Énergie : retour aux réalités (3/3)

Par MD

Introduction
Voici le troisième et dernier des articles consacrés à l’analyse et à l’illustration de quelques aspects du document de référence annuel Statistical review of world energy publié par BP le 28 juin 2022 et de sa base de données. Après la consommation et les réserves d’énergies, on examine le cas de l’électricité. C’est à raison que BP accorde une place majeure à la production et à la consommation d’électricité, les évolutions dans le temps selon les régions du monde et les sources d’approvisionnement dans leur grande diversité. En effet, parmi les inégalités et les carences qui affectent la population mondiale, l’accès à l’électricité est un facteur discriminant fondamental : il détermine la qualité de vie, la santé, l’instruction et l’information, et en fin de compte le désir de vivre et de rester au pays. Il est donc naturel que tous les États du monde aspirent à disposer d’une électricité adéquate, constamment disponible et bon marché.

Les productions et les consommations d’électricité sont exprimées en wattheure et multiples (mégawattheure MWh et térawattheure TWh).

Production d’électricité par habitant.

Le graphique ci-dessous est un échantillonnage montrant les écarts considérables qui existent entre pays et groupes de pays. On voit à quel point certains continents sont encore loin des standards des pays occidentaux : remarquer par exemple la différence entre OCDE et non-OCDE (en pointillés), Chine et Inde, et surtout la position de l’Afrique (0,7 MWh/habitant en moyenne, dix fois moins que l’Allemagne). On retrouverait une hiérarchie peu différente concernant les consommations d’énergie en général, et d’autres indicateurs économiques.

Evolution de la production électrique par régions du monde.<
Le graphique ci-dessous illustre l’évolution de la production électrique entre 1990 et 2021. On voit que les pays de l’OCDE (à laquelle appartiennent presque tous les États de l’Union européenne) ont stabilisé leur production et leur consommation depuis une quinzaine d’années (l’OCDE est mise en évidence par une trame hachurée sur le graphique). La croissance se situe désormais au sein des pays en développement. La Chine a connu un progrès spectaculaire, au point que l’ensemble de sa population bénéficie maintenant d’un raccordement aux réseaux, avec une électricité généralement fiable autant que l’on sache. L’exemple de la Chine préfigure l’avenir.

Evolution de la production électrique par types d’énergies.

Le graphique ci-dessous illustre l’évolution de la répartition de la production électrique selon les sources d’énergies utilisées. Les énergies fossiles (essentiellement charbon et gaz) ont tendance à se stabiliser en volume depuis quelques années. Les énergies intermittentes (éolien et solaire) sont en forte progression.

Il est intéressant de comparer les « mix » électriques entre 1990 (année de référence) et 2021. En trente ans, la production électrique a été multipliée par 2,4. En pourcentages, le charbon a conservé sa position largement majoritaire, le gaz a supplanté le pétrole et l’ensemble des énergies fossiles est passé de 64% à 61% du mix. Toujours en pourcentages, les énergies intermittentes ont surtout « mordu » sur le nucléaire et l’hydraulique, tout aussi peu émetteurs de CO: c’est ce qui explique que les émissions ne diminuent pas, comme on l’avait déjà constaté.

Echanges internationaux.

Comme l’électricité n’est ni stockable à grande échelle ni transportable à très longues distances, elle est le plus souvent consommée sur place, parfois échangée entre pays limitrophes grâce à des réseaux d’interconnexion : c’est notamment le cas en Europe où le marché est actif, avec des évolutions horaires de cours parfois erratiques surtout depuis l’essor des productions intermittentes. Mais il n’existe pas de marché mondial de l’électricité contrairement aux autres énergies.

Disponibilité des minéraux spéciaux dits « critiques ».

Depuis l’édition 2019, BP fournit des données concernant certaines matières minérales de plus en plus utilisées dans le domaine énergétique, pour la fabrication de batteries de voitures électriques et hybrides, de panneaux photovoltaïques, d’éoliennes, de moteurs électriques, etc. Le graphique ci-dessous montre l’évolution de ces productions, dont certaines sont déjà en forte croissance (par exemple les terres rares ou ETR, dont le néodyme utilisé dans les aimants permanents) et qui sont appelées à croître encore dans l’avenir si l’on en croit certaines projections officielles.

Les perspectives de croissance conduisent à s’intéresser aux réserves actuellement connues et à leurs répartitions géographiques, représentées par les graphiques ci-dessous.

Les réserves actuellement répertoriées sont très irrégulièrement réparties, et remarquablement concentrées dans certains pays – dont certains ne passent pas pour être particulièrement amicaux ni coopératifs. Les besoins allant croissant, il est probable que de nouvelles découvertes viendront infléchir ce paysage général, mais probablement pas suffisamment pour détrôner les principaux détenteurs actuels.

Prix des minéraux critiques.

Les cours mondiaux du cobalt et du carbonate de lithium sont illustrés par le graphique ci-dessous ; BP précise dans le corps de son rapport que ces cours ont encore augmenté en 2022.

Energies intermittentes. Facteurs de capacité.

L’éolien et le solaire constituent des productions électriques aléatoires qui échappent à tout contrôle (non-pilotables). Elles bénéficient d’une priorité pour l’injection sur les réseaux sous peine d’être perdues : ce sont des énergies fatales. Au contraire, lorsqu’elles ne produisent pas, ou insuffisamment, il est nécessaire de leur substituer un « back-up mobilisable instantanément, le plus souvent fossile. Dans le discours public, on confond souvent la capacité installée (MW) avec la production effective (MWh). Rappelons ces notions. Soit une éolienne de capacité installée 3 MW. Elle peut théoriquement produire dans l’année : 3 MW x 8 760 heures = 26 280 MWh. Si sa production réelle a été de 7 000 MWh, elle n’a produit que 7 000 / 26 280 = 27% de sa production théorique ; 27% est son facteur de capacité (ou facteur de charge).
BP fournit, pays par pays, les productions et les capacités installées. On peut donc en déduire les facteurs de capacité. Les graphiques ci-dessous présentent un échantillonnage pour chaque énergie, dans des États disposant déjà de parcs conséquents (pour l’éolien, BP ne distingue pas entre installations off-shore et terrestres). Les pays européens sont entourés en gras. Les installations sont maintenant en assez grand nombre et les techniques assez éprouvées pour que l’on puisse tirer des enseignements généraux valables pour l’avenir de ces filières. Par contre, les parcs sont encore globalement trop jeunes pour que l’on puisse discerner l’effet du vieillissement.

On voit que les disparités sont importantes : en gros, sur l’année, l’éolien produit l’équivalent d’un fonctionnement à plein régime pendant 20% à 40% du temps selon les régions (moyenne mondiale 27%) et le solaire photovoltaïque pendant 10% à 30% du temps selon les régions (moyenne mondiale 15%). La bonne économie impliquerait donc que l’on réserve leur développement aux régions où les performances sont les meilleures ; l’exemple de l’Allemagne montre a contrario que ce n’est pas toujours le cas.

Conclusion.
Ces trois articles sur l’énergie et l’électricité ne donnent qu’une illustration très sommaire des nombreux enseignements que recèlent les quelque quatre-vingts feuilles de la base de données de BP, portant sur plus de cent États ou entités sous-continentales. Malgré leur aspect aride elles devraient faire partie des livres de chevet de nombre de commentateurs et de prospectivistes. Le secteur de l’énergie est absolument fondamental dans l’activité humaine, comme le monde est en train d’en prendre douloureusement conscience. Dans ce secteur comme dans quelques autres, l’Occident est en train de perdre la main, il faudra s’y habituer. Enfin, les séries historiques de données permettent de prendre la mesure des inerties considérables qui commandent l’évolution des consommations et des productions énergétiques et électriques : il est vain d’espérer des ruptures brutales dans ces évolutions multi-décennales, comme le font croire certains exercices académiques d’anticipation, hasardeux et périmés dès leur publication.
Tombent les illusions, retour aux réalités, rugueuses et impitoyables.

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18 réflexions au sujet de « Énergie : retour aux réalités (3/3) »

  1. Très intéressant, votre article. J’ai deux questions très basiques.

    En ce qui concerne les minéraux dits critiques, est-ce qu’il y en assez pour construire deux milliards de voitures électriques ?
    Si la réponse est oui, combien faudra-t-il d’éoliennes et de panneaux solaires pour les faire rouler ?

    En résumé, sortir du nucléaire et des énergies “fossiles”, et en même temps abandonner les moteurs thermiques pour passer au “tout électrique” est-il techniquement réaliste?

    • Puisque MD a fort bien répondu à la question concernant les minéraux critiques, je propose ci-dessous quelques éléments à propos de la production d’énergie nécessaire à la recharge des véhicules électriques.

      On peut toujours discutailler des hypothèses de calculs mais les ordres de grandeur sont bien ceux-là.

      Le kilométrage parcouru chaque année en France par les voitures légères est de l’ordre de 725 Mds de km. Avec une consommation moyenne de 17 kWh/100km, cela représente une énergie 123 TWh (Tera, 10E12). Si on tient compte des pertes en distribution et surtout du rendement des chargeurs (estimé à 90%), il faudrait produire une énergie d’environ 136 TWh.

      Maintenant, si on divise cette énergie par 6.100h (8.760 h/an affecté d’un facteur de charge de 70% pour le nucléaire français), on obtient une puissance à installer de 22 GW (pour mémoire, la capacité nucléaire en 2020 est de 64 GW), soit l’équivalent de 24 nouveaux réacteurs de 900 MW chacun.

      Autrement, si on accepte de charger les VE uniquement lorsque le vent souffle, ou peut aussi diviser cette énergie de 136 TWh par 2.040h (facteur de charge de 23% pour l’éolien terrestre en France), on obtient alors une puissance à installer de 66 GW (soit 4 fois plus que le parc existant en 2020) l’équivalent de 22.000 éoliennes terrestres de 3MW.

      Enfin, si on accepte de charger les VE uniquement lorsque le soleil brille, on peut diviser l’énergie nécessaire de 136 TWh par 1.095h (facteur de charge de 12,5% pour le solaire en France), on obtient alors une puissance crête à installer de 124 GW (plus que le fameux pic de consommation de 19h en plein hiver). A 190W/m² pour un super panneau en silicium monochristallin, il faut donc 652 km² de panneaux (ou plutôt 1.000 km² avec un foisonnement de 65%) soit 0,2% de la surface du territoire et, pour finir, un carré de seulement 30km de côté pour la France ou un carré de 9km de côté par région. Ces chiffres sont surprenants mais irréalistes puisque on ne pourrait rouler que l’été.

      Les calculs ci-dessus ne concernent que les voitures légères et ne traitent que de l’aspect production, les infrastructures pour la distribution sont des défis probablement plus difficiles car il faut amener la puissance au cœur même de nos agglomérations.

    • Attali a déclaré il y a quelques jours que l’abandon du moteur thermique est une folie.
      Sachant que ce personnage est un proche de Macron et certainement en service commandé, il n’est pas impossible que cette loi votée par l’UE ne soit jamais appliquée.
      En attendant, combien de milliards gaspillés et quel impact pour notre industrie automobile ?

  2. A propos de “retour aux réalités”, ci-dessous un extrait d’appel d’offres (2020) de l’inénarrable bureaucratie de notre CNRS. Avec un jargon aussi alambiqué, comme retour aux réalités, on est mal parti.
    C’est un peu hors sujet mais tellement poilant à lire que je ne résiste pas.

    “Limiter l’impact des sociétés humaines sur le climat, lutter contre le réchauffement, atténuer ses effets et s’y adapter requièrent de comprendre la « machine climatique », mais également d’évaluer précisément les impacts des changements et les incertitudes qui y sont associées. Mobiliser la communauté, réunir les approches interdisciplinaires essentielles sur ces enjeux simultanément scientifiques et sociétaux, permettra de proposer des trajectoires environnementales et sociales ainsi que les conditions de leur déploiement. Il est indispensable de rapprocher les scénarios globaux de changement climatique des sociétés qui tout à la fois les impulsent et les subissent. Pour contrôler et réduire l’impact du changement climatique, il s’agit de proposer des trajectoires combinant atténuation et adaptation, en développant des solutions opérationnelles, qu’elles soient écologiques, sociales, énergétiques, agro-écologiques, etc. pouvant être fondées sur des rétro-observations. Au-delà de la compréhension fondamentale de la dynamique des écosystèmes, des sociétés humaines et du système Terre, à différentes échelles de temps et d’espace, ces questions scientifiques sont indissociables des grands enjeux sociétaux, en particulier ceux guidés par les Objectifs de Développement Durable. Ils nécessitent de concilier l’ensemble des enjeux -politiques, sociaux, économiques, philosophiques- liés au changement climatique, avec l’atténuation de ses effets, les adaptations nécessaires ou encore les questions posées par l’utilisation de nouvelles ressources.“

    • @Serge
      vous pouvez remplacer “climatique ” par “sanitaire ” ; sans changer une phrase ; d’ailleurs puisque ce document date de 2020, je pense que la bureaucratie du CNRS à repris un papier du ministère de la santé
      Fritz

    • C’est vraiment très intéressant d’avoir une vue d’ensemble de la réalité concrète.
      Ma question était toutefois un peu ironique. Je suis de votre avis, la ruée vers le tout-électrique “décarboné”, dans l’état actuel de l’art, est probablement une (coûteuse) chimère.
      Par exemple, depuis déjà quelque temps, nous sommes matraqués de publicités nous incitant à acheter des véhicules à propulsion électrique, “et en même temps”, on arrête les réacteurs nucléaires… Résultat, déjà, des patrouilles de police sont chargées de vérifier que les gens pensent à bien éteindre la lumière.

      C’est quand même plutôt mal parti.

      Merci à vous pour cet éclairage.

    • @MD: je retiens la phrase suivante de l’article que vous référencez: ” les réserves principales actuellement connues sont détenues par un petit nombre de pays, ce qui peut poser des problèmes géopolitiques.”. Existe-t’il une synthèse de cette donnée spatiale facilement accessible ?
      Merci pour vos excellentes analyses.

  3. Lu dans la presse (défense de rire):
    Canicule: la Californie interdit les recharges des voitures électriques à cause d’une vague de chaleur qui risque de faire surchauffer un réseau électrique vieillissant.
    Bon, va falloir se remettre au pétrole qui produit du CO2, qui réchauffe l’atmosphère, qui… ( mal de tête).
    En tout cas, merci à MD pour sa synthèse.

    • Nos décideurs ignorent ce que sont les Joules, les Watt heure, les Watts, ou bien les notions de rendement ou de facteur de charge. Ils n’y comprennent absolument rien.En plus, ils n’écoutent pas ceux qui savent.

      Ils sont guidés par l’idéologie et l’électoralisme.

      Leurs décisions insensées vont inévitablement se heurter aux réalités de la physique et de la technique.

    • “”””””Les consommateurs sont priés de réduire leur utilisation d’énergie entre 16H et 21H, quand le système est le plus sous tension, car la demande reste élevée et qu’il y a moins d’énergie solaire disponible»,””””””
      A quand la voiture électrique équipée de capteurs solaires et pourquoi d’une éolienne très efficace quand elle roule

  4. Sur la question de l’hydroélectricité, depuis presque 20 ans, des opérations de destructions de barrages et de digues sont en cours en France et dans toute l’Europe, financés et imposés par les Etats, au nom de la “Continuation écologique des rivières” !
    Pour résumer on arase tous les ouvrages, même parfois pluricentenaires pour restaurer des rivières dites “sauvages” ou “naturelles.
    Un exemple parmi des centaines https://actu.fr/normandie/ducey-les-cheris_50168/barrages-sur-la-selune-supprimes-trois-anciens-elus-jugent-la-decision-et-les-consequences-deraisonnables_53054035.html
    L’histoire de ces deux barrages hydroélectriques de la Sélune détruits ces dernières années, en dépit d’un long combat des riverains car ils étaient non seulement, producteurs d’électricité et régulateurs de niveaux des cours d’eau mais constituaient aussi des sites de pêche à la ligne, de canoe et de pique nique familial. (Il est vrai que pour les écolos, il n’est pas au programme que le petit peuple s’amuse…)
    Plusieurs sites Internet se sont crées pour combattre cette entreprise de destruction massive : https://continuite-ecologique.fr/
    Même s’il n’est question ni de nier, ni de minimiser la sécheresse de cet été, les cours d’eau français et européens auraient-ils été aussi asséchés si on avait déjà détruit des milliers d’ouvrages régulateurs. Et bien sûr on s’étonnera quand à la moindre grosse pluie on aura une inondation.
    Le même massacre est en cours aux USA sous les mêmes pressions écologiques, j’en ignore l’ampleur et la gravité.

    • Je connais un peu ce barrage et il est devenu l’exemple de cette folie ecolo qui va tout detruire dans le pays. Ces gens sont des autistes qui ne reconnaitront leurs erreurs. Ils ont un pouvoir enorme. Tout cela va se terminer avec des millions de morts.

  5. Quand il y aura des inondations, on accusera le “dérèglement climatique”.
    Aménager et réguler les cours d’eau ne profite pas qu’aux humains, beaucoup d’espèces apprécient également de pouvoir vivre dans un environnement stable et sécure.
    Les Verdâtres sont les plus grands ennemis de l’humanité mais aussi de la nature. Ces gens sont des malfaiteurs.

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