Sur le réchauffement du climat : le point de vue de Rémy Prud’homme

Par Rémy Prud’homme, Professeur des Universités.

Les importantes questions posées par le climat préoccupent l’humanité depuis toujours : le Déluge est décrit dans premières pages de la Bible. Mais le climat ne fait l’objet d’une approche scientifique que depuis une trentaine d’année. Pour un champ aussi complexe, c’est très peu. Pratiquement personne ne se disait « climatologue » en 1970. La science du climat est donc encore embryonnaire. A ce stade, il n’y a pas, il ne peut pas y avoir, une science « arrêtée » (settled) et officielle. Des points de vue différents, et même divergents, s’opposent tout naturellement. Sur quatre points principaux.

L’ampleur du réchauffement

Personne ne met en doute que la température moyenne du globe a augmenté au cours des 100 dernières années. D’environ un peu moins de 1 degré centigrade.

Les prudents soulignent cependant la fragilité des données disponibles sur ce thème de base. Tout d’abord, la notion même de température du globe est vague et nécessairement arbitraire. Température de la terre ou des mers ? Au sol ou en altitude ? Au pôle ou à l’équateur ? A 6 heures ou à midi ? Comment réduire à un seul chiffre la température d’aujourd’hui à Bordeaux, qui va varier toutes les heures ?

Au delà de ces difficultés théoriques, il y a les difficultés pratiques de mesure des températures. Qui mesure heure par heure les températures au milieu de l’océan, de la forêt amazonienne, ou sur la calotte glaciaire antarctique ? Et comment ? Qui collectionne, ajuste, moyennise ces données ? Depuis une trentaine d’années, les mesures satellitaires ont partiellement résolu ces difficultés. Mais il est évident que plus on remonte vers le passé, plus ces difficultés sont grandes, et les données fragiles.

On voudrait voir les mesures du climat traitées comme les mesures de l’économie, par les statisticiens expérimentés et indépendants (les INSEE de tous les pays). Cela ne serait sans doute pas parfait, mais à coup sûr infiniment mieux que la situation actuelle.

Les causes du réchauffement

Peut-on déterminer les causes du (modeste) réchauffement constaté ? A cette question complexe, les climato-crédules proposent une réponse simple : les gaz de serre, principalement le CO2, émis par l’homme. Les rejets de CO2 anthropiques, ainsi que teneur en CO2 de l’atmosphère terrestre, ont en effet beaucoup augmenté au cours des 100 dernières années. La corrélation a été transformée en causalité : «Plus de CO2, donc plus de la chaleur». Sur ce point, les opinions divergent. Les climato-crédules approuvent. Les climato-sceptiques doutent.

Les climato-sceptiques font observer qu’au cours de ces 100 dernières années, mille phénomènes ont, tout comme le CO2, augmenté au même pas que les températures : la population du globe, les revenus, l’espérance de vie, la production agricole, etc., ce qui n’en fait pas pour autant des facteurs explicatifs.

Un certain nombre de scientifiques respectables affirment qu’une explication théorique (la théorie de l’effet de serre) justifie l’établissement d’un lien causal entre CO2 et températures. D’autres, non moins respectables, rejettent cette explication, en mettant en avant les lois de la physique. Toutes les sciences naissantes ont connu des controverses de ce type. Nous n’entrerons pas ici dans ce débat, qui devient vite très technique.

Les climato-sceptiques notent que l’expérience (en l’occurrence, l’histoire) infirme la thèse du lien causal. A de nombreuses périodes, lorsque l’homme ne produisait aucun CO2, on a connu des épisodes de réchauffement, par exemple la période romaine, ou le haut moyen âge (lorsque le Groenland était la « terre verte » parce que cultivée). On a même connu, bien auparavant, des épisodes où des périodes de réchauffement précédaient des périodes d’augmentation des teneurs en CO2. Les climato-crédules produisent des explications compliquées de ces causalités inversées.

Les climato-sceptiques suggèrent enfin qu’une explication monocausale d’un phénomène aussi complexe n’est pas plausible. Ils citent d’autres causes possibles du réchauffement, comme par exemple l’action du soleil, et déplorent que ces hypothèses ne soient actuellement pas explorées.

Le principal argument des climato-crédules est un argument d’autorité : nous avons créé le GIEC, qui « est » la science, et qui dit que le réchauffement est causé par le CO2. Cette égalité « GIEC = Science » résiste mal à l’examen. Le GIEC n’est pas une entité scientifique, créée et dirigée par des scientifiques, à l’image des sociétés savantes nationales et internationales qui existent dans la plupart des disciplines. C’est une entité politique créée et dirigée par des organisations internationales (contrôlées par les gouvernements), qui en désignent les dirigeants, définissent les objectifs (prouver que le réchauffement est anthropique figure explicitement dans les termes de références du GIEC), et rédigent les rapports de synthèse destinés aux médias et aux décideurs. Le GIEC fait certes appel à des scientifiques authentiques, mais on y trouve davantage de militants de Greenpeace que d’académiciens. Ses dirigeants le savent bien, qui éprouvent le besoin de répéter partout qu’ils ont eu un prix Nobel – sans préciser qu’il s’agissait d’un prix Nobel de la Paix, c’est à dire un prix politique, pas un prix scientifique. La ficelle est grosse, mais elle attrape plus d’un leader d’opinion.

 Les conséquences du réchauffement

Pour la définition d’éventuelles politiques du réchauffement, la connaissance des conséquences est aussi importante que celle des causes. Elle est encore moins assurée. La plupart des prédictions (j’emploie à dessein ce mot plutôt que celui de prévision) reposent sur des bases scientifiques jamais explicitées. Elles sont systématiquement dramatiques. Le réchauffement est la cause d’à peu près tous les maux. Tout ce qui va mal dans le monde, de la sécheresse aux inondations, en passant par les guerres, les famines, les maladies, les typhons, la perte de biodiversité, etc., peut et doit être imputé au réchauffement.

On aura ainsi vu à Manille le Président de la République Française, épaulé par Mesdames Mélanie Laurent et Marion Cotillard (plus connues pour leur charme et leur talent que pour leur expertise scientifique), déclarer au monde que les tremblements de terre et les tsunamis étaient causés par le réchauffement et la preuve de son caractère anthropique ! Tous les scientifiques climato-crédules savent bien que cette affirmation est absurde ; aucun n’a élevé la voix pour le signaler.

Des prédictions catastrophiques moins ridicules sont formulées par les climato-crédules depuis une trentaine d’années. Elles visent en général l’année 2100, ce qui les protège efficacement de toute vérification. Certaines, cependant, concernaient des dates plus rapprochées, et on peut les comparer à ce qui s’est effectivement passé. L’exercice est cruel pour les climato-crédules :

  •  la banquise arctique devait avoir disparu à l’été 2014 : en 2015, sa superficie est 10 fois celle de la France ; et celle de l’antarctique augmente;
  • les précipitations devaient augmenter fortement entre 1990 et 2015 : elles ont stagné ;
  • les décès du fait des inondations devaient augmenter fortement : ils ont (légèrement) diminué ;
  • la neige devaient avoir disparu du Royaume-Uni en 2015 : on y a enregistré des chutes record ;
  • le nombre et la gravité des tornades devaient fortement augmenter : ils ont stagné ;
  • la production agricole devait diminuer : elle a fortement augmenté ; loin de se multiplier comme prédit, les famines ont pratiquement disparu (à l’exception de celles qui sont causées par des guerres) ;
  • les migrants climatiques devaient se compter par dizaines de millions : le rapport des Nations-Unies sur les réfugiés en 2015 ne mentionne même pas cette catégorie de migrants ;

etc.

Ces prévisions se réaliseront peut-être d’ici à la fin du siècle. Mais le moins que l’on puisse dire est que ceux qui se trompent grossièrement dans des prévisions à 20 ans n’inspirent guère confiance pour leurs prévisions à 80 ans.

Il serait d’ailleurs injuste de rendre les scientifiques du GIEC responsable de ces erreurs de prévision. Leurs rapports détaillés sont bien plus prudents. Ces exagérations sont le fait des ONG, des médias, et des politiques qui utilisent et déforment ces rapports. Mais il faut bien voir que, s’il y a en effet des scientifiques climato-crédules, la grande majorité des climato-crédules ne sont pas des scientifiques.

 Le contrôle du réchauffement

Les prévisions apocalyptiques des climato-crédules débouchent logiquement sur des politiques anti-réchauffement draconiennes, qui s’expriment en un slogan : réduire drastiquement et finalement éliminer les rejets de CO2. Facile à dire ; impossible à faire (à un coût raisonnable).

Cette injonction ignore les bienfaits évidents du CO2 – soigneusement passés sous silence par les climato-crédules. Le CO2 est la nourriture des plantes, et renforce leur résistance. Comme le montrent les cultures sous serre, plus de CO2, c’est plus de produits agricoles pour nourrir l’humanité, ce qui pèse lourd.

Admettons cependant (ce qui n’est rien moins que certain) que les dangers du CO2 sont plus grands que ses bienfaits, et donc que réduire les rejets (ou freiner leur augmentation) soit désirable. Encore faut-il ne pas payer trop cher cette réduction, en termes de diminution du niveau de vie des hommes. Le malheur veut que les deux actions concrètes les plus systématiquement exigées pour décarboner, (i) la fin du transport automobile et (ii) le développement des renouvelables, soient toutes les deux inconciliables avec la lutte contre la misère.

Dans les pays riches comme dans les pays pauvres, la mobilité est un facteur majeur de désenclavement, d’amélioration des relations sociales, de développement économique. La mobilité des hommes et des marchandises, qu’on le veuille ou non, passe pour l’essentiel par l’automobile et le camion – et rejette du CO2. On peut, on doit, grâce à la technologie, diminuer ces rejets (c’est d’ailleurs ce que l’on fait : on a réduit de moitié la consommation de carburant des véhicules au cours des 20 dernières années). Mais les alternatives sont, et resteront dans le futur prévisible, de coûteuses chimères.

La confiance aveugle mise dans le solaire et l’éolien est également une coûteuse chimère. Ces renouvelables servent (presque uniquement) à produire de l’électricité, qui est aussi un facteur décisif de développement. Solaire et éolien ne se développent qu’à coup de subventions et de privilèges colossaux. Lentement. Des rapports officiels français écrivent qu’en 2014 le solaire assure 10% de la production d’électricité du monde pour cacher que le chiffre exact est de 0,8%. Plus la part des renouvelables est élevée dans le mélange électrique, plus le prix de l’électricité payé par les ménages est élevé. Dans les pays pauvres, où l’absence d’électricité tue, mais où les renouvelables sont hors de prix, interdire des centrales électriques au charbon au nom des réductions de CO2, c’est se rendre coupable de non-assistance à personnes en danger.

Viser la mobilité automobile et l’électricité est une politique régressive. La raison en est que la part de ces deux biens dans le budget des ménages est plus grande chez les pauvres que chez les riches. En augmenter le coût pèse donc plus lourd chez les pauvres que chez les riches, ce qui définit une politique régressive.

L’argument selon lequel ces dépenses de décarbonisation constituent un secteur d’avenir qui crée des emplois est puéril. Bien sûr que ces dépenses créent des emplois, mais les impôts ou les hausses de prix qui les financent en détruisent au moins autant, et généralement davantage. Si la dépense publique ou forcée créait véritablement des emplois, la France, quasi championne du monde de la dépense publique, n’aurait plus un chômeur depuis longtemps.

Tout cela veut dire qu’il faut se méfier des slogans simplistes, pas qu’il ne faut rien faire. La première priorité concerne la recherche. On peut aussi voir des politiques de freinage des rejets de CO2 comme des primes d’assurance contre les risques de dommages du réchauffement. Encore faut-il que la prime ne soit pas trop élevée. Comme disait (à peu près) Molière :

« La parfaite raison fuit toute extrémité

Et veut qu’on décarbone avec sobriété »

 

 

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