Parlons un peu d’agriculture

Nous avons publié le 28 novembre l’article de Remi Aubry intitulé L’Europe parachève son suicide industriel. Nous publions aujourd’hui un article du même auteur consacré à l’agriculture (gestion de l’eau, utilisation des produits phytosanitaires, les semences et la génétique)

Par Remi Aubry

La France est parmi les pays les mieux pourvus tant en matière d’hydrographie que de pluviométrie.

Face à la pénurie d’eau qui touche chroniquement (ou tout au moins régulièrement certaines régions en particulier du sud de la France), les gouvernements successifs ont toujours affiché leur volonté d’avoir une stratégie de stockage de l’eau. Or, dans les faits, les difficultés demeurent pour la réalisation des retenues d’eau alors que notre pays est parmi les mieux pourvus tant en matière d’hydrographie que de pluviométrie.

En la matière, il est carrément indécent de parler de pénurie, la France étant parmi les pays les mieux pourvus en la ressource. Notre voisine méditerranéenne l’Espagne est bien davantage exposée à cette pénurie et cependant ne fait jamais défaut en matière de productions agricoles, quoi qu’on puisse penser par ailleurs des modes de production adoptés là-bas (notamment en matière sociale et de contrôle des pollutions chimiques de l’agriculture qui y est pratiquée). L’explication : l’Espagne, pays méridional et chaud, s’est dotée de très longue date de capacités de stockage d’eau pour l’irrigation de ses productions agricoles. Ce pays stocke de l’ordre de 20 à 25% des précipitations annuelles dans des retenues collinaires ou des bassins aménagés pour l’agriculture. La France ne stocke que moins de 2% de cette eau mais elle est naturellement davantage arrosée (ces 2% représentant une bonne part des volumes arrosant l’Espagne).

Dans toutes les civilisations et particulièrement dans les pays connaissant de fortes périodes de sécheresses, on a capté l’eau pour les besoins agricoles qui sont in fine les besoins alimentaires de l’humanité. À partir du XIIe siècle, le Marais poitevin, par exemple, est sorti de terre et a été « assaini » sur cette base. Il en est de même pour les marais de la Dombe au XVIIIème siècle. Le sujet du stockage de l’eau n’est donc pas nouveau.

Dès qu’un projet de stockage d’eau est lancé en France, on voit surgir la troupe des « anti » souvent véhémente, parfois violente. Pour ces gens, il faut que les agriculteurs se résignent à ne pas produire… L’aménagement de réserves d’eau est devenu la cible de militants écologistes pour des raisons davantage politiques qu’environnementales. En 2019, à la suite du projet d’implantation de 16 réserves d’eau dans le Marais poitevin, une ZAD s’est créée à Mauzé-sur-le-Mignon (Deux-Sèvres). Ce genre de conflit se multiplie depuis le triste épisode de la réserve du barrage de Sivens.

Les éléments mis en avant par ces militants extrémistes anti-agriculture (ou pour qui l’agriculture ne doit simplement plus produire et encore moins exporter) se fondent sur des arguments qui ne tiennent pas la route. Ceux-ci parlent en effet de « pillage de l’eau des nappes phréatiques, bien commun de la nation » ou encore d’un Marais Poitevin qui serait « menacé d’être mis au régime sec même en hiver » : beaucoup d’incantations mais jamais l’ombre d’un fait ou d’une preuve scientifique car ces réserves retiennent de l’eau pluviale qui, sans elles, s’écoulent rapidement vers l’océan.

En France, depuis la grande sécheresse de 1976, les agriculteurs ont trouvé dans l’irrigation une réponse partielle à la sécurisation de leurs productions notamment céréalières, et donc de leurs revenus. L’irrigation financée par les utilisateurs a été fortement encouragée pour supprimer le très impopulaire « impôt sécheresse ». Aujourd’hui, la montée en puissance de la création de nouvelles réserves d’eau est un élément clé pour garantir notre souveraineté alimentaire. Et il y a de la marge pour équiper la France sans aller jusqu’au niveau de l’Espagne (NB : ce n’est pas forcément l’objectif).

Les conditions de succès des schémas de gestion de l’eau sont :

  • Une approche scientifique et locale ;
  • La prise en considération des besoins et ressources à la maille la plus étroite possible (par exemple l’établissement préleveur, utilisateur, qui traite ou non ses rejets) ;
  • La compréhension précise des procédés, actions et intérêts des acteurs en présence (industrie, agriculture, ménages, collectivités…) ;
  • La compréhension de toutes les pressions exercées sur la ressource ;
  • La connaissance des ressources non-répertoriées à ce jour ou dont la valorisation est mal connue ;
  • L’agronomie et la science du sol ;
  • La capacité d’écoute et de dialogue.

Toutes choses qui sont assez rarement réunies… Le futur Varenne, qui suit les interminables palabres des Assises de l’eau en 2019, laisse davantage à craindre qu’à espérer…

Les semences et la génétique (la grande peur française des « Zogéhèmes »

Le futur de l’agriculture dépend de la qualité des semences. Son présent aussi car les développements techniques en matière de semences sont prometteurs. Il s’agit de ne pas les laisser passer sous notre nez pour des raisons idéologiques (NB : Limagrain, français leader mondial dans le domaine, est contraint de ne pas développer ses savoir-faire en France…).

Le secteur agricole exprime des inquiétudes concernant la possibilité d’utiliser les NBT (New Breeding Techniques) après avoir été privé de l’usage des OGM, dont la diabolisation imbécile a rendu la génétique quasiment impossible à évoquer dans notre pays gangrené par un certain obscurantisme en la matière.

Pourtant, l’amélioration des plantes participera de manière significative, tout comme les technologies digitales, à relever les défis de l’agriculture : adaptations au climat, réduction des intrants et protection des sols. Les nouvelles techniques de sélection végétale ont pour objectif, notamment, de rendre les plantes plus résistantes. La culture des organismes génétiquement modifiés à des fins commerciales est interdite en France depuis 2008. Les NBT permettent de modifier le génome des plantes sans introduire de gènes en provenance d’une autre plante, grâce à des techniques comme Crispr-Cas9, pour laquelle une française a obtenu un Nobel (elle travaille aux USA car si elle était restée en France, elle serait devenue sarcleuse de fraises « bio » !!!).

Cela a notamment fait l’objet de rapports, d’études et de débats au sein de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). Tout comme le collectif de scientifiques qui s’est exprimé en janvier dernier dans une tribune publiée par Le Monde, il est à déplorer que les gouvernements bloquent les réponses que la recherche apporte aux maladies des plantes. Nos gouvernants européens subissent des pressions de la société, où les peurs prennent le pas sur la connaissance scientifique.

Pour les NBT, le cadre juridique européen n’est plus compatible avec le scientifique. Là encore, il s’agit d’un combat où la science et la connaissance doivent prendre le dessus. En résumé, la mauvaise attitude de Monsanto et son histoire controversée ne doivent pas être le prétexte au blocage de l’innovation en matière de semences agricoles.

Les produits phytopharmaceutiques

Le glyphosate.

Les conclusions de l’étude réglementaire des quatre pays rapporteurs sur le glyphosate indiquent clairement qu’il n’y a aucun risque sanitaire dans le cadre d’un usage normal de cette matière active. Est-il normal que la France persiste à exiger son interdiction à l’échelle européenne ?

La France a une position assez ambiguë (elle est l’un des quatre pays rapporteurs) : comment se fait-il que le gouvernement ait tant de mal à aller dans le sens de son agence sanitaire qui, elle, se prononce en faveur d’une ré approbation de l’herbicide, quand ce même gouvernement n’a aucune difficulté à faire confiance aux équipes de l’agence de santé médicale sur le sujet des vaccins ?

L’OPECST a analysé notamment une étude très complète sur l’évaluation des risques sanitaires et environnementaux par l’Echa, l’Efsa et l’Anses (n° 477 – 2 mai 2019), concluant qu’il n’y avait pas de toxicité à long terme du glyphosate, en revenant sur une étude du Circ, organisme vérolé par les écologistes militants, dont l’appréciation n’était que partielle. La récente étude réglementaire des quatre pays rapporteurs vient confirmer la non-toxicité du glyphosate. Cette molécule focalise toutes les peurs et tous les rejets, au nombre desquels il y a d’abord et avant tout le rejet politique de Monsanto. La seule position acceptable, c’est celle qui se base sur les données scientifiques.

Au politique de prendre ses responsabilités et de ne pas céder aux peurs qui fragilisent notre société.

Les travaux de l’OPECST ne sont pas suffisamment pris en compte par le Parlement. La qualité des rapports et des études mériterait d’ailleurs une meilleure vulgarisation. Les médias nationaux devraient aussi être des relais pour diffuser ces éléments auprès du grand public.

Au sein de l’OPECST, quel que soit le sujet traité, les débats sont respectueux de tous les points de vue exprimés. Il faut observer que l’approche scientifique, qui est faite de méthode, de vérification et de démonstration, devrait davantage inspirer les parlementaires dans leur quotidien. Le scientifique sait avouer ses torts, le politique le fait trop rarement.

Les néonicotinoïdes.

La loi de 2016 interdisant les insecticides avait été votée « sans s’assurer que des alternatives aux néonicotinoïdes existaient ». « Voter des principes, c’est bien. Faire en sorte qu’ils puissent être appliqués, c’est mieux ».

Ces substances sont appliquées en enrobage sur les semences de betteraves pour protéger les jeunes plantes des attaques de pucerons au début de leur végétation. Elles ne sont pas épandues et la dose mise en jeu est de l’ordre de la quantité appliquée sur un collier antipuces de chiens domestiques (c’est la même substance !) pour un hectare de betteraves semées… Les betteraves ne fleurissant jamais (plantes bisannuelles dont la racine est récoltée la première année), elles ne constituent absolument pas un attrait pour les abeilles.

L’ingénierie génétique

Le 26 janvier 2021, le journal Le Monde a publié une tribune d’un collectif de scientifiques intitulée « Le génie génétique, paradoxalement accepté pour les vaccins mais refusé pour la betterave ». Les scientifiques déplorent qu’un remède « écologiquement et socialement acceptable » à la destruction du quart de la production agricole mondiale par les maladies des plantes, est bloqué par la plupart des gouvernements.

Un an après que l’apparition du virus causant le Covid-19 soit apparu en décembre 2019, une campagne de vaccination était lancée. Cette rapidité de réaction, unique dans les annales de la médecine, a été permise par l’ingénierie génétique.

Ces mêmes techniques qui ont été utilisées pour mettre au point le vaccin protégeant les hommes contre le Covid-19 sont refusées pour la protection de la betterave contre une épidémie virale transmise par des pucerons. Or les betteraves, comme toutes les plantes cultivées, résultent d’une sélection génétique effectuée par les humains à partir des plantes sauvages, qui a profondément modifié leur génome pour les adapter à l’agriculture. La production de sucre est ainsi passée, en cinquante ans, de 3,5 tonnes à 13 tonnes par hectare, en utilisant trois fois moins d’engrais azotés.

La transformation génétique pour introduire des gènes de résistance aux virus sont déjà utilisés depuis plus de vingt ans. Depuis 1996, on cultive aux îles Hawaï des papayers transgéniques résistants à un virus létal, sans qu’aucun risque sanitaire ou environnemental n’ait été rapporté.

Hélas, cette solution n’a aucun avenir. Le processus européen d’autorisation de culture des plantes transgéniques est le plus verrouillé du monde. La plupart des gouvernements, dont la France, interdisent systématiquement la culture des plantes génétiquement modifiées. La cause en est l’impossibilité politique d’une réflexion apaisée, rationnelle et démocratique sur leur usage, attestée par la destruction systématique des essais expérimentaux.

L’impossibilité d’une réflexion apaisée

Aucune entreprise ne se lancera donc dans un tel projet condamné à l’avance, d’autant que les producteurs de semences de betterave, loin d’être des multinationales aux reins solides, sont plutôt des PME. Voilà pourquoi les néonicotinoïdes ont probablement encore de beaux jours devant eux. Ce blocage de la transgenèse végétale s’étend à toutes ses applications agronomiques, comme la lutte contre les virus de la vigne et de la tomate, contre lesquels il n’y a pas de résistance naturelle, ou la création de variétés végétales plus résilientes face au changement climatique.

S’il peut paraître exagéré de comparer la pandémie de Covid-19 et la jaunisse de la betterave, qui ne semblent pas avoir le même impact sanitaire, économique et social, cela prend pourtant plus de sens quand on réalise que les maladies des plantes détruisent le quart de la production agricole mondiale. On peut se féliciter qu’un consensus favorable émerge concernant les technologies vaccinales appliquées aux humains, comme pour la thérapie génique afin de guérir certaines maladies génétiques, mais il est paradoxal que les applications du génie génétique rencontrent encore autant de résistance, lorsqu’elles peuvent concourir à résoudre des problèmes agronomiques de façon écologiquement et socialement acceptable.

Partager

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

captcha