Comment un mouvement politique a inventé ses propres fondements scientifiques.

Par Richard Lindzen (*)

Richard Siegmund Lindzen est un physicien de l’atmosphère américain connu pour son travail sur la dynamique de l’atmosphère, les marées atmosphériques, et la photochimie de l’ozone. Il a publié plus de 200 articles scientifiques et livres. De 1983 jusqu’à sa retraite en 2013, il a été Professeur de Météorologie, et titulaire de la chaire Alfred P. Sloan, à l’Institut de Technologie du Massachusetts. Il a été l’un des principaux auteurs du chapitre 7, « Physical Climate Processes and Feedbacks », du troisième rapport d’évaluation sur le changement climatique du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) ». Richard Lindzen est membre du comité scientifique de notre association.

Article initialement publié en anglais par le journal en ligne The American Mind. Traduit par Camille Veyres.


Il n’est pas rare que les mouvements politiques modernes prétendent s’appuyer sur la science, qu’il s’agisse de la restriction de l’immigration et de l’eugénisme (aux États-Unis après la Première Guerre mondiale), de l’antisémitisme et de l’idéologie raciale (dans l’Allemagne hitlérienne), du communisme et du lyssenkisme (sous Staline). Chacun de ces mouvements a invoqué à tort un consensus scientifique qui a convaincu des citoyens très instruits, mais néanmoins ignorants de la science, de mettre de côté les inquiétudes liées à leur ignorance. Comme tous les scientifiques étaient censés être d’accord, il n’était pas nécessaire qu’ils comprennent la science.

Bien sûr, cette version de « La Science » est l’opposé de la science elle-même. La science est un mode d’investigation plutôt qu’une source d’autorité. Cependant, le succès qu’elle remporte lui a valu une certaine autorité dans l’esprit du public. C’est ce que les politiciens envient et exploitent fréquemment.

La panique climatique s’inscrit dans ce même schéma et, comme dans tous les cas précédents, la science est en fait hors sujet . Au mieux, c’est une diversion qui a conduit beaucoup d’entre nous à se concentrer sur les nombreuses déformations de la science fabriquées pour justifier ce qui n’était qu’un mouvement politique.

Aux États-Unis, l’obsession de la décarbonisation (c’est-à-dire du Net Zero) trouve son origine dans la réaction à l’étonnante période de l’après-guerre, lorsque les travailleurs ordinaires ont pu pour la première fois posséder une maison et une voiture. J’étais étudiant dans les années 50 et au début des années 60. Il était courant de se moquer du mauvais goût et du matérialisme de ces soi-disant gens ordinaires. Avec la guerre du Vietnam, les choses se sont amplifiées lorsque la classe ouvrière a été enrôlée alors que les étudiants cherchaient à obtenir des reports de conscription.

À cette époque, les étudiants constituaient encore une élite relative ; l’expansion massive de l’enseignement supérieur ne faisait que commencer. De nombreux étudiants justifiaient leur comportement en insistant sur le fait que la guerre du Vietnam était illégitime, tout en ignorant le fait évident que les Vietnamiens fuyaient vers le sud plutôt que vers le nord. Il était à la mode de considérer les États-Unis comme le mal et de vouloir en renverser le gouvernement. L’opposition employait souvent la violence, comme dans le cas de groupes tels que le Weather Underground et le SDS (Students for a Democratic Society).

En 1968, j’enseignais à l’université de Chicago. Ma femme et moi passions l’été dans le Colorado et nous avions engagé un étudiant pour s’occuper de notre maison. À notre retour, nous avons trouvé une voiture de police qui surveillait notre appartement. Le gardien de maison l’avait apparemment transformé en camp de base pour les SDS pendant la convention du Parti démocrate. Notre appartement était jonché de leurs tracts, qui comprenaient des instructions pour empoisonner l’approvisionnement en eau de Chicago. Cette période semble s’être terminée avec l’élection de Nixon, mais nous savons maintenant que ce n’était que le début d’une longue marche à travers les institutions, une marche menée par des révolutionnaires avoués déterminés à détruire la société occidentale. Pour ces nouveaux révolutionnaires, cependant, l’ennemi n’était pas les capitalistes : c’était la classe moyenne ouvrière. Ils se sont rendu compte que les capitalistes pouvaient facilement être achetés.

Actuellement, l’accent est mis sur la marche à travers les établissements d’enseignement : d’abord les écoles d’enseignement, puis l’enseignement supérieur en sciences humaines et sociales, et maintenant les STEM. Ce qui est généralement ignoré, c’est que les sociétés professionnelles étaient également des cibles évidentes. Ces sociétés sont généralement dirigées par un directeur exécutif qui peut, parfois indirectement, parler au nom de milliers de membres occupés par leurs activités professionnelles. Il est probablement plus facile de s’emparer d’une seule personnalité que de s’emparer des facultés d’une université. Ma femme a assisté à une réunion de la Modern Language Association à la fin des années 60, et elle était déjà complètement « woke». Les fondations, qui regorgent d’argent, étaient également des cibles évidentes. La Fondation Ford et la Fondation Rockefeller Brothers en sont des exemples notables.

La longue marche à travers les industries

Bien que l’accent soit actuellement mis sur la prise de contrôle de l’éducation, la diversité, l’équité et l’inclusion (DEI) n’étaient pas le seul objectif de cette marche à travers les institutions. Je pense que ce serait une erreur d’ignorer l’accent mis traditionnellement par les mouvements révolutionnaires sur les moyens de production. Le moyen utilisé pour cela était la prise de contrôle du mouvement environnemental. Avant 1970, ce mouvement se concentrait sur des sujets tels que les baleines, les espèces menacées, les paysages, la qualité de l’air et de l’eau, et la population. Cependant, avec la première Journée de la Terre en avril 1970, l’attention s’est principalement portée sur le secteur de l’énergie, qui, après tout, est fondamental pour toute production et, par conséquent, représente des milliards de dollars. Comme nous le verrons, ce dernier élément était fondamental.

Ce nouvel objectif s’est accompagné de la création de nouvelles organisations environnementales telles que Environmental Defense et le Natural Resources Defense Council. Il s’est également accompagné de nouvelles organisations gouvernementales telles que l’EPA et le ministère des Transports. Une fois de plus, les sociétés professionnelles ont été des proies faciles : l’American Meteorological Society, l’American Geophysical Union, et même les sociétés honorifiques telles que la National Academy of Science, l’American Academy of Arts and Sciences, etc. La prise de contrôle de la Royal Society au Royaume-Uni en est en Europe un exemple évident.

Au début, il y a eu quelques hésitations. Le mouvement a d’abord tenté de se concentrer sur le refroidissement climatique dû à la réflexion de la lumière du soleil par les aérosols sulfatés émis par les centrales au charbon. Après tout, il semble qu’il y ait eu un refroidissement climatique entre les années 1930 et 1970. Cependant, le refroidissement s’est terminé dans les années 1970. Un effort supplémentaire a été fait pour relier les sulfates aux pluies acides, qui étaient censées tuer les forêts. Cependant, les forêts touchées n’ont pas tardé à se rétablir. Dans les années 70, l’attention s’est portée sur le CO2 sa contribution au réchauffement par l’effet de serre.

L’attrait du CO2 pour les fanatiques du contrôle politique était évident. C’était le produit inévitable de toute combustion de combustibles à base de carbone. C’était aussi le produit de la respiration. Cependant, il y avait un problème : le CO2 était un gaz à effet de serre mineur par rapport à la vapeur d’eau produite naturellement. Doubler le CO2 ne conduirait qu’à un réchauffement de moins de 1°C. Puis, au début des années 70, un article de Syukuro Manabe et Richard Wetherald est venu à la rescousse.

À l’aide d’un modèle unidimensionnel très irréaliste de l’atmosphère, Manabe et Wetherald ont supposé (sans aucune base) que l’humidité relative resterait constante à mesure que l’atmosphère se réchaufferait. Ils ont constaté que la rétroaction positive qui en résulterait amplifierait l’impact du CO2 par un facteur de 2. Cela violait le principe de Le Chatelier, selon lequel les systèmes naturels ont tendance à s’opposer au changement. Mais, pour être juste, ce principe n’avait pas été rigoureusement prouvé.

Les rétroactions positives sont alors devenues le fonds de commerce de tous les modèles climatiques, qui ont soudainement commencé à produire des réponses au doublement du CO2 de 3 °C et même de 4 °C, plutôt que d’un maigre 1 °C ou moins. L’enthousiasme des politiciens est devenu sans bornes. Les élites qui se targuent de vertus ont promis d’atteindre le zéro émission nette en une décennie (ou deux, ou trois) sans avoir la moindre idée de la manière d’y parvenir sans détruire leur société (et, dans le cas de l’éolien offshore, sans tuer les mammifères marins).

Les gens ordinaires, confrontés à des exigences impossibles sur leur propre bien-être, n’ont pas trouvé très impressionnant un réchauffement de quelques degrés. Le réchauffement prévu se situait dans la fourchette que tout le monde négocie avec succès chaque jour. En revanche, la plupart des élites éduquées ont appris à rationaliser n’importe quoi pour plaire à leurs professeurs, une compétence qui les rend particulièrement vulnérables à la propagande. Mais peu de gens ordinaires envisagent de se retirer dans l’Arctique plutôt qu’en Floride.

Face à cette résistance, les politiciens excités ont changé de discours de manière frénétique. Plutôt que de mettre l’accent sur les petits changements de leur mesure de la température (qui, en soi, est une fausse mesure du climat), ils pointent désormais les phénomènes météorologiques extrêmes qui se produisent presque quotidiennement quelque part sur terre, comme preuve non seulement du changement climatique, mais aussi du changement climatique dû à l’augmentation du CO2 (et maintenant aussi à des contributeurs encore plus négligeables à l’effet de serre comme le méthane et l’oxyde nitreux). Ces extrêmes ne montrent aucune corrélation significative avec les émissions.

D’un point de vue politique, cependant, les extrêmes fournissent des visuels pratiques qui ont un impact émotionnel plus important que les petits changements de température.

Naissance d’un consensus

Le désespoir des personnalités politiques les pousse souvent à affirmer que le changement climatique est une menace existentielle (associée à de prétendus « points de basculement »). Et ce, malgré l’absence totale de preuves théoriques ou observationnelles et malgré le fait que les documents officiels produits pour soutenir les préoccupations climatiques (par exemple, les rapports du Groupe de travail 1 du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat des Nations Unies, ou GIEC) ne parviennent jamais à corroborer ces projections alarmistes.

Il y avait une exception à l’obsession du réchauffement, et c’était la question de l’appauvrissement de la couche d’ozone. Cependant, même cette question avait un but. Lorsque Richard Benedick, le négociateur américain de la Convention de Montréal qui a interdit le fréon, est passé par le MIT en rentrant de Montréal, il s’est réjoui de son succès. Mais il nous a assuré que nous n’avions encore rien vu : il fallait attendre de voir ce qu’ils allaient faire avec le CO2. En bref, la question de l’ozone a constitué un galop d’essai pour le réchauffement climatique. Certes, les activités de l’EPA comprennent toujours la lutte contre les pollutions conventionnelles, mais l’énergie domine.

Bien sûr, l’attrait du pouvoir n’est pas la seule chose qui motive les politiciens. La capacité d’allouer des milliers de milliards de dollars pour réorienter notre secteur énergétique signifie qu’il y a des bénéficiaires de ces milliers de milliards de dollars. Ces bénéficiaires doivent partager quelques pourcents de ces milliers de milliards de dollars pour soutenir les campagnes de ces politiciens pendant de nombreux cycles électoraux et garantir le soutien de ces politiciens pour les politiques associées à cette réorientation.

Il devrait être évident que l’affirmation du consensus a toujours été de la propagande. Mais l’histoire de cette affirmation est intéressante en soi. Le réchauffement climatique a été présenté pour la première fois au public américain lors d’une audition du Sénat en 1988, au cours de laquelle James Hansen, du Goddard Institute for Space Studies de New York, a témoigné. En soi, cela était quelque peu surprenant. Hansen était avant tout un scientifique de l’espace. Il n’était pas considéré comme un spécialiste du climat. Il est intéressant de revenir sur la façon dont il est devenu la voix de l’alarme climatique.

Dans les années 1960, le Goddard Space Flight Center de la NASA à Greenbelt, dans le Maryland, a créé un centre satellite à New York, le Goddard Institute for Space Studies (GISS), dirigé par le Dr Robert Jastrow. Lorsque Jastrow a quitté le GISS dans les années 1970, Greenbelt a tenté de fermer le GISS et, en effet, la plupart des personnes du GISS sont retournées à Greenbelt. Cependant, un petit groupe, dirigé par James Hansen, a décidé de rester à New York. La NASA a coupé leur financement. Mais l’EPA est venue à leur secours à la condition que les recherches du GISS se tournent vers le climat.

Apparemment, un ami de Hansen, Michael Oppenheimer, alors « Barbara Streisand scientist » à l’Environmental Defense (et par la suite professeur de politique climatique à Princeton), faisait partie du comité d’examen de l’EPA qui a recommandé cette réorientation des recherche du GISS vers le climat.

Pour couvrir le témoignage de Hansen, le Newsweek Magazine a publié une couverture montrant la Terre en feu avec le sous-titre « Tous les scientifiques sont d’accord ». C’était à une époque où il n’y avait qu’une poignée d’institutions qui s’occupaient du climat, et même ces institutions étaient plus soucieuses de comprendre le climat actuel que l’impact du CO2 sur le climat (en fait, de nombreux scientifiques très éminents s’opposaient à l’affirmation selon laquelle l’augmentation du CO2 constituait un danger important pour le climat, en raison des émissions industrielles de l’humanité.  Un groupe restreint d’entre eux est répertorié dans l’annexe ci-dessous . Néanmoins, quelques politiciens (notamment Al Gore) en faisaient déjà leur cheval de bataille. Et, lorsque l’administration Clinton-Gore a remporté les élections en 1992, le financement lié au climat a rapidement augmenté d’un facteur d’environ 15. Cela a en effet entraîné une augmentation importante du nombre de personnes affirmant travailler sur le climat, qui comprenaient que ce soutien financier exigeait qu’ils soient d’accord sur le prétendu danger du CO2.

Ainsi, chaque fois qu’il était besoin de trouver quelque chose à annoncer (par exemple, que la période chaude médiévale n’a jamais eu lieu, ou encore qu’un changement historique quelconque pouvait être attribué au CO2) il y avait inévitablement de soi-disant scientifiques pour prétendre avoir démontré ce qui leur était demandé de trouver : ils  recevaient alors des récompenses et une reconnaissance remarquables malgré les faiblesses et le caractère très discutable de leur arguments.

Cela a permis d’obtenir une sorte de consensus. Il ne s’agissait pas d’un consensus sur le fait que nous étions confrontés à une menace existentielle, mais plutôt sur le fait que l’augmentation prévue du PIB d’ici la fin du XXIe siècle passerait d’environ +200 % à +197 %. Même cette prévision est exagérée, d’autant plus qu’elle ignore les avantages indéniables du CO2. 

[NdT : +200%, un triplement du PIB correspond à une très modeste croissance économique de +1.48%/an pendant 75 ans et +197% correspond à +1.46 %/an. Voir Richard Tol :  A meta-analysis of the total economic impact of climate change et les études de Nordhaus (prix Nobel d’économie 2018) trouvant, pour +3°C sur la température globale moyenne, seulement -2.1% sur le PIB de 2100 ou 2120.]

Nous voilà donc confrontés à des politiques qui détruisent les économies occidentales, appauvrissent la classe moyenne active, condamnent des milliards de personnes parmi les plus pauvres du monde à une pauvreté persistante et à une famine accrue, laissent nos enfants désespérés par l’absence présumée d’avenir et enrichissent les ennemis de l’Occident qui se délectent du spectacle de notre marche suicidaire, une marche que le secteur de l’énergie accepte lâchement, par paresse pour faire le modeste effort nécessaire pour vérifier ce qui est affirmé. Comme l’a dit Voltaire, « Ceux qui peuvent vous faire croire des absurdités peuvent vous faire commettre des atrocités ».

Espérons que nous nous réveillerons de ce cauchemar avant qu’il soit trop tard.

Partager

Une réflexion au sujet de « Comment un mouvement politique a inventé ses propres fondements scientifiques. »

  1. Très intéressant et clairement exposé pour le quidam que je suis…
    En résumé nous assistons à l’alliance abracadabrantesque des gauchistes (wokistes), des politiques et des industriels momentanément réunis dans la recherche de leurs propres intérêts divergents (savoir : la destruction de l’Occident, le pouvoir et l’argent… encore qu’entre le pouvoir et l’argent on peut trouver des passerelles, mais l’accent est mis différemment selon que l’on est politique ou industriel), chacun espérant utiliser l’autre pour avoir plus de force dans le combat avant de quitter à temps, une fois le but atteint (du moins l’espère-t-on), cette alliance de la carpe, du lapin et de la machine à coudre…mais tout sera par terre avant…
    Comment nos prétendues élites ont-elles pu se laisser berner de la sorte par cette idéologie écolo délétère, sans aucune réaction, par démagogie, faiblesse ou (mauvais) calcul à très très courte vue ? C’est un grand mystère et une énorme trahison dont les conséquences catastrophiques pour l’avenir de l’Occident passent de loin le « réchauffement climatique » !
    On voit par exemple notre industrie automobile en France s’effondrer complètement avec le mirage des voitures électriques, dont personne ne veut, et la perspective de l’abandon définitif du moteur thermique, au lieu de jouer « la diversité » (tiens, pourtant ça devrait « leur » plaît ce thème) des sources d’énergie au choix du consommateur : ainsi la baisse de l’achat des voitures neuves, entre autres, a fait chuter la consommation des ménages au premier trimestre, et donc la croissance…
    Evidemment il n’est pas question de « sciences » ici, puisqu’en « sciences » le seul consensus que l’on puisse retenir est l’unanimité (et non la majorité) des savants dans le domaine de recherche (et Monsieur Lindzen, précisément, n’est pas dans le consensus)… La science n’est pas la démocratie : la « vérité scientifique», qui est une perpétuelle recherche et non une affirmation péremptoire, ne se vote pas à la majorité des voix…
    C’est pour avoir oublié cette simple « vérité » que la confusion entre « politique » et « science » peut être savamment entretenue en faisant passer l’une pour l’autre dans le plus grand désordre des esprits… là où il y a un flou, il y a un loup…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

captcha