Benoît Rittaud interviewé par AGEFI Luxembourg

Cet article a été publié dans le journal AGEFI Luxembourg (1)

 Pouvez-nous décrire l’Association des climato-réalistes, ACR ?

L’association est née du désir d’unir les efforts de personnes diverses qui jusque là agissaient de façon isolée. L’ACR offre ainsi un lieu de rassemblement pour tous ceux qui ont gardé un esprit critique sur la question climatique. Elle dispose d’un comité scientifique composé d’universitaires de plusieurs pays francophones : France, Belgique, Suisse et Canada. Beaucoup de gens nous ont dit que, grâce à l’association, ils se sentaient désormais moins seuls face au rouleau compresseur médiatique.

Qu’est-ce qu’un climato-réaliste ? Y a-t-il une différence entre un climato-réaliste et un climato-sceptique ? 

Un climato-réaliste est quelqu’un qui s’intéresse aux observations du monde réel, sans les confondre avec les prédictions de modèles informatiques qui non seulement n’ont encore jamais fait leurs preuves pour anticiper le climat un siècle à l’avance, mais qui en plus divergent de plus en plus de ce qui se passe pour de bon sur notre planète. L’observation des données disponibles, quand elle est menée de façon dépassionnée, conduit à constater que nous ne vivons pas un épisode climatique particulièrement remarquable. Il y a des évolutions, bien sûr (le climat a toujours changé), certaines sont fâcheuses tandis que d’autres sont à notre avantage. Il y a aussi des événements météorologiques extrêmes qui causent des drames, mais notre époque n’a inventé ni les cyclones, ni les sécheresses, ni les canicules : ces calamités existent depuis que le monde est monde, et rien ne démontre qu’elles augmenteraient en fréquence ou en intensité à cause de nos émissions de gaz à effet de serre.

En mars 2007, Al Gore était reçu comme un chef d’État et comme champion de la lutte contre le réchauffement climatique à Luxembourg(2) et ailleurs en Europe : que s’est-il passé, selon vous, en dix ans ?

Ces dix dernières années ont été celles où l’alarmisme climatique a rencontré ses limites. Derrière le vernis des communiqués de presse triomphants dont l’accord de Paris a été l’emblème le plus caricatural, les succès dépassent rarement le symbole, même s’ils sont hélas souvent fort coûteux pour la collectivité. Il y a eu l’échec de Copenhague, le « Climategate », l’impossibilité de trouver un financement pour le « fonds vert », le retrait des États-Unis de l’accord de Paris (qui n’était pourtant pas contraignant), aujourd’hui se font jour les premières désillusions sur les transitions énergétiques… Al Gore est une belle illustration de la décennie : il y a dix ans, il triomphait avec Une Vérité qui dérange, cette année son nouveau documentaire qui devait lui faire écho a été un échec monumental. La COP23 de Bonn en novembre dernier est allée dans le même sens, en montrant que tout le monde commence à en avoir un peu marre d’entendre depuis trente ans qu’on serait soi disant au bord du gouffre. Je crois qu’au fond chacun sent confusément qu’on s’est affolé un peu vite. On peut certes utiliser encore quelques ficelles pour maintenir la flamme, par exemple monter en épingle tel ou tel événement météorologique extrême, mais la « fatigue climatique », déjà perceptible depuis quelques années dans le public, est en train de gagner jusqu’aux négociateurs climatiques eux-mêmes.

La perception du grand public et des médias en France a-t-elle changé ? Votre interview par David Pujadas sur LCI le 12 décembre est-elle un signe d’une approche plus critique des médias ?

Pour ce que je constate régulièrement, le grand public n’a jamais vraiment adhéré à cette histoire. Certes, en surface, le discours des uns et des autres est bien formaté. Toutefois, il n’y a jamais besoin de gratter beaucoup pour que les gens conviennent que les choses ne sont pas aussi simples. Je crois que dans sa très grande majorité le grand public n’est pas dupe des caricatures. Sans être nécessairement d’emblée climato-réalistes, les citoyens savent la valeur de la discussion libre, se méfient de la pensée unique, et ne manquent pas dans cette affaire de ce sens critique qui fait défaut dans les hautes sphères. Le seul reproche à adresser aux citoyens est qu’ils n’ont pas perçu l’importance de se saisir vraiment de la question, alors que derrière les discours de marchands de tapis sur les merveilles de la « croissance verte » ou la création magique d’emplois grâce aux « politiques climatiques » se cachent des risques sérieux d’appauvrissement de la société en général, et des plus démunis en particulier.

S’agissant des médias, je crains en revanche qu’ils continuent à se fourvoyer tout aussi souvent aujourd’hui qu’hier. Depuis des années, ils ont pris cette histoire de climat comme prétexte pour militer sous couvert d’une « pédagogie » qui se substitue à leur mission d’informer. Cela n’empêche heureusement pas, bien sûr, qu’il se trouve aussi des journalistes conscients de la nécessité de donner la parole aussi à des opinions minoritaires. David Pujadas n’est pas le seul à l’avoir fait mais, outre qu’il a été particulièrement remarquable de professionnalisme et d’honnêteté dans l’interview que vous mentionnez, il est l’un des rares à avoir donné au climato-réalisme l’occasion de s’exprimer dans un média vraiment majeur. On peut peut-être y voir un effet positif de l’existence de l’ACR : désormais les journalistes qui souhaitent entendre une opinion climato-réaliste savent où s’adresser.

Comment expliquez-vous le support extraordinaire des gouvernements occidentaux pour le changement climatique ? Outre les considérations scientifiques expliquées dans votre site, y a-t-il d’autres motivations telles que p.ex. la redistribution à l’échelle mondiale, les promesses aux pays en voie de développement, les possibilités de nouveaux impôts ?

Cette question est extrêmement vaste, sans doute personne n’a-t-il encore tous les éléments pour y répondre. Vos exemples sont évidemment pertinents. On peut y ajouter le fait que prétendre sauver la planète est un bon moyen pour afficher sa vertu à bon compte. Il est un mot de votre question qui a une importance particulière : le fait que nous parlons des Occidentaux. Il se trouve que cette affaire du climat réunit tous les ingrédients du succès pour nos sociétés post-modernes de tradition chrétienne.

Côté religion : nous avons pêché, nous devons nous repentir et mener des actions de contrition pour espérer la rédemption, non pas auprès du dieu chrétien quelque peu démonétisé, mais auprès d’une divinité païenne, Gaïa, mieux en phase avec notre monde sécularisé. Et côté post-modernité, la peur climatique épouse par ailleurs à la perfection le désenchantement vis-à-vis du progrès : nous sommes puissants, si puissants que nous possédons la Terre et son climat, mais nous sommes en même temps indignes de cette puissance, si bien que nous détruisons tout. Ce cocktail de religiosité et de postmodernité est propre à l’Occident. La plupart des échos que j’en ai indiquent que, dans le reste du monde, cette histoire de climat est regardée avec indifférence, l’attention polie qui lui est portée ne tenant pas à une préoccupation véritable mais au désir de complaire à bon compte aux pays riches ou à l’espoir (bien fallacieux) de tirer profit de la situation, notamment en exigeant des « réparations climatiques ».

Comment expliquez-vous l’immixtion croissante des plus grosses entreprises du secteur privé ? Et plus particulièrement de celles qui sont actives dans les énergies fossiles : Exxon, Engie, les constructeurs automobiles … ? Et celles des personnes les plus riches de la planète (Bill Gates, George Soros, Michael Bloomberg …) ?

Les alarmistes du climat ont remarquablement réussi à se donner l’image de groupes désintéressés, de joyeuses bandes de hippies uniquement préoccupées du sort de la planète. En réalité, il est avant tout question de gros sous : transition énergétique, rénovation des bâtiments, nouvelles réglementations climatiques, marché du carbone… Chaque année tout cela pèse des centaines de milliards de dollars. Pour donner un exemple entre mille : quand un pays comme la France oblige son opérateur électrique national à acheter toute production d’électricité renouvelable intermittente, et ce au prix fort et indépendamment des fluctuations du marché, tout énergéticien sain d’esprit se doit de s’y intéresser. Les contribuables et les consommateurs auraient raison de faire de même, mais pour des raisons contraires : ces facilités, ce sont eux qui les financent.

Avez-vous eu l’occasion de comparer l’argent des lobbys opposés au changement climatique anthro[p]ique avec celui des agences gouvernementales supranationales (telles que le GIEC, le Green Climate Fund …) et nationales (telles que l’Environmental Protection Agency, EPA, avant Trump) et des ONG soutenues par le secteur public ? Si non, quelle est votre perception des moyens en présence ?

Une stratégie de communication courante consiste à s’offusquer des quelques fonds occasionnellement rassemblés par telle ou telle association (en général américaine) ou programme de recherche scientifique qui s’écarte de la pensée orthodoxe. Mais si l’on fait les comptes, les climato-réalistes sont bien loin de disposer des moyens de leurs adversaires. Le mois dernier, Bill Gates a annoncé son intention d’augmenter de 200 millions de dollars ses efforts personnels pour sauver la planète. Je ne connais aucune organisation climato-réaliste dont le budget serait un tant soit peu comparable. S’il y en a une, il me faut son nom d’urgence… !

* Benoît Rittaud est un mathématicien français. Il est enseignant-chercheur en mathématiques, maître de conférences à l’université Paris 13, au sein du laboratoire d’analyse, géométrie et applications (Institut Galilée). Il a écrit de nombreux ouvrages de vulgarisation. https://www.climato-realistes.fr

(1) http://www.agefi.lu/Fax-Article.aspx?date=28-12-2017&fax=4339&rubr=4312&art=51105

(2) Agefi Luxembourg, avril 2007

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