Lettre adressée par la Fédération Environnement Durable aux membres de la commission mixte paritaire

La lettre qui suit a été adressée aux 14 députés et sénateurs membres de la commission mixte paritaire [1] par Jean-Louis Butré Président de la Fédération Environnement Durable, et Elisabeth Panthou Renard.

Elle proteste contre les dispositions introduites dans le projet de loi « pour un Etat au service d’une société de confiance », au moment même où le projet de décret Lecornu supprime le double degré de juridiction pour les éoliennes industrielles terrestres, à savoir :

  • raccourcir à deux mois le délai de recours contre les décisions environnementales ICPE,
  • instaurer au bénéfice des seules associations agréées par l’Etat lui-même une présomption d’action en justice conforme à leurs intérêts légitimes, écartant par là même subrepticement une telle présomption au bénéfice des autres associations à but de défense et de protection de l’environnement.

Paris le 31 mars 2018

à Mesdames, Messieurs les membres les députés et sénateurs de la commission mixte paritaire.

Objet : articles sur les Installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) introduits par le Sénat dans le projet de loi pour un Etat au service d’une société de confiance

Mesdames, Messieurs,

Aux termes de la convention d’Aarhus ratifiée par la France le 8 juillet 2002, toute personne a droit d’être informée, de s’impliquer dans les décisions et d’exercer des recours en matière d’environnement.
Dans le Portail national de l’information environnementale du ministère de la transition écologique et solidaire, lui-même, est avancé que « ce texte essentiel contribue à créer la confiance du citoyen envers les institutions et plus largement, leur fonctionnement démocratique.»
« En offrant au citoyen une place dans les débats environnementaux, elle (la convention) rencontre les exigences de transparence et de proximité synonymes de bonne gouvernance publique » rappelle ce Portail.

C’est donc avec une vraie colère que nous constatons que, alors que par ailleurs un projet de décret Lecornu supprime le double degré de juridiction pour les éoliennes industrielles terrestres, le Sénat entend,

– à l’article 35 bis (nouveau) du projet de loi « pour un Etat au service d’une société de confiance », cantonner à deux mois le délai de recours contre les décisions environnementales ICPE

– à l’article 35 ter, complétant la « petite loi » issue des travaux de l’Assemblée Nationale, instaurer au bénéfice des seules associations agréées par l’Etat lui-même en cas de demande des industriels de dommages-intérêts pour recours abusif contre ces décisions étatiques, une présomption d’action en justice conforme à leurs intérêts légitimes, écartant par là même subrepticement une telle présomption au bénéfice des autres associations à but de défense et de protection de l’environnement pourtant sincères et efficaces.

Le projet de loi par ailleurs substitue dans de nombreux cas à l’enquête publique une simple mise à disposition du public par voie informatique ou encore supprime en faveur des promoteurs l’obligation générale de recourir à une évaluation environnementale en cas d’extension d’ICPE (article 35) ; ainsi en cas de repowering des centrales électriques éoliennes.
Ces réformes, si elles devaient être entérinées par votre Commission Mixte Paritaire, soulèveraient de graves questions juridiques, tant au regard de la démocratie environnementale qu’au regard des intérêts environnementaux protégés.
Elles viendraient en violation notamment de:

I- l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme puisque supprimant purement et simplement dans les faits l’accès au juge pour les victimes des inconvénients et dangers provoqués par le fonctionnement des éoliennes industrielles : jamais en effet un parc éolien n’est susceptible d’être mis en exploitation dans le délai de deux mois de la publication de l’autorisation d’exploiter ; les riverains méconnaissent les dommages encourus avant qu’ils ne puissent les constater. En instaurant une forclusion après deux mois, avant toute mise en fonctionnement de l’installation en cause, l’article 35 bis (nouveau) vient en violation du principe conventionnel selon lequel toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par la justice.

Il serait conforme aux obligations édictées par la convention d’Aarhus, la convention européenne des Droits de l’Homme comme aux principes constitutionnels français que votre commission mixte paritaire supprime dans le présent domaine environnemental cet alignement des délais de recours sur le droit de l’urbanisme

II- du principe de non régression du droit de l’environnement puisqu’elles suppriment toute possibilité de sanction par le juge du principe de protection des intérêts environnementaux légalement reconnus, à savoir la commodité du voisinage, la santé, la sécurité, la salubrité publique, l’agriculture, la nature, l’environnement et les paysages, l’utilisation rationnelle de l’énergie, la conservation des sites et des monuments ainsi que les éléments du patrimoine archéologique.

Concernant les éoliennes industrielles, ces machines actives de plus de 180 mètres désormais, portent, du fait des conditions présentes de développement de la filière avec notamment le droit reconnu d’une implantation à 500 mètres des habitations et la réalisation des études d’impact environnementales par les cabinets d’études choisis et rémunérés par les promoteurs, atteinte au droit de chacun à un environnement sain du fait du bruit constant qu’elles génèrent, de leur effets stroboscopiques, de leurs clignotements lumineux, de leur domination du cadre de vie des riverains. L’atteinte à la sécurité, notamment du fait de la proximité de routes et chemins et la banalisation de paysages magnifiques ne sont pas par ailleurs les moindres maux.

III- de l’objectif même du projet de loi, à savoir l’instauration d’un Etat au service d’une société de confiance.

Ce double discours que ces projets de réforme démontrent est révoltant en ce qu’il dissimule la négation des droits légitimes des riverains.

Cela bien que la production de l’électricité éolienne soit aléatoire et le plus souvent inadéquate puisque surabondante quand la production d’électricité est par ailleurs suffisante ou dans le cas contraire, dérisoire.

Cela bien que la production d’électricité éolienne soit coûteuse pour le consommateur final d’électricité et le contribuable, cette industrie étant sous perfusion des deniers publics alors qu’elle est écologiquement inefficace dans un pays comme la France dont la production d’électricité est majoritairement décarbonnée.

Cela bien que l’industrialisation éolienne détruise la cohésion sociale des territoires ruraux, leur économie touristique, dévalorise leur patrimoine naturel et bâti, écrase et banalise leurs paysages, leur environnement.

La précipitation en l’espèce dans l’allègement des procédures, la volonté de porter atteinte au droit des associations environnementales, font perdre aux porteurs d’un projet de loi pour une société de confiance toute vision des objectifs poursuivis. Elles les rendent complices d’atteintes des plus graves aux principes généraux du droit.

Nous vous prions d’agréer, Mesdames, Messieurs les membres de la Commission Mixte Paritaire, nos très sincères salutations,

Jean-Louis BUTRÉ
Président de la Fédération Environnement Durable.
Elisabeth PANTHOU RENARD

Copies par lettre recommandée avec A/R à :
Monsieur Emmanuel Macron, président de la République
Monsieur Nicolas Hulot, ministre de la transition Ecologique et Solidaire
Monsieur Sébastien Lecornu, secrétaire d’Etat du Ministère de la Transition écologique et solidaire


 

[1] La commission mixte paritaire (CMP) est une commission composée de sept députés et sept sénateurs pouvant être réunie à l’initiative du Premier ministre, ou depuis 2008 à celle des présidents des deux assemblées conjointement pour les propositions de lois, en cas de désaccord persistant entre les assemblées sur un projet ou une proposition de loi. Elle a pour mission d’aboutir à la conciliation des deux assemblées sur un texte commun.

 

Partager