Réévaluation de la place des plantes cultivées dans le bilan carbone mondial

Arnaud Muller-Feuga (Doctorat en biologie et océanographie. Ingénieur agronome.
Consultant chez AMF Conseil).

Ce texte est un résumé de l’article publié en anglais par Arnaud Muller-Feuga sous le titre Reappraisal of the place of cultivated plants in the carbon budget (DOI: 10.4236/vp.2025.113029). Auteur correspondant arnaud.muller-feuga@wanadoo.fr

La version intégrale en français peut être téléchargée en format .pdf ici.


L’impact de l’agriculture sur le CO2 atmosphérique reste sous-estimé en raison de l’exclusion systématique des cultures annuelles dans les bilans carbone. Jugées trop éphémères, ces cultures sont pourtant responsables de l’absorption et du stockage d’environ un tiers du carbone biofixé par photosynthèse avec des demi-vies qui ne se limitent pas à une saison, mais s’étendent en moyenne sur 8,9 années.

En 2023, la demi-vie du carbone stocké par l’ensemble des plantes cultivées – cultures, prairies et plantations forestières – était de 17,6±0,7 années. Les plantes cultivées avaient capté 39,2±0,5 milliards de tonnes de CO2 (GtCO₂) par an, soit plus que les émissions mondiales par combustion d’hydrocarbures fossiles, dont 82 % étaient compensés par ce puits anthropique net de –31,0±1,9 GtCO2. La répartition dans le temps que permet cette simulation suggère que les plantes cultivées ont absorbé un total net cumulé de 123,3±3,9 milliards de tonnes de carbone en 2023, soit 14% de l’atmosphère.

Devant l’importance de cette contribution en durée comme en quantité, les activités rurales devraient être intégrées dans les bilans carbone pour définir les stratégies climatiques qui en résultent. Cette reconnaissance permettrait de rémunérer à sa juste valeur le travail des agriculteurs et des forestiers dans le cadre de la transition écologique, notamment à travers des mécanismes de rémunération tels que les crédits carbone.

Cette exclusion des plantes annuelles sous prétexte que leur carbone est rapidement libéré ne correspond pas à la réalité, sauf dans le cas très rare où la culture est brûlée. Même dans cette situation extrême, les parties souterraines, qui représentent une part substantielle de la biomasse, persistent pendant plusieurs décennies. La mort de la plante annuelle après la récolte n’implique pas la disparition du carbone qu’elle a accumulé. Les céréales, dont le maïs, le blé et le riz soit un peu moins de la moitié des productions agricoles mondiales, ont des durées de stockage quasiment infinie dans les conditions adéquates d’hygrométrie et de température sous forme de grains ou celle transformée de biscuits, pâtes et nouilles. Outre la stabilisation des prix, ceci permet leur transport sur les longues distances et la constitution de réserves stratégiques pour les populations soumises à des crises ou éloignées des zones de production.

Grâce à leurs capacités intrinsèques et aux techniques de conservation, les stocks constitués par les plantes annuelles subsistent bien au-delà de l’année de récolte, et il n’y a pas de justification apparente pour les exclure des bilans carbone compte tenu de l’importance de leur contribution. Les plantes cultivées fixent le gaz carbonique de l’atmosphère et constituent un dispositif de CSC (captage et stockage de carbone) tant par leurs quantités que par leurs durées.

Sous réserve de la précision et de l’exhaustivitéde ces éléments etde la qualitédes statistiques sur lesquels ils se basent, les CSCP (captage et stockage de carbone par les plantes)  par les produits mis sur le marché en 2023 présentaient une demi-vie de plus de 10 ans, ce qui en fait un composant à prendre en compte dans les bilans carbone. Il en est de même a fortiori lorsque l’on inclut les parties non-commerciales des plantes entières qui restent sur place et enrichissent les sols en carbone et qui présentaient une demi-vie de 17,6 ans. Elles captent deux fois plus de gaz carbonique et le retiennent presque deux fois plus longtemps que les produits commerciaux qu’elles ont portés.

Les quantités totales de carbone captées et stockées lors de ces productions rurales étaient 5 fois plus importantes que celles de la littérature. La contribution des cultures annuelles aux CSCP s’est révélé être de 77% et leur demi-vie de 8,9 ans. Parmi elles, les céréales captaient à elles seules 60% des cultures annuelles et 21% de toutes les plantes pendant une demi-vie de 10,4 ans. Le reste était dû aux cultures pérennes (arbres fruitiers, palmiers à huile, etc), seules prises en compte par les auteurs cités dans leurs bilans carbone.

Ces chiffres nécessitent d’être affinés et complétés par leur évolution dans le temps et dans l’espace, mais décrivent des grandes tendances. Ils révèlent le caractère exceptionnel des contributions de l’agriculture et de la sylviculture qui ne sont pas encore prises en compte à leurs juste valeur. Ces activités mobilisent le CO2 atmosphérique à des niveaux qui en font de loin le principal système de CSC entre les mains de l’Homme, sans que celui-ci n’ait eu à modifier ses pratiques pour arriver à ce résultat. De surcroît, elles permettent le retour à l’atmosphère de ce gaz crucial pour l’écosystème planétaire, à la différence des CSC géologiques qui contribuent à sa lithification.

Avec leur captage considérable et de telles durées de stockage, le manque d’attention dont font l’objet l’agriculture et la sylviculture de la part des organisations internationales et des gouvernements n’est pas explicable. Ces activités ancestrales qui nourrissent, réchauffent, égayent et vêtent l’Homme sont fondées sur la photosynthèse à laquelle nous devons la vie, et qui reste le moyen de captage et de stockage du CO2 atmosphérique le plus simple et le plus efficace. Elles devraient être récompensées par des crédits carbone dans le cadre du développement des CSC. Cela complèterait leurs revenus pour continuer à exercer, développer et transmettre leur activité.

L’assertion selon laquelle le carbone capté par les plantes annuelles serait annulé par sa restitution dans l’année qui suit la récolte privilégie les stocks durables en place et ne considère pas la variation de ces stocks y compris dans le sol, en magasin ou sur étagère. En réduisant la contribution des flux de carbone d’origine rurale, l’exclusion des cultures annuelles dans les bilans carbone peut conduire à des politiques énergétiques et climatiques déconnectées des réalités agronomiques, et se heurte à l’incompréhension du monde agricole et des pays en développement.

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17 réflexions au sujet de « Réévaluation de la place des plantes cultivées dans le bilan carbone mondial »

  1. Le problème ce n’est pas  » les plantes cultivées  » qui posent problèmes « dans le bilan carbone mondial »; le problème c’est les machines des cultivateurs et les engrais
    «  » » » »Dans une usine d’engrais, une source de matière première, comme le pétrole ou le gaz naturel, est utilisée pour synthétiser l’ammoniac et produire un engrais chimique contenant de l’azote ou de l’urée . Pour produire de l’ammoniac (NH3), l’azote de l’air doit être combiné sous haute pression avec de l’hydrogène issu du pétrole ou du gaz naturel. » » » » » » »

    • Dans les années 1940, mon père 14 ans, domestique de ferme comme beaucoup d’enfant de son âge, se levait à l’aube pour mener la charrue ou la herse derrière le cheval dans des champs trop petits ou chaque demi tour était un absolu calvaire. C’était bien dur pour un gamin mais les gens pour qui il travaillait, presqu’aussi pauvre que sa famille, n’étaient pas méchants et travaillaient bien durs eux mêmes pour pas grand chose.
      Quand il ne conduisait pas un attelage, il démariait les betteraves, piochait les mauvaises herbes dans les champs, curait l’écurie, charriait le fumier mature en champ. Fin du printemps et en été, c’était les foins et la moisson, il attelait la faucheuse mécanique derrière le cheval, mais son travail d’adolescent était de ramasser les gerbes et les empiler, puis les décharger et les empiler à nouveau. Heureusement, on ne battait plus au fléau en grange tout l’hiver, la batteuse passait.
      En septembre il fallait ramasser à la main les pommes de terre et les charger dans les caisses si lourdes pour un adolescent. Il fallait beaucoup marcher à pied car les champs étaient petits et très éparpillés, le remembrement, si critiqué aujourd’hui par des bobos amnésiques des réalités du passé et qui a tant facilité la vie de centaines de milliers de paysans, n’avait pas encore eu lieu.
      Les journées faisaient 14h en été, 8h en hiver mais 10h également l’hiver, si on comptait la casse obligatoire des noix en soirée devant le feu. Son salaire dérisoire était compensé par le logis, un lit de bois avec un matelas de paille de son dans l’écurie, la nourriture quotidienne, correcte avec 3 soupes par jour, du lait et du fromage et des oeufs à la bonne saison et de la viande, souvent du lard très gras, 3 à 4 fois par semaine.
      Un jour, vers l’âge de 18 ans, mon père est parti dans les mines de charbon dans l’est de la France.
      Mon père m’a souvent raconté le bonheur de faire un travail bien moins dur que dans les champs, seulement 8h en par jour en poste, été comme hiver et avec un salaire qui lui paraissait tout à fait fabuleux. Il était logé gratuitement, soigné gratuitement par la sécurité sociale minière, et recevait du charbon pour se chauffer. On lui donnait même plusieurs bleus de travail et des chemises de toile/an.

      Son cas n’avait rien d’unique. Si des millions de français ont fuit le travail de la terre pour les mines et l’industrie au 19ème siècle et dans la 1ère moitié du 20ème, ce n’était pas par masochisme.

      Que proposez vous pour remplacer les machines des agriculteurs ?

      S’agissant de l’azote ou de n’importe quel engrais, sans entrer dans les particularités végétales, toutes les plantes en consomment et ont besoin d’en trouver dans le sol lorsqu’elles croissent. Le rendement d’une récolte en dépend.
      Et comme le savaient déjà les premiers agronomes chimistes du 19ème siècle, il faut rendre à la terre ce que les plantes récoltées lui ont pris, si on veut des récoltes décentes dans les années qui suivent, d’où les engrais.
      Par rapport aux différents fumiers, qu’il faudrait théoriquement analyser avant épandage si on veut respecter les réglementations, et dont la disponibilité est de toute façon insuffisante, les engrais chimiques ont l’avantage d’offrir des dosages précis à des périodes précises de croissance. Ce n’est pas la peine d’en mettre plus, d’autant que cela coûte cher. Quand on a un bilan financier, cela compte.
      Les rotations de culture sont souvent présentées comme la panacée pour se passer d’engrais……. par ceux qui ne vivent pas du travail de la terre………..
      De toutes façons, sauf cultures pérennes comme arboriculture ou vigne, tout agriculteur pratique déjà des rotations de culture parce que cela permet de limiter des insectes nuisibles (80% des insectes sont nuisibles, n’en déplaise aux fables actuelles) et les maladies des plantes, ce qui permet d’économiser des traitements, ou tout au moins ce qui reste encore comme traitements possibles en France.

      Il existe des solutions pour permettre aux plantes de consommer moins d’engrais, moins d’eau, de résister à des maladies et insectes, cela s’appelle des plantes OGM. Dans ce domaine, à peu près tout est possible.
      Mais en France, des fanatiques religieux nommés « écologistes » ont diabolisé ces nouvelles technologies et ont en privé notre pays.

      Alors que proposez vous pour remplacer les engrais ?

      • @hbsc xris
        Que proposer ? Pas grand chose… Les engrais sont irremplaçables. Ils ont permis à des pays comme l’Inde encore frappé par des famines après la guerre de multiplier sa population par 3 tout en devenant un exportateur net de denrées alimentaires, bien aidés en cela par l’augmentation du taux de C02 dans l’atmosphère. « Gratitude for the CO2 » (by Vijay Jayaraj)
        Avec la mécanisation de l’agriculture, ils ont aussi permis de libérer une grosse part de la main d’oeuvre de la servitude agricole que vous décrivez fort bien.
        A mon avis, il vaut mieux que le gaz (essentiellement du méthane) soit transformé en engrais azotés qui seront fixés par les cultures agricoles plutôt que d’être brûlé pour se chauffer et produire du CO2, du moins pour complaire aux obsédés des théories carboréchauffistes.

      • Petite rectification: les bobos écologistes ne sont pas amnésiques, mais totalement ignares, je crois.
        Si un jour les rayons des supermarchés étaient vides, parce qu’il n’y a plus rien à manger, même en bio, à cause de leurs âneries, ils accuseraient le réchauffement-dérèglement-changement-bouleversement climatique.
        La boucle serait bouclée.

      • Excellente mise au point.
        On ne peut pas comprendre que ses populations aient choisi de travailler dans des mines si on ne sait pas quel était leur travail initial. La vie à la campagne était très rude. Idem, pour la vie dans les tranchées en 14/18, comment ont ils pu supporter ces conditions? Tout simplement, c’est finalement des conditions relativement proches de leur quotidien…pour les paysans. Pour les citadins, c’était une autre histoire.

  2. Je n’ai peut-être rien compris à l’article mais il ne me semble pas que l’auteur ait parlé des plantes cultivées comme un problème mais plutôt comme une solution à la diminution du CO2 atmosphérique…

  3. Qu’est-ce qu’on s’en tape du bilan carbone! Qu’est-ce qu’on en a à faire de ce bazar! Quand va-t-on foutre la paix aux agriculteurs et arrêter de les em..der avec des règlements absurdes pondus par des crétins ignares?
    Que les engrais consomment du pétrole, je m’en bas l’oeil, du moment que les agriculteurs puissent les utiliser (ainsi que les pesticides qui vont bien) pour nourrir les 8 milliards d’humains sur terre. Et c’est un agronome qui vous le dit.
    Si vous saviez ce que j’en ai marre de ces conn…ies…

  4. Pour découvrir ou redécouvrir le maïs, loin des reproches qu’on lui fait, lire « Sa majesté le maïs » de Sylvie Brunel, géographe et ancienne présidente d’Action contre la faim.

    • Cette géographe a aussi signé il y a quelques années un communiqué de CLINTEL à l’ ONU contre la doxa climatique. Respect! Mais on ne lui rend peut être pas service en le rappelant….

  5. Andqui
    j’en ai marre des agriculteurs et des agronomes qui rachètent toutes les terres , qui permettaient la biodiversité , pour couvrir nos campagnes de maïs et de tournesol pour alimenter les usines à méthanisation
    Du méthane il y en a plein sous terre , il est bien sur bio aussi, mais en fin de contes les écolos ont raison: il faut arrêter de faire travailler les agriculteurs pour gagner plus d’argent avec le biogaz ; il faudrait aussi arrêter de faire travailler nos politiques et nos municipaux ( d’ailleurs que nous rapporte leur travail) ; avec l’IA on pourrait travailler que 20 heures par semaine et prendre sa retraite à 50 ans et mettre ces profiteurs au travail dans les champs .
    Vive Trump qui relance l’exploitation des gaz de schistes, qui de toute façon nous reviennent en surface parce que soit disant , on a arrêté les puits de pétroles à cause des écolos
    Les écolos , c’est comme les scientifiques ; il y en a des bons et des mauvais comme ceux qui viennent ici , ou ceux qui publient au GIEC

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