Cycle du carbone, l’éclairage de trois nouvelles publications

Trois nouvelle études publiées en août 2018 apportent un éclairage nouveau sur le cycle du carbone. La première, publiée dans la revue Nature [1] montre que le taux de croissance du CO2  dans l’atmosphère est très sensible aux changements observés dans le stockage de l’eau terrestre. Les deux autres publiées respectivement dans Nature Geoscience [2] et dans Nature [3] montrent une tendance à l’augmentation du puits de carbone terrestre grâce notamment  aux modifications de l’usage des sols sous l’influence des activités humaines.

L’effet fertilisant du carbone

Les écosystèmes terrestres absorbent en moyenne 30 % des émissions anthropiques de CO2 , un phénomène qui modère l’accroissement de la concentration de ce gaz dans l’atmosphère. On sait également que les émissions de CO2  on un effet fertilisant : cela a été établi par une étude internationale publiée en avril 2016 dans Nature Climate Change [4] qui a montré depuis une trentaine d’années un verdissement de 25 % à 50 % des terres végétalisées du globe. Aujourd’hui, les plantes couvrent près d’un tiers (32 %) de la superficie totale de la planète, occupant environ 85 % de toutes les terres libres de glace, selon le journal Le Monde [5] qui a commenté cette étude.

verdissement

Le Rôle de l’eau dans le cycle du carbone

L’étude de Nature intitulée « Sensibilité du taux de croissance du CO2 atmosphérique aux changements observés dans le stockage de l’eau terrestre »  a fait l’objet d’un communiqué de presse du CEA [6]. Elle explique que si l’augmentation du CO2  atmosphérique varie beaucoup d’une année à l’autre, indépendamment des émissions anthropiques, c’est parce que le taux de croissance du CO2  est fortement sensible aux changements observés dans le stockage de l’eau terrestre, les années les plus sèches étant associées à des concentrations atmosphériques de CO2  plus élevées, et inversement.

La concentration atmosphérique en CO2  croît plus rapidement pendant les années sèches (et inversement)

Les plantes ont besoin d’eau pour se développer mais lorsqu’une sécheresse se produit, elles réduisent leur métabolisme en fermant partiellement leurs stomates [7] pour limiter les pertes d’eau par évaporation. Ce phénomène qui maximise l’efficacité de l’utilisation de l’eau par les plantes se produit au détriment de la capture de carbone par la photosynthèse,  affaiblissant ainsi leur rôle de puits de carbone.

Pour comprendre et prédire les variations de CO2  grâce à l’évolution de la végétation, les chercheurs ont mesuré les variations extrêmement faibles du champ de gravitation terrestre causées par des variations de la quantité d’eau stockée sur les continents. Ils ont utilisé pour cela le système satellitaire GRACE [8] qui permet de mesurer la répartition des masses au sein de la planète et ses variations dans le temps.

Les chercheurs ont relevé une forte cohérence spatiale et temporelle entre une efficacité optimale de l’utilisation de l’eau par les plantes et la réduction de la capture du carbone atmosphérique dans l’hémisphère Nord lors des sécheresses qui ont affecté l’Europe, la Russie et les USA en 2001–2011. Ils ont ainsi montré que la concentration atmosphérique en gaz carbonique s’accroissait plus rapidement pendant les années sèches, parce que les écosystèmes soumis au stress hydrique absorbent moins de carbone.

Pendant les années globalement sèches comme 2015 (à l’échelle mondiale), les écosystèmes naturels ont capturé environ 30 % de CO2 en moins que lors d’une année normale. Cela a induit, cette année-là, un accroissement plus rapide de la concentration atmosphérique en CO2 . À l’inverse, pendant l’année 2011 qui fut globalement très humide, le développement de la végétation a causé une augmentation plus lente du CO2 atmosphérique.

À l’échelle globale, cet effet devra être pris en compte dans les modèles climatiques futurs.

Selon cette étude, l’impact des sécheresses ou des périodes humides est nettement plus important que les prévisions des six modèles les plus performants, ce qui suggère que ceux-ci sous-évaluent les rétroactions climat-carbone causées par les sécheresses ou les périodes humides. La prise en compte de la réponse au stress hydrique de la végétation doit être améliorée, en particulier sur la base des mesures des isotopes stables du carbone.

Augmentation de la capacité des puits de carbone terrestres

Selon la 2ème étude publiée dans Nature Geoscience [9], la masse de carbone fixée sur les surfaces continentales a triplé pendant la période 1998-2012 par rapport à la période précédente (1980–1998). Cette augmentation qui reste mal comprise ne peut être expliquée selon les chercheurs que par l’évolution de l’usage des sols. Ils l’attribuent au reboisement des régions tempérées de l’hémisphère Nord, ainsi que par des pertes moindres de surfaces de forêts tropicales.

La 3ème étude publiée par Nature [10] intitulée « Changement dans l’utilisation des sols de 1982 à 2016 », a analysé 35 années de données satellitaires et établi un bilan complet de la dynamique mondiale des changements d’usage des sols au cours de la période 1982-2016. Elle montre que contrairement à une opinion dominante, la couverture arborée augmente (2,24 millions km2, soit + 7,1% par rapport au niveau de 1982). Ce gain net global résulte selon les chercheurs d’une perte nette dans les tropiques plus que compensée par un gain net dans les zones extratropicales. La couverture totale du sol nu a diminué de 1,16 million de km2 (−3,1%), notamment dans les régions agricoles d’Asie. Parmi tous les changements fonciers, 60% sont associés à des activités humaines directes et 40% à des facteurs indirects tels que le changement climatique.


[1] Sensitivity of atmospheric CO2  growth rate to observed changes in terrestrial water storage (https://www.nature.com/articles/s41586-018-0424-4)

[2] Lower land-use emissions responsible for increased net land carbon sink during the slow warming period (https://www.nature.com/articles/s41586-018-0424-4#ref-link-section-d3641e463)

[3] Global land change from 1982 to 2016 (https://www.nature.com/articles/s41586-018-0411-9)

[4] Greening of the Earth and its drivers (https://www.nature.com/articles/nclimate3004)

[5] Le Monde (27 avril 2016) La Terre verdit grâce aux émissions de CO2 (https://www.lemonde.fr/planete/article/2016/04/27/la-terre-verdit-grace-aux-emissions-de-co2_4909274_3244.html)

[6] Les chercheurs explorent les causes des variations des émissions de CO2 dans l’atmosphère http://www.cea.fr/Pages/actualites/environnement/causes-variations-CO2–atmosphere.aspx

[7] Stomates : orifices des plantes permettant les échanges gazeux

[8] Gravity Recovery And Climate Experiment plus connue par son acronyme GRACE est une mission spatiale de la NASA qui effectue des mesures détaillées de la gravité terrestre. Les données recueillies permettent de connaitre la répartition détaillée des masses au sein de la planète et ses variations dans le temps. Pour y parvenir ces missions utilisent deux satellites travaillant en tandem. Les positions relatives des deux satellites et les variations de leurs orbites sont exploitées pour mesurer l’évolution du champ de gravité dans la région survolée.  https://fr.wikipedia.org/wiki/Gravity_Recovery_and_Climate_Experiment

[9] Lower land-use emissions responsible for increased net land carbon sink during the slow warming period (https://www.nature.com/articles/s41561-018-0204-7)

[10] Global land change from 1982 to 2016 (https://www.nature.com/articles/s41586-018-0411-9)

 

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