La transition écologique, une chimère

Rémy Prud’homme, Professeur des universités

C’est en France devenu un rite : pas un discours, pas un débat, pas un article, sans une référence à la « transition écologique ». Ce nouvel impératif catégorique est une auberge espagnole (ce qui déplairait à Kant). Il est invoqué pour justifier tout et rien : de la multiplication des loups (qui est bien un problème écologique) à la taxe carbone (qui n’en est pas un). En pratique, la transition écologique se réduit largement à  une transition énergétique : aller, et aller immédiatement, vers un monde sans rejets de CO2. La diminution de ces rejets est le rôti, le reste (les mégots de cigarettes, le recyclage) est la sauce. Un tel projet est une chimère, pour au moins trois raisons.

Il est d’abord totalement inutile, surtout pour la France. La justification de cette transition est que le CO2 anthropique engendre le réchauffement climatique qui engendrera des catastrophes terribles. Cette conviction climato-crédule est fragile, mais on ne la discutera pas ici. Elle est en tout cas globale. Ce sont les émissions de tous les pays qui comptent. Celles de la France représentent 1% des rejets mondiaux, 29 fois moins que celles de la Chine. L’impact d’une transition énergétique uniquement française sur le climat sera ou serait parfaitement négligeable. Raison de plus, dira-t-on, pour donner l’exemple. Mais l’exemple, nous le donnons déjà. La France est pratiquement le pays (après le Mali ou le Cambodge) où les rejets par euro de PIB sont les plus bas du monde : 2 fois moindres qu’en Allemagne, 3 fois moindres que pour l’ensemble du globe. Au lieu de le clamer, nos bien-pensants préfèrent le cacher. Ce bel exemple n’est pourtant guère suivi. Qui peut sérieusement croire qu’il le serait davantage si nous étions encore plus exemplaires ? Plus encore que le socialisme dans un seul pays (prônée par le génial Staline), la transition dans un seul pays est une impasse.

Le projet de transition est ensuite irréalisable. Les combustibles fossiles à l’origine des rejets coûtent cher (ce sont, après le tabac, les biens les plus lourdement taxés en France, bien plus que l’alcool ou le parfum): ménages et entreprises cherchent, et réussissent, à les économiser. En vingt ans, la France a diminué ses rejets de 12%. Ces gains de productivité en CO2 vont continuer, espérons-le. Mais de là à viser des réductions de 75% ou davantage, il y a la différence entre la réalité et le rêve. Les propositions faites au nom de la « transition écologique » sont généralement irréalistes, absurdes voire pathétiques. La plus importante est le remplacement de l’électricité nucléaire (qui ne rejette pas de CO2) par de l’électricité éolienne ou photovoltaïque (qui n’en rejette pas non plus) ; cette mesure-phare ne diminuera donc en rien les rejets de CO2 de la France. En matière de transport, on propose aux Français qui ont besoin de leur voiture pour aller travailler à 40 km de leur habitation d’y aller à pied, en vélo, en co-voiturage, ou en trains qui n’existent pas (on a oublié le tandem). L’Accord de Paris allait, promis, juré, entraîner des réductions drastiques. On allait voir. On a vu. Depuis 2015 les rejets de CO2 ont augmenté à peu près partout : en France, en Allemagne, en Chine, en Inde, dans l’ensemble du globe. Sauf aux les Etats-Unis où ils ont décliné (pas à cause de Trump, mais à cause des progrès extraordinaires du gaz de schiste).

La transition écologique, enfin, est coûteuse, et en plus régressive. Les chimères ne sont pas seulement les êtres évanescents dont rêvait Gérard de Nerval, ce sont des monstres à tête de lion qui griffent et qui mordent nos économies, et s’attaquent en particulier aux plus faibles. Presque toutes les mesures prises au nom de cette transition consistent à remplacer des solutions bon marché par des solutions onéreuses, ce qui est la définition du gaspillage. Le plus évident est la fermeture de centrales nucléaires en état de marche, et leur remplacement par la construction d’éoliennes. En Europe, plus le taux de pénétration de l’éolien et du solaire est grand, plus le prix de vente de l’électricité est élevé : en Allemagne il est deux fois plus élevé qu’en France. Le projet de notre gouvernement conduit inéluctablement au doublement du prix de l’électricité. Au moment où les pionniers de ces folies, l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, en mesurent les conséquences, et mettent le pied sur le frein (ils cessent d’investir dans l’éolien et le solaire), la France, toujours en retard d’une guerre, appuie sur la pédale de l’accélérateur en criant « transition ! transition ! ». On pourrait dire la même chose à propos de l’augmentation des impôts sur les carburants.

Le pire est que ces surcoûts pénalisent plus durement les pauvres que sur riches. La transition écologique qui se dit solidaire est en réalité régressive. Les biens qu’elle vise (l’électricité, les carburants, le logement) pèsent bien plus lourd dans le budget des pauvres que dans celui des riches, dans le budget des habitants des zones périphériques ou rurales que dans celui des métropoles. Augmenter le prix de ces biens c’est attaquer le niveau de vie de ces ménages-là. Les élites parisiennes ne veulent pas le voir, mais les gilets jaunes le sentent bien, et le crient.

Les écologistes les plus conséquents en tirent fort logiquement la conclusion que transition écologique rime avec décroissance : moins de gens, moins de revenus, moins de mobilité, moins d’industrie, moins d’agriculture, moins d’échanges, moins de confort, avec moins de démocratie pour faire accepter tout cela. Le slogan de notre président, « Make Our Planet Great Again », implique que tout était plus formidable hier. Il indique la destination de notre transition écologique. L’avenir du futur, c’est notre passé.

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