Une évaluation empirique de la sensibilité climatique

Par MD

Selon la doctrine officielle, l’augmentation de la température terrestre observée depuis un siècle et demi serait majoritairement due à la présence accrue dans l’atmosphère des gaz dits « à effet de serre » (GES, GHG en anglais), dont le plus important est le dioxyde de carbone (CO2). L’activité humaine serait tenue pour principale responsable de cet accroissement, du fait des émissions de CO2 dites « anthropiques » résultant notamment de la combustion des produits fossiles.

Il existerait donc une relation de cause à effet entre la concentration de GES dans l’atmosphère et la température moyenne de la planète. On ne discutera pas ici cette théorie vulgarisée depuis trente ans par le GIEC (Intergovernemental panel on climate change, IPCC en anglais). Elle a été résumée ici même dans un article qui reste d’actualité. Dans le présent article, on s’intéresse aux relations historiques entre les températures et le CO2, en considérant que ce gaz est un indicateur correctement représentatif de l’ensemble des GES. Les lecteurs voudront bien considérer qu’il ne s’agit ici que d’un divertissement sans prétention.

Les données (températures et CO2)

On se contentera des données les plus synthétiques possibles, et observées pendant les périodes les plus longues possibles. On sait que la science officielle fait référence à une période dite « préindustrielle » censée avoir pris fin entre la moitié et la fin du XIXème siècle. A l’exemple de la plupart des études récentes, on retiendra comme origine de la période « industrielle » l’année 1870. Par ailleurs, les dernières données en date sont celles de l’année 2019. On dispose ainsi d’une période d’observation d’un siècle et demi, période marquée par des transformations inédites dans l’histoire humaine.

Températures.

Les séries les plus longues sont établies et diffusées par le Hadley center. La plus fréquemment utilisée est la série Hadcrut4, représentative de la température globale  (terres émergées et océans). Les températures sont exprimées en valeurs relatives (dites « anomalies ») par rapport à la température moyenne de la période trentenaire 1961-1990. Bien entendu, le zéro de l’échelle des ordonnées peut être choisi différemment moyennant une simple translation. Dans le graphique ci-dessous, pour la commodité de la lecture, la température de 1870 marque le zéro de l’échelle des ordonnées. On remarque que la température a augmenté d’environ 1°C depuis 1870.

Température globale relative. Année 1870 = Zéro (Source Hadley center)
Concentration en CO2 exprimées en ppm et masse (GTCO2.)

Concentrations en CO2.

Jusqu’en 1957, les données sur le CO2 proviennent des analyses de carottes de glace récapitulées par le CDIAC. A partir de 1958, ces données sont des mesures in situ faites par la NOAA (observatoire de Mauna Loa). Ces deux séries ont été raccordées. Les concentrations sont le plus souvent exprimées en parties par million en volume (ppm), mais on peut aussi les exprimer en masse (gigatonnes de CO2), sachant que 1 ppm=7,8 GtCO2. On remarque que la masse de  COa augmenté d’environ 1 000 Gt depuis 1870.

Emissions anthropiques de CO2.

Contrairement aux précédentes, ces données résultent de calculs et non de mesures. La « comptabilité matière » des émissions est tenue annuellement par le Global Carbon Project (GCP), qui distingue les émissions dues aux énergies fossiles, celles dues à l’industrie (ciment notamment) et celles dues aux changements dans l’utilisation des terres. La somme de ces émissions constitue les émissions anthropiques ; il faut ensuite retrancher les absorptions par les océans et la végétation (les « puits ») pour en déduire l’accroissement annuel net de la masse de CO2. Il faut donc réconcilier les calculs avec les mesures. En cumulant les émissions nettes annuelles depuis 1870, on obtient le graphique ci-dessous.

Emissions anthropiques cumulées de CO2.

Comme on peut le lire sur le graphique, les puits absorbent une partie importante des émissions : il ne resterait ainsi dans l’atmosphère que moins de la moitié des émissions anthropiques (45% ces dernières années), qui constituerait la « fraction atmosphérique » (« airborne fraction ») : on retrouve évidemment les 1 000 Gt du graphique précédent.

Températures et concentrations.

La confrontation entre courbe d’évolution des températures et courbe des concentrations en CO2 est illustrée par le graphique suivant, où on a choisi les échelles de façon à faire coïncider les valeurs respectives en 1870 et 2019. La courbe rouge en tiretés représente la moyenne mobile des températures sur dix ans. La relative régularité de l’accroissement de la concentration contraste avec les oscillations des températures, même agrégées en moyenne mobile. Ce n’est que depuis 1975 que l’on discerne un certain parallélisme.

Température globale relative et concentration CO2.

La sensibilité climatique.

Dans son acception officielle la plus sommaire, la sensibilité S est définie comme l’augmentation de température T (en °C) censée résulter de la multiplication par 2 de la concentration C en CO2 (ou de sa masse ce qui revient au même). Par conséquent, cette acception postule : 1° que la température est une fonction croissante de la concentration, 2° que cette fonction est de type logarithmique puisqu’elle fait dépendre une différence (T-T0) d’un rapport (C/C0). On peut lui donner une expression simple utilisant le logarithme de base 2 (logarithme binaire) : T-T0 = S * log(2) (C/C0). En effet, si C=2C0, alors C/C0=2 et T-T0 = S*log(2) (2) = S. Puisque les variables sont connues, on peut en déduire S, qui est égale à :

S = (T-T0) / log(2) (C/C0).

Le problème serait simple si T et C augmentaient de concert. Or il n’en est rien comme on le voit sur le graphique précédent. Il est même arrivé que la température décroisse alors que la concentration continue à augmenter (1870-1910 et surtout 1945-1975) : la théorie est alors mise en défaut. Comme on l’a vu, ce n’est qu’à partir de 1975 environ que la température commence à augmenter à peu près régulièrement en tendance. La sensibilité S est donc éminemment variable selon la période que l’on considère. On conçoit la perplexité des spécialistes devant ces contradictions : des centaines d’articles scientifiques ont traité de cette question depuis cinquante ans et les cinq rapports du GIEC ont successivement fourni des fourchettes d’évaluation.

Compte tenu de la complexité du sujet, les quelques graphiques qui suivent ne sont à considérer que comme de simples exercices mathématiques. On a choisi quatre périodes d’observation se terminant en 2019 et commençant respectivement en :

1870 (début supposé de la période « industrielle »)
1945 (après la seconde guerre mondiale lorsque les émissions de CO2 ont pris leur essor)
1975 (date à partir de laquelle les températures augmentent régulièrement en tendance)
1990 (les trente dernières années, durée standard en climatologie)

Les quatre graphiques suivants présentent en abscisses le logarithme du rapport C/C0 et en ordonnées les écarts de températures par rapport à la température de l’année origine T0 (égale à zéro par construction). Les valeurs annuelles des variables sont les données brutes telles qu’elles résultent des séries Hadley et CDIAC-NOAA, sans corrections ni lissage. On a surajouté sur chaque graphique la droite de tendance et la valeur approximative de S (pente de la droite).

Sensibilité 1870-2019 (abscisse : logarithme du rapport C/C0, en ordonnée les écarts de températures par rapport à la température de l’année origine T0
Sensibilité 1945-2019 (abscisse : logarithme du rapport C/C0, en ordonnée les écarts de températures par rapport à la température de l’année origine T0
Sensibilité 1975-2019 (abscisse : logarithme du rapport C/C0, en ordonnée les écarts de températures par rapport à la température de l’année origine T0
Sensibilité 1990-2019 (abscisse : logarithme du rapport C/C0, en ordonnée les écarts de températures par rapport à la température de l’année origine T0

A titre de vérification numérique, pour la toute dernière période, considérons les chiffres des deux dates extrêmes et non plus la tendance moyenne.
Pour 1990 : T=0°C par construction et C=354,4ppm.
Pour 2019 : T=0,44°C et C=411,4ppm.
D’où S=0,44/log(2) (411,4/354,4)=0,44/0,22=2,0°C.

Conclusions.

Par conséquent, sauf erreur conceptuelle dans les raisonnements précédents, la sensibilité S, augmentation de température résultant d’un doublement de la concentration en CO2 à moyen et long terme pourrait être de l’ordre de 2°C à 2,5°C. Pour l’histoire, rappelons que le premier rapport du GIEC (1990) donnait pour S une fourchette 1,5°C-4,5°C avec une « best estimation » de 2,5°C. Cette fourchette a peu varié dans les rapports successifs.

Les estimations qui viennent d’être présentées sont basées sur les données les plus grossières possibles. On laisse à penser tous les raffinements auquel ce sujet peut donner lieu : notion de « forçage radiatif », prise en compte des autres GES, rétroactions, corrections et ajustement des séries historiques, lissages, désagrégation par régions du monde, distinction entre « transient climate response » et « equilibrium climate sensitivity », utilisation de modèles en tout genre, etc. Un tout récent et très savant exemple a mobilisé 26 rédacteurs et comporte près de cent pages et cinq cent références.

Mais au fond, si l’on a bien compris, il s’agit de savoir approximativement de combien la température globale pourrait s’accroître dans les quelques décennies à venir si la concentration en CO2 continuait d’augmenter. Or ces variables semblent correctement mesurées, au moins depuis plus de soixante ans, ce qui fournit un échantillon particulièrement robuste. On voit mal dans ces conditions pourquoi la relation entre ces deux grandeurs se mettrait à déroger subitement à cette tendance historique. Mais ce sont là des propos de profane.

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