La révolution de l’hydrogène aura-t-elle lieu ?

Jean de Kervasdoué, Ingénieur en chef des ponts et des forêts.

Le Gouvernement a choisi d’affecter 7,2 milliards d’euros de subventions d’ici 2030 pour le développement de l’hydrogène. Ce choix du plan de relance vise la réduction significative du rejet des gaz à effet de serre et des véhicules dont le combustible serait l’hydrogène. Déjà, « La Normandie s’enflamme »1 et souhaite accueillir des unités de production. Mais, ce n’est pas encore gagné ! Jugez-en.

L’hydrogène a une qualité remarquable : quand il brûle à l’air libre pour se marier à l’oxygène, le résidu qui en résulte est de l’eau. Il ne pollue donc pas au moment de sa combustion mais, nous allons le voir, il aura beaucoup pollué au moment de sa fabrication et de son transport ; en outre, le stocker dans un véhicule n’a rien de simple.

L’hydrogène n’existe quasiment pas à l’état naturel, même si une exploitation récente vient de de s’ouvrir au Mali. Il faut donc le libérer d’une liaison chimique stable. Or, pour casser une liaison chimique, il faut dépenser de l’énergie et d’autant plus que la liaison est forte. Il peut être associé au carbone, c’est notamment le cas du gaz naturel (pour l’essentiel du méthane (CH4)), ou à l’oxygène : c’est le cas de l’eau (H20).

La production d’un kilo d’hydrogène à partir de méthane rejette de 7 à 10 kilos de gaz carbonique et coûte de l’ordre de 2€ par kilo ; quant à l’électrolyse elle revient de 1,5 à 12 € selon la source et … les hypothèses de calcul1. Pour l’électrolyse, peu utilisée, le rejet de gaz carbonique éventuel va dépendre de la manière dont l’électricité a été fabriquée, il est donc nul si on part de l’électricité nucléaire et considérable s’il provient d’une centrale thermique au charbon.

Une fois que la molécule d’origine a été fractionnée, l’hydrogène se dégage ; léger, il s’infiltre et s’échappe au moindre interstice ; inflammable à l’air libre, il contient peu d’énergie potentielle sous la pression atmosphérique : il faut 3 mètres cubes d’hydrogène pour produire par combustion la même énergie que celle délivrée par un litre de pétrole, soit un rapport de 1 à 3000 ! Ce qui conduit, soit à le comprimer (le plus souvent à au moins 700 fois la pression atmosphérique (700 bars)), soit à le liquéfier pour disposer d’une quantité notable d’énergie dans un espace réduit. Comprimé, il faudra un réservoir de 400 litres et de 240 kilos pour faire 600 kilomètres, alors que pour une voiture à essence, un réservoir de 42 litres pesant 40 kilos suffira2. S’il est comprimé le réservoir doit pouvoir être très étanche et supporter en effet une très forte pression, il sera donc lourd.

L’hydrogène se liquéfie à – 252, 85°C, pas vraiment la température ambiante. Pour isoler ce liquide, il faut concevoir un réservoir construit comme une thermos. Malgré tout, il va bouillir à température ambiante et s’échapper (1% à 5% par jour) et son volume sera le même que dans le cas de la compression, soit presque dix fois la taille d’un réservoir à essence. Une fois compressé ou liquéfié, il doit être transporté sur le lieu de consommation, puis transférer d’un réservoir à une automobile ou à un camion, destination ultime. Bien entendu le camion transporteur d’hydrogène transportera beaucoup moins d’énergie que le camion transporteur d’essence ou de gasoil. Certes on pourrait avoir des petites usines pour fabriquer et compresser de l’hydrogène dans les stations-services, c’est techniquement possible, mais très coûteux. Globalement, le coût ne serait comparable que si le baril de pétrole dépassait trois cents dollars. Il est à la mi-septembre 2020 autour de 40 dollars.

On imagine facilement que se posent de surcroît des questions de sécurité tout au long de la chaîne car l’étanchéité et la forte pression doivent être maintenues à tout instant. Soulignons-le encore : non seulement l’hydrogène est très léger et s’infiltre partout, mais il s’enflamme à la moindre étincelle quand il trouve une molécule d’oxygène pour revenir à son état stable : l’eau. Autrement dit le réservoir est une bombe potentielle si un accident vient à libérer l’hydrogène liquéfié ou comprimé ; on rejoue à chaque instant le salaire de la peur, même si ce n’est pas de la nitroglycérine et si les réservoirs sont très bien conçus. N’oublions pas le précédent du GPL, à l’époque favorisé par le Gouvernement mais interdit dans les parkings3 !

Quant au bilan énergétique, il ne doit pas se limiter à la dernière étape, celle de la combustion ou des piles à combustible qui ont un meilleur rendement, mais à l’ensemble de la chaîne : extraction, transport, distribution. Ainsi, aujourd’hui, si au Japon, circulent des véhicules à hydrogène c’est grâce au charbon australien, rien de très écologique. Quant aux piles à combustible, elles requièrent aujourd’hui beaucoup de platine, pas l’élément le plus fréquent ni le meilleur marché de la planète.

Quant à l’électrolyse de l’eau, pour fabriquer de l’hydrogène, cette eau doit être pure et donc distillée, processus consommateur d’énergie car il faut la bouillir, puis la refroidir avant de l’électrolyser, puis comme dans tout autre processus : recueillir l’hydrogène, le liquéfier ou le comprimer. Sans noyer le lecteur sous trop de chiffres, d’ailleurs très imprécis, donnons quelques ordres de grandeur.

Aujourd’hui l’énergie requise pour obtenir de l’hydrogène vient à 69% du gaz naturel et à 23% du charbon et, pour moins de 5%, de l’électricité. Pour l’essentiel, cet hydrogène est utilisé dans l’industrie pour raffiner le pétrole et lui enlever les traces de soufre et, par ailleurs, pour fabriquer de l’ammoniac (NH3), composé chimique qui permet de remettre de l’azote dans les champs, quand le fumier ou les mycorhizes azotées des légumineuses ne suffisent pas. Cette production mondiale rejette dans l’atmosphère en 2018, deux fois et demi plus de gaz carbonique que l’ensemble des émissions de CO2 de la France. Elle n’est guère utilisée dans les transports car le rendement global de la chaîne est très mauvais : pour avoir une énergie de 1, la chaîne en aura consommé de 5 à 10, plutôt 10 !

Reste le rêve de l’électricité produite à partir des panneaux solaires et des éoliennes qui viendraient à bas coût alimenter l’électrolyse de l’eau. Cela ne peut se concevoir qu’à partir de petites usines proches de ces sources d’énergie4 qui nécessitent de l’eau distillée pour produire de l’hydrogène et l’on revient aux problèmes précédents pour le stocker le transporter, mais ces problèmes seront encore aggravés par l’intermittence de la production. Tout cela est techniquement envisageable, mais à un coût prohibitif. Les véhicules électriques ont un bel avenir. Pour ceux propulsés par hydrogène, leur avenir est encore très incertain pour des raisons chimiques et physiques simples qui ne changeront pas avec le plan de relance !

Au fil des analyses auxquelles conduisent pêle-mêle les projets ou contre-projets touchant au développement durable, deux constats peuvent être dressés. D’une part, la plupart d’entre eux proposent des solutions qui, aujourd’hui, se révèlent plus consommatrices d’énergies, souvent fossiles, qu’elles cherchent, précisément, à réduire ! D’autre part, le coût de ces projets, donc le prix et les taxes que devra payer le consommateur final, est plus élevé que les technologies qu’elles souhaitent remplacer.

On en est là aujourd’hui et il faudra bien un jour dépasser ces contradictions qui ralentissent la mise en œuvre d’un développement durable.

Jean de Kervasdoué – 17 septembre 2020


1 Le rapport du Conseil général de l’environnement de septembre 2015 est riche de données sur la filière hydrogène-énergie. file:///G:/Le%20point/news-26748-rapport-cgedd-cgeiet-hydrogene%20(1).pdf

2 https://www.contrepoints.org/wp-content/uploads/2015/07/Lhydrog%C3%A8ne-cet-hallucinog%C3%A8ne- Annexe-1.pdf

3 Il existe un autre moyen de stocker l’hydrogène : les hydrures métalliques mais il n’est pas commercialisable aujourd’hui car le remplissage dégage beaucoup de chaleur et prend du temps. Il faudrait donc alors déposer ce réservoir métallique dans des stations-services et les remplacer, ce qui n’est pas facile car ils sont eux aussi très lourds.

contrepoints.org/wp-content/uploads/2015/07/Lhydrogène-cet-hallucinogène-(ouvre un nouvel onglet)

4 L’électricité peu puissante se transporte mal.

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