Le changement climatique : un problème inter générationnel

Carl Wunsch (*)

Article publié en 2013 par la revue Pnas (Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America) sous le titre Climate change as an intergenerational problem. Traduit par la rédaction.

(*) Carl Wunsch est Professeur émérite d’océanographie physique au Massachusetts Institute of Technology, jusqu’à sa retraite en 2013. Il est connu pour ses travaux sur les ondes internes et plus récemment pour ses recherches sur les effets de la circulation océanique sur climat.


Prédire le changement climatique est une priorité pour la société, mais ces prévisions sont notoirement incertaines. Pourquoi?  Même si le climat s’avérait théoriquement prévisible (ce qui est tout sauf certain) la quasi-absence d’observations adéquates empêchera sa compréhension, et par là même tout espoir de prévisions utiles. Le système climatique change à toutes les échelles de temps (de quelques années à l’âge de la terre),  alors même que nous ne disposons que de données d’observations brèves et récentes. Les processus majeurs (physiques, chimiques et biologiques)  influencent le système climatique sur des décennies, des siècles et des millénaires.  Les glaciers fluctuent sur des échelles de temps allant de plusieurs années, voire du siècle et au-delà. Depuis la révolution industrielle, le dioxyde de carbone a été émis par la combustion de combustibles fossiles, et il sera absorbé, recyclé, et transférés vers l’atmosphère, l’océan et la biosphère sur des période allant de la décennie à plusieurs milliers d’années.

Comme dans la plupart des problèmes scientifiques, il n’y a pas pas d’alternatives aux observations adéquates. Sans observations en quantité suffisante, aucune prévision pertinente ne sera probablement jamais possible. Les modèles évolueront et s’amélioreront ; mais sans données ils seront invérifiables, et les observations qui ne sont pas recueillies aujourd’hui sont perdues à jamais. La grande difficulté à laquelle les scientifiques qui essayent de comprendre et de prédire doivent faire face est la durée extrêmement courte sur laquelle nous disposons d’ observations adéquates sur le système climatique.

Le thermomètre n’a été inventé jusqu’à ce qu’au début du 17e siècle. Les observations atmosphériques n’ont atteint une couverture mondiale qu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les observations océaniques ne sont devenues (encore que marginalement) suffisantes à l’échelle mondiale que dans le début des années 1990. Les bilans de masse des glaciers du Groenland et de l’Antarctique n’ont commencé qu’au début du 21ème siècle. Les données paléolithiques fournissent des indications pour certaines variables (par exemple les concentrations globales moyennes de CO2  à partir de carottes de glace), mais ne sont que des indicateurs approximatifs ayant une précision et une couverture spatiale limitée au regard des échelles de temps et d’espace requises.

Rares sont les scientifiques qui prétendraient pouvoir comprendre le phénomène physique même le plus trivial sans avoir observé son évolution sur les échelles de temps nécessaires. Les vagues de surface océaniques ont une périodicité de l’ordre de la seconde : il serait ridicule de prétendre comprendre un phénomène avec des observations durant une seconde ou moins.

Les scientifiques qui tentent de comprendre le système climatique sont confrontés au problème difficile de donner un sens à des phénomènes physiques dont l’échelle de temps dépasse à la fois les durées de vie professionnelles et humaines. Les projets de géo-ingénierie nécessiteraient une compréhension de leur influence possible sur un système qui conserve la mémoire de perturbations induites pendant des milliers d’années.  Qui peut prétendre comprendre l’impact d’une perturbation majeure pour le système climatique en se basant sur 10 années de données?

La compréhension du changement climatique est un problème pour plusieurs générations. Les scientifiques d’aujourd’hui doit prendre en compte les besoins des générations suivantes, plutôt que de se concentrer uniquement sur leur productivité scientifique immédiate. Les modèles climatiques d’aujourd’hui n’auront que peu d’intérêt dans 100 ans. Mais les données clés du système climatique correctement échantillonnées, soigneusement calibrées, contrôlées en qualité, et archivées seront utiles indéfiniment.

Ce problème intergénérationnel doit être pris en charge par une entité quelconque gouvernementale ou autre- en vue de fournir in fine des prévisions exactes du changement climatique. Les services de prévisions météorologiques nationaux sont souvent proposé comme modèle pour les problèmes climatiques. Mais les observations de longue terme nécessitent une approche très différente de celle utilisée pour  les prévisions météorologiques à court terme. Il y a de nombreux exemples où les tentatives d’utilisation des données météorologiques à des fins d’étude climatique qui se sont révélées pour le moins ambigues au mieux, inutiles au pire, à cause de calibration inadéquate, une mauvaise documentation des calibrations, des gaps temporels, et des changements de technologie non documentés et / ou mal comprises. L’utilisation de capteurs d’humidité par radiosonde est un cas d’école : les changements technologiques et les différences entre les pratiques des États compromettent sérieusement l’utilisation de ces données météorologiques pour les études sur le climat (1). Thompson et al. (2) montrent  combien il est  difficile d’interpréter un ensemble de données apparemment simples que sont les température de surface de la mer.

Les organismes gouvernementaux peuvent faire un travail utile pour satisfaire les besoins immédiats de la population (par exemple, prévoir la  trajectoire des ouragans). Mais les gouvernements n’ont rien fait d’utile pour soutenir les observations à long terme. Par exemple, les  observations iconiques du CO2 à Mauna Loa, ont été financées sur des programmes de 2 années pendant  des dizaines d’années  et ont  failli à plusieurs reprises être annulées par des gestionnaires de programmes à courte vue (3).

Concevoir, maintenir et faire face à l’évolution des techniques d’observations climatiques est un problème extrêmement difficile, qui exige une profonde compréhension de la nature du problème et des technologies potentiellement disponibles. Cela ne peut pas être fait judicieusement dans le cadre d’un système financé sur une base annuelle ; cela nécessite une agence avec une vision sur  10 ans et au-delà, une exigence qui  est étrangère aux pratiques gouvernementales. Les batailles de budget annuel mettent tous les programmes en danger : un système d’observations du climat initié par une administration et démantelé par un autre, un cycle politique plus tard, est mortel.

Dans de nombreux cas par exemple, pour décrire et comprendre la variabilité décennale de l’océan il serait scientifiquement honnête de reconnaître la nécessité de données d’observations  portant sur des périodes bien plus longues que celles qui sont actuellement disponibles. Les institutions actuelles ont des horizons temporels à court terme : les jeunes scientifiques intéressés par  ces phénomènes ne peuvent pas prendre en charge les problèmes de long terme. Mais si la société ne trouve pas les moyens de soutenir les carrières scientifiques visant à de tels objectifs, alors nous ne pourrons jamais comprendre les fondamentaux de ces sujets critiques. Que faire ?

On peut trouver des exemples  d’organisations centrées sur le long terme (universités, quelques banques, certaines fondations religieuses). Bien que leur continuité intellectuelle authentique soit très discutable, elles suggèrent la possibilité de création d’une utile infrastructure intergénérationnelle d’étude sur le climat. L’exemple de certaines unités spécialisées en astronomie et peut-être, du centre de recherche  agricole Rothamsted Research au Royaume-Uni, peuvent être retenus.

Nous avons déjà suggéré (4) une approche possible qui exigerait une dotation du secteur privé pour soutenir les meilleurs scientifiques et ingénieurs prêts à consacrer une partie de leur temps à superviser les flux de données dont les générations futures de scientifiques auront besoin. D’autres voies sont possibles pour soutenir les organisations scientifiquement et techniquement compétentes sur  des décennies et plus. Les méthodes doivent être trouvées : peut-être dans des partenariats publics/privés/nationaux et internationaux capables de démêler les observations fondamentales des aléas résultant des financements gouvernementaux annuels et qui pourrait veiller à la surveillance des étalonnages, à la gestion des changements technologiques, et à la compréhension de ce qu’il faut faire pour éviter l’obsolescence et la perte de qualité.

Si nous n’affrontons pas ce problème comme une question intergénérationnelle, les prévisions climatiques et notre capacité à atténuer et nous adapter au changement climatique restera rudimentaire et insuffisant pour les défis qui nous attendent.


Références

1 Elliott WP, Gaffen DJ (1991) On the utility of radiosonde humidity archives for climate studies. Bull Amer Meteor Soc 72(10):1507–1520.

2 Thompson DW, Kennedy JJ, Wallace JM, Jones PD (2008) A large discontinuity in the mid-twentieth century in observed global-mean surface temperature. Nature 453(7195):646–649.

3 Keeling CD (1998) Rewards and penalties of monitoring the earth. Annu Rev Energy Environ 23:25–82.

4 Baker DJ, Schmitt RW, Wunsch C (2007) Endowments and new institutions for long-term observation. Oceanography

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7 réflexions au sujet de « Le changement climatique : un problème inter générationnel »

  1. Mouais. Article qui sent un peu l’eau de rose. Le problème actuel est que les données existent mais sont soigneusement triées, chacun à son avantage, par les pros et les antis dans un combat de dreyfusards et d’antidreyfusards. Dans le domaine du climat, on est sorti du domaine de la science pour entrer dans celui de la religion (y compris au sein des organismes officiels qui devraient pourtant rester objectifs). Les préconisations suggérées par cet article qui date de 10 ans, tout le monde s’en fout, à l’évidence. Chacun détient LA vérité.

  2. Les scientifiques qui s’occupent aujourd’hui des questions de climat devraient être les Tycho Brahé de notre temps.
    Les Kepler et les Newton viendront plus tard…..

    • Et bien je dirais que cet article rend assez bien compte des difficultés que rencontreront inéluctablement tous ceux qui veulent sérieusement étudier le climat et tenter d’élaborer des modèles prédictifs qui puissent être réellement fiables.

      Par contre l’auteur aurait pu peut-être commencer par aborder la question de l’intérêt de la chose, c’est-à-dire de l’enjeu pour nos sociétés de réussir à prédire le temps qu’il fera en 2050 ou en l’an 2143.

      Ne vaudrait-il en effet pas mieux que les scientifiques désireux d’étudier des phénomènes naturels, s’évertuent plutôt à réaliser des modèles prédictions concernant des phénomènes susceptibles de véritablement menacer la vie des gens ? Du genre séismes, tsunamis ou éruptions volcaniques ?

      Ah oui mais cela ne permettrait pas vraiment de justifier l’établissement d’un gouvernement mondial (problèmes insuffisamment systémiques). Ouh là là mais je suis entrain de partir dans des théories complotistes, il va falloir que je m’arrête, autrement je risque de sérieusement déraper.

      • “””””””Ne vaudrait-il en effet pas mieux que les scientifiques désireux d’étudier des phénomènes naturels, s’évertuent plutôt à réaliser des modèles prédictions concernant des phénomènes susceptibles de véritablement menacer la vie des gens ? Du genre séismes, tsunamis ou éruptions volcaniques ?”””””””
        Je pense que vous avez loupé météorites et invasions d’extraterrestres

    • L’Homme se montre bien prétentieux à vouloir expliquer le fonctionnement du climat de la terre par des observations faites depuis si peu de temps, quelques centaines d’années sur des milliards d’années depuis le naissance de cette Planète.Elle continuera à évoluer selon ses lois et celles de l’Univers sans ce soucier du “pipi de chat” que représente toute action de l’infinitésimal “bipède” qui la colonise depuis si peu de temps, 3 500 000 ans. Et Lucy n’avait de Ferrari pour se déplacer, ses descendants non plus! Comme le suggère cet article il faudrait des millénaires d’observations soigneusement notées et rapportées pour, à mon avis, mais je ne suis pas un scientifique, pouvoir en tirer quelques enseignements!
      Contentons nous du respect de la Nature dont nous profitons, du respect d’autrui pour apprendre ensemble à moins dégrader et nous serons alors assurés de pouvoir vivre mieux sans toutes ses contraintes stupides imposées par des politiques malhonnêtes qui se moquent de notre malléabilité en ce domaine. L’Ecologie est devenue un grand levier pour agir par la peur!

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