« 97% des scientifiques », origine du « consensus » climatique

Par MD

« Est-ce que vous avez jamais été d’accord en Sorbonne ? Non, mais nous donnons toujours des décrets ; et nous fixons à la pluralité des voix ce que l’univers doit penser. Et si l’univers s’en moque ? Tant pis pour l’univers ! » (Voltaire, Seconde anecdote sur Bélisaire).

 1/ Introduction.

Certains chiffres, parfois issus de sources incertaines ou difficiles à retrouver, connaissent un succès universel. On en trouve même dans les domaines technique et scientifique, qui pourtant devraient être immunisés contre ce genre d’emballement.

Il en est ainsi du fameux « 97% des scientifiques ». Ce chiffre, répété à satiété dans le monde entier depuis quelques années, est devenu l’étendard du « consensus » climatique et clôt toute discussion.

2/ La source.

Pour le coup, on connaît bien l’origine de ce pourcentage devenu emblématique. Il trouve sa source dans un article publié dans Environmental research letter du 15 mai 2013 sous le titre « Quantifying the consensus on anthropogenic global warming in the scientific littérature »[1]. Les neuf auteurs – en majorité australiens -sont emmenés par John Cook et Dana Nutticelli [2].Pour la fidélité aux textes originaux, on reproduit ici la plupart des citations en anglais. Le sigle « GW » signifie « global warming » et « AGW » « anthropogenic global warming ».

Le but de l’étude de Cook et al. était d’estimer le degré d’adhésion des scientifiques à la thèse du GIEC (IPCC) selon laquelle la plus grande part du GW observé est très probablement dû à l’activité humaine [3].

Pour cela, il a été procédé à une recension d’articles parus entre 1991 et 2011 dans les revues scientifiques à comité de lecture, et comportant des références au changement ou au réchauffement climatique [4].

L’étude est conduite en deux phases.

1°) En première phase des équipes de scrutateurs examinent les résumés(abstracts) de 11 944 articles rédigés par environ 29 000 scientifiques dans environ 2 000 revues. Cet examen donne lieu à une première évaluation (rating) du « niveau de consensus » que révèle chaque article.

2°) En seconde phase, il est demandé par mails à 8 547auteurs chefs de file des articles de préciser leur position sur l’AGW, en quelque sorte de faire une auto-évaluation (self-rating) de leur « niveau de consensus » afin de corriger ou de confirmer la première évaluation par des tiers. 1 189 réponses ont été obtenues correspondant à 2 142 articles (certains auteurs ayant rédigé plusieurs articles).

Conformément aux pratiques des publications scientifiques, il est possible d’accéder aux documents «supplementary data », bases de données présentés sous forme de tableurs [5].

De l’article, on citera deux phrases significatives :

  • Dans le résumé liminaire:« Among abstracts expressing a position on AGW, 97.1% endorsed the consensus position that humans are causing global warming Among self-rated papers expressing a position on AGW, 97.2% endorsed the consensus ».
  • Dans la conclusion(§5) : « Among papers expressing a position on AGW, an overwhelming percentage (97.2% based on self-ratings, 97.1% based on abstract ratings) endorses the scientific consensus on AGW ».

Comme la quasi-totalité des lecteurs ne prennent connaissance que du résumé et de la conclusion, la mèche est allumée et la propagation enclenchée.

  1. Les chiffres précis.

3.1 Première phase d’évaluation.

Le niveau de consensus est évalué selon une échelle de 1 à 7. Voici la répartition des niveaux évalués par les scrutateurs à l’examen des « abstracts »[6] :

(1) explicitly endorses and quantifiesAGW as ≥50%                                  64 soit 0,5%

(2) explicitly endorsesbut does not quantify or minimize                             922 soit 7,7%

(3) implicitly endorses AGW without minimizing it                                    2910 soit 24,4%

(4) no position                                                                                             7970 soit 66,7%

(5) implicitly minimizes / rejects AGW                                                             54 soit 0,5%

(6) explicitly minimizes / rejects AGW but does not quantify                     15 soit   0,1%

(7) explicitly minimizes / rejects AGW as less than 50%                              9 soit   0,1%

Total 11 944

3.2 Seconde phase d’évaluation.

Sur les 2 142 articles correspondant aux 1 189 réponses reçues :

1 342 entérinent le consensus      soit 62,6%

761 ne prennent pas position        soit 35,5%

39 rejettent le consensus                  soit   2%.

Les proportions des « consensuels » et des « sans opinions » sont ici inversées. On peut trouver à cela diverses explications, dont le biais de l’échantillonnage.

  1. Discussion.

Dans la première phase comme dans la seconde, en excluant les « abstentionnistes » (pas de position), on obtient en effet environ 97% de « pour » la doctrine et 3% de « contre » la doctrine. Mais de quelle doctrine s’agit-il au juste ?La réponse se trouve dans le tableau ci-dessous, résumé des prises de position successives du GIEC [7] sur le sujet des températures, et qui témoigne de leur évolution progressive.

 

FAR (1990)“The size of this warming [0 3°C to 0 6°C over the last 100 years] is broadly consistent with predictions of climate models, but it is also of the same magnitude as natural climate variability.”
SAR (1995)“The balance of evidence suggests that there is a discernible human influence on global climate.”
TAR (2001)“Most of the observed warming over the last 50 years is likely to have been due to the increase in greenhouse gas concentrations.”
4AR (2007)“Most of the observed increase in global average temperatures since the mid-20th century is very likely due to the observed increase in anthropogenic greenhouse gas concentrations.”
5AR (2013)‘It is extremely likely that more than half of the observed increase in global average surface temperature from 1951 to 2010 was caused by the anthropogenic increase in greenhouse gas concentrations and other anthropogenic forcings together. The best estimate of the human-induced contribution to warming is similar to the observed warming over this period.”

Ce n’est qu’à partir de 2001 (notons que 20% des articles examinés étaient antérieurs à 2001) qu’il est fait mention de la date de 1950 (ou du « milieu du siècle ») et de la part prépondérante des activités humaines dans l’augmentation des températures.

Quoiqu’il en soit, on a vu que le niveau d’adhésion aux thèses du GIEC était assez mesuré, puisque seuls 8% des articles l’expriment « explicitement »[8].

Une formulation correcte serait donc : « une grande majorité des scientifiques qui ont exprimé une opinion sur le sujet ne nient pas que les activités humaines aient pu exercer plus ou moins d’influence sur le climat et notamment sur l’augmentation des températures ».

Ainsi formulée, cette affirmation pourrait recevoir un agrément à peu près unanime, mais son caractère modéré et relatif n’est plus de mise dans le débat climatique.

Elle serait en tout cas plus scientifique que l’affirmation mensongère et répétée selon laquelle 97% des scientifiques sont et restent d’accord sans restrictions avec les positions du GIEC, alors même que :

  • Les positions du GIEC ont notablement évolué d’un rapport à l’autre ;
  • Les auteurs des quelques 12 000 articles analysés ignoraient encore tout du dernier rapport en date, et un cinquième d’entre eux ne connaissaient même que les deux premiers rapports.
  1. Conclusion.

D’autres études ou enquêtes sur le même sujet avaient été faites auparavant. Celle-ci est la plus copieuse ; elle a donné lieu à de nombreuses critiques de principe et de détail, dont beaucoup sont probablement justifiées et qu’on peut retrouver dans l’abondante littérature grise de ces dernières années ; on ne les rapportera pas ici. Cela étant, il semble que cette analyse ait été faite consciencieusement. L’article est clair et détaillé, et les bases de données sont aisément accessibles, ce qui est méritoire.

Ce document aurait pu éventuellement être utile. Malheureusement ses qualités ont été profondément gâchées, pour ne pas dire sabotées, par l’esprit partisan et militant. Inutile d’incriminer les médias et les politiques pour l’exploitation insupportable qui en a été faite : ce sont bien des hommes de science qui en sont à l’origine : d’abord les auteurs eux-mêmes, puis tous leurs collègues qui ont ensuite surenchéri.

Du coup, les « 97% » sont devenus, pour les uns un argument sans réplique, et pour les autres un objet de dérision et de plaisanterie, qui n’est pas sans rappeler le spirituel slogan de la Française des jeux : « 100% des gagnants ont tenté leur chance ® ».

[1]http://iopscience.iop.org/article/10.1088/1748-9326/8/2/024024. Voir aussi https://skepticalscience.com/tcp.php?t=home

[2] Skeptical Science (SkS), Brisbane (auquel appartiennent trois autres des auteurs). Contrairement à ce que laisse supposer ce titre, il s’agit d’uneentité qui défend résolument la thèse officielle en matière climatiquenotamment sur son sitewww.skepticalscience.com.

[3]« in order to determine the level of scientific consensus thathuman activity is very likely causing most of the current GW (anthropogenic global warming, or AGW) ».

[4] « matching the topics ‘global climate change’ or ‘global warming’ ».

[5]http://iopscience.iop.org/article/10.1088/1748-9326/8/2/024024/data

[6]Chacun peut refaire sans difficulté un traitement des 11 944 lignes de la base de données aux fins de vérification.

[7]Tiré de :https://judithcurry.com/2015/12/20/what-is-there-a-97-consensus-about/Le 5ème rapport n’est indiqué que pour mémoire, puisqu’il est postérieur aux articles analysés.

[8]Quant au pourcentage de ≥50% de la part prépondérante des activités humaines, le GIEC ne le mentionne qu’en 2013, il n’est donc pas surprenant qu’il n’ait recueilli que très peu de suffrages…

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