Wall Street se détourne du solaire et de l’éolien

Avec Samuel Furfari

Article initialement publié le septembre par Atlantico

Lors de la Climate Week NYC, Wall Street s’est éloigné du cadre traditionnel du financement climatique pour mettre davantage l’accent sur la nécessité de financer l’énergie pour la croissance de l’intelligence artificielle et de la sécurité énergétique.

Atlantico : La Climate Week NYC, du 21 au 28 septembre, est un événement caritatif annuel qui a lieu chaque année à New York et dont l’objectif est de promouvoir l’action climatique en faisant appel aux chefs d’entreprise et aux représentants de la société civile pour participer au financement de certains projets. Wall Street semble désormais justifier ses investissements énergétiques par la sécurité énergétique et la croissance de l’IA plutôt que par les stratégies du passé liées aux éoliennes ou au photovoltaïque. Ce changement de narratif vous semble-t-il stratégique ou révélateur d’un retour au réel ?

Samuel Furfari : Le réel finit toujours par s’imposer. Il est possible de rêver un temps en essayant d’investir dans des projets de transition énergétique politiques, mais le rêve prend fin, et la plupart des entreprises reviennent alors à la dure réalité. Nous vivons dans un monde où l’utopie a sa place, mais dans le monde économique, il est impératif d’assurer un minimum de rentabilité.

Il y a une dizaine d’années, les entreprises de la tech, les dot com, qui réalisent la plupart de leurs bénéfices sur Internet ou grâce à un site web, étaient convaincues qu’elles pourraient, grâce à leur savoir-faire, développer massivement la production d’énergie solaire et éolienne.

Google, Microsoft, Amazon ont investi dans ces énergies vertes, avec parfois une certaine arrogance, affirmant qu’ils savaient mieux que la concurrence ce qui était judicieux et que leurs investissements et leurs sommes d’argent pouvaient suffire à concrétiser leur projet de révolution énergétique. Or, il ne leur a pas fallu beaucoup de temps pour comprendre que ces plans ne fonctionnaient pas. Ils ont abandonné cette utopie.

Malheureusement, les politiques, eux, n’abandonnent pas leurs projets en matière de transition énergétique. Ils continuent à dépenser l’argent public dans ces futilités.

L’illustration la plus marquante concerne la loi de programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). Il s’agit d’une utopie, car dans le monde politique, la rentabilité n’est pas une contrainte. Les dirigeants ont tendance à augmenter les taxes et le prix de l’électricité. Mais les entreprises de la tech ont compris qu’il fallait procéder autrement.

Le solaire et l’éolien ne semblent plus prioritaires pour les grands investisseurs américains et les banques qui se tournent vers l’IA et la sécurité énergétique. Est-ce, selon vous, un aveu d’échec du solaire et de l’éolien dans leur capacité à porter seules la transition énergétique ?

Le problème fondamental de l’énergie solaire et éolienne, que beaucoup refusent encore d’admettre, est leur intermittence, qui reste rédhibitoire. Cela ne changera jamais. Il n’est pas possible de disposer de soleil 24 heures sur 24, ni de vent en continu.

La moyenne du facteur de charge de l’éolien dans l’UE est de 25 % et celui du solaire de 12 %. Cela signifie que, la plupart du temps, ces installations ne produisent pas d’électricité. Il est donc impossible de construire une économie sur des bases aussi instables.

Or, l’intelligence artificielle, mais aussi Internet en général, requiert une disponibilité d’électricité non pas à 80 %, mais à 99,99 % et ce 24h tous les jours. Une coupure de courant serait une catastrophe pour les serveurs. Un black-out est impensable dans ce domaine. Si une panne intervient pour charger une voiture électrique, ce n’est pas dramatique. Il est possible d’attendre que le courant revienne. En revanche, une coupure pour un réseau informatique, et en particulier pour des applications liées à l’IA, aurait des conséquences majeures.

Les entreprises du secteur de l’IA et de la tech cherchent donc des solutions extrêmement stables. Elles abandonnent logiquement le solaire et l’éolien, et se tournent vers le nucléaire. L’industrie de l’IA a besoin d’énormes quantités d’électricité, de manière constante

Microsoft, par exemple, a signé un contrat d’approvisionnement d’une durée de vingt ans qui va permettre à Constellation de relancer la centrale nucléaire de Three Mile Island aux États-Unis, qui avait été fermée en 2019.. D’autres misent sur les petits réacteurs nucléaires modulaires, les SMR (Small Modular Reactors), car certaines entreprises n’ont pas besoin d’une centrale de type Flamanville à 1600 mégawatts. Ces sociétés ont besoin d’une

électricité continue et bon marché. Plusieurs petits réacteurs suffisent. Ces entreprises investissent à présent massivement dans cette technologie.

Observons que c’est aussi un besoin des constructeurs de SMR qui ont besoin de pionniers solides qui disposent d’une forte capitalisation et d’ un engagement à long terme pour justifier les coûts de développement et de démonstration et aider à mettre sur le marché cette nouvelle génération de réacteurs nucléaires. Une démonstration technologique réussie dans le monde de l’IA et des serveurs sera un gage de réussite pour tout le secteur électrique.

L’explosion de la demande énergétique liée à l’intelligence artificielle devient un nouveau moteur pour les investissements. Cette nouvelle tendance va-t-elle conduire à recourir aux énergies fossiles ou le nucléaire peut-il être un allié pour garantir la sécurité énergétique face à ces nouveaux défis ?

Le développement de ces nouvelles technologies constitue effectivement un atout pour le nucléaire. Il va y avoir besoin de plus d’électricité, et toute source d’énergie est donc la bienvenue. Dans les pays occidentaux, le nucléaire demeure la source d’électricité la moins coûteuse, à condition de laisser les investisseurs tranquilles.

Si, comme cela a été le cas en Belgique, des écologistes interviennent pour imposer l’arrêt d’une centrale, les conséquences économiques et sociétales seront catastrophiques. Mais en laissant les producteurs d’électricité travailler sereinement, sur le moyen et long terme, le nucléaire sera véritablement un atout et l’énergie la moins chère en Europe occidentale et aux États-Unis. Dans d’autres régions du monde, le charbon reste moins cher et continue à se développer pour la production d’électricité, car il est indispensable pour sortir des difficultés sociales, mais aussi pour alimenter les réseaux informatiques et l’intelligence artificielle. Mais là aussi le nucléaire va finir par s’imposer bien qu’avec un retard.

Les deux sources d’énergie – nucléaire et charbon – sont donc nécessaires. Via ces nouveaux investissements, il y aura l’émergence de davantage de centrales à charbon et de centrales nucléaires, car l’intelligence artificielle a besoin d’énormes quantités d’électricité.

Certaines voix affirment que cette mutation est positive, car elle recentre la finance sur la rentabilité réelle et non sur des promesses climatiques floues. Cela peut-il être positif pour le climat, pour la sécurité énergétique ainsi que pour la compétitivité économique ?

Le monde financier a compris cette évolution bien avant le monde politique. Le problème est que dans l’UE le monde politique refuse de l’entendre et continue d’imposer la production d’énergie éolienne et solaire. Il existe plusieurs directives européennes, en 2000, 2009, 2018 et 2023, qui ont rendu cette production obligatoire. Si c’était bon marché, une directive aurait suffi !

Le monde financier, de son côté, ne se préoccupe pas de ces directives. Il cherche simplement la rentabilité. Or, cette rentabilité implique d’abandonner les investissements dans les énergies vertes. Le climat n’est plus un facteur déterminant et aussi urgent face aux défis technologiques, économiques et budgétaires. S’il y avait une réelle peur climatique, les investisseurs pourraient accepter une certaine perte pour « sauver le climat

». Mais ils savent très bien que ni les éoliennes, ni le solaire, ni l’hydrogène ne permettront d’inverser les tendances climatiques.

Les investisseurs, les entreprises ou les banques choisissent donc d’investir là où il est possible de générer des profits. Cela constitue une évolution majeure que l’UE refuse d’admettre. Elle ne peut pas suivre cette voie, car Ursula von der Leyen s’est engagée personnellement sur ce plan pendant cinq ans. Elle ne peut pas revenir en arrière en confessant qu’elle s’est trompée. Elle poursuivra donc cette politique encore durant son second mandat.

Mais en dehors de l’UE, les investissements dans ce domaine ne se font plus ou sont en recul. Le temps de la peur liée à l’Accord de Paris est révolu. Il ne fait plus peur à personne ; le nucléaire non plus !

Est-ce que ces nouveaux investissements vers l’intelligence artificielle et vers les nouveaux types de production d’énergie peuvent être prometteurs pour la sauvegarde du climat, pour l’innovation et pour la sécurité énergétique ?

Cette évolution dans les financements est effectivement prometteuse. Tous les progrès réalisés en matière de technologie sont toujours bénéfiques pour les enjeux que vous venez de mentionner. Bien entendu, en développant des réacteurs nucléaires plus performants, plus petits, modulaires, ces adaptations seront bénéfiques pour l’industrie, pour l’environnement, pour l’économie. Il est important de faire passer ce message, en particulier auprès des jeunes générations.

D’autant plus que les progrès en matière d’innovation ne vont pas s’arrêter. Il y aura toujours de nouvelles avancées qui permettront des améliorations dans tous les domaines, y compris dans la réduction de la consommation d’énergie.

Grâce à l’innovation technologique, l’efficacité énergétique va s’améliorer progressivement, du moins par unité de PIB. J’ai connu la période des années 1950-1960, où la pollution était omniprésente. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Le développement technologique a permis ces avancées et de faire reculer les émissions de CO2 et la pollution atmosphérique.

Le message doit donc être clair. Il y a un potentiel réel d’amélioration des conditions sociales, économiques et environnementales grâce à l’innovation technologique et à ces nouvelles pistes de financement.

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