« Les batteries et la sécurisation de la transition énergétique », un rapport inepte de l’AIE

Par Francis Menton, article publié par Manhattan Contrarian le 27 avril 2024.

Traduit de l’anglais par Camille Veyres


Dans mon rôle autoproclamé de critique de divers projets de transformation totale du système énergétique mondial, j’ai l’occasion d’examiner un grand nombre de travaux médiocres, bâclés et incompétents.

Lorsque des personnes se lancent dans la défense de cette « transition énergétique », les étoiles s’alignent régulièrement pour produire les plus extrêmes niveaux d’ineptie. Commençons par le fait que les personnes les plus « intelligentes » sont pleines d’arrogance et d’orgueil, mais ne sont en fait pas très intelligentes. Ajoutez que de nombreux étudiants en science politique et en littérature, incapables de calculer, ont afflué dans un domaine qui réclame des calculs d’ingénieur. Ajoutez encore  que la pensée de groupe et la contrainte de se conformer à l’orthodoxie interdisent de signaler  des erreurs évidentes. Enfin ajoutez une forte dose de zèle religieux qui empêche l’intrusion de tout ce qui ressemble à une pensée critique. En somme, il y a tout ce qu’il faut pour produire une catastrophe.

Mais dans un domaine qui regorge de travaux mauvais, pires, plus que pires et même dangereusement incompétents, je ne sais pas si j’ai jamais vu quelque chose d’aussi scandaleusement inepte que le rapport qui vient d’être publié par l’Agence internationale de l’énergie sous le titre « Les batteries et la sécurisation de la transition énergétique ». La date du rapport est « avril 2024 », mais le communiqué de presse n’a été publié qu’il y a deux jours, le 25 avril.

Si les Nord-Coréens m’avaient confié la mission de rédiger ce rapport pour inciter l’Occident à s’autodétruire, je ne m’y serais sans doute pas pris autrement.

Connaissez-vous l’Agence internationale de l’énergie ? Elle ne fait pas partie des Nations Unies, mais constitue plutôt un consortium distinct regroupant actuellement plus de 40 pays, pour la plupart occidentaux et riches, fondé à la suite des chocs pétroliers des années 1970 dans le but, à l’époque, de promouvoir la sécurité énergétique. Il est basé, bien sûr, à Paris. Son directeur actuel (depuis 2015) s’appelle Fatih Barol.

À un moment donné, l’AIE a complètement perdu de vue sa mission de sécurité énergétique et s’est transformée en un propagandiste inconditionnel de la transition vers l’énergie verte. Voilà où elle en est aujourd’hui.

Je ne sais pas combien de personnes travaillent à l’AIE, mais il semble que la plupart d’entre elles aient participé à la rédaction de ce rapport. À la page 5, on trouve une liste de quelque 35 « directeurs », « auteurs pilotes » [lead authors] et « auteurs principaux »  employés de l’AIE, plus quatre autres qui ont apporté leur « soutien », puis, aux pages 6 à 8, quelque 89 personnes désignées comme « représentants gouvernementaux de haut niveau et experts internationaux extérieurs à l’AIE » qui ont, d’une manière ou d’une autre, «contribué à la rédaction ». Au vu du contenu du rapport, on peut se demander si l’une de ces personnes n’a jamais appris l’arithmétique du niveau de la sixième année de l’école primaire, ou si l’une d’entre elles a lu l’un des travaux importants dans ce domaine.

La thèse du rapport est que les batteries, et en particulier les batteries lithium-ion, sont la clé de la transition énergétique qui arrive et qu’elles doivent être développées massivement et immédiatement, quel que soit le montant des subventions et des financements venus des gouvernements. Voici quelques citations tirées du communiqué de presse :

Après que leur déploiement dans le secteur de la fourniture d’énergie électrique a plus que doublé l’année dernière, les batteries doivent permettre de multiplier par six le stockage de l’énergie au niveau mondial pour que la planète puisse atteindre les objectifs fixés pour 2030. … Dans la première analyse complète de l’ensemble de l’écosystème des batteries, le rapport spécial de l’AIE sur Les batteries et la sécurisation de la transition énergétique définit le rôle que les batteries peuvent jouer en liaison avec les énergies renouvelables pour en faire une alternative compétitive, sûre et durable à la production d’électricité à partir de combustibles fossiles. . . . Le directeur exécutif de l’AIE, Fatih Birol, a déclaré : « Les batteries serviront de base dans les deux domaines, jouant un rôle inestimable pour  l’augmentation des énergies renouvelables et pour  l’électrification des transports, tout en fournissant une énergie sûre et durable aux entreprises et aux ménages. »

Je suppose qu’il serait excessif de ma part d’attendre de ces grands pontes qu’ils aient lu mon rapport sur le stockage de l’énergie, publié par la Global Warming Policy Foundation en décembre 2022.  Mais si vous prétendez avoir à portée de main une « alternative compétitive, sûre et durable à la production d’électricité à partir de combustibles fossiles », comme l’assurent ces gens, il y a une série de questions très évidentes qui doivent être abordées, notamment les suivantes :

– Quantitativement, quelle quantité d’énergie stockée en wattheure (ou en gigawattheure) sera nécessaire pour assurer la fourniture  d’électricité à un réseau électrique national quand tout recours aux combustibles fossiles aura été banni et que le stockage sera devenu le seul recours pour les périodes où les générateurs intermittents  ne pourront pas répondre à la totalité de la demande ?

  • Quel sera le coût de ce stockage ?
  • Quelle est la durée maximale pendant laquelle l’énergie doit être stockée avant d’être utilisée, et la technologie de stockage proposée est-elle capable de stocker l’énergie pendant cette durée ?

Il existe d’autres questions tout aussi importantes, mais au moins celles-là sont absolument essentielles. Le rapport de l’AIE n’aborde aucune de ces questions.

Au lieu de cela, nous avons droit à d’interminables discours sur les merveilles de la technologie des batteries lithium-ion, sur la baisse rapide des coûts, sur l’essor des déploiements et sur l’utopie (c’est-à-dire la réalisation des objectifs de réduction des émissions de la COP 28 de l’ONU) qui se profile à l’horizon si nous accélérons le processus grâce à un « soutien » massif des pouvoirs publics. Le rapport complet compte 159 pages (avec les annexes et les références), et je ne peux donc vous en donner qu’un petit aperçu. Mais voici quelques citations extraites du résumé :

– Page 11 : « Les batteries sont aujourd’hui un élément essentiel du système énergétique mondial et la technologie énergétique qui connaît la croissance la plus rapide sur le marché. Le stockage par batterie dans le secteur de l’électricité était en 2023 la technologie énergétique à la croissance la plus rapide disponible sur le marché, avec des mises en service  qui ont plus que doublé d’une année sur l’autre. »

– Toujours à la page 11 : « Les batteries lithium-ion dominent l’utilisation des batteries en raison des récentes réductions de coûts et d’améliorations des performances. Les batteries lithium-ion ont surpassé les autres solutions au cours de la dernière décennie, grâce à des réductions de coûts de 90 % depuis 2010, à des densités d’énergie plus élevées et à des durées de vie plus longues. »

– Page 12 : « Le soutien politique a stimulé le déploiement des batteries sur de nombreux marchés, mais la chaîne d’approvisionnement des batteries est très concentrée. Les gouvernements soutiennent fortement le déploiement des véhicules électriques et les subventions au stockage par batteries élargissent les marchés des batteries dans le monde entier. » (Pour les lecteurs obtus, l’expression « soutien politique » est synonyme de vastes subventions et de cadeaux).

– Toujours à la page 12 : « Les batteries sont essentielles à la transition vers l’abandon des combustibles fossiles et accélèrent le rythme de l’efficacité énergétique grâce à l’électrification et à une plus grande utilisation des énergies renouvelables dans la production d’électricité ».

– Toujours à la page 12 : « Pour tripler la capacité mondiale de production d’énergie renouvelable d’ici à 2030 tout en maintenant la sécurité de l’électricité, le stockage de l’énergie doit être multiplié par six. Pour faciliter l’adoption rapide des nouvelles énergies solaires photovoltaïques et éoliennes, la capacité mondiale de stockage de l’énergie passe à 1 500 GW d’ici à 2030 dans le scénario NZE, ce qui répond à l’objectif de l’accord de Paris de limiter l’augmentation de la température moyenne mondiale à 1,5 °C ou moins en 2100. Le stockage par batterie représente 90 % de cette croissance, multipliée par 14 pour atteindre 1 200 GW d’ici à 2030 ».

Regardez le dernier alinéa. Oui, ils sont tellement stupides qu’ils parlent de capacité de stockage de l’énergie en GW plutôt qu’en GWh. Comment ont-ils pu affirmer que pour atteindre leurs objectifs, « le stockage de l’énergie doit être multiplié par six » alors qu’ils ne connaissent même pas les bonnes unités pour faire les calculs ? Vous ne trouverez pas de réponse dans ce rapport. Dans mon propre rapport sur le stockage de l’énergie, j’ai calculé que pour parvenir à un secteur de l’électricité à zéro émission qui pourrait passer une année sans recourir aux combustibles fossiles, il faudrait multiplier le stockage de l’énergie par environ 10 000. J’ai utilisé les unités correctes et j’ai montré comment faire ces calculs.

Et que dire de la question de la durée pendant laquelle l’énergie doit rester stockée pour soutenir un réseau alimenté par l’énergie éolienne ou solaire, et de la question de savoir si la technologie proposée est à la hauteur de la tâche ? Dans mon propre rapport, qui n’envisageait que des scénarios permettant de passer une année, j’ai montré qu’une grande partie de l’énergie stockée devrait être conservée pendant 6 à 12 mois avant d’être utilisée. Dans un autre billet du 28 septembre 2023, j’ai parlé d’un nouveau rapport publié par la Royal Society du Royaume-Uni (que j’ai qualifiée de « semi-compétente »), qui s’appuie sur 37 années de données. Sur la base de ces 37 années de données, le rapport concluait que ce sont des centaines d’heures à la puissance maximale du réseau qui devraient être stockées pendant plusieurs dizaines de jours afin de surmonter les pires périodes de manque de soleil et de vent. Voici une citation du résumé du rapport de la Royal Society :

L’offre éolienne peut varier sur des échelles de temps de plusieurs dizaines de jours et des dizaines de TWh de stockage de très longue durée seront nécessaires. L’échelle est de plus de 1000 fois supérieure à ce que fournit actuellement l’hydroélectricité pompée au Royaume-Uni, et bien plus que ce que l’on pourrait concevoir avec des batteries conventionnelles.

(C’est moi qui souligne.). Je suis prêt à pardonner à ces gars de l’AIE de ne pas connaître mon propre rapport, mais pas d’ignorer complètement l’effort de la Royal Society.

Toute la discussion que je puis trouver dans le rapport de l’AIE sur la nécessité de quantités massives de stockage de très longue durée consiste en un graphique et un paragraphe de texte à la page 47. Voici le tableau :

Avec le texte suivant :

La technique air-fer et d’autres technologies de batteries qui pourraient permettre le stockage de l’électricité sur des durées plus longues, mesurées en semaines, n’en sont encore qu’à leurs balbutiements. À l’heure actuelle, il n’est pas certain que ces technologies puissent être développées de manière à répondre aux besoins de manière rentable. Pour le stockage de plus longue durée encore, comme le stockage saisonnier, les technologies de batterie ne sont pas adaptées et d’autres technologies mécaniques, par exemple l’hydroélectricité par pompage, ou chimiques, par exemple le stockage de l’hydrogène, doivent être mises en œuvre.

Ainsi, plus de 90 % du stockage nécessaire pour venir en secours d’un réseau alimenté par des sources intermittentes doit être stocké pendant des mois voire des années, mais les seules technologies de batterie qui peuvent durer même « quelques semaines » sont des technologies qui en sont « à leurs balbutiements » et il n’est « pas évident » que ces technologies puissent être fournies de « manière rentable ».

Dans l’ensemble, voilà venu de l’AIE un travail scandaleusement inepte et embarrassant. Il ne fait aucun doute que notre gouvernement réagira en accumulant quelques centaines de milliards de dollars supplémentaires pour subventionner des batteries destinées à faire un travail pour lequel elles sont totalement « inadaptées ».

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10 réflexions au sujet de « « Les batteries et la sécurisation de la transition énergétique », un rapport inepte de l’AIE »

  1. Au cœur de tout cela il y a la notion de densité énergétique…

    Pour rappel (en KWh/Kg) :
    Batterie type Lithium = 0.2
    Charbon = 7
    Essence “végétale” (E85) = 8
    Essence = 13
    Uranium = 100 000

    Le progrès technique de ces 100 dernières années a permis de faire passer les meilleurs systèmes de stockage d’électricité d’environ 0.05 KWH/Kg à 0.2 voir 0.3 sur certaines technologies. Mais voilà, en science il existe des phénomènes de paliers, et pour “casser” un palier il faut une rupture technique importante. Or, depuis 25 ans, les recherches stagnent et se contentent (ce qui est déjà pas si mal) d’améliorer l’existant. Bref, nous pouvons espérer une densité de batterie à 0.5 KWH/Kg d’ici 30 ans, mais pas bcp mieux. Aussi, en qualité d’ingénieur en aéronautique, quand dans les années 2010 la presse parlait d’avions décarbonés à moteur électrique, je savais, tout comme mes confrères, que cela était un gros mensonge… Aujourd’hui Boeing a abandonné toute recherche en la matière.

    Aujourd’hui tout le monde ment, ou presque : les laboratoires set universités afin d’obtenir des subventions, les entreprises pour favoriser leur CA, les politiques pour montrer leur fibre écologique, les médias pour façonner l’opinion… Et la danse continue…. !

    • Je suis bien d’accord avec vous sur la notion de “densité énergétique” mais il y a d’autres fables tout aussi ineptes et mensongères lancées par les écolos, comme celle de l’hydrogène “vert”, que les média nous servent ad nauseam au quotidien comme la panacée à tous nos maux carboclimatiques.
      Les batteries Li/Ion malgré leur faible densité énergétique ont tout de même une qualité qui écrase tous les types d’accumulateurs actuellement en service, c’est de restituer près de 90% de l’énergie qu’on leur injecte à chaque recharge.
      Tandis que l’hydrogène “vert”, qui n’est PAS une source d’énergie comme les journalistes incultes (pour la plupart) le prétendent mais un vecteur d’énergie, comme une batterie, ne peut restituer qu’à peine plus de 30 % de l’énergie qui a été nécessaire pour le produire par électrolyse.
      Ce qui signifie que si l’on a l’intention de substituer les millions de véhicules électriques qui rouleront en France dans quelques années par des véhicules à hydrogène, il faudra 3 fois plus de centrales pour fabriquer l’hydrogène qui leur sera nécessaire que pour recharger le même nombre de véhicules électriques qui circulaient auparavant.
      Sans parler de tous les graves problèmes de sécurité, de transport, et de manipulation de ce gaz, non encore résolus à grande échelle…

      • @Jack,

        Oui vous avez raison ! Si la densité énergétique est un facteur majeur expliquant le choix d’usage du pétrole, la rentabilité énergétique est aussi une notion qui pèse et qui implique que les choix actuels ne survivent que grâce à des subventions étatiques dogmatiques ! Donc, pour le moment, même si votre retour est de 30%, se sont nos impôts qui financent les entreprises qui ont senti le bon filon pour se gaver avant de disparaître…

    • Le premier qui dit la vérité, il doit être exécuté …

      Pas encore, mais ce qui est sur c’est qu’il n’aura plus de subventions et devra changer de boulot.

  2. Dépenser 600 milliards par an pour le “zéro carbone” ne leur suffit pas. Ces affectations de ressources ne sont pas autre chose que de la destruction de richesse… sans parler des problèmes non résolus (et pas près de l’être) du recyclage.

  3. Tout le monde ment, tout est faux chez les écolos.

    Les dépenses dans l’écologie mensongère sont de mauvais investissements, ce qui signifie qu’ils ne créeront pas de richesses supplémentaires demain. S’ils sont financés par endettement, les dettes nouvelles ne pourront pas être remboursées grâce aux revenus futurs de l’activité qui ne sera pas générée par ces investissements.

    Les dettes ayant financé de mauvais investissements seront remboursées par l’appauvrissement général de la population à hauteur de l’investissement initial et des intérêts accumulés, probablement symbolisé par des champs d’éoliennes en ruine dont plus personne ne pourra financer la destruction, dans un pays devenu incapable de restaurer son paysage originel. Ceux qui imaginent qu’on pourrait ne pas rembourser la dette de l’écologie mensongère se trompent. Une dette non remboursée génère de l’inflation. Toute dette finit toujours par être payée, soit par son remboursement, soit par l’hyperinflation.

    C’est donc dès aujourd’hui qu’il faut s’opposer avec force aux prétendus investissements verts, couper sans regret ni remord dans ces dépenses et ces subventions aussi inutiles que ruineuses pour les générations futures.

  4. Voici comment j’analyse conjointement les cycles du CO2 et de l’argent :
    Les Chinois émettent du CO2 dans leurs centrales à charbon pour fabriquer des produits que nous achetons.

    Ce CO2 ne s’arrête malheureusement pas aux frontières et arrive chez nous. Heureusement comme nous sommes beaucoup plus intelligents que les Chinois, nous allons capter ce CO2 et l’enfouir à grand frais dans notre sol.

    Bilan le CO2 émis est par les Chinois se retrouve dans notre sol et la richesse créée par les Français se retrouve en Chine. Heureusement que nous avons des élites que les autres pays nous envient !

  5. L’Agence internationale de l’énergie composée de hauts fonctionnaires…
    Un bidule destiné à caser des obligés… Comme toutes les Agences gouvernementales, dont la France s’est fait une spécialité. Pour le seul ministère de la santé, j’en ai dénombré près d’une vingtaine et je n’ai pas compté parmi elles les ARS. Quand on pense qu’avec tous ces grands esprits « libres », on n’a pas été capable d’organiser la campagne de vaccination AntiCovid et qu’il a fallu rémunérer grassement un cabinet privé…
    Mais le plus grave réside à mon avis dans la démission de la responsabilité politique qui conduit à déléguer en fait la décision à des fonctionnaires «indépendants ». En l’espèce, La plus grande des agences n’est pas la CIA mais la commission européenne !
    Les citoyens ne se déplacent plus pour voter…et pour cause ils ont compris que ça ne servait plus à grand-chose

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