Le monde florissant de la décarbonation 

par Toussaint L..

Article initialement publié sur le site Mythes, Mancies et Mathématiques, sous le titre « Un géant au pied d’argile ».


Dans le monde florissant des « actions pour décarboner », on compte de très nombreuses organisations qui incitent les citoyens à réduire leur empreinte carbone (ateliers 2 tonnesfresque du climatShift Project, sans parler bien sûr de l’officielle Ademe). Toutes ont pour objectif de faire baisser l’empreinte carbone des individus.

Personne ne mesure : on modélise

Mais au bout du compte, qui mesure le carbone émis ? Personne ne mesure : on modélise. Beaucoup d’entreprises se sont spécialisées dans ce nouveau service qui consiste à estimer les émissions de gaz à effet de serre (GES) produits en multipliant les données du client par des facteurs d’émission.

Dans le monde agricole, de nombreux acteurs, là aussi, se sont engagés dans cette offre à destination des agriculteurs, des collecteurs, des transformateurs, des industries agro-alimentaires. Des prestataires étrangers ou français sont bien présents en France : Cool Farm Tool pour les grandes cultures, ou Cap2ER pour l’élevage, utilisé par les chambres d’agriculture, le réseau CerFrance, et beaucoup d’entreprises de conseil. Certains opérateurs (coopératives, transformateurs laitiers notamment) commencent à rendre obligatoire le diagnostic carbone pour leurs fournisseurs. Bien entendu, les entreprises émettrices de GES, soucieuses de se racheter une vertu, se précipitent sur cette manne et commencent à faire leur marché dans le secteur agricole.

Des bases incertaines

Tout un monde, donc, se construit autour de l’ambition (forcément vertueuse) de diminuer les émissions de GES dans le secteur agricole ; mais pourtant, pour y avoir grenouillé, les remarques suivantes me semblent de bon sens :

  • La science à la base des modèles est très incertaine. Il suffit par exemple, d’aller lire les études de l’INRA du début des années 2000 (ici, ou ) ou les revues de littérature récentes. Il y a assez peu de papiers scientifiques au final, et toutes avancent des chiffres avec beaucoup de prudence. Les vraies expérimentations ne sont pas bien nombreuses, car en pratique, c’est très difficile de mesurer in situ les dégagements de GES.
  • Les modèles et logiciels qui en découlent sont basés sur ces publications. On ne mesure rien, on modélise sur la base des consommations d’intrants. Ce n’est pas scandaleux en soi, c’est juste une approche très imprécise. Il faut n’avoir jamais travaillé dans une exploitation agricole pour prendre pour argent comptant les chiffres d’un bilan comptable agricole.
  • Les incertitudes de ces estimations sont masquées dans les restitutions des modèles. Alors que les études scientifiques présentent des intervalles de confiance assez gros, le modèles reprennent les moyennes et extrapolent sans souci de la notion de chiffre significatif par exemple.
  • Les modèles sont hyper-tunés. Et du coup sensible à l’effet papillon. L’opérateur averti sait sur quelles touches il suffit d’appuyer pour attribuer plus ou moins de T de carbone à telle culture ou tel atelier.
  • Les responsables du développement des logiciels ne s’intéressent pas tellement à la validité de leurs projections. Quand ils sont sollicités pour corriger une absurdité, leur réponse est systématiquement « mais si, enfin bon c’est une approximation mais ça va quand même ». Ils sont très compétents dans leur domaine, mais ne s’intéressent pas du tout au réalisme de leur modèle. Ils sont là pour vendre un logiciel.
  • On ne confronte jamais le résultat des diagnostics à la réalité. Tout simplement parce que personne ne peut mesurer le dégagement de GES d’une exploitation, d’une parcelle, ni même d’une vache. Combien de méthane émet une vache ? On commence à peine à avoir des approximations. Combien de CO2 émet ou capte une prairie temporaire ? Dans l’état actuel des connaissances, on ne sait pas vraiment.
  • Personne ne comprend ni ne s’intéresse à l’impact réel sur le climat des mesures prises. En fait dans la filière agricole, la plupart des acteurs sont contents de se donner bonne conscience. Ceux qui réfléchissent le plus en profitent pour exploiter les bienfaits collatéraux (il est toujours bénéfique de réduire la consommation de carburant, d’engrais ou de diminuer le nombre de vaches improductives). Les autres appliquent des formules, pour la bonne cause.

L’idéologie vaincra

Bref, l’ensemble de la démarche ne manque pas d’intérêt, d’un point de vue technique. Mais avec le reste de la société, la filière agricole s’est lancée dans un projet ambitieux (décarboner) sans mesurer la solidité des bases scientifiques, ni l’impact réel des mesures prises sur le monde réel : C’est un géant aux pieds d’argile. Et il n’y a jamais, dans la filière, de réflexions autour de la balance bénéfice-coûts. C’est interdit d’en parler, puisque toute incursion sur ce sujet est disqualifiée (« science is settled » et autres « t’es climatologue ? »). De toute façon c’est pas cher, c’est l’état qui paye.

Le plus grave, c’est qu’à défaut d’atteindre ses objectifs, l’idéologie par derrière vaincra : en focalisant l’attention des opérateurs sur l’indicateur carbone, on oublie de réfléchir sur le bien-fondé de la démarche ou sur ses conséquences.

Et finalement, d’une manière ou d’une autre, quand on aura bien serré les boulons partout, c’est le lait et la viande qui deviendront hors-la-loi, tout simplement.

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23 réflexions au sujet de « Le monde florissant de la décarbonation  »

  1. Et j’ajouterai, que de toutes les façons le CO2 n’a qu’un impact négligeable. Ce “bilan carbone” est une vaste fumisterie qui permet à certains de gagner de l’argent, et au monde politique de s’acheter une virginité à bon compte.

    Non seulement le CO2 est saturé en absorption IR, mais en plus il ne bloque que sur une plage très restreinte de l’émission terrestre (14 à 17 µm). Reste l’effet de couche avancé par le GIEC, sauf que comme l’a rappelé le Pr Gervais, ce fameux effet de couche théorique ne s’est jamais vu dans les relevés…

    Enfin rappelons ici un petit calcul amusant mais factuel : il y a à ce jour environ 3 300 Gt de CO2 dans notre atmosphère (les célèbres 420 ppm). L’ensembles des voitures de l’UE émettent annuellement 0.3 Gt (chiffres AIE), sur cette valeur il y a 56% d’absorbés (océan, végétaux), reste donc 44% d’Airborn fraction, soit 0.132 Gt. Admettons que l’UE impose et arrive à une réduction de 50% du parc thermique et donc des émissions, le gain attendu serait de 0.07 Gt, soit un gain d’émission de CO2 de 0.002% !!! Donc, si l’UE se faisait violence, dépensait des centaines de milliers d’Euros en subvention, détruisait des milliers d’emplois, imposait à marche forcer la “transition”, la différence d’émission serait si faible qu’elle ne serait pas mesurée par les capteurs… Mais dans le fond, qui fait aujourd’hui ce type de calul…?

    Le monde marche sur la tête, et certains savent tirer profit de la situation. Le CO2 transforme ce qu’il touche en or !

    • “”””””Donc, si l’UE se faisait violence, dépensait des centaines de milliers d’Euros en subvention, détruisait des milliers d’emplois, imposait à marche forcer la “transition”, la différence d’émission serait si faible qu’elle ne serait pas mesurée par les capteurs…”””””””
      Pas d’accord du tout
      Pour commencer ; si la transition énergétique permet de détruire des milliers d’emplois en garantissant une énergie au même prix , je suis preneur ; on réduira la durée du travail hebdomadaire ou on mettre la réforme de la retraite à la poubelle ; après je ne sais pas où l’état va chercher les centaines de milliers d’euros , mais je pense qu’ils pomperont les retraités
      Je ne suis surtout pas d’accord avec la suite
      “””” la différence d’émission serait si faible qu’elle ne serait pas mesurée par les capteurs…”””
      Si on va vers zero carbone , c’est une catastrophe pour la planète, les agriculteurs , les forestiers et la population ; on ne peut pas consommer plus en réduisant la nourriture des plantes et animaux
      La terre a toujoours vécu en équilibre augmentation de température , augmentation de la vie sur terre ; l’augmentation de température de la terre depuis un siècle n’est pas responsable de l’augmentation du CO2, et heuresement que nos émissions se traduisent par un verdissement de la planète qui permet à la population de poursuivre sa vie
      Si vous n’êtes pas d’accord avec cela , je vous classe avec les écolos qui veulent réduire la population par dix

      • @Fritz,

        Euh…. Vous êtes certain que vous m’avez lu ?! Je dis, comme de nombreux autres scientifiques, que le CO2 n’a pas l’effet négatif que lui donne les écolos. Le Pr Gervais a sorti il y a quelques années un livre intitulé l’innocence du carbone. Et j’illustre cela avec un petit calcul, simple, mais juste et factuel, prouvant au passage qu’une diminution drastique des émissions de CO2 humaines n’impacterai que de façon tout à fait marginale le volume global…. Bref, en gros, que les politiques “zero carbon” sont des non-sens, et s’opposent aux principes les plus élémentaires de la chimie et de l’économie… Donc, je ne vosi pas ce que vous me reprocher ?!!

          • @Fritz,

            Oui, le C02 n’a qu’un rôle tout a fait insignifiant dans la variation de température, depuis le fameux 1850 du GIEC, probablement +/- 0,1 °C…. Mais cela fait les beaux jours des écolos bolcheviks, des politiques, et de certains industriels….

          • Si les écolos y comprenaient quelque chose, ça se saurait.
            Ils sont même capables de dire que la banquise va fondre et faire monter les océans de trois mètres.
            A ce niveau d’ignorance…

        • @FBL
          Entre 2009 et 2019 l’UE a dépensé 700 milliards d’euros pour le développement durable, dont 93% alloués aux énergies dites propres, éolien et solaire. Ce sont les chiffres fournis par l’UE. Pour quel gain ? +3% d’augmentation en valeur absolue de la couverture de la demande Européenne en électricité pour les énergies renouvelables, c’est à dire pas grand chose.
          Donc, oui, retraites, aides sociales, soutien aux pays en voie de développement, infrastructures médicales, routes, éducation, sont des sujets de fait liés au réchauffement climatique, car nous parlons de milliards d’euros — jetés possiblement par la fenêtre, c’est tout le débat –.

    • Svp une question sur le calcul d’impact de C02 voiture dans l’atmosphère: pourquoi enlever environ 56% de la production car absorbée par océan et végétaux? si les voitures ne produisaient pas de CO2, l’absorbtion se ferait directement dans l’athmosphère non? et donc le delta à la fin de l’année serait de -0.3 Gto de CO2….?

    • On trouve tout et son contraire comme valeur. Le passage de 280 ppm en 1850, soit environ de 2 200 Gt à 3 300 Gt en 2020, nous donne donc un delta de 1 100 Gt, sous réserve que ces chiffres soient justes (mesures ou estimation mathématique….)

      Ce qui n’empêche pas la COP 26 de prétendre que l’humanité à rejeté depuis 1850, 2 500 Gt (https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2021/11/06/cop26-visualisez-les-emissions-cumulees-de-dioxyde-de-carbone-par-pays-depuis-1850_6101202_4355770.html) ! Disons qu’on est plus à une connerie près, sauf à considérer qu’il s’agit là des émissions totales, ce qui donnerait pour la partie atmosphérique (Airborn fraction soit 44%) environ 1 100 Gt. Tiens, exactement le delta entre 1850 et 2020. Donc pour la COP et les écolos, le surplus de CO2 est à 100% anthropique. On se demandera alors ce que foute les volcans, les geyser et autres feux de forêts ! Bref, un petit mensonge de plus…

      Plus sérieusement, il est probable que la part d’Airborn fraction imputable aux activités humaines soit de +/- 10%, soit 110 Gt en moyenne sur 170 ans, avec, une augmentation sur les 50 dernières années.

      • La Hire
        Pour vous dire honnêtement vous vous trompez complètement
        Si vous avez un moment , comparez les courbes d’augmentation du CO2 atmosphérique avec les courbes d’augmentation des temperatures terrestres ; cela n’a pas de rapport ; elles divergent complètement
        Si vous avez un moment comparez les courbes de l’augmentation du CO2 atmosphérique avec les courbes de la teneur en C13 de celui-ci ; elles vont se croiser
        Si vous ne comprenez pas , je peux passer un peu plus de temps
        Mais si vous faites un effort , vous comprendrez que le GIEC a raison pour une fois , de dire que 99% de l’augmentation du CO2 atmosphérique est anthropique

        • Cher Fritz, j’ai compris à travers vos différents messages et réactions d’autres membres du forum que vous êtes à “côté de vos pompes” ! Merci de laisser les grandes personnes discuter entres elles ! Bonne journée….

          • https://www.skyfall.fr/2016/07/06/origine-de-recente-augmentation-co2-latmosphere/
            2 Conclusion

            “”””””””D’après les preuves disponibles il est assez clair que les émissions anthropiques sont la cause principale de l’augmentation du CO2 dans l’atmosphère.”””””””””
            Si vous voulez contredire Engelbeen faites un papier sur skyfall; avec un petit effort en lisant les commentaires vous trouverez sans doute quelques climato négationites qui vous donneront un coup de main ; sinon vous pouvez aussi aller sur SCE

  2. J’ai même entendu une fameuse ministre de la transition écologique dire qu’on allait “décarboner” l’acier…(!)

    Sans commentaire.

      • @serge et homme de bois
        “”””””””””L’acier est l’alliage métallique préféré des constructions garde-corps métalliques sur mesure, il constitué majoritairement de fer et d’une faible quantité de carbone. C’est la présence (entre 0,02 % et 2 % en masse) de cet élément chimique qui octroie à l’acier ses propriétés spécifiques.”””””””””””””””
        C’est pas en faisant de l’acier qu’on va décarboner l’atmosphère

    • Bonjour à tous,
      Je suppose que l’expression “décarboner l’acier” signifie décarboner l’énergie nécessaire au fonctionnement des hauts fourneaux ; c’est comme ça que je l’ai compris. Il existe d’ailleurs des projets de SMR qui fourniraient directement de la chaleur sur site sans passer par un vecteur électrique avec, ce faisant, un rendement bien meilleur.

  3. Pour se moquer de l’objectif totalement inaccessible de “net-zéro” carbone les anglo-saxons ont inventé le mot “nut-zero”, beaucoup plus réaliste.

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