Trente années de mesure de la température mondiale par satellite

Le 30 mars 1990, il y a tout juste 30 ans, Roy Spencer et John Christy publiaient dans la revue Science un article intitulé “Surveillance précise des tendances mondiales de température à partir de satellites“.

Roy Spencer a écrit le 30 mars 2020 un article racontant l’arrière plan (notamment politique) de cette publication. Nous en proposons ci-dessous une traduction.


À la fin des années 1980, John Christy et moi étions des prestataire de la division Sciences de l’atmosphère de la NASA à Huntsville (Alabama), où les managers et les chercheurs tentaient d’étendre les activités de la NASA au-delà de sa mission d’origine (qui était le soutien météorologique pour les lancements de navettes spatiales). Le directeur de la NASA/MSFC, Gregory S. Wilson, a joué un rôle central dans notre embauche et le soutien de notre travail.

J’ai fait mes études à l’Université du Wisconsin-Madison dont je suis sorti avec un doctorat en météorologie, spécialisée dans l’étude de la formation des cyclones atlantiques en l’Afrique de l’est. J’y ai ensuite fait un post-doctorat sur la télédétection par satellite des précipitations à l’aide de radiomètres hyperfréquences. John Christy a obtenu son doctorat en sciences atmosphériques à l’Université de l’Illinois où il a fait ses recherches sur le champ de pression atmosphérique de surface globale. John avait de l’expérience dans l’analyse d’ensembles de données mondiaux pour la recherche sur le climat et a été embauché pour aider Pete Robertson (NASA) à l’analyse des données. J’ai été embauché pour développer de nouveaux projets de télédétection par satellite micro-ondes pour la navette spatiale et la station spatiale.

Témoignage au Congrès de James Hansen et l’analyse de notre premier jeu de données

En 1988, James Hansen de la NASA a témoigné pour le sénateur Al Gore Jr, témoignage qui, plus que tout autre événement, a inscrit le réchauffement climatique dans la conscience collective de nos sociétés. Nous participions à une réunion de la NASA dans le New Hampshire. Si je me souviens bien, Dick McNider de l’UAH (University of Alabama in Huntsville) venait de lire dans l’avion une ébauche d’un document de Kevin Trenberth qui lui avait été remise par John Christy (dont il avait été un étudiant) traitant des nombreux problèmes posés par le caractère lacunaire des données de température de surface pour la détection du changement climatique.

Au cours du déjeuner, Dick McNider a demandé si étant donné les problèmes liés au manque de couverture mondiale et à l’origine géographique des données de surface discutés par Trenberth, s’il existait des données satellitaires qui pourraient être utilisées pour évaluer les assertions de James Hansen sur la température mondiale ?  James Dodge, manager au siège de la NASA était présent et a exprimé son intérêt immédiat pour le financement d’un tel projet de recherche.

J’ai indiqué que de telles données existaient à partir de l’instrumentation NOAA/NASA/ JPL Microwave Sounding Unit (MSU), mais qu’il serait difficile d’accéder à environ 10 ans de données mondiales. Notez que c’était avant qu’il existe des accès via Internet à de grands ensembles de données numériques, et que les données achetées au gouvernement avaient un prix très élevé. Personne n’a acheté de longues séries de données mondiales; les données étaient stockées sur des bandes magnétiques d’ordinateur contenant chacune environ 100 Mo de données, et les ordinateurs étaient alors assez lents. Les données que nous voulions obtenir provenaient des satellites de la NOAA, et la NOAA réutilisait ces grandes bandes magnétiques IBM (de 10,5 pouces) plutôt que de conserver les données qu’elles contenaient.

Il s’avère que Roy Jenn  qui travaillait sur les systèmes de données au National Center for Atmospheric Research (NCAR) de la NSF à Boulder, avait pris sur lui des années auparavant d’archiver les données satellitaire de la NOAA avant qu’elles ne soient complètement perdues. Il a conservé les données sur un « système de stockage de masse » (très volumineux et inefficace par rapport aux normes actuelles) et je crois que c’est Greg Wilson qui nous a mis en relation pour nous permettre d’accéder à ces données.

Nous avons obtenu un peu moins de 10 ans de données du NCAR, et j’ai décidé de la meilleure façon de calibrer ces données et d’en faire la moyenne dans une résolution espace/temps plus gérable. J’ai eu des contacts fréquents avec les ingénieurs du JPL qui ont construit l’instrumentation MSU, en particulier Fred Soltis, qui, avec Norman Grody à la NOAA, m’ont fourni des données de calibration pour les instruments MSU volant sur différents satellites.

Nous avons engagé John Christy pour analyser ces données car il pouvait apporter une expertise considérable dans le diagnostic des ensembles de données mondiales à des fins climatiques. L’une des premières choses que John a faites a été de comparer les moyennes mondiales de différents satellites sur différentes orbites : ils ont donné des réponses étonnamment similaires en termes de variabilité de la température d’une année à l’autre. Cela était assez inattendu et démontrait que les instruments MSU avaient une stabilité d’étalonnage élevée, au moins sur quelques années. Il a également démontré que la pratique de la NOAA d’ajuster les données satellite avec des radiosondes (ballons météorologiques) était rétrograde : les différences entre les deux systèmes étaient dues à un mauvais calibrage spatial par les radiosondes, et non à des changements dans la stabilité de la calibration des satellites.

En plus des données historiques critiques archivées par Roy Jenne au NCAR, nous avions besoin des données satellitaires plus récentes conservées à la NOAA. Nous n’avions pas tout à fait dix ans de données, et l’éditeur de la revue Science voulait dix années complètes de données avant de publier nos premiers résultats. Nous avons pu commander plus de données à la NOAA pour obtenir 10 années d’historique (1979 à 1988), et Science a accepté notre article.

La conférence de presse de la NASA

Le 29 mars 1990, nous avons organisé une « rencontre avec les médias » au centre de communication de la NASA / MSFC. Pour une raison inconnue, la NASA ne voulait pas qu’elle soit qualifiée de « conférence de presse » à part entière. Si je me souviens bien, la fréquentation était importante (selon les normes de Huntsville) et je n’ai pas trouvé d’autre endroit pour me garer que sur l’herbe, chose pour laquelle j’ai eu droit à un ticket de parking de la sécurité de la NASA. JPL qui avait son propre siège sur un vol commercial de Pasadena a apporté une copie restante de l’instrument MSU…

Notre témoignage devant le Sénat à l’invitation d’Al Gore

… Après avoir publié nos premiers résultats de recherche le 30 mars 1990, nous avons reçu en octobre 1990 une invitation à témoigner pour Al Gore lors d’une audience d’un comité sénatorial sur le blanchiment des coraux. Phil Jones de l’Université d’East Anglia était également là pour témoigner…

… Notre témoignage, qui s’est déroulé sans incident, a donné lieu à la traditionnelle lettre de remerciements d’Al Gore pour avoir participé à l’audience. Dans cette lettre, Gore exprimait son intérêt pour des résultats complémentaires dès qu’ils seront disponibles.

Lettre adressée par Al Gore au Dr Roy Spencer le 30 octobre 1990 pour le remercier de sa participation à l’audition par le Sénat américain

Quand est venu le temps d’obtenir les données satellites supplémentaires nécessaires de la NOAA, j’ai laissé tomber le nom d’Al Gore devant un directeur de la NOAA qui s’est alors empressé de nous fournir tout ce dont il disposait gratuitement nous évitant ainsi de devoir payer des dizaines de milliers de dollars sur notre budget de recherche.

Des centaines de bandes d’ordinateur et une vieille Honda Civic

Cela semblera curieux aux jeunes scientifiques d’aujourd’hui, mais ce n’était pas une tâche facile à l’époque de traiter de grandes quantités de données numériques. J’ai reçu boîte après boîte des bandes d’ordinateur à 9 pistes de la NOAA par la poste. Plusieurs fois par semaine, je les chargeais dans ma vieille Honda Civic à 2 portes et kilométrage élevé et tout juste roulante et les transportais au centre informatique de MSFC.

Greg Wilson de la NASA avait obtenu l’autorisation d’utiliser les installations informatiques pour cette tâche. À cette époque, la majeure partie de la puissance informatique était utilisée par des ingénieurs modélisant les flux de carburant dans les moteurs principaux de la navette spatiale. Au fur et à mesure que j’ajoutais des données et les traitais, je les transmettais à John Christy qui y appliquait son expertise d’analyste.

Je ne me souviens pas combien d’années nous avons utilisé ce système de navette de bandes magnétiques par courrier. Après les avoir trimbalées  de nombreuses années d’un bureau à un autre lors de nos déménagements, j’ai décidé qu’il n’y avait aucun intérêt à les garder plus longtemps. J’ai donc jeté ces bandes dans une décharge de Huntsville.

Un appel de la Maison Blanche et la première image du télescope spatial Hubble

Toujours en 1990, John Sununu, chef de cabinet du président George HW Bush à la Maison Blanche, avait remarqué notre travail et nous avait invités à venir à Washington pour un briefing.

Nous avons d’abord dû mettre au courant l’administrateur de la NASA Richard Truly. Truly était vraiment très intéressé et essayait de s’assurer qu’il comprenait mes arguments en me les répétant. Dans ma nervosité, je l’interrompais apparemment en terminant ses phrases, et il m’a finalement dit de « la fermer ». Alors, je me suis tu.

Le prochain passage obligé était le bureau de l’administrateur associé, Lennard Fisk. Pendant que nous briefions Fisk, un assistant est venu pour lui montrer la première image que venait de recueillir le télescope spatial Hubble. C’était avant que quiconque se rende compte que la TVH avait été mal réglée et n’était pas au point. Rétrospectivement, ce fut une coïncidence amusante que nous ayons été là pour assister à un tel événement.

Au fur et à mesure que la journée avançait et qu’aucun appel ne venait de la Maison Blanche, le Dr Fisk semblait de plus en plus nerveux. J’avais l’impression qu’il ne voulait vraiment pas que nous donnions des informations à la Maison Blanche sur un sujet aussi important que le changement climatique. À cette époque, avant que James Hansen de la NASA n’en fasse une habitude, aucun scientifique n’était autorisé à parler à une personnalité politiques sans avoir été préalablement “cadré” par la direction de la NASA.

Au fil des années, nous apprendrions que l’absence de réchauffement substantiel mesuré par les satellitaires nuisait probablement à la vente par la NASA au Congrès de son programme Mission to Planet Earth. Plus un problème est perçu comme important, plus une agence gouvernementale est susceptible d’obtenir du Congrès des crédits pour l’approfondir….

Plus tard dans l’après-midi, nous avons finalement reçu un appel de la Maison Blanche nous invitant à venir. C’est alors que  le Dr Fisk leur a dit: « Désolé, mais ils sont juste repartis pour Huntsville », tout en nous poussant vers la porte… Cela a été, du moins pour moi, la journée la plus surréaliste et la plus mémorable de nos 30 années (et plus) d’activité centrée sur le traitement des données de température issues des satellites.

Après 1990

Au cours des années suivantes, John Christy a joué un rôle central dans la promotion des données satellitaires, y compris les comparaisons approfondies de nos données avec les données de radiosonde, tandis que je passais la plupart de mon temps sur d’autres projets de la NASA dans lesquels je me trouvais impliqué.

Mais une fois par mois depuis 30 ans, nous traitons les données satellitaires les plus récentes avec des programmes informatiques distincts, et passons les résultats au crible avant de les publier pour en donner l’accès au public.

Avec la version 6 de notre jeu de données, le code informatique a été entièrement réécrit par Danny Braswell qui avait une expérience professionnelle dans le développement de logiciels.

En 2001, lassé d’être d’être surveillé par la direction de la NASA à propos de ce que je pouvais dire et ne pas dire, j’ai démissionné de la NASA et poursuivi mes travaux comme employé de l’UAH au Earth System Science Center, dont John Christy est directeur (en même que climatologue de l’État de l’Alabama).

Ni John ni moi n’avons de projet de retraite. Nous continuerons à mettre à jour les données mensuelles de température UAH jusqu’à nouvel ordre.

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