L’interdiction du véhicule thermique en 2040, une bien mauvaise loi

Par Vincent Benard (*)

Cet article initialement publié dans la revue European scientist analyse en profondeur l’interdiction du véhicule thermique.

(*) : Vincent Bénard est ingénieur en aménagement du territoire et économiste, ancien président de l’institut Hayek (Bruxelles). Il a publié deux ouvrages et de nombreux articles évaluant les conséquences économiques des décisions politiques dans de nombreux domaines, et principalement le logement ou la régulation financière.


 Introduction

 Les députés ont adopté, le 12 juin dernier, un amendement déjà validé en commission le 29 mai, prévoyant l’interdiction de « la vente des voitures particulières et des véhicules utilitaires légers neufs utilisant des énergies fossiles, d’ici à 2040 ». Autrement dit, les véhicules 100% thermiques, mais aussi hybrides avec un moteur thermique, ne pourront plus être vendus ou revendus à partir de cette date. Pour l’instant, les poids lourds semblent épargnés par la mesure.

Cette interdiction semble assez bien vécue par une grande partie de l’opinion publique, qui semble croire, comme une majorité de parlementaires, que des véhicules à propulsion alternative, principalement électriques, pourront parfaitement se substituer au moteur thermique d’ici 21 ans, tout en réduisant certaines émissions, jugées polluantes. Mais cette supposition est-elle réaliste ?

Points forts et gros points faibles du véhicule électrique

Sur le papier, la voiture électrique, c’est génial, mais…

Toute personne ayant eu le plaisir de conduire une voiture électrique voudrait que ce soit vrai, mais nous verrons que rien n’est moins sûr, et que la voie de l’interdiction législative du véhicule à moteur thermique (en abrégé : VMT) est sûrement la pire des façons d’orienter l’industrie vers le développement de voitures moins gourmandes en énergies fossiles.

Sur le papier, le véhicule électrique (VE) est séduisant : son moteur n’émet aucun gaz sur le lieu du déplacement, il est silencieux, son couple constant en fait un régal à conduire, le moteur est mécaniquement d’une simplicité incomparable face aux “usines à gaz” thermiques actuelles, et il sera plus facile à entretenir dès qu’assez de mécanos seront formés. Tous ceux qui ont essayé un véhicule électrique sont unanimes à louer les sensations à son volant.

De surcroît, le rendement à la roue d’un ensemble moteur-boîte électrique est compris entre 60 et 75%, alors qu’un ensemble moteur-boîte thermique a un rendement global compris entre 15 et 20%. En termes plus pédagogiques, cela signifie que pour déplacer le même poids sur la même distance à la même vitesse, il faut apporter 3 à 4 fois plus d’énergie à un VMT qu’à un VE. Voilà qui paraît séduisant si on se contente d’une analyse superficielle des deux modes de propulsion.

Mais la réalité est bien plus nuancée. Tant du point de vue du véhicule lui-même, que du système de production et de distribution d’énergie, les inconvénients de l’électrique surpassent ses avantages, et le rythme d’amélioration prévisible de ces technologies ne permet pas d’être certains que tous ces handicaps auront disparu en 2040.

Le talon d’Achille de la propulsion électrique : la batterie !

Si le groupe motopropulseur du VE est imbattable par rapport au moteur thermique, le VE a un énorme point faible : son réservoir d’énergie !

La “ densité énergétique ” des carburants actuels est de l’ordre de 45 Mégajoules (ou 12,5 kWh) par kg. En comparaison, les meilleures batteries Lithium/ion actuelles (la meilleure technologie disponible à ce jour) ont une densité énergétique de 0,5 à 0,6 MJ/kg (valeurs respectives pour la Renault Zoe et la version la plus chère de la Tesla S). Cela veut dire qu’un kilogramme de batterie est capable de délivrer 75 à 100 fois moins d’énergie qu’un kilogramme de carburant. Si l’on s’intéresse au volume plutôt qu’au poids (les deux critères sont importants dans la conception des automobiles), le rapport est un peu moins défavorable à l’électrique, de l’ordre de 1 à 40.
Même en tenant compte du rendement 3 à 4 fois supérieur du groupe moteur-boîte électrique, un réservoir de carburant fossile permet de délivrer 20 à 25 fois plus d’énergie à la roue d’une voiture qu’un même poids de batterie convenablement chargée. Voilà pourquoi une Tesla, championne de l’autonomie des véhicules électriques, doit embarquer plus de 600 kg de batteries pour afficher 400 km d’autonomie réelle (l’autonomie réelle et l’autonomie publicitaire sont 2 choses différentes…), et affiche plus de 2,6 tonnes sur la balance.

Une batterie, un composant au fonctionnement pas si simple !

Mais les problèmes des batteries ne s’arrêtent pas à leur capacité énergétique totale. Tout d’abord, toute l’électricité de la batterie n’est pas utilisée pour faire tourner le moteur électrique. Comme dans toute voiture, il faut aussi faire tourner le chauffage, la ventilation, etc. Le VE ne subit pas ici de désavantage par rapport au VMT, mais à temps d’utilisation égal, vu la faiblesse de sa capacité de stockage, ces fonctions sont plus pénalisantes pour l’autonomie du VE que du VMT.

Les systèmes de batteries actuels sont complexes. Ce schéma montre comment on passe d’un composant individuel à un système de batterie :

batterie

Pour qu’une batterie fonctionne bien, il faut que chaque composant travaille en harmonie, que les cellules se vident à des vitesses à peu près identiques, être capable de connaître son niveau de charge, etc… Le management de cet équilibre est si complexe qu’une batterie doit embarquer un “Battery Management System” ou BMS, qui s’assure que toutes les cellules de batteries se déchargent ou se rechargent à peu près au même rythme, que les batteries ne chauffent pas trop, etc… Ce BMS alourdit la batterie, donc réduit sa densité massique. Il auto-consomme une partie de l’électricité stockée, quoique le rendement des meilleurs BMS ait fait semble-t-il de gros progrès ces toutes dernières années.

Les BMS sont mis à rude épreuve en maintes occasions. Ainsi, les cycles de décharge-recharge de la batterie réduisent sa capacité dans le temps. Tesla estime à 30% la perte de capacité de ses systèmes de batterie au bout de 5 ans, malgré le soin que le BMS apporte à “lisser” les cycles de charge, en fonction notamment de la qualité plus ou moins grande des bornes de chargement. Pire, un style de conduite “appuyé” accroît cette tendance des batteries à l’usure prématurée.

Également ennuyeux, l’usage fréquent de la recharge “rapide” (mais malgré tout bien plus longue que le remplissage d’un réservoir) dégrade aussi la capacité de la batterie dans le temps ! Autrement dit, “faire son plein en quelques minutes” avec un VE ne sera pas de sitôt un geste du quotidien, ce qui est, avec le prix, le principal frein à l’acceptation du VE par les clients.

Autre souci : tous les conducteurs ont constaté que par temps froid, l’autonomie de leur véhicule diminue : non seulement il faut chauffer le véhicule, mais en plus, les réactions chimiques permettant à la batterie de fonctionner sont étouffées. Autre handicap, le VE est à volume égal environ 50% plus lourd que son équivalent thermique, ce qui réduit un peu son avantage en termes de rendement.

En clair, la réduction de performance de l’ensemble moteur électrique-batterie est bien plus importante dans le temps que dans le cas du moteur thermique, qui certes perd un peu en rendement en vieillissant, même s’il est bien entretenu, mais dont le réservoir d’énergie a, quant à lui, des performances constantes !

La batterie : des coûts directs et indirects énormes !

L’usage de matériaux rares utilisés par les batteries et les moteurs électriques à haute performance est régulièrement mis en avant par les médias. Le journaliste Guillaume Pitron a écrit un ouvrage (lien) bien documenté sur le sujet, montrant que l’extraction de ces matériaux provoque des désastres écologiques et sociaux importants… Mais très localisés et loin de chez nous.

La rareté de ces matériaux a un autre effet particulièrement problématique : les batteries sont très coûteuses. Un pack de batterie avec son BMS complet a aujourd’hui un prix de revient supérieur à 200 euros par Kwh (Il est difficile de trouver des chiffres fiables, car certaines publications pro-VE évoquent des coûts plus faibles mais en intégrant uniquement le coût des cellules, ce qui est inapproprié pour un calcul économique digne de ce nom). Malgré une baisse continue de ce prix ces dernières années, une batterie de 40 kWh (comme la Zoe) revient donc toujours à plus de 8 000 euros, ce qui explique le prix très élevé à l’achat de ce véhicule, et le fait que tous les Etats qui veulent promouvoir le véhicule électrique doivent lourdement le subventionner. Et malgré ces aides d’État, la part de marché des véhicules électriques reste négligeable, de l’ordre de 1,5% en France.

Le véhicule électrique n’est pas le seul problème. le réseau et la production aussi !

La situation n’est pas meilleure du côté de la production et de la distribution d’électricité. Dans les pays où l’électricité est faiblement nucléarisée, c’est à dire presque partout, la hausse de rendement du groupe motopropulseur électrique est compensée par le rendement assez faible des centrales thermiques, soit environ 40% pour une centrale moderne et bien entretenue. Ce chiffre risque d’être notablement inférieur dans un pays où les producteurs d’énergie ne disposent pas de la capacité d’investir dans les dernières technologies.

Par conséquent, le carburant qui n’est pas brûlé par le VMT l’est en amont, à la centrale. Si on réintègre les coûts de production et distribution de l’électricité et des carburants dans l’équation du rendement de la chaîne de propulsion, l’avantage du Véhicule électrique diminue. L’American Physical Society indique qu’en terme d’usage d’énergie primaire pour rouler (non compris sa fabrication), le VE est 1,6 fois plus efficace que le VMT,  ce qui est honorable, mais pas aussi excitant.

Aurons-nous assez de centrales ? 

Et quid de la quantité d’électricité nécessaire pour alimenter tous ces VE ? Si demain, d’un coup de baguette magique, tous les VMT étaient remplacés par des VE, pour accomplir le même service de mobilité (13000 km/an par véhicule plus déplacement du Fret routier), un calcul grossier montre qu’il faudrait augmenter la production électrique d’environ 30%, soit un ordre de grandeur d’environ 160 Twh supplémentaires.

En effet, la France consomme 50 Millions de M3 de carburants routiers annuellement, soit 50 milliards de litres, soit environ 490 TWh pour déplacer passagers et fret. En tenant compte du meilleur rendement à la roue du système électrique d’un facteur 3, 160 TWh de besoin en alimentation des VE sont nécessaires si on remplace tout le parc. La France a produit 550 TWh d’électricité en 2018, il faudrait donc passer cette production à 710 TWh toutes choses égales par ailleurs.

Bien sûr, en 2040, il restera encore beaucoup de VMT en service, donc le besoin en TWh électriques supplémentaires ne sera pas aussi élevé. Par contre, la demande de déplacement, elle, risque d’augmenter, simplement du fait de l’augmentation de la population. En tout état de cause, une augmentation importante de la production électrique sera nécessaire.

Or, nos gouvernants ne veulent pas AUGMENTER mais DIMINUER notre production d’énergie et parlent de ne pas renouveler notre parc nucléaire, et en tout cas de ramener à 50% sa part dans notre mix énergétique, pour laisser 30% de la production à des énergies renouvelables intermittentes ! Et bien sûr, si le besoin d’électricité se manifeste de nuit, il ne faudra pas compter sur le solaire pour y répondre.

Quant à l’éolien, et bien… en cas d’absence de vent, absence pas si rare la nuit, il faudra des centrales (fossiles, puisque le nucléaire sera réduit !) pour assurer le back up… Ou des batteries ! Mais les insuffisances de ces technologies, déjà criantes pour propulser des véhicules, le seraient encore plus pour stocker des gigawatts.heure de production en heures ventées et les restituer dans de bonnes conditions en période de faibles vents. L’impasse technologique est criante.

Il y a donc contradiction, voire incohérence, entre plusieurs décisions récemment inscrites ou en voie d’inscription dans la loi française. Dans ces conditions, on ne voit pas comment l’approvisionnement nécessaire pour alimenter un parc de VE pourrait par miracle être assuré d’ici à 2040.

Les progrès technologiques peuvent ils résoudre les problèmes du véhicule électrique d’ici à 2040 ?

 Améliorations “incrémentales” ou innovations de rupture ?

La question qui se pose est : “peut-on faire progresser les technologies des batteries pour combler ses handicaps actuels, et si possible d’ici l’échéance de 2040 fixée par le législateur ?”

La réponse est “probablement non”. Cela ne veut pas dire que c’est impossible, mais en 2040, cela paraît improbable. Cela ne sera possible que si une “rupture technologique” se produit. Mais par nature, les ruptures technologiques sont imprévisibles.

Ainsi, l’invention du moteur à explosion à la fin du XIXe siècle constitue indubitablement une rupture technologique. Mais elle était difficilement prévisible avant 1870, époque à laquelle les politiciens se demandaient comment gérer le volume de déjections chevalines en hausse exponentielle dans nos villes. Et son adoption ne s’est pas faite en un jour : entre son invention (brevetée par Otto en 1876) et son utilisation, d’abord en  machinerie agricole, puis en automobile, plus de 15 ans seront nécessaires. Mais les conséquences de cette invention furent à long terme incalculables, et ont abouti à une forme de développement sociétal qu’aucun politicien n’était en mesure de prédire.

Tout ça pour dire qu’on sait imaginer, à défaut de prévoir finement, ce que sera le monde en améliorant de façon “incrémentale” les technologies existantes, mais qu’il est impossible de prévoir une rupture technologique, et donc de baser une politique sur un tel espoir.

Quel rythme d’amélioration pour les batteries Li/ion ?

Contrairement à ce qu’on croit, la batterie n’est plus une industrie jeune, elle a 200 ans, les premiers prototypes de batteries lithium/ion ont été testés dans les années 70, et moins d’une dizaine de famille de batteries, parmi les centaines qui ont été testées, sont parvenues au stade industriel, et encore, elles n’ont pas toutes été des succès commerciaux.

Et une chose est sûre après tout ce temps, il n’y a pas dans le domaine des batteries une “loi de Moore” (source) permettant de rêver à un accroissement des performances aussi rapide que celui des microprocesseurs par simple évolution incrémentale de la technologie.
Avant l’apparition des batteries Li/Ion, l’amélioration de la densité énergétique des batteries d’ancienne génération plafonnait à 3% an.

Depuis que le Li-Ion est passé au stade industriel en 1990, le gain de capacité moyen a été de l’ordre de 5% par an, soit une multiplication par 3,5 en 25 ans, avec un ralentissement de l’amélioration depuis 2010 (cf graphe ci-dessous, source).

voiture électrique

 

5% annuels équivalent à un doublement des capacités tous les 14 ans. C’est bien, mais en supposant que l’on puisse continuer au même rythme, cela amènerait nos batteries autour de 1,6 MJ/kg en 2040. Cela reste toujours 28 fois moins dense qu’un carburant fossile. Un tel progrès serait honorable, mais pas suffisant pour gommer tous les handicaps du VE.

Evolution des coûts de la technologie Li/ion

Il est difficile de prédire l’évolution des coûts des batteries, mais selon divers analystes agrégés par Bloomberg (source), un coût d’objectif de l’ordre de 62$ (55€) par kwh d’ici 2030 constitue une projection réaliste, soit en gros 4 fois moins qu’aujourd’hui. Une batterie de 80 Kwh (le double de l’actuelle zoe), procurant une autonomie “suffisante” (toutes question de temps de recharge mise à part) pourrait donc s’établir aux alentours de 4400 Euros HT, plus ou moins la moitié du prix actuel. La situation serait donc meilleure qu’aujourd’hui, mais très loin d’être compétitive face aux moteurs thermiques, si ceux ci étaient autorisés à continuer leurs progrès, comme nous le verrons plus loin.

Développements nouveaux : loin de la maturité

Les technologies améliorant “incrémentalement” les batteries existantes sont bien en cours de R&D, mais aucun miracle n’est à espérer d’ici 2040. Aucune technologie existante ou en phase de recherche initiale de laboratoire ne paraît réalistement en mesure de supplanter les avantages des carburants fossiles d’ici 20 ans. Fred Schachter, du Lawrence Berkeley laboratory, explique (lien) que l’optimisme qui prévalait dans le secteur au début du siècle a disparu au début de la présente décennie, lorsque de nombreuses filières de recherche se sont révélées moins prometteuses qu’initialement prévu.

Les lois de la physique et de la chimie limitent la densité théorique énergétiques des batteries Li/ion autour de 2 MJ/kg, soit 4 fois leur densité énergétique actuelle. Mais on est encore loin de savoir comment rapprocher la densité réelle de ces batteries de leur maximum théorique.

Remplacer le lithium (ou d’autres matériaux actuellement utilisés tels que le cobalt) par d’autres matériaux est envisagé, mais le lithium est déjà un des éléments les plus légers de la table périodique des éléments : les essais réalisés aboutissent souvent à des batteries plus lourdes. D’autres chercheurs ont développé des concepts théoriques recourant à d’autres principes, à base par exemple de Zinc, de silicium, ou encore d’électrolytes dits “solides” à base de gels polymères, ou de super-capaciteurs. Là encore, la densité théorique pourrait avoisiner les 5 MJ/kg, mais en pratique, les premières déclinaisons, si elles voient le jour, se situeront plutôt autour de 1MJ/kg, soit en gros le double des actuelles Li/ion.

Et personne ne sait à ce jour comment passer du modèle théorique au modèle physique, et a fortiori industriel, pour aucune de ces “super technologies”.

À la recherche de la batterie idéale

Mais au fait, quel serait le cahier des charges d’une batterie idéale ? La densité énergétique, indispensable pour que la batterie soit compacte et légère, n’est pas le seul critère important.

  • Il faudrait aussi qu’elle puisse se recharger vite sans perdre en performances, être tolérante à la surcharge, qu’elle puisse délivrer son énergie lentement ou rapidement,
  • Qu’elle garde une performance quasi constante à chaque cycle de recharge, qu’elle fonctionne par grand froid, par grande chaleur, qu’elle soit facile à refroidir, ne s’enflamme pas, n’explose pas, qu’elle ne s’use pas quand la voiture ne tourne pas,
  • Qu’elle tolère le niveau de vibrations ou de chocs rencontré dans une voiture, qu’un accident ne risque pas de provoquer de pollution toxique,
  • Que son processus de fabrication soit “écologiquement soutenable”, utilise peu d’énergie sur tout son cycle de fabrication et de recyclage, et ne nécessite aucune maintenance…
  • Et que tout ça soit possible à un coût de production raisonnable, donc sans utiliser de matériaux ultra rares ou très difficiles à usiner.

Et bien à ce jour, aucune technologie de batterie ni existante, ni en laboratoire, ne répond à toutes ces qualités.

En fait, une batterie peut avoir certaines qualités ci-dessus mais pas toutes. Par exemple (cf diagramme ci-dessous), si vous créez une batterie capable de stocker “beaucoup” d’énergie, il y a des chances pour qu’elle ne soit pas capable de la libérer rapidement.

 

Et plus un concept de batterie se rapproche d’un compromis opérationnellement utilisable, et plus elle coûte cher, ou obtient sur un seul point clé une note disqualifiante (par exemple: la faisabilité industrielle, l’écologie des process de fabrication, ou la stabilité au feu). On est donc encore très loin d’imaginer quelle génération industrialisable succèdera à l’actuelle génération Lithium/ion.

Le rêve médiatique de la “batterie miracle”

Gardons à l’esprit qu’entre leur premier test en laboratoire (vers 1975, en Angleterre) et leur commercialisation initiale (1990 par Sony), les batteries Lithium Ion ont demandé 15 années de recherche et développement à différents stades. Pour espérer qu’une technologie “miracle” soit industrialisable vers 2040, il faudrait qu’elle apparaisse tout prochainement en laboratoire. Sachant qu’il peut s’écouler plusieurs années entre de telles avancées et leur passage sous le radar des médias, il est impossible d’affirmer qu’aucune découverte de ce type n’est en cours. Mais rien pour l’instant, ne laisse supposer le contraire !

Régulièrement, sur internet, on annonce que des chercheurs ont trouvé un matériau miracle permettant de créer des batteries révolutionnaires. Mais comme l’a dit le professeur Jud Virden, directeur d’un laboratoire en pointe dans le recherche sur les batteries, lors d’un témoignage devant le congrès US en mai 2015 (lien) :

On lit régulièrement des communiqués de presse à propos de nouveaux matériaux permettant de créer des anodes 5 fois meilleures que ce qui existe, et qui le sont effectivement, mais dès que vous associez ce matériau à un électrolyte et une cathode, que vous assemblez le tout et essayez de le réaliser à une plus grande échelle, plein de choses ne fonctionnent pas. Les matériaux se dégradent, la chimie n’est pas maîtrisée, il y a des réactions collatérales, et toute ceci aboutit à des performances ou à une sécurité dégradée. Et en tant que scientifiques en recherche fondamentale, nous n’en comprenons pas (encore) les mécanismes…. Et nous sous estimons le défi que représente la montée en échelle … Souvent une expérience de laboratoire fonctionne superbement, et lorsque vous voulez la démultiplier par milliers, ça ne fonctionne plus.

Bref, attention aux effets de surmédiatisation de découvertes de laboratoire ! Du laboratoire à l’industrialisation, la route est semée d’embûches.

Déverser plus d’argent sur la filière “batteries” ne provoquera pas de miracle

Actuellement, les géants de la cellule de batterie, à savoir Samsung, Panasonic et LG, investissent surtout dans l’amélioration incrémentale de leurs batteries existantes Li/ion plutôt que dans des nouvelles filières. Même Tesla, qui assemble des cellules produites par les 3 précités, mais ne développe pas lui-même de cellule, poursuit cette voie conservatrice. Pourquoi ? Parce qu’aucune “filière gagnante” promettant de dépasser l’ère du Li/ion n’a émergé, et que parier sur 15 ans de R&D sans garantie de succès leur paraît moins prometteur que d’améliorer ce qui existe déjà… D’autant plus que l’existant est lourdement subventionné !

Une étude de 2016 sur plus de 4 milliards investis dans des startups nord-américaines du secteur (source) a montré qu’en moyenne, celles-ci avaient disposé de 40 millions sur 8 ans, alors que Tesla est prêt à mettre 5 milliards sur la table dans sa gigafactory de batteries “conventionnelles”. A l’évidence, ces sommes ne sont pas suffisantes pour passer de l’étape “matériau d’anode prometteur” à celle du “prototype de batterie candidat à l’industrialisation”. Et apparemment, pas une de ces filières alternatives n’a su à ce jour convaincre un plus gros acteur du secteur de s’associer à leur aventure.

Les fausses bonnes idées : le chargement par remplacement du pack de batteries

Pour l’utilisateur de VE, la moindre autonomie ne serait pas un gros problème si la recharge pouvait être rapide, d’où l’idée un temps imaginée par certains constructeurs, de disposer de packs de batteries préchargés en station-service, qui seraient changés à la demande et rechargés “au calme” par le fournisseur.

Malheureusement, cette idée séduisante sur le papier se heurte rapidement à des considérations pratiques et logistiques complexes, et donc à des questions de coût prohibitif.

Tout d’abord, il faudrait que les packs de batteries soient relativement standardisés, ainsi que leur emplacement sur le véhicule (ou en remorque), afin que la station service n’ait pas un trop grand nombre de références à stocker. Malgré tout, elles devront bénéficier de volumes de stockage importants. D’autre part, l’efficacité économique de ces stations supposent qu’elles puissent faire tourner leur stock de batterie très rapidement. Cela suppose donc de pouvoir recharger à très haut débit à toute heure de la journée, y compris aux heures où l’électricité sera la plus chère.

Mais qui dit recharge rapide et fréquente des batteries dit aussi dégradation plus rapide de leurs performances. Aussi l’automobiliste ne saurait pas s’il reçoit un pack neuf avec sa pleine capacité de charge, ou un pack usagé lui prodiguant une moindre autonomie réelle. Enfin, lors des jours de grands départs en vacances, le système serait certainement soit saturé, soit sous-approvisionné. Bref, il y a encore beaucoup d’inconnues sur la faisabilité réelle de ce modèle, tant technique qu’économique.

En 2012, D. Hillebrand, directeur du département énergie d’un grand laboratoire national US, affirmait (source) qu’en l’état, les les batteries étaient 20 fois trop chères pour qu’un business d’échanges de batteries soit viable. Depuis, le prix des batteries a été divisé par à peu près 3, et une nouvelle division par 4 est attendue d’ici 2030. Elles seraient donc dans dix ans encore près de 2x plus chères qu’il ne le faudrait pour permettre des business models rentables sans subventions. L’affirmation de M. Hillebrand a été confortée en 2013 par l’échec massif de ce modèle expérimenté par Renault sur le marché Israélien.

L’hydrogène : pas le miracle attendu

Et l’hydrogène ? En théorie, sa densité énergétique au poids est 3 fois supérieure à celle du fuel (source). Alors, est-ce l’énergie idéale ? Non ! Si la densité par rapport au poids est bonne, la densité au volume est désastreuse, car l’hydrogène est un gaz !

Même compressé à 700 bars, la densité énergétique “volumique” de l’hydrogène est 6 fois inférieure à celle du fuel. Et la production de l’hydrogène est-elle même assez gourmande en énergie. Et la liste des caractéristiques des groupes motopropulseurs à hydrogène est encore loin de répondre positivement à tous les critères du cahier des charges décrit plus haut pour les batteries “idéales”, à commencer par leur coût actuellement prohibitif. Le potentiel de l’hydrogène ne doit pas être minimisé, mais y déceler la filière dominante en 2040 est prématuré.

L’interdiction législative du véhicule à moteur thermique, pire façon d’orienter les développements futurs ?

“On ne décrète pas le progrès !” – Mais on peut l’arrêter.

Certains imaginent que si le gouvernement interdit le véhicule à moteur thermique en 2040, cela va stimuler la recherche sur le VE et accélérer le progrès. Cependant, nous avons vu qu’aucune solution réellement performante et fiable n’avait émergé en laboratoire pour combler le handicap des batteries par rapport aux carburants fossiles, et que lorsque cette solution apparaîtra, ce qui ne peut être prédit, 15 années pourraient s’avérer nécessaires pour passer de l’expérimentation de laboratoire à petite échelle à la production de masse.
Même en jetant des tombereaux d’argent public sur la recherche dans ce domaine, vous ne pouvez pas décréter à quel moment les résultats de ces recherches donneront satisfaction.

Par contre, nous pouvons être certains que si un nombre significatif de grands pays suivaient la France dans l’interdiction du moteur thermique, alors tous les efforts pour améliorer cette technologie “historique” s’arrêteraient rapidement, puisque non amortissables dans la durée. Or il serait dommage de ne plus améliorer le moteur thermique, pour lequel des pistes prometteuses existent, ayant dépassé le stade du laboratoire et souvent en cours de test (comme l’allumage par micro-ondes au lieu des bougies). Ces évolutions pourraient permettre de réduire les consommations de 10 à 30% d’ici à 2040, ce qui n’a rien de négligeable, tout en réduisant considérablement les pollutions collatérales (SO2, NOx, etc). Cette amélioration bénéficierait non seulement aux véhicules thermiques mais aussi aux véhicules hybrides, qui exercent un pouvoir d’attraction croissant sur les consommateurs, mais qui seront eux aussi touchés par l’interdiction en 2040.

Donc, d’ici 2040, soit un miracle se produit, ce qui veut dire qu’un génie ou un chanceux trouve la technologie salvatrice permettant de se rapprocher suffisamment de la densité énergétique du carburant-pétrole dans moins de 10 ans, et que l’industrie peut passer également en moins de 10 ans au stade industriel à prix accessible. Mais s’il ne se produit pas, ce qui semble assez probable, alors le gouvernement nous aura plongé dans une impasse technologique.

Peut-on jouer l’avenir de notre mobilité sur une conjecture aussi aléatoire ?

Et si on laissait faire les entreprises du secteur automobile pour ne pas risquer de les couler ?

“Mais le gouvernement ne devrait-il pas agir tout de même pour hâter le progrès dans la bonne direction ?”, demande-t-on souvent.

La réponse est négative. Rappelons d’abord qu’en matière d’incitations, le passé des gouvernements ne plaide pas en leur faveur. C’est le gouvernement qui, pendant 50 ans, a sur-favorisé fiscalement le diesel, avant de retourner sa veste brutalement depuis 3 ans et de décréter (sur la base d’arguments scientifiquement très contestables) que ce mode de propulsion était quasi diabolique. Qui peut être certain que de telles erreurs ne sont pas à nouveau commises en voulant favoriser le VE, dont la technologie est encore si manifestement immature ? Le CEO du groupe PSA, Carlos Tavares, a d’ailleurs osé poser publiquement la question.

Même sans diktat gouvernemental, il y a de toute façon une demande forte pour aller vers des moteurs plus sobres et moins polluants. Dans un marché libre, les constructeurs feraient ce qu’ils ont toujours fait, c’est à dire mixer l’amélioration du moteur thermique et le recours accru à l’hybridation au fur et à mesure que la technologie avance.

Cela conduirait à une amélioration continue de l’efficacité énergétique du parc automobile, et à une amélioration conjointe des résultats en termes d’émissions, dans le droit fil des améliorations de la technologie thermique qui se sont produites depuis 50 ans et plus. Permettre aux constructeurs d’améliorer leurs modèles hybrides en attendant les avancées qui permettront de passer au tout électrique, mais qui prendront “le temps qu’il faudra”, est la meilleure options actuellement disponible, selon de nombreux chercheurs (Exemple : FredSchlachter, déjà cité).

Au contraire, si trop de pays importants stoppent législativement l’incitation à améliorer le thermique, alors tous les modèles vendus dans le monde d’ici son bannissement progresseront nettement moins par rapport aux niveaux actuel.

Comment réagiront les consommateurs ? Et les gouvernements ?

L’acheteur traversera donc une période où il n’aura pas de VE assurant un service de mobilité convenable à prix correct à disposition, mais où il saura qu’il aura de plus en plus de mal à revendre un véhicule thermique.

Comment réagira-t-il ? Eh bien, en augmentant la durée de vie des véhicules achetés récemment et prochainement. Plus la date fatidique de 2040 approchera, et moins les acheteurs ne voudront prendre le risque d’investir dans un véhicule à moteur thermique, sans se décider à franchir le pas de l’électrique. Il est donc raisonnable de penser que les ventes de véhicules neufs baisseront, ce qui serait mauvais pour l’emploi dans une filière pourtant majeure de l’économie Française.

De plus, la qualité moyenne du parc automobile s’en trouverait dégradée, au détriment de… La pollution ! Une fois encore, une décision gouvernementale prise sous la pression de considérations émotionnelles, plutôt que rationnelles, pourrait aboutir à l’effet inverse de celui officiellement recherché. Et si le gouvernement tentait de contrer cette tendance en renforçant la sévérité des contrôles techniques afin de retirer plus tôt de la circulation les véhicule à moteur thermique anciens, il porterait un coup très dur contre la mobilité notamment des classes les plus modestes, et nous venons de voir qu’attenter à cette mobilité pouvait se révéler politiquement très risqué. Et sans mobilité, aucune prospérité n’est possible.

Bien sûr, le gouvernement pourrait aussi tenter d’orienter plus encore les acheteurs vers le VE en multipliant les subventions et avantages fiscaux. Mais outre que ses finances déjà fortement déficitaires rendraient l’opération délicate, une fois de plus, nous nous retrouverions à financer des choix détruisant plus de valeur qu’ils n’en créent, et tôt où tard, l’accumulation de ces mauvais investissements nous précipitera vers la ruine.

Il est probable que de nombreux pays ne suivent pas la France dans sa volonté de dicter par oukase ce que doit être la technologie de demain. Dans ce cas, la disponibilité de véhicules améliorés resterait garantie, car il y aurait suffisamment de marchés acheteurs, mais les acteurs français du secteur subiraient un désavantage compétitif patent. Espérons qu’un prochain gouvernement, si l’impasse technologique se confirme, en prendra rapidement la mesure et reviendra à des orientations moins autoritaires, et laissera les entreprises trouver les meilleures solutions en fonction des avancées technologiques et non des agendas politiciens.


Quelques références :

American physical society : Has the Battery Bubble burst ?

Bulletin of atomic scientists : The limits of energy storage technology

MIT:  Pourquoi n’avons nous toujours pas de meilleures batteries ?

The Battery University : site de vulgarisation de référence sur les batteries

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