Janvier 1970 : suicide national !

par Jean Vidal

publié dans Sciences & vie n° 633 de juin 1970

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Par ces termes le président Nixon préfigurait le sort des Etats-Unis au cas où la « Grande Société », s’avérant incapable d’enrayer la dégradation persistante de l’environnement et de la nature par les effets de la civilisation industrielle, perdrait la guerre qu’elle se déclare à elle-même. Les hautes instances scientifiques de la planète qui, depuis quelque vingt ans criaient dans le désert, relancent leurs arguments, tandis que les gouvernements européens annoncent des mesures. … Les jours de la Terre seraient, paraît-il, comptés, et l’Homme au bord d’un abîme à pic sur la fin du monde.


Juin 1970 : tirer la sonnette d’alarme est chose utile, mais parfois la corde casse plus vite que la conscience du danger ne s’acquiert. La mise en branle de l’opinion six mois durant n’aura pas été vaine si elle s’accompagne de décisions prises à l’échelle gouvernementale par tous les hommes « coupables » d’avoir provoqué une crise du progrès.

Qu’en est-il ?

A l’époque paléolithique, il y a 20 000 ans,

La population humaine formée de nomades glaneurs et chasseurs n’atteignait pas 5 millions. Au néolithique, ceux-ci s’établirent à proximité des cultures, préparant ainsi des lendemains paisibles et ouvrant leurs esprits à la connaissance. Alors, notre espèce bondit en nombre ! Vers

7 000 ans Av JC, les premiers ouvriers firent fondre le cuivre dans leurs fours archaïques. Vers 3000 ans Av JC, ils pratiquaient l’enrichissement du minerai et la fonte artisanale en de rares métropoles annonciatrices du futur. La population du globe était alors de 100 millions et ce chiffre doubla au début de l’ère chrétienne. De même s’égaillèrent les ateliers de l’âge des métaux, ces usines en gestation de l’âge électronique. Au XVIIe siècle, la population passait à 600 millions mais l’Homme naissait et mourait encore sans que varient notablement les moyens techniques ou les qualités d’énergie dont il disposait. Au XIXe siècle, la science fit éclater la révolution industrielle tandis que la Terre comptait son premier milliard d’hommes. En 1970, sur près de 3 milliards et demi d’hommes -1 milliard et demi ont moins de 15 ans, un quart jouissent des avantages et pâtissent des

« inconvénients » de leurs œuvres industrielles. Ils ont produit en 20 ans plus d’·énergie que l’humanité n’en put consommer depuis ses premiers tâtonnements. En 2000, nous serons théoriquement 7 milliards. Pour multiplier par deux l’espèce humaine il fallut 3000 ans entre les premiers enrichisseurs de minerais et les premiers chrétiens. Il faut 30 ans seulement «aujourd’hui ».

A suivre cette progression géométrique, nous serons en l’an 3000 plusieurs milliers de milliards, s’inquiètent les experts des Nations Unies et du Conseil de l’Europe. Ces derniers estiment que : « compte tenu de toutes les terres émergées, chaque individu ne pourra alors disposer que d’un mètre carré de territoire. Mais bien avant que cela ne se produise, l’atmosphère ne pourra plus dissiper la chaleur physiologique produite par l’énorme masse biologique humaine, en admettant que cette masse arrive à se nourrir…? »

Notre planète aux multiples ressources peut animer et alimenter beaucoup plus d’hommes qu’elle n’en compte aujourd’hui, à condition que les nouveaux venus s’abstiennent d’une production industrielle conçue d’après les méthodes actuelles qui négligent trop souvent la prévention et l’élimination systématiques de ses effets négatifs. C’est seulement un homme sur quatre qui rend la Terre « malade » tandis qu’au pays des trois autres, l’accélération démographique est plus rapide que l’accroissement des rations alimentaires. Là où chantent plus d’écoliers que d’oiseaux, là où fument plus d’usines que de feux de camp.

L’Homme « travaille » moins pour la reproduction que pour la production. C’est là aussi paradoxalement qu’il « rallonge » son existence grâce à la médecine, ce « bien » qu’il a jeté au visage de la mort, ce plus glorieux trophée du lutteur pour la vie.

Le primate de l’ordre des mammifères que nous sommes n’en transgresse pas moins les lois naturelles qui régissent le « complexe Homme-Terre » que la médecine à elle seule ne peut pas traiter. Or, aussi tolérante qu’elle puisse être, la vie ne plaisante pas indéfiniment avec ces lois-là.

Qui s’en prend à la biosphère, mince couche du globe terrestre point de rencontre de l’air, du sol, des eaux où la vie s’alimente et fleurit, s’en prend à lui-même et par conséquent à sa liberté d’être, à sa survie.

Les fumeurs du Tyrol, en allumant leurs pipes, « enfreignent » moins les dites lois qu’un Boeing brûlant 35 tonnes d’oxygène pour traverser l’Atlantique. Le paysan qui débite un arbre en bûches n’a pas grand chose à « se reprocher » en regard de l’entrepreneur qui rase la forêt pour construire un aérodrome. Les pêcheurs du dimanche qui crachent dans le fleuve sont moins « fautifs » que les industriels riverains qui déversent chaque année dans les eaux françaises une masse de déchets équivalant au chargement de 10 000 trains de 600 tonnes chacun.

Si même tous nos congénères fumaient la pipe, débitaient leurs arbres en bûches, crachaient dans les rivières et les océans, cela n’aurait aucune répercussion sur leur vie et sur la nature. Au contraire, ils pourraient multiplier sans crainte toutes ces agressions qui n’en sont pas, car elles font partie intégralement des cycles naturels. Mais il y a aussi les villes, les usines, les voitures, les avions, les navires et tous ces «biens à deux faces» qui, d’un côté nous rendent la vie plus facile, plus belle, plus longue et, de l’autre, dévorent notre milieu vital à l’image des vers de la pomme: plus il en grouille moins il y a de fruit. La complexité des problèmes est telle qu’on ne sait pas encore comment les réunir sous un seul nom, ce qui aboutit à les confondre. En fait, il y en a deux qui sont bien définis aujourd’hui: l’environnement et les nuisances.

Etat de l’homme

Dans son acception écologique actuelle, l’environnement se trouve sur la face négative du « bien » qu’est la concentration humaine, la face positive groupant les indéniables avantages de vivre en communauté. En ville, les hommes ne sont plus à l’aise, ils sont trop nombreux, trop « serrés » au kilomètre carré.

Dans l’espace qu’ils ont bâti, ils n’ont pas prévu que la population s’encombrerait un jour elle-même, qu’elle s’accroîtrait sans régulation en même temps que les moyens, le bruit, les pollutions, les agressions physiques et psychiques, les délits, la violence. Pouvait-on seulement le prévoir?

A quel moment précis de notre Histoire du XXème siècle aurait-il fallu prendre l’incroyable décision de diviser arithmétiquement la cité par les citadins pour connaître le volume habitable et mobile revenant à chacun ? …L’explosion démographique ébranle la cité et, dans son intégrité biologique et mentale, l’homme subit jour et nuit les effets d’un intime bombardement. C’est l’environnement qui le provoque. N’est-il pas étrangement paradoxal, mais significatif, que la concentration urbaine excessive prive l’homme de la compagnie de ses semblables? Le rapprochement physique d’une masse humaine n’a rien de commun avec la sympathie qui s’établit entre un nombre limité de personnes. On se croise sur le trottoir, on se coudoie dans l’autobus ou le métro sans échanger un regard, comme si l’on n’osait pas, comme si l’on avait peur. C’est l’isolement de chacun au milieu de la foule. Hors la ville, les liens se nouent aisément, même entre « citadins évadés ».

Un autre paradoxe est celui qui régit les maladies urbaines: toutes les affections dues à des bactéries ou à tout autre micro-organisme sont imputables à l’environnement, mais c’est dans les pays économiquement concentrés qu’on les élimine à peu près toutes. Cependant morbidité et mortalité ne vont plus de pair. On ne meurt plus seulement de maladies mais pour des raisons extra- médicales. Les ravages provoqués par les accidents de la route, le tabac, l’alcool, la drogue, ne sont plus à démontrer. L’environnement est en outre la cause directe de dérèglements et conflits psychologiques qui retentissent sur l’organisme. La fréquence de ces troubles psycho-fonctionnels est extrêmement élevée puisque, en France, un tiers des malades en sont atteints et qu’on les retrouve chez 68 % de ceux qui se rendent à la consultation du médecin. Sur 100 troubles constatés, on dénombre 22 cardio-vasculaires: 22 digestifs, 22 respiratoires, 12 génito-urinaires.

Ils peuvent avoir des conséquences sérieuses: ulcères, modification de l’électrocardiogramme, aménorrhée, frigidité, etc. Les malades, psycho-fonctionnels ne sont pas comme on l’admet trop souvent des malades imaginaires mais méritent d’être soignés. Une nouvelle discipline est née: la médecine écologique. Le repos et le loisir curatifs des affections psycho- fonctionnelles font également l’objet d’un paradoxe. Les citadins qui tentent de « s’évader », habitués qu’ils sont pour la plupart à disposer de satisfactions offertes par la concentration, s’empressent de reconstituer ailleurs une « ville de vacances » qui laisse entier le besoin de détente, alors que, l’habitat urbain dispersé au sein de la nature pourrait préfigurer la société de demain… Les surfaces des villes vont quadrupler et leur population doubler avant l’an 2 000. La ville mange la campagne dont l’intégrité lui est indispensable. La poursuite de la consommation anarchique de l’espace ouvert par la construction, l’industrie, l’agriculture et le tourisme renforcera les dégradations et les répandra sur la quasi-totalité du territoire.

C’est donc à un ensemble d’éminentes contradictions que les experts doivent aujourd’hui faire face. L’entreprise est d’autant plus difficile à mener qu’elle est diversifiée à outrance car la plupart des éléments constitutifs d’une nation s’y trouvent réunis et parfois entrent en conflit: l’homme devra maîtriser l’ensemble. La science économique n’a pas encore intégré dans ses calculs l’usage et le maintien d’un environnement positif. Ainsi le revenu n’est que la somme des biens réels et des unités monétaires: il n’inclut pas la qualité du niveau de vie. Le bien-être continue à se mesurer en pouvoir d’achat sans que l’on retranche les dommages causés par un environnement négatif. Tant dans le domaine de l’environnement que des nuisances, il va falloir payer demain le prix du bien-être, le porter sur un devis. La nature n’est plus « gracieuse ». L’environnement n’est pas « un secteur », il est indissociable d’une politique économique, sociale, culturelle. Il n’est pas l’affaire d’une mode, mais de toute une génération qui poursuivra un même effort durant les 30 prochaines

Etat de la terre

Les nuisances sont la réplique de la nature aux dommages que l’Homme lui inflige sans discernement pour en tirer parti. Ici, nous tombons sur des surfaces, des volumes, des chiffres, encore que les paramètres soient le fruit d’observations partielles (1). Nous examinerons également les deux faces de « l’objet » à la fois positif et négatif, puis, les réactions qui s’ensuivent.

Positif: L’usine, le chemin de fer, l’automobile, l’avion, le navire et toute machine et appareil à combustion procurent à l’homme un bien-être inscrit dans une évolution dont il est l’instigateur d’âge en âge (2).

Négatif: L’élévation continuelle de la proportion de gaz carbonique dans l’atmosphère provoque un « effet de serre » autour du globe. Le fluide emprisonne la chaleur reflétée par la surface de la Terre, entraînant ainsi une augmentation générale de la température. L’utilisation croissante des combustibles fossiles (pétrole et charbon) a déséquilibré le cycle originel du gaz carbonique.

Jusqu’à l’ère industrielle, ce gaz dégagé essentiellement par la respiration animale était absorbé au fur et à mesure par les plantes ( processus de photosynthèse ), par l’eau des océans ou par les roches siliceuses qu’il transforme en carbonates, de telle sorte que son volume restait constant.

L’exploitation intensive des combustibles fossiles a accru le volume en circulation tandis que la réduction des espaces verts diminuait les capacités d’absorption. Au rythme actuel, indique le Bureau of Land Management du Ministère de l’Intérieur des Etats-Unis, la température de l’atmosphère s’élèvera de 9°C durant le prochain demi-siècle, et le niveau des eaux de 3 mètres. La neige et les glaciers disparaîtront sous les latitudes actuellement tempérées. L’océan Arctique perdra sa glace six mois par an, ce qui modifiera le climat de l’hémisphère Nord. Enfin, les explosions volcaniques seront de plus en plus fréquentes ce qui augmentera le dégagement de gaz carbonique.

Notes

  • Il faut quatre ans aux experts des Nations Unies pour dresser un bilan complet qui sera présenté en 1972.
  • La révolution industrielle a fait faire un tel bond à l’humanité que certains peuples existant encore au 20ème siècle à l’âge néolithique ou dans une-antiquité relative, ne supportent pas leur transfert dans notre monde. Plusieurs aborigènes d’Australie sont morts au lendemain de leur arrivée à Callberra.

Réactions:

L’office   américain   estime,   en   revanche,   que   les « calottes thermique s» coiffant certaines régions pourraient empêcher le gel des cours d’eau. Les tropiques seraient inhabitables mais l’Alaska et la Sibérie jouiraient d’un climat de Riviera. Les mesures contre la pollution des villes dépendent autant de l’autorité gouvernementale que de la conscience individuelle. On sait qu’à Pittsburgh, ville américaine vouée au «sacrifice» pendant trente ans, l’application des ordonnances a permis de réaliser une purification aérienne de 65%. De nouveaux moteurs de voiture sont expérimentés (électricité et vapeur) :

Positif: Caverne, campement, village, cité, capitale: un mouvement irréversible dans l’évolution de l’habitat. La ville est racine de civilisation. Voies de circulation, ports, aérodromes : élan de l’homme vers les continents inexplorés

Négatif: 20 % des terres fertiles de notre planète ont été détruites au cours du dernier demi-siècle pour faire place aux villes, aux usines, aux aérodromes, aux voies de circulation. L’érosion naturelle et pour une part infiniment plus grande, « l’érosion artificielle », due à la mauvaise gestion de l’homme a soustrait à la culture 500 millions d’hectares arables, soit environ la superficie de l’Inde. Rien qu’aux Etats-Unis, 200000 hectares par an se sont ainsi volatilisés tandis que 135 millions d’hectares, soit trois fois la surface cultivable de la France, ont été couverts d’installations de toutes sortes. En Chine, l’érosion entraîne chaque année vers les fleuves 2 milliards 500 millions de tonnes de terre.

Dans l’île de Madagascar, 9/10ème des terres sont devenues inutilisables, en proie à l’érosion et à la latérisation, c’est-à-dire qu’elles se recouvrent d’une couche compacte et imperméable de latérite inapte aux cultures. L’Algérie perd journellement la surface de ‘ terre nécessaire à la nourriture de son excédent de population. D’immenses étendues de territoire subissent la même régression en Afrique, en Amérique du sud, en Inde. Il faut de 300 à 1 000 ans pour que se forment 3 centimètres de sol, soit 2 000 à 7 000 ans aux mécanismes physicochimiques pour reconstituer 20 centimètres de couche arable, source de toute vie.

Réactions: Comme retombe sur la Terre un nuage né d’elle, le sol glissant dans les eaux rejoint les « greniers sous-marins » et s’intègre aux cycles minéraux, végétaux et animaux des rivages et des fonds. Si les résidus d’hydrocarbure déversés annuellement dans les océans équivalent à .50 naufrages d’un « Torrey-Canyon » la mer conserve encore l’avantage de régénérer rapidement les espèces décimées et constitue une réserve alimentaire dont l’épuisement n’est pas en vue. Précisons que les continents représentent 14 milliards d’hectares dont 4,50 sont encore cultivables soit environ 10 fois la superficie de l’Inde.

Positif: Le bois est cette matière première sans laquelle nul n’aurait pu garnir son feu, Aucune construction rurale, citadine ou navale n’aurait pu s’ériger ou flotter, la lumière de l’esprit n’aurait pu rayonner.

Négatif: Les deux tiers des forêts de notre planète ont été anéanties par le fer et par le feu. D’après la F.A.O. on peut estimer à 1,4 milliards de mètres cubes le volume annuel des bois abattus, parmi lesquels 38 % sont exploités en grumes, 13 % pour la fabrication de pâtes à papier, 5 % pour les usages industriels et 44 % pour le chauffage et la préparation des aliments (2 hommes sur 3 ont encore besoin de bois pour chauffer), La demande croissante de pâte à papier entraîne annuellement la disparition de quelque 50 millions de tonnes de bois.

Un journal quotidien consomme chaque année une forêt de 400 hectares, deux millions d’exemplaires du volumineux « New York Sunday Time » représentent une forêt de 77 hectares. Un homme sur quatre sait lire mais si la campagne d’alphabétisation entreprise par l’U.N.E.S.C.o. devait aboutir, le reste des forêts de la planète n’y suffiraient pas. En 1962, le marché mondial exigeait 1 milliard de mètres cubes de bois et l’on prévoit qu’il en faudra le double en 1985.

Or, cette année-là, si on veut la maintenir dans les limites qui ne soient pas destructives, la production ne devra pas dépasser ce chiffre. mais à considérer l’augmentation rapide des besoins, au même rythme que dans ces dernières décennies, la ceinture des forêts équatoriales en Asie, en Afrique, en Amérique se réduira à tel point, qu’en moins de deux générations la Terre aura perdu toutes ses forêts vierges. Les données suivantes illustrent le rôle bénéfique des surfaces boisées: les forêts françaises (12 millions d’hectares) fixent tous les ans 100 millions de tonnes de carbone et dégagent 200 millions de tonnes d’oxygène.

Réactions: Si les métaux, les plastiques fleurons de l’ère industrielle ne peuvent restaurer les cycles du gaz carbonique, ils se substituent au bois comme l’électronique au papier dans le fulgurant essor de la télévision.

Positif: Depuis 1945, des milliers de pesticides ont été mis au point et remporté des victoires spectaculaires notamment sur la peste, la malaria, le paludisme, le trachome, tandis que leur emploi favorisait l’accroissement des récoltes mondiales. Aux Etats-Unis par exemple où les dégâts dus aux insectes et aux cryptogames sont estimés à 20 millions de francs, par an, les pertes seraient dix fois supérieures sans l’emploi des pesticides.

Négatif: La quantité d’insecticides présents dans la biosphère est estimée aujourd’hui à 1 million de tonnes. Ces produits détruisent simultanément les insectes nuisibles et leurs prédateurs, De même les oiseaux, les poissons, les mammifères meurent ou ne se reproduisent plus parce que le poison chimique s’accumule dans leurs tissus. Les organochlorés tels le DDT ne se dégradent pas, se diffusent partout, ont une action cumulative, se concentrent le long des chaînes alimentaires et finalement s’en prennent à l’homme, A Tijuana (Mexique) 15 personnes sont mortes récemment et 250 ont été intoxiquées par du parathon contenu dans le pain. Dans le Languedoc-Roussillon, une enquête menée auprès de médecins de l’Hérault fait état de 75 cas graves d’empoisonnement dont 4 mortels dus à la démoustication.

Le Français moyen absorbe chaque jour deux à trois fois la dose maximum d’aldrine et de dieldrine (insecticides puissants utilisés en remplacement du DDT ou en association avec lui) tolérée par l’Organisation Mondiale de la Santé. A l’Université du Colorado on a établi que la mémoire et les réflexes de l’homme exposé à de tel1: les substances, pouvaient être diminuées. D’autres experts estiment que le DDT perturbe l’assimilation de la vitamine A provoquant ainsi des troubles de croissance chez l’individu. L’insecticide pourrait agir tôt ou tard sur la reproduction de l’espèce humaine, les mécanismes étant semblables à ceux des animaux. Réactions: Le DDT a été interdit dans les pays Scandinaves et d’autres restrictions sont envisagées ailleurs. Le retour aux méthodes de lutte moins aveugles est inévitable. Diverses expériences ont été récemment couronnées de succès. Les cochenilles blanches qui menaçaient les dattiers de Mauritanie ont été exterminées par une petite coccinelle noire à deux points rouges, dont l’élevage massif a été assuré par des agronomes français. Les premiers insecticides « bactériologiques » seront mis en circulation cette année. Aux Etats-Unis, d’autre part, l’élimination de la mouche callitrage, très nuisible au cheptel, est assurée par émission de rayons X et gamma sur les cellules sexuelles des mâles qui, sans devenir totalement stériles, voient condamner leur descendance.

L’animal adaptable

Ne nous méprenons pas! Toutes les solutions ne sont pas encore « en pharmacie ».

Demain, les eaux douces polluées ne devront pas leur transparence aux pilules purificatrices d’autant que certaines nappes souterraines sont déjà atteintes par les ruissellements et les infiltrations. Sur 25 villes françaises de 100 000 habitants, 7 seulement possèdent une station d’épuration. C’est insuffisant mais le remède est connu: tôt ou tard il faudra bien l’administrer. Dans ce secteur, la note sera lourde à payer. Pour sauver le lac Erié où tous les poissons ont déjà disparu, les experts américains prévoient une dépense de 30 milliards de dollars, montant du programme Apollo jusqu’en 1970.

En attendant, les habitants de Cleveland et de Buffalo s’abreuvent aux lacs voisins.

Nous ne pouvons pas non plus du jour au lendemain nous débarrasser des déchets non biodégradables: verre, plastiques, voitures abandonnées, divers métaux, cette « production résiduelle » de l’industrie qui, pour chaque Américain s’élève quotidiennement à 2,6 kilos contre 1,6 kilos de déchets recyclables dont l’augmentation moyenne annuelle est de 2,5%. De même, la préservation de la faune est une œuvre de longue haleine car l’homme ne peut, par la seule crainte du législateur, changer son désir de carnage en acte de chasse. 150 espèces d’oiseaux et d’animaux terrestres se sont éteintes par le fait de l’homme tandis que 1 000 espèces ou races sauvages sont devenues rares ou en périls. Le gibier tant permanent que migrateur fait partie d’un ensemble lié au milieu dont le développement équilibré dépend d’un rapport naturel entre tous les éléments qui les composent. Altérer l’un de ces éléments revient à altérer tout l’ensemble. On sait par exemple que les criquets menacent nos cultures, mais sont mangés par les grenouilles qui, à leur tour, sont dévorées par les serpents qui sont la proie des rapaces. Si les rapaces sont détruits, les serpents prolifèrent et exterminent les grenouilles tandis que les criquets, proliférant également, ont la voie libre pour dévaster les champs. Etant impossible de mettre en équation le milieu naturel, les conséquences d’une rupture d’équilibre sont souvent imprévisibles. Dans le bassin de l’Amazone, l’anéantissement des caïmans a entraîné la prolifération des piranhas, petits poissons carnassiers qui dévorent un bœuf en quelques minutes. Il ne faut pas conclure pour autant que les années prochaines auront des « printemps silencieux » car si l’éducation écologique tant attendue est dispensée aux générations à venir, l’homme pourra alors chasser sans exterminer. Il ne reste pas assez de lions prédateurs de gazelles et de cervidés consommateurs d’arbustes, mais le chasseur peut suppléer au lion pour restaurer l’équilibre avec précaution, encore que son intervention n’implique aucune justification de la poursuite du massacre. On s’est apitoyé avec raison sur le sort des bébés-phoques mais qui sait aussi que cet aimable mammifère est l’un des plus prolifiques qui soit ? Exterminé en Mongolie parce que ses sabots ne supportaient pas les fers, le petit cheval tarpan dont il restait moins de 10 spécimens, prolifère à nouveau au pays de Gengis Khan grâce aux travaux des frères Lunz, zoologues allemands. C’est en Afrique et en Asie que la faune est le plus menacée par suite de l’explosion démographique en cours. Il faut se garder d’imaginer un monde où le fleuve serait une source sans fin, où la fleur léguerait son parfum en mourant et non son fanage au terreau, ou le nid des pinsons couvant sous l’aile protectrice ne serait plus la proie de l’aigle. La protection de la nature ne peut se faire au détriment de l’homme, l’animal adaptable par excellence.

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