Verdissement global et augmentation de la productivité agricole

Le texte qui suit est la traduction d’un extrait d’un article intitulé « Une évaluation critique des tendances des événements extrêmes dans un contexte de réchauffement climatique » publié en novembre 2021 dans la revue The European Physical Journal.


La productivité des écosystèmes naturels est un bon indicateur de la réponse aux changements des variables météorologiques (température, précipitations, rayonnement solaire global, etc.). La biomasse végétale globale a beaucoup augmenté ces dernières décennies avec un phénomène dit de verdissement global qui est le signe d’une augmentation significative de la productivité des écosystèmes (agricoles et naturels) que la surveillance satellitaire a mis en évidence ces dernières décennies. Walker et al. ont montré qu’à l’origine de ce phénomène global se trouve l’augmentation de la concentration du CO2 atmosphérique qui augmente la photosynthèse à l’échelle des feuilles et réduit le besoin en eau. La réponse directe à ces phénomènes est l’augmentation de la croissance des plantes, de la biomasse végétale et de la matière organique du sol. L’effet final est un transfert de carbone de l’atmosphère vers le puits de carbone des écosystèmes terrestres, ce qui pourrait avoir pour effet de réduire le taux de croissance du CO2 atmosphérique.

Les données satellitaires montrent une tendance au « verdissement » sur une grande partie de la planète qui repousse les déserts du monde entier (à la fois les déserts chauds des latitudes tropicales et les déserts froids des latitudes plus septentrionales). La réalité du verdissement est confirmée par Campbell qui, en utilisant les enregistrements de sulfure de carbonyle comme proxy de l’activité photosynthétique, a montré une augmentation de 31% de la production primaire brute au cours du XXe siècle. De plus, Wang et al. ont analysé la productivité globale de l’écosystème pour la période 1982-2016 et ont montré que les anomalies positives les plus significatives sont enregistrées en coïncidence avec des précipitations abondantes montrant l’importance de la limitation de l’eau pour la productivité de l’écosystème.

Zeng et al ont utilisé un modèle de cycle du carbone terrestre et montré que l’agriculture est responsable d’environ 50% de l’augmentation de l’absorption de CO2, ce qui montre son rôle éco systémique essentiel. En fait, l’agriculture n’émet qu’une petite fraction de ce qu’elle absorbe par photosynthèse. L’agriculture absorbe chaque année 7,5 GT de carbone, (un nombre qui s’élève à 12 GT si l’on considère également les pâturages) alors que les émissions globales du secteur agricole s’élèvent à 1,69 ± 0,38 GT. Par conséquent, l’agriculture émet 14,1 ± 0,03 % de ce qui était précédemment absorbé.

La réalité globale du verdissement mondial a aussi été montrée par la simulation réalisée par un groupe de recherche australien à l’aide du modèle CABLE (Community Atmosphere Biosphere Land Exchange) qui explique la tendance globale de la Productivité Primaire Brute (GPP) de 1900 à 2020 comme le résultat des trois facteurs suivants :

  • (a) l’effet physiologique des changements au niveau des feuilles directement stimulés par le dioxyde de carbone ;
  • (b) l’effet lié à l’augmentation globale de la masse foliaire ;
  • c) l’effet du changement climatique.

Globalement, l’augmentation de GPP (Productivité Primaire Brute) de 1900 à 2020 est estimée à 30% et on estime qu’elle atteindrait 47% si le CO2 double (560 ppmv).

Même si l’idée dominante est que nous sommes face à un phénomène positif qui démontre la grande capacité des écosystèmes à s’adapter à la variation des forçages naturels et anthropiques, il ne faut pas oublier que les réponses écosystémiques en CO2 sont complexes et se superposent à des changements simultanés de multiples facteurs : les preuves d’un puits de carbone terrestre alimenté par le CO2 peuvent parfois sembler contradictoires. Par exemple, l’assèchement du sol est exacerbé par un verdissement printanier plus précoce de la végétation qui augmente l’évapotranspiration et abaisse ainsi l’humidité du sol au printemps.

Quoiqu’il en soit, le verdissement global doit nous amener à réfléchir sur les implications positives de l’augmentation des niveaux atmosphériques de CO2. À cet égard, selon Campbell et al. et Haverd et al., en l’absence de verdissement induit par le CO2 , nous aurions une baisse significative de la production agricole avec des impacts négatifs importants sur la sécurité alimentaire mondiale. Mariani a estimé une baisse de 18 % des productions agricoles de maïs, riz, blé et soja en cas de retour du CO2 au niveau préindustriel. Cependant, ce résultat a été obtenu avec un modèle qui ne tient pas compte des effets négatifs sur le rendement des cultures des événements extrêmes tels que les sécheresses, les excès de précipitations, le gel et les vagues de chaleur.

En prenant en compte la résurgence des événements extrêmes, les modifications du régime pluviométrique, la hausse des températures et l’effet des polluants comme l’ozone, le 5° rapport du GIEC (chapitre 7 du résumé pour décideurs) conclut que « les effets du changement climatique sur la production alimentaire végétale et terrestre sont évidents dans plusieurs régions du monde (degré de confiance élevé). Les impacts négatifs des tendances climatiques ont été plus fréquents que les impacts positifs ».

Cette déclaration ne tient pas suffisamment compte des 2 facteurs suivants :

  1. l’adaptabilité du système agricole mondial liée à son extrême flexibilité qui se traduit par la capacité à adopter rapidement des innovations en matière de génétique (nouvelles variétés plus adaptées à l’environnement) et de techniques culturales (irrigation, fertilisation, désherbage, lutte contre les ravageurs et les maladies, etc.). Ces innovations technologiques sont le résultat des fortes avancées de la phytotechnie intervenues depuis le début du XIXe siècle et dont la diffusion s’est fortement développée après la fin de la Seconde Guerre mondiale.
  2. l’effet de compensation lié au fait que l’agriculture s’étend sur une zone très vaste (tous les continents sauf l’Antarctique) qui concerne deux hémisphères, garantissant ainsi deux récoltes par an. Cela se traduit par le fait, déjà mis en évidence au XVIIIe siècle par Adam Smith et Giovanni Targioni Tozzetti, que certaines années les baisses de rendement enregistrées dans une zone à cause d’événements extrêmes (sécheresse, pluies excessives, vagues de chaleur , etc.) sont compensées par les augmentations de rendement qui se produisent dans d’autres régions.

Le premier point est aujourd’hui considérablement accentué par nos capacités technologiques tandis que le second est constamment à l’œuvre comme le montrent les augmentations de la production agricole mondiale depuis 1870 et des rendements mondiaux depuis 1961 par les séries temporelles de la FAO. Ceci est montré par le diagramme ci-dessous qui montre l’augmentation du rendement à l’hectare enregistrée de 1960 à aujourd’hui pour quatre cultures (maïs, riz, soja et blé) responsables de 64% de l’apport calorique de l’humanité.

1961–2019 Production moyenne globale (t/ha) for le maïs, le soja, le riz et le blé.

Nous avons analysé les séries chronologiques des rendements moyens mondiaux (t/ha) du maïs, du riz, du soja et du blé pour la période 1961-2019 et nous avons obtenu des tendances linéaires positives très robustes (respectivement, 3,3 %, 2,4 %, 2,6 % et 3,8 % par an) pour les quatre cultures mentionnées. Selon nous, les principaux moteurs de cette tendance sont le progrès technologique et la fertilisation due au CO2. Cette tendance linéaire a été ajustée pour tenir compte des événements météorologiques extrêmes (vagues de chaleur, vagues de froid, sécheresses, inondations, etc.). L’analyse des résidus indique que les écarts à la tendance linéaire n’ont pas augmenté ces dernières années, ce qui conduit à exclure une augmentation des effets des événements extrêmes.

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