Voilà pourquoi la plupart des plans de transition climatique des grandes entreprises ne sont pas crédibles

Avec Samuel Furfari

Article initialement publié le 21 septembre par Atantico

C’est ce qu’indique une étude de la London School of Economies and Political Science.

Atlantico : Les grandes entreprises peinent à élaborer des plans de transition climatique qu’elles peuvent mettre en oeuvre, selon un rapport publié par la London School of Economies and Political Science. L’étude sur la performance climatique des entreprises examine les informations publiées par 2 000 sociétés cotées en bourse, qui représentent ensemble les trois quarts des actions cotées en bourse dans le monde. Pourquoi les grandes entreprises continuent-elles à repousser leurs efforts de réduction d’émissions de C02, malgré l’urgence climatique soulignée par les scientifiques? Est-ce un problème de faisabilité technique ou de stratégie économique ?

Samuel Furfari: Les grandes entreprises, à travers le monde, qui ne sont pas en mesure de respecter leurs engagements sur les objectifs climatiques concernent surtout l’Europe et les États-Unis. Les entreprises indiennes ou thaïlandaises n’ont pas pris des engagements en ce sens. C’est une pratique surtout européenne, américaine et canadienne que de vouloir opérer une transition énergétique au coeur même des objectifs des entreprises.

Ailleurs dans le monde, cela n’existe pas.

Pourquoi les entreprises n’ont-elles pas tenu leurs promesses? Leurs plans ne sont pas crédibles parce qu’elles ont cru ce que disaient, d’une part, les rapports du GIEC et ont suivi les recommandations de l’Union européenne, qui affirme qu’il faut effectuer une transition énergétique, et pas n’importe laquelle, une transition énergétique rapide. Or, cela est difficilement réalisable.

Sur la base des dernières données statistiques, ces dix dernières années, il y a eu une addition d’énergies à l’échelle mondiale, et non une transition. Les énergies renouvelables ont progressé. Mais le charbon, le gaz, le pétrole ont augmenté bien plus encore. Il y a donc une contradiction entre le discours sur la transition énergétique et la réalité.

Malgré les engagements des entreprises, il y a une croissance massive des énergies conventionnelles et une croissance des énergies renouvelables. Le fossé entre les deux, loin de se réduire, continue de s’agrandir.

Sur les dix dernières années, le monde – en dehors de l’Union européenne – a vu sa demande énergétique croître de 77 exajoules (le joule étant l’unité de mesure de l’énergie). Et, comme par hasard, 77 % de ces 77 exajoules proviennent d’énergies fossiles. Cela démontre que la transition énergétique est difficile à mettre en oeuvre, malgré les engagements des entreprises. Par conséquent, les sociétés qui avaient promis à leurs actionnaires de s’engager dans des plans de transition climatique ne l’ont pas fait.

L’étude révèle que seulement 2 % des entreprises ont réellement aligné leurs investissements avec leurs objectifs climatiques. Est-ce selon vous la preuve que la transition énergétique telle qu’elle est pensée aujourd’hui n’est pas économiquement viable ? Pourquoi la plupart des plans de transition climatique des grandes entreprises ne sont-ils pas crédibles?

Parmi les 2 % d’entreprises concernés, certaines d’entre elles doivent être des entreprises de services. Ce ne sont certainement pas de grandes industries, car celles-ci ne peuvent pas s’engager dans des plans ambitieux pour une transition climatique sans avoir des difficultés et s’effondrer en Bourse.

Les entreprises qui ont pu s’adapter à ces plans sont sans doute des entreprises capables de changer, par exemple, de fournisseur d’électricité, en choisissant un fournisseur prétendant offrir de l’électricité verte. Cela donne immédiatement à l’entreprise un bon label.

Il convient de s’interroger sur les raisons qui permettent d’expliquer pourquoi les entreprises ne sont pas en mesure d’honorer leurs promesses en matière climatique et énergétique. Pourquoi ces plans ne peuvent pas s’appliquer? Ce n’est pas uniquement une question de coût; c’est aussi une question technologique.

Sur la question du coût, les énergies renouvelables sont chères. De nombreux observateurs et experts de l’énergie affirment qu’elles sont bon marché et qu’elles vont surpasser les énergies conventionnelles. Cela est impossible.

En 2006, Angela Merkel a demandé à José Manuel Barroso, président de la Commission européenne, de réaliser une feuille de route pour imposer les énergies renouvelables. À l’époque,j’étais responsable de ce dossier. Une directive a été rédigée, publiée au Journal Officiel en avril 2009, pour imposer la production d’énergies renouvelables. Même si cela n’était pas rentable, l’objectif était de démocratiser les énergies renouvelables. Cela allait devenir obligatoire, de manière à ce que le coût puisse baisser.

La directive de 2009 a été renouvelée en 2018. Les coûts n’avaient toujours pas diminué puisqu’il fallait encore imposer la production d’énergies renouvelables. Cela a de nouveau été renouvelé en 2023. Les prix ne baissent toujours pas. D’ailleurs, la directive est toujours en vigueur.

Si aujourd’hui, il est possible de se vanter en Europe d’avoir augmenté la part des énergies renouvelables, c’est uniquement parce que cela est devenu obligatoire. Non seulement cela a été imposé, mais cette obligation est financée. C’est précisément pour cela que les prix de l’énergie augmentent partout en Europe.

Mais il y a une autre raison. Ce n’est pas seulement une question de coût, c’est aussi une question de faisabilité. Il n’est pas possible de remplacer des centrales nucléaires par des éoliennes. Il est impossible de remplacer toute la consommation de pétrole par des biocarburants. Pourtant, c’est ce que les pays européens et de nombreuses entreprises ont fait croire, en affirmant que l’objectif du net zéro était atteignable et que tout deviendrait renouvelable.

Or, cela est physiquement impossible. C’est la raison pour laquelle les plans des entreprises ne fonctionnent pas. Leur transition ne fonctionne pas, d’abord à cause des coûts, et ensuite en raison de limitations physiques qui ne dépendent pas du Parlement européen.

Le rapport estime que les plans d’action des entreprises doivent être à la fois « ambitieux et réalisables». Selon vous, ce double critère est-il réaliste pour des entreprises soumises à la concurrence mondiale, aux attentes des actionnaires et au poids des normes environnementales de la législation européenne ?

Ce slogan – avoir des objectifs à la fois ambitieux et réalisables – revient régulièrement depuis 2008-2009 au coeur de la politique et de la stratégie de l’Union européenne en matière environnementale.

Les objectifs sont trop ambitieux, mais s’il y a une telle prise de conscience, les citoyens risquent de ne plus s’engager dans des efforts pour le climat et la transition énergétique.

Les plans et les objectifs fixés par l’UE et les entreprises sont uniquement ambitieux. Ils ne sont pas crédibles car ils ne sont pas réalisables. Dans le monde entier, de moins en moins de personnes y croient. Certains accords, comme l’Accord de Paris pourraient même être complètement revus, voire abandonnés car ils ne sont pas crédibles.

Penser qu’il sera possible de réduire, à l’échelle mondiale, les émissions de CO grace aux efforts des entreprises n’est pas crédible. Pourquoi? Parce qu’un très grand nombre de citoyens dans le monde doivent encore sortir de la misère. Et pour cela, il faut une énergie abondante et bon marché. Or, cette énergie repose d’abord sur le charbon, ensuite le gaz.

Il y a une forte augmentation de la consommation de charbon, de pétrole, de gaz et aussi, de plus en plus, de nucléaire. Toutes les promesses faites en 2015 avec l’Accord de Paris ne tiennent plus. Plus personne ne croit à ces objectifs.

Tout le monde s’inquiète déjà pour la conférence de Belém, en décembre prochain, pour la COP30, car il sera difficile d’obtenir des résultats crédibles. En dehors de l’Union européenne, personne ne se préoccupe réellement de la réduction des émissions de CO .

Depuis 1992, date du sommet de Rio au cours duquel la Convention sur le changement climatique a été adoptée, les émissions mondiales de CO2 ont augmenté de 65 %.

Les industriels savent que, en dehors de l’Europe, s’ils veulent croître, ils le feront avec des énergies conventionnelles.

Le rapport évoque que 30 % des entreprises suivent désormais une trajectoire compatible avec les objectifs de +1,5°C, contre 9 % en 2020. Est-ce porteur d’espoir? Est-ce que, grâce à la technologie, les entreprises peuvent innover par elles-mêmes, sans nécessairement chercher un appui politique ?

La question énergétique a rebondi lors des chocs pétroliers des années 1970. Elle a toujours été une question prégnante. Le traité de Versailles parlait déjà d’énergie, et la guerre de 1914-1918 a aussi été gagnée grâce à l’énergie dont disposaient les Britanniques.

Cette question a donc toujours été centrale, mais elle a pris une dimension nouvelle avec le choc pétrolier de 1973, puis encore davantage avec celui de 1979.

Cela signifie que, depuis plus de 50 ans, les pays et les entreprises du monde entier cherchent des solutions en matière de transition énergétique. Il faut se défaire de l’idée que la transition énergétique est une nouveauté. Elle n’a rien à voir, à l’origine, avec le changement climatique.

Je suis impliqué dans ce domaine depuis les années 1970. J’ai baigné dans ce contexte dès le début. La Commission européenne a accompli des choses remarquables pour tenter de remplacer les énergies conventionnelles par des « énergies alternatives » (le terme « énergies renouvelables » n’était pas encore employé).

Depuis 50 ans, tout le monde cherche donc des énergies alternatives. Si en 50 ans, aucune solution miracle n’a permis de rester compétitif, il faudra encore attendre longtemps pour trouver une solution idoine.

Il est essentiel de mettre fin à cette idéologie qui consiste à faire croire qu’un jour, soudainement, quelque chose de magique va apparaître.

Il y a eu deux grandes transitions qui ont réellement fonctionné. La première, dans les années 1980, a été l’émergence du nucléaire. Bien sûr, le nucléaire est apparu dès les années 1950, mais il a fallu une vingtaine d’années de maturation pour que le parc nucléaire que nous connaissons aujourd’hui se développe. Tout cela s’est concrétisé dans les années 1970-1980. C’était une transition énergétique véritable. Si nous voulons des solutions viables, il faut poursuivre le développement du nucléaire via le nucléaire tel qu’il existe aujourd’hui, le nucléaire de génération IV et les petits réacteurs modulaires (SMR).

Il ne s’agit pas là d’innovations magiques, mais d’améliorations de technologies nucléaires développées pendant des décennies.

La deuxième révolution a été celle du pétrole et du gaz de schiste. Personne ne mesure encore pleinement la portée de cette révolution, tant elle est gigantesque.

Cette révolution est en train de changer la géopolitique mondiale. Ce que les États-Unis font actuellement au Moyen-Orient, mais aussi en Amérique latine, repose en grande partie sur leur avance technologique en matière d’exploitation du pétrole et du gaz de schiste.

Beaucoup de progrès ont été réalisés grâce à l’efficacité énergétique. Mais ce concept date de 1924. Il y aura d’autres progrès dans ce domaine, grâce à l’intelligence artificielle, mais cela ne constituera pas une révolution. Cela ne permettra pas de fournir de l’énergie aux pays émergents.

Il faut donc continuer à développer beaucoup plus le nucléaire, accepter que nous vivons une transformation géopolitique majeure grâce au pétrole et au gaz de schiste.

Il n’y aura pas de solution miracle. Peut-être un jour la fusion nucléaire… mais ce jour-là est encore très lointain.

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2 réflexions au sujet de « Voilà pourquoi la plupart des plans de transition climatique des grandes entreprises ne sont pas crédibles »

  1. Bonjour. Un lien vers l’étude aurait été bien utile. Merci.
    Mon avis est que la pression « sociétale » est intolérable, ce qui a poussé les entreprises dans ces politiques morbides aux objectifs impossibles. Un petit mot sur la « gouvernance » du SBTI (Science Based Targets Initiative) serait également le bien venu (on pourrait l’appeler Science Bullshit Target Initiative).
    Le résultat est malheureusement la création d’une sorte de caste menée par des « gourous » profiteurs qui ont monté de business parasitaire (la boîte de Jancovici en est un exemple criant) et de verrues ou tumeurs cancéreuses au sein même des entreprises avec les nouveaux commissaires politiques du climat que sont devenues les directions RSE (ou QSE ou Durabilité ou Climat) dans les entreprises principalement occidentales, qui sont totalement détachées de toute réalité physique (on « croit » davantage les modèles que les mesures in-situ).
    Nous en reviendrons sans doute mais dans quel état ?
    Courage à tous

  2. J’ai travaillé dans une entreprise, entièrement modernisée en 2010, de fermetures de bâtiment d’une soixantaine de salariés.
    L’éclairage, le chauffage, les nombreux ordinateurs, les machines, modernes, fonctionnent, bien sûr, à l’électricité française — donc, en principe, presqu’entièrement nucléaire et hydraulique — Pour ce qui est du bilan carbone, on est dans les clous !
    Mais il y a une foultitude d’activités annexes, liée au fonctionnement de l’entreprise, où l’utilisation de l’énergie fossile est techniquement incontournable ; l’électricité y étant quasiment inexistante. Difficile de tout citer ;
    La construction des bâtiments, des machines, des camions, accessoirement des voitures des salariés venant travailler dans un rayon d’une quinzaine de kms (à vol d’oiseaux) de l’usine.
    Le trajet effectué par ces-dit salariés — tous ou presque — seuls dans leurs véhicules.
    Les trajets faits par les représentants ou par ceux qui réparent les machines ou les incidents sur les produits finis.
    Les livraisons des machines — énormes le plus souvent —
    Les livraisons des fermetures chez les clients — ou ceux qui viennent les chercher –.
    Les livraisons de la matière première (PVC et ALU) dans de grands camions (des barres de 6,5 m de long) + des caisses ou cartons d’accessoires.
    ………. etc, etc …. Vous pouvez m’envoyer d’autres suggestions sur le bilan carbone, nécessairement négatif d’une entreprise — moderne — qui ne pourra pas, de toute façon, réduire davantage ses émissions de CO2.
    ……….. Encore que …….;J’ai une solution infaillible pour arriver directement, en un temps record, à la neutralité carbone pure et simple de ladite entreprise, avec d’autres avantages sur le bilan carbone résultant de ma « solution infaillible …… ;
    On ferme la Boite 😁
    Plus de rejet de CO2 !! Les soixante salariés et leurs familles se retrouveront sans revenus. Ils ne pourront plus consommer, et donc, indirectement, participeront par la force des choses, à un bilan carbone susceptible de sauver le climat !
    ……. Oui, bon, j’en parle à mon aise, je suis retraité depuis 13 ans !!
    Pour mon plan ;[ neutralité carbone, climat à le bonne ], une simple médaille, que vous m’enverrez par colis, suffira à mon bonheur ! je ne suis pas exigent 😂🤣
    Climatiquement vôtre. JEAN

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