Nous remercions Christian Biaille de nous avoir fait connaître dans sa précieuse lettre d’information cet article publié sur le site de l’agence américaine NOAA. Nous en proposons ci-dessous une traduction. Comme on le verra la surface de la banquise antarctique est restée stable sur une période de 40 années. Le récent déclin de 2015, apparemment en voie de redressement, semble dû à des phénomènes météorologiques.
Comme en Arctique, l’océan autour de l’Antarctique gèle en hiver et fond en été. La banquise antarctique atteint généralement son étendue maximale annuelle dans la 2ème quinzaine de septembre, et atteint son minimum de surface entre la fin du mois de février et le début du mois de mars. L’étendue minimale de 2020 (20-21 février 2020) était inférieure à la moyenne de la période 1981-2010, mais bien au-dessus du creux record enregistré en 2017.
Le timing des cycles saisonniers n’est pas la seule différence entre la banquise de l’Antarctique et celle de l’Arctique. Une différence fondamentale est l’ampleur de l’écart entre l’étendue maximale et l’étendue minimale estivale. La banquise antarctique s’étend sur environ 18 millions de km2 à son maximum en hiver (15,5 millions de km2 dans l’Arctique) et sur environ 2,6 millions de km2 à son minimum estival (6,5 millions de km2 en Arctique).
La différence des écarts saisonniers est due à la géographie de base : l’Arctique est un bassin océanique largement entouré de terres. La glace se forme sur le pôle Nord lui-même (latitudes les plus froides de l’hémisphère) mais son expansion est contrôlée par l’Eurasie, l’Amérique du Nord et le Groenland. L’Antarctique est un continent entouré d’un vaste océan. La glace de mer peut s’étendre librement à travers l’océan Austral en hiver, mais elle ne peut se rapprocher du pôle Sud qu’autant que le permet la côte antarctique.
Parce que la banquise antarctique se forme à des latitudes plus basses et plus chaudes, moins de glace survit à l’été. En Arctique, environ 40% en moyenne de la couverture de glace hivernale de l’océan survit au minimum estival, contre 15% seulement environ dans l’océan Austral. Du fait que si peu de glace antarctique persiste pendant l’été, la majorité de la glace de mer de l’Antarctique ne survit qu’un hiver au plus. En conséquence, la banquise antarctique est relativement mince, d’1 mètre ou moins. Dans l’Arctique, la glace pluriannuelle qui survit au moins un été a généralement 3 à 4 mètres d’épaisseur, et la glace saisonnière qui s’est formée depuis l’été précédent peut souvent atteindre 2 mètres d’épaisseur. Dans l’ensemble donc, l’épaisseur moyenne de la glace antarctique est très inférieure à celle de la banquise arctique. Cependant, des chutes de neige viennent souvent épaissir la banquise antarctique. La poids de la neige peut déprimer les glaces flottantes que l’eau de mer peut par la suite inonder.
Variabilité et changement à long terme
La surface de la banquise croît et décroît avec les saisons, mais les étendues minimale et maximale ne se correspondent que rarement d’une année à l’autre ; au fil des années et des décennies, les surfaces de glace varient en été comme en hiver. Par rapport à l’Arctique, la banquise antarctique montre moins de variabilité en été et davantage en hiver. Ces changements résultent en grande partie des différences géographiques mentionnées ci-dessus, à savoir la distance au pôle de la banquise de l’Antarctique (celle-ci peut fondre jusqu’à la côte en été, ce qui en réduit la variabilité d’une année à l’autre) et d’un potentiel de croissance qui n’est pas limité en hiver . Les événements météorologiques entraînent souvent de la variabilité, mais ont des effets différents dans les hémisphères nord et sud. La météo exerce une plus grande influence sur le minimum arctique et sur le maximum antarctique.
Les relevés satellitaires d’étendue de la banquise remontent au 25 octobre 1978. Contrairement à l’Arctique, où l’étendue de la banquise diminue dans toutes les régions en toutes saisons, les tendances en Antarctique sont moins marquées. De 1979 à 2017, l’étendue de la banquise antarctique a affiché une tendance légèrement positive dans l’ensemble, bien que certaines régions aient connu des déclins notamment dans la péninsule antarctique. Les régions situées au sud et à l’ouest de la péninsule antarctique ont affiché un déclin persistant, mais cette tendance à la baisse est faible par rapport à la grande variabilité de la banquise antarctique dans son ensemble. Une autre région située près de la pointe nord de la péninsule, dans la mer de Weddell, a enregistré un déclin sensible jusqu’en 2006, puis a rebondi ces dernières années. La région orientale de la mer de Ross a montré une augmentation modeste de l’étendue des glaces au cours de la même période.
Dans l’ensemble, la tendance à long terme de la banquise antarctique est presque plate. S’étendant sur plus de quatre décennies, les données satellitaires montrent des périodes croissance et de décroissance de l’étendue de la banquise, mais pas de tendances statistiquement significatives. En 2013, 2014 et 2015, les étendues minimales annuelles de la banquise antarctique (survenant en février ou en mars) ont non seulement dépassé la moyenne de 1981 à 2010, mais ont également dépassé presque toutes les valeurs enregistrées par satellite pour cette période de l’année. En 2012, 2013 et 2014, les étendues maximales annuelles (survenant en septembre ont été les plus élevées jamais enregistrées.
Jusqu’en 2015, la surface de la banquise en Antarctique affichait des valeurs proches de la moyenne de 1981-2010. Puis, la banquise antarctique est tombée sous la fourchette de variabilité à long terme (englobant 80% de la fourchette de valeurs autour de la moyenne de 1981–2010). A partir de septembre 2016, la surface de la banquise en Antarctique est tombée chaque mois bien en dessous de la moyenne de 1981-2010 terme , et même en dessous de la fourchette de variabilité à long terme. Les surfaces mesurées en 2017 et 2018 ont été les plus faibles jamais enregistrées tant pour le maximum d’hiver que le minimum d’été. En 2019, les étendues minimale et maximale sont tombées en dessous de la moyenne de 1981-2010, mais sans atteindre les records de baisse pour cette période de l’année. Les étendues en mars et début avril 2020 étaient proches de la moyenne à long terme.
Ce changement récent ne signifie pas nécessairement un changement dans la tendance à long terme. Selon l’indice NSIDC (National Snow and Ice Data Center), début d’avril 2020, la banquise antarctique a montré une tendance à long terme légèrement positive pour tous les mois sauf celui de novembre, qui a marqué une tendance légèrement négative. Mais pour chaque mois, la plage d’erreur était supérieur à la tendance : la variabilité annuelle éclipse les tendances à long terme.
L’impact du changement climatique sur la banquise Antarctique : compliqué et erratique
Les configurations terre-mer affectent l’étendue de la banquise non seulement en limitant les zones où la glace peut se former, mais aussi en faisant sentir ses propres effets. Dans l’Arctique, les masses continentales entourent et donc influencent la banquise. La glace et (surtout) la neige sont hautement réfléchissantes, renvoyant une grande partie de l’énergie solaire dans l’espace. À mesure que le couvert neigeux du printemps et de l’été de l’hémisphère Nord diminue, la surface terrestre sous-jacente absorbe plus d’énergie et se réchauffe. Des conditions plus chaudes sur terre affectent l’océan à proximité, et en conséquence, davantage de glace de mer fond. Le cycle de rétroaction fusion-chaleur-fusion signifie que l’Arctique se réchauffe plus rapidement que le reste du globe.
Cependant, aucun effet d’amplification polaire ne se produit à grande échelle dans l’hémisphère sud. L’Antarctique est entouré par l’océan, et non par des terres perdant leur couverture de neige réfléchissante et leur couvert de glace au printemps et en été. Il était déjà normal, historiquement parlant, que la glace de mer d’été fonde presque jusqu’au littoral antarctique, laissant de grandes étendues de l’océan Austral exposées à la chaleur du soleil d’été. En revanche, la perte de neige et de glace réfléchissantes dans les hautes latitudes nordiques entourant le bassin arctique représente un changement profond par rapport à ce qui est considéré comme historiquement normal.
L’océan Austral est vaste, un fait que systèmes de projections cartographiques axés sur l’hémisphère Nord ne montrent pas. Les cycles naturels dans l’océan Austral peuvent avoir des effets prononcés sur la banquise antarctique. Les régimes atmosphériques, en partie influencés par les émissions de gaz à effet de serre, sont également à l’œuvre.
Le mode annulaire sud (SAM) est un régime de vents d’ouest qui entoure l’Antarctique. Le SAM est influencé par les conditions de l’oscillation ENSO (El Niño-Southern Oscillation), il est donc en partie entraîné par des oscillations naturelles. Dans le même temps, un signal mondial anthropique fait passer le SAM en mode positif plus fréquemment, et les effets du vent qui en résultent augmentent généralement l’étendue de la banquise antarctique. Le SAM est également en relation avec l’Amundsen Sea Low, qui exerce une influence complexe sur le transport de la glace de mer sur le côté ouest de la péninsule Antarctique.
Pour faire court: le changement climatique a une influence perceptible sur la glace de mer arctique, mais une influence compliquée et erratique sur la banquise antarctique. (Pendant ce temps, la couche de glace de l’Antarctique perd de la masse.)
Aux endroits où la banquise fond complètement pendant l’été antarctique, l’absence de glace peut avoir des effets en cascade. Par exemple, le retrait de la banquise dans la mer de Weddell le long de la pointe nord de la péninsule Antarctique a probablement contribué aux pertes du plateau glaciaire Larsen. Des glaciers en plateau (d’épaisses plaques de glace flottante attachées aux côtes et généralement alimentées par des glaciers) bordent le continent gelé. La banquise intacte devant un plateau de glace le protège des houles océaniques. Lorsque la glace a disparu, les vagues de l’océan peuvent faire fléchir le plateau et le rendre plus vulnérable à la désintégration. Selon l’ampleur de la désintégration d’un plateau, le glacier qui l’alimente peut accélérer sa descente dans l’océan. Mais le retrait de la banquise ne peut jamais à lui induire le processus de désintégration ; d’autres facteurs tels que l’eau chaude de l’océan et la fonte de la surface de la banquise sont également à l’œuvre.