Terra incognita

Par MD.

Introduction.

L’ACR vient de publier opportunément la traduction d’un article qui ne semblait pas avoir trouvé beaucoup d’échos dans le monde médiatico-scientifique. Il est pourtant digne d’intérêt. Son auteur, Gavin A. Schmidt, n’est pas n’importe qui : il est directeur du GISS (Goddard Institut of space studies), branche bien connue de la NASA. Cet article, paru dans « Nature » du 19 mars 2024, est intitulé « Les modèles climatiques ne peuvent expliquer l’énorme (huge) anomalie de température de 2023 : nous pourrions être en terrain inconnu (uncharted territory) » et en sous-titre : « Prenant en compte tous les facteurs connus, la planète s’est réchauffée l’an dernier de 0,2°C de plus que ne l’attendaient les climatologues. Des données plus nombreuses et meilleures sont nécessaires et urgentes ». On voit la brutalité du propos.

2023, l’année la plus chaude.

La question des températures avait été évoquée ici-même dans un article récent, avec des graphiques de séries longues concernant la planète et ses grandes zones géographiques : océans, terres émergées, tranches de latitudes. On ne les reprendra pas ici.

Ces données avaient permis de mettre en évidence le cas particulier de l’année 2023, qui a connu une forte poussée des températures lui conférant le record de l’année la plus chaude enregistrée depuis le début des mesures terrestres et satellitaires. Comme nous le signalions, la brusque augmentation enregistrée surtout à partir du mois de juin 2023 n’a pas manqué de surprendre les observateurs, déjouant leurs pronostics. Simplement pour illustrer cette assertion, voici un graphique qui représente les « anomalies » de températures mensuelles enregistrées par le GISS depuis le pic de 2016. L’année 2023 est en gras ; on voit en effet qu’elle se distingue nettement des huit années précédentes.

Dans l’article précité, on avait déjà évoqué certaines hypothèses : El Niño, aérosols, Hunga-Tonga, CO2, méthane, activité solaire et lunaire, concours de circonstances fortuit, hasard du calendrier, amorce d’une nouvelle augmentation des températures ?

Depuis ces derniers mois, chacun y est allé de ses explications plus ou moins ingénieuses : on trouve maintenant dans la littérature grise une foison d’hypothèses entre lesquelles l’avenir devra arbitrer. Et la liste n’est certainement pas close.

Des modèles climatiques qui surchauffent.

Assez curieusement, le même Gavin Schmidt avait été le cosignataire (avec Zeke Hausfather) d’un article de Nature du 5 mai 2022 intitulé « Climate simulations : recognize the « hot model » problem ». Il serait trop long de commenter cet article, le lecteur pourra s’y référer ; son titre est suffisamment explicite : jusqu’en 2021, dernière année connue à l’époque, les prévisions officielles « chauffaient » trop.

Les « modèles » climatiques avaient été évoqués dans un article du site ACR de novembre 2022. Ils mettaient en évidence cette discordance entre les températures mesurées et les modèles CMIP-6 du GIEC. La discordance était observée notamment dans le cas du « scénario » d’émissions de GES généralement considéré comme le plus vraisemblable, catalogué SSP2-4.5. On trouvera ci-dessous la mise à jour d’un des graphiques qui était présenté à l’appui de cette assertion. Sont superposés les 35 modèles utilisant le scénario SSP2-4.5 et les températures relevées par Hadley Center.

Entre 2022 et 2023, la température selon HadCRUT5 aurait augmenté d’environ 0,3°C (la série Gistemp4 du GISS donne le même résultat). Si on voulait faire de l’esprit, on dirait qu’il était temps que l’année 2023 arrive pour faire rentrer les températures dans le fuseau des pronostics, dont elles avaient tendance à s’échapper dangereusement par le bas.

Une augmentation de la température mondiale de 0,2°C qui reste inexpliquée.

Pourtant, Gavin Schmidt n’est pas satisfait de cette augmentation brusque et en recherche les causes possibles dans le texte de son article. Aucun des paramètres actuellement utilisés dans les modèles ne lui semble susceptible de l’expliquer : même le phénomène El Niño (après trois années de La Niña) ne suffit pas car il est d’intensité modeste par rapport à ceux de 1997-1998 et 2015-2016. Les autres paramètres (augmentation des gaz à effet de serre, activité solaire, éruption du Hunga-Tonga en janvier 2022, diminution des aérosols grâce aux fiouls maritimes désulfurés depuis 2020) tous cumulés, laissent encore une augmentation inexpliquée de 0,2°C. Comme pour la plupart des articles « scientifiques », la conclusion est qu’il faut approfondir le sujet par de nouvelles observations et de nouvelles études, qui nécessiteront de nouveaux et importants moyens. Et ceci est réputé « urgent », on peut se demander pourquoi : peut-être est-ce là la fameuse « urgence climatique » ?

Conclusion.

En résumé, Gavin Schmidt est perplexe, ce qui est normal pour un scientifique digne de ce nom, mais il le fait savoir vigoureusement, ce qui est plus rare dans sa discipline. Il faut lui en savoir gré. Ce n’est évidemment que son opinion, mais elle émane d’une personnalité bien connue du monde climatique, et qui bénéficie d’un nombre honorable de citations dans les rapports du GIEC. Affaire à suivre.

« Science is not settled »

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