Des lois de Kirchhoff à la révision de la Constitution

Rémy Prud’homme professeur des universités (émérite)

Kirchhoff est un physicien allemand de 19ème siècle qui a établi les lois qui régissent l’intensité du courant dans un réseau électrique. On raconte que, récemment, dans un grand pays occidental, un conseil gouvernemental de haut niveau discutait de je ne sais quelle mesure de régulation de l’électricité. « Pas possible, dit le conseiller scientifique, cela contredirait les lois de Kirchhoff ». « Objection ridicule, rétorqua le Président, ce qu’une loi a décidé, une autre loi peut l’annuler ; et je contrôle bien mon Congrès ». Cette anecdote – vraisemblable sinon véridique – éclaire le débat français actuel sur la préservation de l’environnement, et son éventuelle inscription dans le préambule de la Constitution.

Le gouvernement a fait voter par l’Assemblée Nationale le texte suivant : « La France garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique ». Ce texte est destiné à être soumis à referendum. Il est lamentable. On notera tout d’abord que l’expression « dérèglement climatique » est doublement fautive. Grammaticalement, tout d’abord. Elle confond l’adjectif avec le complément de nom, à l’anglaise. Le législateur veut parler du dérèglement du climat, pas d’un dérèglement d’on ne sait quoi (des mœurs, par exemple) qui serait d’origine ou de caractère climatique. Le préambule de la Constitution française mérite mieux qu’un anglicisme ambigu. Conceptuellement, ensuite. « Dérèglement » fait référence à un « règlement » du climat qui n’a aucune existence réelle, et auquel le Législateur serait bien embarrassé de donner un contenu précis. On observera aussi en passant que les objectifs vagues et implicites du texte (« préservation », « lutte contre le changement ») sont ingénument conservateurs, passéistes, pour ne pas dire  réactionnaires. Mais c’est surtout l’idée que la France pourrait « garantir » quoi que ce soit dans ce domaine qui est une absurdité.

 L’évolution de l’environnement et du climat est évidemment un phénomène global. Les causes de cette évolution sont complexes, et encore mal connues. En simplifiant beaucoup, on peut distinguer deux systèmes explicatifs : (i) un système planétaire qui considère que la température de notre globe est déterminée par l’évolution du soleil ou par l’alignement des planètes ; (ii) un système anthropique qui fait dépendre la température de la terre du stock de CO2 de l’atmosphère, lui-même alimenté par les rejets de CO2 de l’activité des hommes. On ne cherchera pas ici à comparer les mérites de ces deux systèmes explicatifs, qui peuvent d’ailleurs coexister, et combiner leurs effets.

Ce qui est certain, et évident, c’est que dans les deux cas la capacité de la France à « agir » sur le climat est nulle ou insignifiante. Dans le premier cas, l’évolution dépend du soleil ; dans le second elle est (fort peu d’ailleurs) entre les mains de la Chine. Si Jupiter en son Olympe croit qu’il peut commander à ces gros acteurs, il se trompe.

Josue a bien (selon la Bible) arrêté le soleil, mais pour un jour seulement, sans effet sur la température. En ce qui concerne les rejets de CO2, les chiffres sont les suivants : la France rejette 0,3 (milliards de tonnes) annuellement, la Chine 9, le monde 33, et le stock mondial est de 3 200. Un doublement du stock entraine une augmentation de la température du globe d’environ 1,5° centigrade. La moitié des rejets annuels sont absorbés par les océans et la végétation. Ces données (proposées par le GIEC), et quelques règles de trois, suffisent pour calculer que les rejets annuels de la France augmentent la température du globe d’environ 0,00007 °C. Si, par on ne sait quel miracle au coût catastrophique, la France réduisait du jour au lendemain à zéro ses rejets de CO2, au bout de 30 ans, la température du globe s’en trouverait réduite d’environ 0,002 °C, c’est-à-dire d’un imperceptible 2/1000ième de degré.

Une minute de réflexion montre donc que la France ne peut pas modifier l’évolution du climat. Ce n’est pas une affaire de volonté politique, c’est une affaire de réalité physique. Faire à la France obligation de « garantir » quoi que ce soit dans un domaine où elle est totalement désarmée n’a aucun sens. C’est une posture, une invocation, une incantation, une procession pour la pluie. Placer ce déni de science et de raison dans un texte aussi sacré que le préambule de la Constitution est effrayant. Il est triste de penser qu’une écrasante majorité de l’Assemblée Nationale a commis un tel crime contre l’esprit. Nos gouvernants et nos parlementaires sont comme ce Président qui se flattait de faire modifier par son Congrès les lois de Kirchhoff.

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6 réflexions au sujet de « Des lois de Kirchhoff à la révision de la Constitution »

  1. Si écrire dans la constitution que “deux et deux font cinq” peut permettre de gagner quelques voies, ils l’écriront.
    Ils sont câblés ainsi.
    Tous.
    Si s’improviser subitement passionné de football, contribue à se maintenir député à Marseille, il le fait.
    https://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/2018/04/27/25001-20180427ARTFIG00099-la-reconversion-de-melenchon-en-supporter-de-l-om-ne-convainc-pas.php
    C’est affligeant et c’est ainsi.
    On a les élus qu’on mérite.
    Amitiés

    • Bonjour,
      Inscrire ce genre de chose dans la constitution conduira avec le principe de précaution à bloquer toutes forme de développements industriels, d’avancées scientifiques… Ils auront leur décroissance.
      C’est vraiment inquiétant.
      Sachant que le député “joueur de foot” a voté cette loi. Il faut espérer qu’il prenne un bonne claque au prochaine élection.
      Amitiés

  2. Article très intéressant.
    Il me paraît souhaitable que les articles puissent être téléchargés au format PDF.
    Ainsi ils pourraient être communiqués à nos députés par exemple
    Cependant, dans cet article, il me semble qu’il y a une erreur.
    Les rejets annuels de la France n’augmentent pas la température du globe de 0,0007 °C, mais de 0,00007 °C.
    0.3 / 2 * 1.5 / 3200 = 0.00007.
    En 30 ans d’arrêt de rejet de CO2, la France contribuerait au refroidissement de la planète pour 0.002 °C
    (et non 0.02 °C) :
    00007 * 30 = 0.002
    L’arrêt des rejets de l’ensemble du monde diminuerait la température de 0,0077 °C :
    33 / 2 * 1.5 / 3200 = 0.0077.
    Et cela bien entendu si l’on tient les données proposées par le GIEC pour vraies.

  3. Mais si, comme dit Bruno Latour “le Climat c’est tout”.. que rajouter ? .(ledit auteur de cette pensée profonde, est, selo Wikipédia, sociologue, anthropologue et philosophe, et a également occupé, on ne ricane pas dans les rangs, le poste de directeur scientifique de Sciences Po Paris) …

  4. Article très intéressant.
    Juste une remarque sur votre anecdote savoureuse en début de texte concernant les “lois de Kirchoff”, lois physiques qui seraient en contradiction avec les lois humaines débattues et votées … Elle met bien en évidence l’ambiguïté du mot “loi”, différente selon le contexte.
    Mais il me semble que vous tombez involontairement dans exactement le même piège étymologique quand vous écrivez que “Conceptuellement, ensuite. « Dérèglement » fait référence à un « règlement » du climat qui n’a aucune existence réelle”.
    “Dérèglement” est dans certains cas l’inverse de “règlement” … mais pas toujours.
    Il est issu du latin “regula”, qui a donné en français “règle”, terme très général …
    – il peut être compris au sens politique et social comme une norme, une loi, une prescription sociale. Et le trop-plein de “règlementations” dans des régimes libéraux donne parfois lieu à des “dérèglementations” en sens inverse.
    – mais au sens mathématique et physique, la même “règle” ne renvoie pas à un “règlement”, mais à une “régularité” ou une “régulation”.
    La “régularité” dans l’observation de phénomènes physiques peut s’expliquer par des “lois” théoriques mathématiques et physiques ; un thermostat est “déréglé” quand il n’assure plus la “régulation” de la température autour d’une moyenne stable … et non pas quand il a mal compris son règlement intérieur 🙂
    Un terme plus strict aurait été “dérégulation du climat” (termes néanmoins plus difficiles à comprendre) … mais je suis totalement d’accord avec vous : le climat, en tant que système chaotique, n’a jamais eu aucune régularité prévisible.

    Cordialement

  5. Nous sommes en Absurdistan.
    Pays phare du monde civilisé que tout le monde envie mais que personne ne copie.
    Parce que c’est ainsi, les dirigeants tous issus du fleuron de l’éducation d’Absurdistan : l’ANE, vont décrétés la guerre aux USA pour les obliger à arrêter toute production du gaz satanique impie.
    La Chine, verte de peur, suivra le mouvement.
    Ainsi sera réglé le problème.
    CQFD

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