Le rebond post-glaciaire, principale source d’incertitude pour la détermination de l’élévation du niveau de la mer

Un article publié en juin 2017 sur ce site montrait que la principale incertitude pour la détermination de l’élévation du niveau de la mer réside dans la prise en compte du rebond isostatique post glaciaire (Global Isostatic Adjustment) qui correspond au soulèvement des masses terrestres qui a suivi la dernière déglaciation (20 000 ans). Ce rebond isostatique ne pouvant pas être « observé », Il est calculé à l’aide de modèles avec un haut niveau d’incertitude. Trois scientifiques français écrivent à ce sujet  dans un article intitulé « La montée du niveau des océans par marégraphe et géodésie spatiale contributions françaises à une problématique mondiale » :

La détermination de ces mouvements doit se faire avec une précision dʼune fraction du signal recherché, qui est de lʼordre de quelques millimètres par an. A ce niveau de précision, les modèles de GIA présentent des limites qui sont associées aux incertitudes dans la connaissance des paramètres du modèle de Terre, par exemple le profil de viscosité dans le manteau ou bien lʼépaisseur de la lithosphère, mais aussi dans lʼhistoire de déglaciation. Par ailleurs, la question reste posée pour les nombreux autres processus à lʼorigine de mouvements verticaux du sol pour lesquels il nʼexiste pas de modèles de qualité suffisante.

Nous proposons ci-dessous la traduction d’un article publié le 23 juin 2018 par Judith Curry intitulé « Niveau de la mer et ajustement isostatique ». Le point de départ de cet article est une courbe extraite d’une publication de Chen & al (2017) où il apparaît que les valeurs non ajustées montrent une décélération de la montée du niveau des mers, alors que les valeurs ajustées montrent une accélération.

Début d’article de Judith Curry (traduction réalisée par Camille Veyres)

La page web de l’Université du Colorado nous donne cette explication :

« La correction pour ajustement glaciaire isostatique (ou rebond post-glaciaire) rend compte de ce que les bassins océaniques sont depuis la fin de la dernière glaciation devenus légèrement plus grands. Cet ajustement n’est pas dû à la fonte des glaces qui a lieu actuellement, mais au rebond de la Terre après la disparition des masses de glace épaisses de plusieurs kilomètres qui, il y a 20 000 ans environ, recouvraient une notable partie de l’Amérique du Nord et de l’Europe. La roche du manteau est maintenant encore en train de se déplacer de dessous les océans pour venir sous les régions de la terre ferme qui, jadis, étaient englacées. L’effet en est que, par rapport au centre de la Terre ou plutôt au centre du référentiel de l’altimètre porté par un satellite, certaines surfaces de terre ferme montent et certains fonds océaniques descendent. En moyennant sur la  surface de tous les océans, la vitesse moyenne de changement du niveau des mers attribué à ce rebond ou ajustement post-glaciaire est d’environ -0,3 mm/an, selon des évaluations de modèles indépendants les uns des autres. Cette correction est petite, moindre que l’incertitude de  plus ou moins 0,4 mm/an sur l’estimation de la montée du niveau des mers moyennée sur le globe ; de plus l’incertitude sur cette correction est d’au moins 50%.  Mais comme les bassins océaniques grandissent à cause de ce rebond, il y a une réduction -minime- de la montée du niveau des mers que l‘on observe le long des côtes. Ce qui signifie que si nous mesurons un changement de 3 mm/an du niveau des mers pris en moyenne globale, le changement du volume de l’océan sera en réalité plus proche de 3,3 mm/an, à cause de ce rebond post-glaciaire. Nous appliquons cette correction parce nous voulons que notre série temporelle dite du niveau des mers soit un marqueur du changement du volume d’eau dans les océans, un phénomène “purement océanographique”.  C’est ce qu’il nous faut pour faire des comparaisons avec des “modèles climatiques mondiaux” ou avec d’autres ensembles de données océanographiques. Cette correction est maintenant scientifiquement bien comprise et est appliquée au niveau moyen des mers en moyenne mondiale par presque tous les groupes de recherche du monde. La prise en compte de cette correction accroît de 0,3 mm/an les estimations plus anciennes de la montée du niveau moyen des mers ». 

  Le “budget” du niveau des mers

 La figure suivante du “budget » du niveau des mers proposé par Chen et al. (2017) montre clairement ce qui est cause.

Chen et al. 2017

Niveau des mers non ajusté : étoile gris clair avec barre d’erreur – Niveau total des mers ajusté : point noir avec barre d’erreur – En couleur de haut en bas contributions de : calotte glaciaire du Groenland, calotte glaciaire antarctique, TWS = total terrestrial water storage= stockage total d’eau à terre (nappes phréatiques et lacs et pompage des nappes phréatiques), fonte des glaciers terrestres, dilatation thermique de la colonne d’eau.

Explications sur la Figure 4 de Chen et al. 2017 :

Bouclage à un moment donné du « budget » du niveau moyen des mers : on voit en mm/an les vitesses annuelles de changement du niveau « global » moyen des mers observées par GPS et ajustés (points noirs),les mesures non ajustées (étoiles grises tout en haut de la figure), les valeurs du GMSSL  = Global MeanStericSeaLevel ou volume moyen d’eau  (points bleu clair marquant la limite supérieure de la zone colorée) , et les contributions à la masse de l’océan venant des calottes du Groenland (GIS, GreenlandIceSheet), de l’Antarctique (AIS, AntarcticIceSheet) , du TWS (Terrestrial Water Storage,  stockage d’eau à terre dû à l’action de l’homme, barrages-réservoirs et pompage des nappes phréatiques), les glaciers  et de la dilatation thermique, chacun avec une nuance colorée différente. Les points bleus sont la somme de ces composantes en mm/an et la barre d’erreur est la racine carrée de la somme des carrés des incertitudes propres à chacune des composantes vues aux figures précédentes. Les séries temporelles de la perte de masse des glaciers et du stockage terrestre d’eau (TWS)se terminent en 2012 et 2009 respectivement ;leur débit est, pour les années postérieures, jusqu’en 2014, supposé constant et n’est pas coloré.[fin de la légende]

Les valeurs non ajustées montrent une décélération de la montée du niveau des mers, alors que les valeurs ajustées montrent une accélération.

Chen et al. affirment :

« Le niveau moyen global des mers (GMSL, Global MeanSeaLevel) non ajusté montre une légère décélération ou décroissance de la vitesse de montée des eaux de 3,5 mm/an dans la première décennie  à entre 3 mm/an et 3,3 mm/an pendant la seconde décennie. La vitesse de la montée du niveau moyen global des mers fondé sur le GPS et ajusté est passée de 2,4 mm/an plus ou moins 0,2 mm/an (à 1 sigma) à environ 2,9 mm/an en 2014 (entre 2,8 mm/an plus ou moins 0,2 mm/an et 3,2 mm/an plus ou moins 0,3 mm/an  pour le niveau global moyen GMSL). C’est-à-dire que la tendance, variable dans le temps, des données ajustées de l’altimètre suggère une montée accélérée du GMSL, avec le gros de la croissance de la vitesse de montée du niveau des mers dans cette dernière décennie. » 

 Tamisiea 2011 a écrit un article de synthèse sur l’ajustement glaciaire isostatique ou rebond post-glaciaire :

« Des études déterminant la contributions des divers apports d’eau à la montée du niveau des mers ôtent, en général, les effets de l’ajustement glaciaire isostatique (ou rebond post-glaciaire). Malheureusement l’emploi de mots aux significations différentes dans les différentes disciplines a provoqué de la confusion quant à la manière dont les contributions de l’ajustement glaciaire isostatique (GIA) doivent être soustraites des mesures faites par altimétrie et par gravimétrie (satellites GRACE) . Dans cet article nous passons en revue la physique des corrections glaciaires isostatiques (GIA) propres à ces mesures et discutons  ces terminologies différentes entre la littérature relative au GIA et celle d’autres études sur la variation du niveau des mers. Nous examinons ensuite une série d’estimations des contributions au GIA obtenues en faisant varier les modèles de la Terre [NdT : des roches du manteau et de la croûte] et des glaces. Nous trouvons, comme les études antérieures, que la correction glaciaire isostatique (GIA) amène une contributionaux estimations par altimétrie, petite par rapport aux valeurs observées mais systématique, avec une plage de -0,15 mm/an à -0,5 mm/an. De plus nous trouvons que la contribution GIA au changement de la masse mesuré par gravimétrie (GRACE) au-dessus des océans est significatif. Notons à ce sujet que la confusion entre les expressions « niveau absolu des océans » et « géoïde »a conduit dans certaines des études antérieures à surestimer cette contribution.Une des causes de cette surestimation est l’inclusion incorrecte de l’effet direct des perturbations contemporaines du vecteur de rotation, d’où dans le modèle une valeur trop grande d’un facteur deux de la composante harmonique sphérique de degré deux et d’ordre un. En dehors de cette erreur, les incertitudes sur la structure du modèle pris pour représenter la Terre et sur l’historique des couches de glace amènent une dispersion atteignant 1,4 mm/an sur les estimations de cette contribution. Et même si les modèles de la Terre et des glaces  étaient parfaitement connus, les techniques de traitement des données utilisées pour l’analyse des observations de gravimétrie (GRACE) peut introduire des changements atteignant 0,4 m/an. Nous en concluons qu’il est inapproprié d’employer une seule « correction GIA » pour les études du niveau des mers à partir des observations gravimétriques ; chaque étude doit estimer une limite à la correction GIA cohérente avec la technique employée pour l’analyse des observations ».

Des doutes sur l’analyse des données satellitaires faite pour dire la montée du niveau des mers ont été résumées dans un précédent article qui examine un échange entre Nils Axel Morner et Steve Nerem.

Le fin mot de ce débat semble être que si vous faites l’hypothèse que le verre à boire reste constant en taille et en forme, le niveau de l’eau dans le verre monte et, en apparence, à une vitesse toujours plus grande. Mais si le diamètre ce verre  se dilate, le niveau d’eau dans le verre croîtra moins vite.

 La masse de glace de l’ouest de l’Antarctique

La rédaction de cet article a été déclenchée par un article récent Rising ground under West Antarctica could prevent icesheet collapse.  Il se fonde sur papier récent de Barletta et al. qui ont trouvé que le sol sous la glace dans la baie de la mer d’Amundsen de l’Antarctique ouest monte à la vitesse très étonnante de 41 mm/an (plus de 4 cm/an).

[NdT : la baie de la mer d’Amundsen (100°W, 75°S) et le débouché d’une calotte de glace de trois kilomètres d’épaisseur  dont la langue de disons mille kilomètres de longueur et de largeur  flotte sur l’eau de cette baie; les glaciers dit de Pine Island et de Thwaites qui drainent cette calotte ont été dans les années 2004-2010 l’objet d’annonces apocalyptiques prédisant – avec des “Modèles” – le fin très prochaine de la calotte ouest-antarctique et une montée de quelques mètres du niveau des mers. La langue de glace flotte sur un océan profond de température un peu supérieure à la température de fusion de la glace d’eau douce.]

Si cette tendance continue comme le dit cette étude, la ligne où la langue de glace passe de la terre à la mer, là où la masse de glace du glacier de Pine Island quitte la terre ferme, aurait monté de huit mètres en cent ans. Un tel rebond pourrait stabiliser la calotte de glace en faisant avancer vers la mer cette ligne où la langue de glace quitte la terre ferme, et réduire la surface du dessous de la langue de glace exposée à l’eau relativement chaude des profondeurs de l’océan. Cette montée du niveau du sol pourrait avoir causé une sous-estimation de 10% de la perte de glace dans cette région, puisque le rebond de la terre dissimule le signal gravimétrique qui devrait venir de la perte de glace.

De phys.org :

« Ces nouvelles mesures de l’ajustement glaciaire isostatique (GIA), ce mot qui désigne la montée du sol due à la diminution du poids de la glace sont un élément important d’un narratif plus vaste sur le devenir de la calotte glaciaire antarctique », nous dit Doug Kowalevski, directeur du programme antarctique  des sciences de la terre au bureau pour les programmes polaires (Office for Polar Programs, OPP) de la National Science Foundation : « La réponse GIA observée par le réseau POLENET est d’un ordre de grandeur supérieur à ce que l’on croyait. Le défi  est maintenant de coupler ces observations du GIA avec des modèles de la calotte de glace ».

C’est certes une “bonne nouvelle” pour la calotte glaciaire ouest-antarctique, mais qui n’inspire pas vraiment confiance dans nos analyses quantitatives de la GIA.

 Comparaison avec les marégraphes

Ceux qui doutent des observations satellitaires renvoient aux marégraphes [NdT : voir www.psmsl.org].Comme dit dans la partie IV il y a eu plusieurs études comparant les observations des marégraphes et celles de altimètres depuis 1993, études qui suggèrent un bon accord.

Merrifield et al. (2009): « Après 1990, la vitesse moyenne globale croît jusqu’à la valeur la plus récente de 3.2 ± 0.4 mm par an ce qui correspond aux estimations trouvées par altimétrie satellitaire » 

Jevrejeva et al. (2014): « Il y a un bon accord entre la montée du niveau des mers (3.2 ± 0.4 mm· par an) calculé à partir des altimètres des satellites et la vitesse de 3.1 ± 0.6 mmpar an reconstruiteà partir des marégraphes pour la période de recouvrement 1993–2009 »

Hay et al. (2015): « Notre analyse qui combine les observations des marégraphes avec des modèles fondéssur la physique et les géométries modélisées des différentes contributions indiquent que le niveau moyen des mers (GMSL)est monté à la vitesse de 3.0 ± 0.7 millimètres par an entre 1993 et 2010 . . . ce qui est aussi cohérent avec les estimations fondées sur les mesures des altimètres TOPEX and Jason (3.2 ± 0.4 mm par an sur la période 1993–2010.) »

Dangendorf et al. 2016: « notre estimation de 3.1 ± 1.4 mm par an  sur 1993-2012 est cohérente avec les estimations indépendantes faites à partir des observations des données satellitaires ».

Et alors, quels sont les tenants et aboutissants de ces analyses ? Dangendorf (2016) décrit ce qu’il a fait :

« Nous présentons ici une reconstitution du niveau moyen des mers (GMSL) qui prend en compte la redistribution du volume des océans, des observations locales [faites par GPS] du mouvement vertical du sol [Vertical Land Motion, VLM], des modifications du géoïde dues au rebond post-glaciaire (GIA) en cours, de la fusion des glaces qui a lieu maintenant, et du TWS (Total Water Storage) qui résulte du pompage des nappes phréatiques et de l’accumulation d’eau derrière des barrages. Nous fondons notre approche sur une technique de pondération des surfaces et sur les progrès les plus récents pour chacun des termes correctifs. Notre sélection de marégraphes porte sur 322 stations dont les corrections pour le mouvement vertical du sol  (VLM) ont une incertitude moindre que 0,7 mm/an. Après prise en compte du mouvement vertical du sol chaque marégraphe est corrigé des modifications du géoïde dues au rebond post-glaciaire GIA, de la fonte des glaciers et des calottes glaciaires, et du Total Water Storage (TWS). Les marégraphes ont été regroupés en six régions océaniques cohérentes définies objectivement pour prendre en compte la redistribution du volume d’eau des océans. Pour chaque région océanique, une courbe  moyenne régionale du niveau des mers est fabriquée par récursion en combinat deux stations en une station virtuelle intermédiaire, jusqu’à n’avoir plus qu’une seule station virtuelle ».

Après tout ça on en reste à la discussion « mais les marégraphes disent le contraire »

 Montée locale du niveau des mers

Que signifie tout cela pour le montée locale du niveau des mers ? A vrai-dire, rien du tout pour la montée locale du niveau des mers en un lieu, et à son histoire, locale.

En regardant les données brutes des marégraphes de bien des endroits [NdT : www.psmsl.org] on voit (à vue d’œil de Judith Curry !) pour les trois dernières décennies bien moins que 3,2 mm/an , sauf pour ces régions qui s’enfoncent pour des raisons géologiques ou à cause de certaines utilisations des sols [NdT : dont pompage de nappes phréatiques ou de gaz]. Ce qui importe aux décideurs locaux est la montée locale du niveau des mers, par rapport à la côte du lieu, peu importe que cette côte ait, pour une raison quelconque, un mouvement tectonique de subsidence ou de surrection. Comprendre la causes de cette variation locale du niveau des mers aide à comprendre ce qui peut être fait pour traiter le problème éventuel. Des projections de la montée future du niveau des mers sont bien sûr utiles. Mais ces projections doivent tenir compte de la réduction de la montée du niveau des mers due à l’agrandissement des bassins océaniques.

Considérer que les ajustements glaciaires isostatiques (GIA) ne sont qu’un bruit ajouté sur la montée du niveau des mers peut ne pas être tout à fait justifié. Les ajustements apportés aux données satellitaires apparus dans la discussion entre Morner et Nerem  n’inspirent pas confiance dans les estimations tirées de ces données des satellites ; l’affirmation que les incertitudes sont petites  me semble vouloir abuser de notre crédulité.

ANNEXE

[1] Rebond post-glaciaire (Wikipedia

Le rebond post-glaciaire (également appelé ajustement isostatiquerebond isostasique ou glacio-isostasie) se définit comme le relèvement de masses terrestres consécutif à la déglaciation et plus précisément à la fonte des calottes glaciaires. Ces masses terrestres, antérieurement déprimées (par compression sous les charges de glace), se relèvent durant la période post-glaciaire du fait du phénomène d’isostasie. Le terme de rebond a tendance à être remplacé par celui d’ajustement isostatique car il comprend, en plus du déplacement vertical, des mouvements horizontaux de la lithosphère, des variations du champ de gravité, et peut se traduire par des manifestations géologiques (réactivation du volcanisme, sismicité induite).

GIA Paulson

Modélisation de l’ajustement post-glacial quaternaire : les zones en rouge se soulèvent en raison de la fonte des calottes glaciaires. Les zones bleues s’affaissent à cause du remplissage des bassins océaniques consécutif à cette fonte.
Source : Paulson, A.

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