Jean-Claude Croizé, professeur retraité, membre du bureau de l’association des climato-réalistes
C’est la petite surprise du chef pour commencer l’année 2026. Alors que l’on scrute souvent le baril de brent pour anticiper le prix à la pompe, c’est un mécanisme administratif bien plus complexe qui s’est mis en place et qui va alourdir la facture d’essence et de diesel qui va de 4 à 6 centimes par litre dès le 1er janvier 2026. Son nom de code : les « Certificats d’économies d’énergie » (CEE), l’impôt qui ne se voit pas.
Jean-Claude Croizé, membre du bureau de notre associationn, décrypte ce mécanisme pervers dont nous allons tous, in fine, payer l’addition.
Le CEE, une taxe qui n’ose pas dire son nom
Ce n’est pas explicitement une « taxe », contrairement à la nombreuse famille dont l’acronyme commence par « TI « (ex-TIPP, puis TICGN, etc.) Sources de cette discrétion : i) le produit n’est pas collecté par l’État ni par les collectivités ; ii) il s’agit en fait d’une « charge » nichée dans les « coûts de production » des producteurs et distributeurs d’énergie. Ceux-ci sont en effet censés « investir » dans les économies d’énergie et, si leur pratique ne leur en donne pas l’opportunité, ils doivent mettre l’équivalent à la disposition des propriétaires qui se lancent dans des « rénovations énergétiques globales » (logements, tertiaire,). Un processus lourd, redistribuant des sommes considérables, et qui, comme les « quotas CO2 », a donné naissance à une séquelle d’intermédiaires aux dénominations exotiques. Pour l’anecdote, on a vu l’un d’eux « faire faillite » dans le périmètre d’action de la Ville de Paris, alors même que cette nouvelle « profession » ne paraît guère exposée à des « risques d’entreprise »…
Genèse du dispositif CEE
Vers 2005-2007, comme les DPE, au temps où le Président Chirac terminait son second mandat en se faisant le héraut du Protocole de Kyoto et en clamant dans le monde que « la maison brûle ». Bref, l’invention des CEE fait partie des prémisses du « Pacte Vert » (« Green Deal » en langage bruxellois). L’ensemble de l’appareil bruxello-strasbourgeois et ses Commissaires s’étaient déjà mis en tête que le chauffage des locaux domestiques ou tertiaires recelait un énorme gisement d’économies, et qu’il ne suffisait plus d’agir par les règlements de la construction neuve. On ne sait si ces « experts » avaient conscience qu’un mouvement spontané et raisonnablement prudent était déjà en cours dans le patrimoine existant. Quoi qu’il en soit, ils avaient beau jeu de dire qu’il « fallait » accélérer partout en Europe, tant les espoirs de bénéfices étaient immenses. Il a fallu deux décennies d’expériences contraintes pour qu’on commence à comprendre que ces « avis d’experts » qui prétendaient corriger la légèreté des peuples étaient bien mal fondés, singulièrement exagérés, et qu’ils répandaient des promesses illusoires.
Les CEE au secours de la « Prime Rénov’ »
On a constaté en juin dernier que la mécanique de la « Prime Rénov’ » s’étouffait subitement. On a alors vu les organes publics évoquer des « bugs informatiques » affectant ces procédures « dématérialisées », ou encore un soudain afflux de demandes qui aurait déséquilibré le système, etc. : le déroulé habituel des justifications embarrassées. Pour ce qui est de la demande, il est probable qu’elle s’est simplement maintenue, soutenue qu’elle est par une foule de « spécialistes » qui battent la campagne et courent les villes pour expliquer aux manants les mystères de « l’ingénierie financière ». Une « ingénierie financière » qui leur permettra de procéder à la « rénovation thermique » de leur immobilier et de profiter de mirifiques économies énergétiques au prix d’un « reste à charge » des plus modérés. Pour faire suite à la visite de ces démarcheurs, juste trois ou quatre petites signatures : un projet sommaire de travaux, un projet de contrat avec une entreprise « agréée », des demandes de Prime Rénov’ et de CEE, ainsi que, naturellement, une convention d’honoraires au profit de « l’ingénieur financier ». On doit penser que cette mécanique bien huilée a poursuivi son ratissage, sans plus ni moins de résultats.
En réalité, il y avait effectivement lieu d’anticiper une « crise » de la Prime rénov’ : une crise de financement qui se produirait vers le milieu de 2025. En effet, les dotations de l’État pour la Prime rénov’ avaient été de 4 milliards en 2023, puis de 2,4 milliards en 2024 (ce qui impliquait de probables reports sur 2025), et enfin de 1,7 milliard en 2025. Des autorités qui ne devaient pas s’étonner de la « crise » de juin déclaraient aussitôt que les demandeurs ne devaient pas se décourager : tout serait rétabli d’ici la fin de l’année.
Et – miracle ! – voici qu’un décret publié en octobre met en place une « sixième ère de régulation des CEE », comme le dit une formulation administrative qui sent la brucellose. En connaissance du texte de la nouvelle « régulation », les pétroliers annoncent pour janvier 2026 un effet de 11 centimes par litre de carburant à la pompe, alors qu’ils déploraient seulement 4,5 centimes en mars 2022. Il devient ainsi clair que les CEE, jusqu’alors simples adjuvants au financement des « rénovations thermiques », se substituent de plus en plus largement aux dotations publiques. En attendant d’en venir à un « autofinancement » complet à l’occasion d’une prochaine « ère de régulation » ?
Une taxe cachée… voilà la solution
Jusqu’à présent, la grande œuvre de rénovation thermique des bâtiments voulue par le « Pacte Vert » était essentiellement financée par des fonds publics. Pour les États qui étaient en déficit chronique, cela impliquait une aggravation de leur dette. Mais il ne manquait pas de voix pour soutenir que ce supplément de dette n’en restait pas moins méritoire, puisqu’il contribuait « en même temps » à sauver la planète et à sauvegarder les budgets de chauffage. La rigueur du temps a fait justice de ces paravents. À compter de 2026, le principe de financement s’oriente vers ce qui « s’apparente à une taxe », comme dit le langage de cour de notre Cour des comptes nationale. La dette ou la taxe, c’est un dilemme cornélien, et ce n’est pas joli ; une taxe cachée, c’est la solution !
Et les ménages n’en ont pas fini avec le « drame » de l’énergie. Sur proposition des commissaires de Bruxelles, un vote du « Parlement européen » en date du 18 avril 2023 prévoit de les assujettir d’ici 2027 à « l’achat de quotas carbone ». Là encore, il ne s’agira pas d’une taxe, mais d’une obligation d’achat de ces « quotas » mis en circulation par la Commission. Quel sens des nuances !
« Quousque tandem abutere, Catilina, patientia nostra ? »
