En Californie, une gestion forestière défectueuse aggrave les conséquences des incendies

Une série de grands incendies de forêt ont éclaté en Californie pendant l’été 2018. Les premiers entre juillet et août dans la partie nord de l’état avec les incendies Carr Fire et Mendocino Complex Fire. En novembre 2018, des vents violents ont provoqué une nouvelle série d’incendies, dont Camp Fire qui selon le dernier bilan fourni par les autorités a tué au moins 88 personnes (196 étant toujours portées disparues), dévasté près de 62 000 hectares, détruit près de 14 000 habitations et ravagé la petite ville de Paradise qui comptait 27 000 habitants.

La saison des feux de forêt 2018 est ainsi l’une des plus destructrices enregistrées en Californie avec un total de 7 983 incendies qui on brûlé 738 351 hectares « battant » ainsi le record de 2008 (644 269 hectares brûlées).

Si les feux en Europe sont en diminution constante comme le montrent sans équivoques les statistiques de l’EFFIS (European Forest Fire Information System) commentées dans cet article, en Californie la situation est différente. Dans cet état de l’ouest des Etats-Unis en effet, trois facteurs se sont combinés pour conduire à cette saison 2018 si destructrice : la sécheresse, des carences dans la gestion de la végétation et des incendies, et une concentration croissante de la population dans les régions à risques.

La sécheresse, un phénomène récurrent en Californie

La Californie connaît un climat méditerranéen sur la quasi-totalité de son territoire [1]; elle est parsemée de gigantesques forêts très inflammables[2]. La chaîne côtière autour de Los Angeles et de San Diego est revêtue d’une végétation très fine appelée « chaparral » (l’équivalent du maquis ou de la garrigue en France), qui sèche très vite en dégageant des huiles essentielles, un écosystème qui favorise une combustion rapide.  Les vents chauds, secs et très puissants de Santa Ana [3] apparaissent en Californie du sud en automne jusqu’au début de l’hiver (c’est l’une des raisons pour lesquelles le mois de septembre est le mois le plus chaud de l’année à Los Angeles). Les hivers peuvent aussi y être très humides (comme en 2016), favorisant la repousse de l’herbe qui forme du combustible pour l’été suivant.

Le climat de la Californie est d’autre part très influencé par les variations de températures de surface de l’océan Pacifique équatorial. Cette relation entre l’ENSO (El Niño Southern Oscillation ) est bien documentée depuis les travaux précurseurs de Ropelewski and Halpert (1986) [4]. Par exemple, le grand événement El Niño de 2015-2016 a conduit à une succession  d’années chaudes et sèches en Californie.

Loin d’être exceptionnelle, la sécheresse est un phénomène récurrent en Californie. Cela est reconnu par l’agence américaine NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration[5] dans un rapport intitulé « Causes et prévisibilité de la sécheresse Californienne 2011-2014 » dont les auteurs résument ainsi leurs conclusions :

« La sécheresse actuelle, bien qu’extrême, n’est pas en dehors de la plage de variabilité hydro-climatique de la Californie et des événements similaires se sont déjà produits… les observations depuis 1895 ne mettent en évidence aucune tendance à des hivers plus humides ou plus secs en Californie ».

Le diagramme  ci-dessous (extrait du rapport de la NOAA) montre en effet que 120 années d’observation ne font apparaître aucune tendance significative :

NOAA

Fig. 1 : Anomalies de précipitations (en mm/jour) entre 1895 et 2014 (en violet courbe lissée sur une période de 7 ans) Source NOAA

On y voit une période de sécheresse prolongée dans les années 1920 et 1930, un hiver 1976-1977 particulièrement sec, et une période humides prolongée dans le milieu des années 1990.

Des incendies plus destructeurs

Les deux graphiques ci-dessous (Figure 2 et 3) ont été établis en utilisant les données que l’agence californienne de protection contre les incendies (Cal Fire) fournit de façon cohérente [6] depuis 2007.

Ils montrent une augmentation importante des superficies brûlées au cours des trois dernières années, l’année 2018 dépassant le record des années 2007 et 2008. Le nombre des incendies augmente également mais de façon beaucoup moins marquée.

Cal fire

Fig. 2 Surfaces brûlées (hectares) en Californie. Source Cal Fire

 

nombre de feux en Californie

Fig. 3 Nombre d’incendies en Californie. Source Cal Fire

Des carences dans la gestion des sols et de la végétation

Au-delà des conditions climatiques, la manière dont les sols sont utilisés a une influence décisive sur la propagation des feux. Comme le notait dès 1995 un rapport de Cal Fire, une gestion inadéquate des terres et des incendies augmente les dégâts causés par les incendies.

Dans un article au titre évocateur (« How Fire, Once a Friend of Forests, Became a Destroyer ») publié par le National Geographic Magazine [7], Stephen Pyn, un ancien pompier devenu historien et professeur à l’Université d’État de l’Arizona, montre que des décennies de mauvaises pratiques expliquent la virulence des feux de forêt d’aujourd’hui. Selon cet expert, la vaine tentative pour éliminer tous les incendies provoque l’accumulation de combustibles (bois sec, feuilles, autres matériaux) créant les conditions pour des incendies plus graves et plus incontrôlables. Stephen Pyn défend l’idée que des feux d’intensité relativement faible mais fréquents et maîtrisés permettraient de réduire l’accumulation des combustibles qui alimentent les incendies et les rendent plus dévastateurs. Il faut selon lui rétablir un cycle naturel des feux inspiré de celui pratiqué par les amérindiens.

Une telle stratégie avait d’ailleurs été envisagée dès 1910, après un incendie majeur appelé le Big Blowup qui a brûlé plus 1,2 millions d’hectares et tué 78 pompiers en un après-midi dans les Rocheuses du Nord. Mais ce projet n’a pas eu de suite pour des raisons politiques. La Californie poussée par des écoles de pensée écologistes très puissantes dans cet état, a édicté des interdictions de « logging » (exploitation du bois) par les propriétaires. Il semble que l’on revienne actuellement sur cette mesure, dont la nocivité a été tragiquement démontrée.

Des experts Européens sont du même avis : ainsi Alexander Held, expert de l’European Forest Institute, plaide pour une évolution en profondeur des pratiques en ce domaine [8] :

« Plutôt que d’adapter la gestion forestière et agricole, on se repose trop sur les services des pompiers…l’exemple des Etats-Unis [9] parle de lui-même : les moyens de lutte augmentent d’année en année, mais les pompiers ne peuvent pas faire face à des feux de plus en plus nombreux et intenses ».

Il donne en exemple le programme FireWise en Afrique du Sud qui consiste à former dans les communautés exposées aux incendies des volontaires capables d’entretenir les zones interfaces entre les villages et les terrains attenants.

Une population californienne de plus en plus exposées aux risques d’incendie

D’une part, Cal Fire estime que 95% des incendies en Californie sont causés par des humains même s’ils sont rarement intentionnels. D’autre part, deux millions de foyers [10] (soit 14,5% de toutes les maisons en Californie) habitent à présent dans des zones sujettes à des incendies de forêt à cause de la crise du logement qui pousse de nombreux californiens à s’installer dans des zones en périphérie des villes, à la lisière des forêts et dans des zones dont la végétation est inflammable. Selon Thomas Curt [11], Directeur de recherche à l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (Irstea) des milliers de maisons sont construites dans les collines situées au-dessus de Los Angeles potentiellement dangereuses.

Non seulement cette situation augmente les risques d’incendie, mais elle complique en outre le travail des pompiers, qui s’attellent d’abord à protéger les habitants : « Lorsque les pompiers se concentrent sur la protection des habitations, ils ne peuvent pas endiguer le feu aussi vite que possible ou ériger une barrière pour empêcher la propagation de l’incendie  », commente le magazine Time.

Conclusions : de la réalité à la perception des incendies

A l’échelle mondiale, les surfaces brûlées par les incendies ont diminué au cours des dernières décennies et le nombre d’incendies est aujourd’hui inférieur à celui qu’il était plusieurs siècles auparavant. Pourtant, ce n’est pas ce qui est perçu par le public.

Doerr et Santín ont expliqué ce biais de perception dans une publication de la Royal Society en 2006 [12]. L’idée selon laquelle il y a augmentation des incendies de forêt est une « perception » causée par des publications utilisant des données parcellaires sur le plan géographique et portant sur des périodes courtes aboutissant à des conclusions alarmantes aussitôt relayées par les principaux médias.

Plus grave, selon les auteurs, il pourrait aussi y avoir un biais dans l’évaluation des pertes humaines dans la mesure où le plus grand nombre de personnes victimes des  incendies se trouvent dans les régions du monde qui ne sont pas étudiées, en Asie par exemple !


[1] La Californie méditerranéenne (https://www6.sophia.inra.fr/jardin_thuret/layout/set/print/Visite-virtuelle/Parcours-Mediterranee/La-Californie)

[2] On rappelle à ce sujet les polémiques américano-australiennes concernant l’introduction de l’Eucalyptus en Californie (qui en fait semble remonter au début du XIXème siècle)

[3] Contrairement à une idée répandue ces vents ne sont pas chauds en raison de leur origine désertique. Ils se développent lorsque le désert est relativement froid et sont donc plus fréquents pendant la saison fraîche qui s’étend d’octobre à mars

[4] North American Precipitation and Temperature Patterns Associated with the El Niño/Southern Oscillation (ENSO) https://journals.ametsoc.org/doi/10.1175/1520-0493%281986%29114%3C2352%3ANAPATP%3E2.0.CO%3B2

[5] Causes et prévisibilité de la sécheresse Californienne 2011-2014 (https://cpo.noaa.gov/sites/cpo/MAPP/Task%20Forces/DTF/californiadrought/california_drought_report.pdf)

[6] Les données distinguent les incendies survenus dans les zones géographiques placées sous la responsabilité du gouvernement fédéral (45,8% des terres), l’Etat de Californie  n’étant responsable que de 4% et 51% à des intérêts privés.

[7] How Fire, Once a Friend of Forests, Became a Destroyer (https://news.nationalgeographic.com/2015/11/151122-wildfire-forest-service-firefighting-history-pyne-climate-ngbooktalk/)

[8] Interviewé par le journal suisse Le Temps

[9] Selon wired, en 1998, l’Etat Fédéral a dépensé environ 428 millions de dollars (corrigés de l’inflation) pour la lutte contre les incendies et 1,3 million d’acres brûlés; en 2018, ils ont dépensé près de 3 milliards de dollars et 10 millions d’acres brûlés. (https://www.wired.com/story/we-know-exactly-how-to-stop-wildfires-with-money/)

[10] Selon le mensuel américain Wired,

[11] interviewé par France info

[12] Tendances mondiales des incendies de forêt et de leurs impacts: perceptions et réalités dans un monde en mutation http://rstb.royalsocietypublishing.org/content/371/1696/20150345

 

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