Pollution atmosphérique par les pesticides : qu’en est-il réellement ?

Le 18 décembre 2019 Atmo France a rendu publique une étude compilant quinze années de mesures de pesticides dans l’air. La toxicologue Annette Lexa, experte judiciaire auprès de la cour d’appel de Metz a livré son analyse en exclusivité pour le magazine en ligne Agriculture et Environnement.

Je ne peux donc pas cautionner les discours anxiogènes qui circulent de plus en plus, notamment sur les prétendus manquements de nos autorités sanitaires. Je porte même un regard très sévère sur ceux et celles qui les véhiculent. C’est d’ailleurs, en partie, ce qui m’a conduite à m’éloigner de Générations Futures, de la Fondation Nicolas-Hulot ou du CRIIGEN, ayant eu l’occasion de découvrir qu’on y manipule les données de la science de façon à leur faire dire ce qu’elles n’ont jamais dit. Je suis bien trop attachée à la rigueur et à la raison scientifiques pour pouvoir m’y associer.

Annette Lexa pour agriculture et environnement

Agriculture et Environnement. Le 18 février dernier, l’association Générations Futures a publié son onzième rapport EXPPERT, centré sur l’interprétation des données de la pollution par les pesticides dans l’air. Ses conclusions, anxiogènes, ont été reprises par de très nombreux médias. Qu’en pensez-vous ?

Annette Lexa : Tout d’abord, je m’étonne que des médias aussi prestigieux que Le Monde puissent considérer ce genre de documents émanant de certaines ONG françaises comme fiables, alors qu’ils se révèlent clairement partiaux et manipulateurs, en utilisant par exemple, au lieu des valeurs brutes hebdomadaires, des pourcentages qui ne veulent pas dire grand-chose. Et sans les rapporter à ce que nous respirons réellement au cours de notre vie, quand nous passons 90% de notre temps à respirer de l’air intérieur.
Les médias en question auraient été bien avisés de faire vérifier les conclusions de Générations Futures par des toxicologues compétents et indépendants, mais les résultats auraient été alors plus nuancés et donc moins « vendeurs » . De fait, quoique nous soyons tout disposés à fournir notre expertise, nous ne sommes jamais contactés.
Cela étant dit, de quoi s’agit-il exactement ? La base PhytAtmo compile les mesures en pesticides dans l’air ambiant des Associations agréées de surveillance de la qualité de l’air (AASQA) sur la période 2002–2017. En tout, 321 substances actives ont été recherchées avec 6 837 prélèvements effectués sur 176 sites. L’exploitation de ces données a fait l’objet de plusieurs rapports, par régions, que tout un chacun peut télécharger à partir d’un fichier qui précise les lieux et dates de prélèvement, le temps du prélèvement, le volume d’air prélevé, la taille des particules, la concentration moyenne sur une semaine de la substance en nanogrammes par mètre cube d’air, la limite de détection de la substance ( concentration la plus basse qu’il est possible de détecter ) et la limite de quantification (concentration la plus basse qu’il est possible de quantifier avec exactitude ).
Premier point à souligner : entre 2002 et 2017, les lieux de prélèvement, les substances recherchées et les limites de détection et de quantification ont évolué. Deuxième remarque : ni le tableau ni les rapports ne présentent d’évaluation quantitative du risque, mais uniquement des données brutes qui requièrent donc une interprétation.
En outre, l’étude ATMO France précisant qu’il n’existe aucune valeur toxicologique de référence pour les pesticides dans l’air ambiant pour les populations ou en milieu professionnel, la prudence est de mise pour comparer ces valeurs avec des DJA (doses journalières admissibles), qui restent la seule valeur toxicologique de référence pour le consommateur par ingestion d’aliments.
D’ores et déjà, une première conclusion s’impose : entre 2002 et 2017, la concentration de pesticides dans l’air a fortement diminué en France. Voilà une bonne nouvelle ! Ainsi, pour la région d’Avignon et de Cavaillon, par exemple, « le cumul des concentrations a diminué de 90 % en moyenne sur l’ensemble des 59 molécules recherchées », peut-on lire dans le document. Ce qui est déjà considérable. Et certaines villes du réseau ATMO France en sont même exemptes.

A&E Qu’a-t-on retrouvé ?
Anna Lexa Principalement des herbicides et des fongicides. Mais le plus souvent à des doses infimes. Ainsi, en 2017, l’immense majorité des relevés de pesticides, quand ils sont détectés, sont de l’ordre du nanogramme ou du dixième ou centième de nanogramme par mètre cube. À ce point, il est important de préciser à vos lecteurs qu’un nanogramme, c’est 0,000000001 gramme, soit un milliardième de gramme.
Et comme en témoignent les relevés, cette présence est limitée généralement à certaines semaines au printemps ou à l’automne. Il y a certes quelques cas extrêmes, mais qui restent ponctuels, comme par exemple le folpel, un fongicide utilisé pour la vigne et en arboriculture, dans la région d’Avignon (27 ng/m3) et la pendiméthaline, un herbicide, à Cavaillon (15 ng/m3). Mais ces cas extrêmes eux- mêmes restent très rassurants. Prenez le cas du folpel. Classé cancérogène suspecté chez l’homme sur la base d’observations de développement de tumeurs digestives chez le rongeur à des doses très élevées (5000 ppm), sa DJA est de 0,1mg/kg/jour. Par conséquent, la dose observée de 27 ng/m3 en 2017 est 20000 fois inférieure à la DJA. Il y a donc une très confortable marge protectrice.
Quant au cas de la pendiméthaline, il est lui aussi très sécurisant. Cet herbicide est utilisé en arboriculture, mais aussi sur tous types de surface (voiries, gares, espaces verts). De là qu’on relève sa présence, par exemple, dans la ville de Port-de-Bouc où l’anthropisation et les industries sont très prégnantes.
Sa métabolisation dans le corps est totale et l’excrétion de ses métabolites se fait par les urines et les fèces, ce qui explique qu’il ait un impact faible chez l’homme. Il est cependant classé sensibilisant cutané et reprotoxique de catégorie 2, avec une dose sans effet observée chez le rat (NOAEL) assez élevée, à savoir de 30 mg/kg de poids corporel. La dose acceptable par ingestion – Acceptable Daily Intake (ADI) – calculée à partir des tests effectués sur des mammifères, et avec application de facteur d’incertitude de 100, est de 0,125 mg/kg de poids corporel et par jour (et 0,17 mg/kg pour un opérateur professionnel). Autrement dit, un adulte de 70 kg peut absorber sans risque pour sa santé jusqu’à 8,75 mg/ jour.
Ce qu’il faut surtout retenir, c’est que lorsqu’on est confronté à des résidus de pesticides de l’ordre de centièmes de nanogrammes, il n’y a aucun risque, car on est largement en dessous du million de fois moins que la DJA.
Prenons un scénario d’exposition très précautionneux : à raison de 12 m3 respirés par jour, si on considère qu’on passe 24 h/24 dehors, on aura respiré 180 nanogrammes/jour sur quelques semaines par an. En admettant que les 180 ng (0,00018 mg) soient intégralement inhalés et donc se retrouvent dans le corps, un adulte s’expose 30 jours par an, par l’air inspiré, à une quantité environ 50 000 fois inférieure à la dose admissible quotidienne pour une vie entière. Même dans le cas du pire scénario imaginable, les analyses demeurent en réalité très rassurantes. Ainsi, en appliquant un nouveau facteur d’incertitude de 1000 – au motif, par exemple, que des lobbys auraient eu une influence sur les toxicologues –, nous resterions encore 50 fois sous la dose admissible, celle qui a été définie à partir d’une seule observation négative, à savoir un petit poids à la naissance chez le rat.
Bref, ce qu’il faut surtout retenir de tout cela, c’est que lorsqu’on est confronté à des résidus de pesticides de l’ordre de centièmes de nanogrammes, il n’y a aucun risque, car on est largement en dessous du million de fois moins que la DJA.

A&E Mais alors, que peut-on conclure réellement de cette étude ?
Anna Lexa D’une part, qu’avec des valeurs résiduelles sans commune mesure avec les DJA (ingestion), ce qu’on retrouve dans l’air en termes de pesticides ne peut pas être responsable d’effets sanitaires sur l’homme. Et d’autre part, que ces mesures ne sont pas le reflet de l’usage des pesticides en France. Notamment en raison des lieux de prélèvements et des propriétés intrinsèques des molécules (volatilité, photodégradation, demi-vie, etc.).
En revanche, elles sont corrélées avec les usages attendus en fonction de la météo et des saisons. Au niveau des vignobles, les substances dépendent fortement des épidémies de mildiou et d’oïdium, et varient considérablement d’une année à l’autre. Ce qui n’a rien de surprenant. Mais, grosso modo, les pesticides sont surtout relevés sur des périodes ponctuelles à la fin du printemps et à l’automne. À noter également qu’ils ne sont pas tous d’origine agricole, mais peuvent relever d’un usage urbain.
Enfin, certains pesticides interdits sont encore mesurés, comme le lindane, retrouvé régulièrement depuis 2002 dans toutes les régions, dont on ne peut pas exclure l’usage illicite dans les charpentes en provenance de pays hors de l’UE. C’est un réel problème, mais qui relève des autorités de contrôle telle la DFCCRF. Un renforcement de la surveillance des importations de bois serait bienvenu !

A&E Aujourd’hui, beaucoup de citoyens se posent des questions au sujet de la mise sur le marché des pesticides. En tant que toxicologue, quelle réponse leur apportez-vous ?
Anna Lexa Tout d’abord, il faut savoir que le processus d’évaluation comprend trois étapes : primo, la caractérisation du danger intrinsèque de la molécule, dans laquelle est pris en compte le principe de précaution, ce qui explique qu’on recherche le pire effet possible pour ensuite appliquer avec prudence des facteurs d’incertitude. Secundo, l’évaluation de l’exposition, qui là aussi intègre le principe de précaution (comme dans notre exemple de la pendiméthaline), aboutissant à un scénario conservateur, irréaliste mais très protecteur. Tertio, la caractérisation du risque, qui vient en dernier. On compare la dose admissible avec la dose retrouvée. Et à ce stade, on peut encore, si on est très prudents, appliquer le principe de précaution et ajouter une marge de sécurité confortable.
Ensuite, on procède, grâce à un calcul protecteur, à une classification de la substance (ou des mélanges de substances), qui précède la phase de mise en place des mesures de gestion du risque. Là encore, en Europe, nous appliquons des mesures de précaution considérablement plus strictes que dans de nombreux pays.
Enfin, l’étape finale est constituée par la communication de risque en direction des personnes concernées. C’est tout l’arsenal non seulement des étiquettes, mais aussi de la formation des utilisateurs.
Je suis convaincue que les peurs des consommateurs proviennent principalement d’un manque d’information. Pire, ils sont littéralement submergés d’annonces catastrophistes qui leur font perdre la raison, le bon sens, qui les paralysent et tétanisent même les plus intelligents d’entre eux. Tout cela nous empêche d’aborder sainement les enjeux du présent et de l’avenir.
Pour conclure, j’aimerais revenir un instant sur mon expérience en tant que toxicologue réglementaire et évaluateur de risque pour la santé et l’environnement. Écologiste dans l’âme depuis bientôt quarante ans, j’ai, par le passé, été très inquiète de l’utilisation de pesticides dont certains, persistants dans l’environnement et bio accumulables, étaient suspectés fortement d’être à l’origine de cancers chez l’homme et du déclin de la biodiversité. J’ai vu au cours des décennies passées la réglementation se mettre en place, les tests se normaliser, avec une complexification vers plus de rigueur et de reproductibilité des études, des directives devenir des règlements, imposant donc plus de contraintes, et enfin, une puissance de plus en plus grande de détection, qui permet aujourd’hui de détecter un centième de nanogramme par mètre cube d’air.
J’ai vu aussi se développer une réelle prise de conscience du danger de la part des acteurs de l’agriculture eux-mêmes, qui sont désormais dotés d’équipements de protection individuels, de moyens de pulvérisation extrêmement précis, permettant de ne diffuser que la dose nécessaire – ce qui limite drastiquement les risques liés à une exposition mal contrôlée, que ce soit pour l’environnement ou pour les professionnels eux-mêmes. J’ai assisté à l’instauration des grands règlements européens depuis une dizaine d’années, avec une réelle volonté de démocratie sanitaire de la part de l’UE, puisque tous les documents sont accessibles et que des consultations publiques sont ouvertes chaque fois qu’une substance est réévaluée. En quelques clics, toute personne qui le souhaite peut connaître le statut d’une substance, sa limite maximale de résidus dans tel ou tel aliment, son statut (autorisé, interdit, en voie de substitution), sa classification (CMR, perturbateur endocrinien). Ainsi, le dossier de chaque substance est désormais disponible. Et pour ma part, je salue cette transparence qui nous a longtemps fait défaut.
Je ne peux donc pas cautionner les discours anxiogènes qui circulent de plus en plus, notamment sur les prétendus manquements de nos autorités sanitaires. Je porte même un regard très sévère sur ceux et celles qui les véhiculent. C’est d’ailleurs, en partie, ce qui m’a conduite à m’éloigner de Générations Futures, de la Fondation Nicolas-Hulot ou du CRIIGEN, ayant eu l’occasion de découvrir qu’on y manipule les données de la science de façon à leur faire dire ce qu’elles n’ont jamais dit. Je suis bien trop attachée à la rigueur et à la raison scientifiques pour pouvoir m’y associer.


Partager