’est la raison pour laquelle je demande ici que soit nommé un comité d’experts composé d’académiciens des sciences et d’académiciens de médecine pour que cessent de circuler ces chiffres vraisemblablement farfelus qui semblent donner une base rigoureuse à une politique par ailleurs scandaleuse, celle qui limite la circulation automobile des moins favorisés en les culpabilisant.


[1] https://sante.gouv.fr/sante-et-environnement/air-exterieur/qualite-de-l-air-exterieur-10984/article/qualite-de-l-air-sources-de-pollution-et-effets-sur-la-sante
[2] https://www.airparif.fr/actualite/2025/la-pollution-de-lair-en-baisse-en-2024-en-ile-de-france-avec-encore-des-impacts
[3] https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/household-air-pollution-and-health
[4] Catherine Hill, La revue du praticien, Mortalité attribuable à la pollution atmosphérique en France, https://www.larevuedupraticien.fr/article/mortalite-attribuable-la-pollution-en-france
[5] Communiqué de presse du 25 juin 2018

Partager

24 réflexions au sujet de « ZFE : Le prétexte sanitaire »

  1. Concernant les ZFE, le gouvernement ne sait comment se sortir de ce pétrin.
    Normalement, la loi aurait dû s’appliquer dès le 1er Janvier 2025 mais vu l’ampleur de la tâche (verbaliser 12 millions d’automobilistes!), il a pris la décision de reculer d’un an en espérant naivement que tous ces « mauvais » Français changeraient de voiture d’ici décembre 2025. Vu les derniers chiffres, rien ne changera.
    Alors, aux dernières nouvelles, le gouvernement se proposerait de limiter les ZFE à Paris et Lyon.
    Le vote final se fera fin mai à l’Assemblée Nationale.
    Et je reste persuadé qu’un résultat final des votes aboutissant à l’abrogation de TOUTES les ZFE soulagerait tout compte fait ce même gouvernement, ravi de se débarrasser de ce fardeau abracadabrantesque et ubuesque qu’il a lui-mème pensé et crée 🙄
    à suivre…

  2. J’ai récemment lu une étude extrêmement sérieuse et fortement intéressante à propos de l’impact de l’utilisation des épluche-légumes sur la migration des taupes. Tenez-vous bien, celle-ci affirme que dans 250 millions d’années la marque Pradel n’existera plus !!
    Étonifiant n’est-il pas ??

  3. Le consommateur ayant beaucoup plus de pouvoir que le citoyen, il est urgent d’attendre et de ne pas gober la propagande pour les bagnoles à piles.
    C’est ce que je fais en continuant de rouler dans mon break diesel de 12 ans qui consomme 5.5l/100 km.
    Bilan : je fais des économies en n’achetant pas un véhicule neuf dont aucun ne me convient.
    Pour qu’un marché fonctionne, il faut des vendeurs et des acheteurs. Madame Panier-Runacher aurait du apprendre cette règle d’or quand elle était à HEC !

  4. Dans 5 ou 10 ans, sans rien faire, sans depenser 1 euro d’argent public, sans debats houleux, sans exclure des villes quelques 30% des automobilistes, la plupart de ces voitures seront HS, et seront donc remplacees par des modeles plus recents. Les rares voitures qui subsisteront auront un impact totalement negligeable.

  5. Avez vous remarqué que ces études parlent de « morts prématurés » ?
    Concept fumeux que média et politiques transforment en « morts » tout court sans le moindre scrupule.

    Il faut sanctionner dans les urnes les demeurés qui ont voté la mise en place de ces ZFE, de plus ils sont dangereux.

    • C’est Edouard Philippe qui en tant que 1er ministre a instauré ces lois scélérates ZFE. Je saurai m’en souvenir en 2027 😔

  6. Ah ces Gaulois Réfractaires illettrés, qui roulent au diesel, qui fument des clopes, qui ne sont rien, et qui n’ont qu’à traverser la rue pour trouver du boulot… En plus, ils polluent.

  7. Zone à Forte Exclusion.🤣
    Ma C3 Picasso, de 2009 est classée Critair 1. Allez savoir pourquoi ! Elle ne doit pas être plus « propre » qu’un de ces véhicules à qui l’on a interdit de circuler ! Je ne me suis jamais aussi bien porté depuis que je roule avec. [ mais bon, protégé dans mon habitacle, c’est pas moi qui respire la pollution de mon véhicule 😂 ]
    Climatiquement vôtre. JEAN

  8. Désolé moi j’ai passé ma jeunesse à Paris dans les années 1950/60, et quoique les agences n’existaient pas, c’était autrement plus pollué qu’a notre époque actuelle Le fait que les enfants d’aujourd’hui sont plus nombreux à souffrir d’asthmes vient avant tout que les jeunes générations ont été élevées dans un environnement plus stérile que ceux d’avant les années 70. D’où pertes sensibles de l’auto immunisation et par effet induit plus sensibles aux phénomènes allergènes. Pour votre info, selon l, Agence Européenne de l’Environnement, en Europe la pollution aux particules a diminué de plus de 40 %. Depuis les années 90.
    Les particules fines ou “poussière en suspension” sont présentes naturellement dans l’environnement du fait de l’érosion provoquée par le vent, de tempêtes ou d’éruptions volcaniques. Néanmoins, l’activité humaine augmente fortement leur concentration atmosphérique.
    Deux types de particules fines sont particulièrement encadrées : les PM10 (de diamètre inférieur à 10 micromètres) et les PM2,5 (de diamètre 2,5 microns).
    En 2018, le principal secteur responsable des émissions de particules fines en France est le “résidentiel” (31 % des PM10 et 49 % des PM2,5), et plus particulièrement la combustion des appareils de chauffage, selon le Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique (CITEPA). Les voitures diesel sont quant à elles responsables de 9 % des émissions de PM2,5, tandis que l’élevage émet 14 % des PM10.
    A l’échelle de l’UE, la production de particules fines est issue en premier lieu des “activités commerciales”, des “activités des ménages” ainsi que de la “production industrielle” et du transport routier.

    • Je crois que c’est Desproges qui a dit
      « à la campagne, l’air n’est pas pollué parce que les paysans dorment les fenêtres fermées. »
      Plus prosaïquement, je crois bien que l’air pur n’existe qu’en laboratoire, ou peut-être derrière un masque à filtration forcée mécaniquement.

      Je partage votre avis. Plus on veut se protéger de tout, plus on devient vulnérable. Si on écoute tous ces gens qui nous veulent du bien, tout ou presque est nocif, puis finalement interdit. Il y a un juste milieu qui a été perdu de vue.

  9. Quelque chose m’échappe dans le raisonnement de madame Pannier-Runacher, il est vrai que mon intelligence est certainement beaucoup moins sophistiquée que la sienne.
    Si, comme elle le prétend, les ZFE ne concerneront que très peu d’automobilistes, pourquoi tient elle tant à les mettre en place ? Surtout que les zones concernées resteront largement empruntées par des camions largement plus polluants qu’une vieille Clio !
    L’acharnement de madame la ministre est il motivé par l’idéologie ou par la volonté de nous démontrer que son règne n’aura pas été vain ?

  10. Pas besoin de comité d’experts, il suffit d’aller voir sur le site internet de l’insee, l’espérance de vie par départements. C’est dans les départements fortement urbanisés qu’elle est la plus élevée, notamment le Rhône (Lyon), Paris et ses départements limitrophes à l’exception de la Seine-St-Denis. La pollution atmosphérique n’a qu’une importance infime sur la santé (du moins aux niveaux actuels et depuis une vingtaine d’années au moins). C’est le niveau de vie, l’alimentation saine (pour éviter l’obésité) et l’accès facile aux soins qui sont les principales sources de longévité.
    On peut aussi lire le bilan annuel 2024 d’Airparif, les niveaux de pollution aux particules fines sont dans les clous vis à vis de la règlementation actuelle et même quasiment vis à vis de la règlementation prévue pour 2030 (plus restrictive évidemment). Les niveaux de pollution au dioxyde d’azote (le polluant caractéristique des véhicules essence/diesel) sont quasiment dans les clous vis à vis de la règlementation actuelle et il n’ y a guère de doute à avoir qu’ils seront dans les clous ou presque en 2030 vis à vis de la nouvelle règlementation vu que la baisse est assez rapide.

  11. Hug20 mai 2025 at 18 h 05 min
    Qu’il aille en parler à Xi Jinping !…
    ——————————–
    Il le fera quand il sera premier ministre sous MACRON 3

  12. Il serait intéressant de comprendre précisément la crédibilité des calculs de Santé Publique France quant à son chiffre de 40 000 décès attribuables (étude 2021, vs 48 000 dans l’étude 2016) à la pollution de l’air ; en effet, il semble que ce soit une étude circulaire : je suppose une causalité entre divers paramètres et la mortalité, et j’entre les valeurs desdits paramètres pour sortir un nombre de deces attribuables à la pollution. Je me demande comment ou peut croire rasonnablement que 6% des 660 000 déces de 2021 pouvaient être imputés à la pollution ; est-ce d’ailleurs la seule cause, ou un simple facteur contribuant ?
    J’ai vraiment l’impression que ce chiffre de 40 000 déces dus à la pollution ne vaut pas grand chose par construction.
    Quelqu’un a-t-il regardé cette etude SPF presentant 40 000 deces en 2021 pour la pollution aerienne ?
    https://www.santepubliquefrance.fr/determinants-de-sante/pollution-et-sante/air/documents/enquetes-etudes/impact-de-pollution-de-l-air-ambiant-sur-la-mortalite-en-france-metropolitaine.-reduction-en-lien-avec-le-confinement-du-printemps-2020-et-nouvelle

  13. En tant que médecin réanimateur, je n’ai jamais compris comment on pondait ces études de mortalité prématurée due aux particules fines. C’est purement débile et impossible à faire si on est honnête et un véritable praticien (pas un laborentin statisticien). Depuis 35 ans, je vois mourir beaucoup de malades chaque année. Il y a 3 réels fléaux : Le tabac, l’alcool et l’obésité, point barre.

  14. On ne parle jamais du trafic international de transit, ce trafic routier international qui traverse la France et qui induit une pollution non négligeable. On pourrait créer des corridors ferroviaires qui acheminent tout de trafic entre les points origine et destination frontaliers.
    On ne parle jamais non plus de tous les obstacles à la fluidité du trafic routier (réhausseurs, étranglements, stationnements en quinconce,…) qui augmentent la pollution des véhicules routiers en multipliant les arrêts, les redémarrages, les accélérations et les décélérations.
    On ne parle plus de voies de contournement qui éviteraient le trafic urbain dans bien des cas.
    Tout cela parce qu’il vaut mieux interdire en avançant de fausses bonnes raisons que de résoudre les problèmes sans idéologie.

Répondre à Le Rescator Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

captcha