La contribution des climato-réalistes au Grand Débat National

Par Rémy Prud’homme

Rémy Prud’homme est économiste, professeur émérite des universités. Il a été Directeur-adjoint de la Direction de l’Environnement à l’OCDE, professeur invité au MIT, et consultant pour de nombreuses organisations internationales, en particulier la Banque Mondiale, et il est aujourd’hui un membre actif du comité scientifique de notre association.

Introduction

Le paysage énergétique du globe et de la France a peu changé durant les siècles antérieurs au 19ème siècle. Napoléon et César se déplaçaient, s’éclairaient, se chauffaient, s’habillaient à peu près de la même façon. Depuis le début du 19ème siècle, en revanche, ce paysage change rapidement et radicalement. Les énergies traditionnelles (hommes, animaux, vent, eau) ont été presque éliminées, et remplacées par des énergies nouvelles (charbon, pétrole, électricité, nucléaire). Dans le domaine des transports, par exemple, la marche à pied, le cheval et le bateau à voile ont été supplantés par le chemin de fer, puis l’automobile, puis l’avion, et par le bateau à moteur. Ces changements ont largement contribués à l’extraordinaire amélioration du niveau de vie enregistrée au cours des deux derniers siècles, dans les pays dits développés d’abord, puis, depuis un demi-siècle dans les pays dits en développement.

Ces changements montrent surtout que le monde de l’énergie a été, et reste, constamment en transition. La transition énergétique – ou pour mieux dire les transitions énergétiques – sont donc une constante de nos sociétés. Elles ont été conduites par deux forces : la technologie, et le marché. C’est la technologie, basée sur les progrès de la science, qui a fait apparaître la machine à vapeur, le moteur à explosion, l’électricité nucléaire, toutes les innovations qui ont bouleversé le paysage de l’énergie. Et la mise en oeuvre de ces innovations a été assurée principalement par le marché, et très peu par l’intervention politique. Dans la plupart des pays, chemin de fer, automobile, bateau à moteur, ou électricité nucléaire se sont développés tout seuls, avec un peu de régulations, mais généralement sans subventions. Aucune de ces « transitions » n’a été une « politique ».

Ce qu’on appelle aujourd’hui en France la transition énergétique est d’une nature radicalement différente. Elle concerne essentiellement la décarbonation de l’économie. Elle a pour objet de réduire les rejets de gaz carbonique (CO2) de la France de 340 millions de tonnes (Mt) actuellement à 170 Mt en 2050, et à zéro ultérieurement. Cette trajectoire ou transition n’est générée par aucune innovation technologique (même si elle est susceptible d’en entraîner quelques unes). Elle est d’origine exclusivement politique. Ses promoteurs la justifient par la peur des conséquences que le CO2 pourrait avoir sur le climat. Elle ne peut être atteinte que grâce à un ensemble de taxes, de subventions, d’interdictions, d’obligations, de persuasion, c’est-à-dire d’interventions politiques, dont le coût économique et budgétaire sera nécessairement élevé. Voilà qui la différencie totalement des autres transitions énergétiques. Cela ne la condamne pas automatiquement: il y a beaucoup de politiques publiques, (comme l’enseignement, la sécurité, la justice, la protection de l’environnement) qui sont désirables et même indispensables. Cela ne la justifie pas automatiquement non plus : il y a également beaucoup de politiques publiques inutiles et non désirables. Il est donc légitime de soumettre cette « transition énergétique » française à un examen critique.

On le fera en montrant que cette politique est (i) inutile, (ii) dispendieuse, et (iii) injuste.

I – Une politique inutile

La théorie officielle du réchauffement anthropique

La transition énergétique française (et européenne) repose largement sur la théorie du réchauffement anthropique. Cette théorie soutient que ce sont les gaz de serre, principalement le CO2, émis par l’activité humaine qui entrainent l’élévation de la moyenne des températures. Cette théorie est davantage politique que scientifique. Elle a été initiée par les Nations-Unies, qui ont créé une organisation intergouvernementale, le GIEC (le I de cet acronyme signifie : intergouvernemental). Le GIEC a explicitement pour mission de développer, de prouver, de perfectionner cette théorie. Il s’en acquitte fort bien. Cet activisme lui a valu d’être honoré d’un prix Nobel (comme les membres du GIEC aiment à le rappeler) ; mais d’un prix Nobel de la paix, c’est-à-dire un prix qui récompense une activité politique, pas d’un prix Nobel scientifique, ou d’un prix Crawford (qui célèbre des découvertes dans les domaines scientifiques non couverts par les prix Nobel scientifiques).

Comme il sied à des esprits scientifiques, nous sommes critiques, réservés, ou prudents relativement à cette théorie intergouvernementale. Expliquer pourquoi n’est pas l’objet de la présente contribution. Elle prend au contraire cette théorie telle qu’elle est, comme si elle était empiriquement validée, et c’est en s’appuyant sur les affirmations du GIEC que l’on peut montrer l’inutilité des politiques qui s’en inspirent.

La théorie du GIEC soutient que la moyenne des températures du globe dépend directement de la teneur de l’atmosphère en CO2, définie comme la masse de CO2 rapportée à la masse de l’atmosphère (qui est actuellement de 4 dix-millièmes). Si cette teneur augmente, la température augmente en conséquence. De combien ? Cela se mesure d’une façon un peu bizarre, qu’on appelle la sensibilité : le nombre de degrés Celsius induit par un doublement de la teneur. Une sensibilité de 1 signifie qu’un doublement de la teneur entraîne une augmentation des températures de 1°. On distingue une sensibilité de court terme  et une sensibilité de long terme (un ou plusieurs siècles après la hausse de la teneur)[1]. On s’intéresse ici à la sensibilité de court terme. Elle est estimée dans le dernier rapport du GIEC à « entre 1 et 2,5 » sur la base des travaux publiés avant 2011 ; la fourchette est assez large ; les travaux publiés par la suite suggèrent des valeurs plus basses (Gervais 2018, p. 69). On retiendra ici une sensibilité de 1,5.

Ce qui compte, selon cette théorie, c’est le stock de CO2, pas le flux annuel des émissions. Bien entendu, le flux des émissions anthropiques de CO2, qui sont bien connues,  contribue à l’augmentation du stock. En fait, la moitié[2] de ces émissions est absorbée par les océans et la végétation; mais l’autre moitié accroit le stock. En 2017, le stock de CO2 dans l’atmosphère est d’environ 3200 Gt [3] (retenons ce chiffre pour nos calculs); les émissions de l’année dans le monde sont de 33 Gt ; en 2018 le stock sera de 3216,5 Gt. Muni de ces informations, on peut estimer quel sera l’impact sur la température des réductions d’émission de CO2 des différentes politiques mises en œuvre : très modeste, comme on va le voir.

L’impact des politiques des pays de l’OCDE sur les températures

La politique testée est la suivante : d’ici 2050, les pays de l’OCDE – en gros les pays développés – réduisent leurs émissions annuelles de 50% ; les autres pays – pratiquement les pays en développement – n’augmentent pas leurs émissions annuelles. Cette politique est testée par rapport à un scénario du fil de l’eau, sans politique de transition énergétique, dans lequel les émissions annuelles restent identiques au cours de la période. Ces deux spécifications sont raisonnables, et même optimistes.

En l’absence de politiques contraignantes, on voit mal pourquoi les rejets de CO2 diminueraient dans les 33 années à venir: au cours des 33 années passées, ils ont en effet beaucoup augmenté : de 80% (malgré 23 COPs qui prétendaient en organiser la diminution). Postuler leur stabilité dans le tiers de siècle prochain, c’est déjà faire une belle confiance aux progrès de la technologie qui poussent naturellement aux économies d’énergie (par habitant ou par unité de PIB).

La politique testée est également très ambitieuse. Au cours des 33 années passées, les rejets des pays de l’OCDE ont augmenté de 16% ; transformer ce +16% en un -50% implique des mesures contraignantes et coûteuses. La stabilité des émissions du reste du monde sera également très difficile à obtenir: elles ont augmenté de 290% au cours des 33 années précédentes.

Le tableau 1 suivant montre l’impact de ce scénario sur les températures.

Grand débat

Sources : BP. 2018.Statistical Review  pour les rejets de 2017. Notes : La politique examinée est la diminution de 50% des rejets des pays de l’OCDE et la stagnation des rejets du reste du monde sur la période 2017-50. Le taux d’absorption du CO2 rejeté annuellement est estimé ici à 50%. La variation de température est calculée avec une sensibilité de 1,5. Les chiffres importants sont en caractère gras.

Ces calculs simples font apparaître les résultats suivants. Avec l’’évolution « naturelle », c’est-à-dire en l’absence de politiques de transition, la moyenne des températures du globe augmenterait en 2050, selon la théorie du GIEC, de 0,26 °C. Une politique forte, qui contraindrait les pays de l’OCDE à réduire de moitié leurs rejets annuels d’ici à 2050, réduirait cette augmentation de la moyenne des températures du globe à 0,23 °C. Par rapport à l’évolution « naturelle », cette lourde politique de transition aurait donc pour effet de réduire la moyenne des températures de 0,027 °C, c’est-à-dire de 3 centièmes de degré. Cet impact n’est pas totalement nul, mais il est très petit, pratiquement négligeable.

On a testé également une politique de transition encore plus drastique qui imposerait à l’ensemble des pays de l’OCDE des rejets zéro en 2050. Cette politique (extrêmement coûteuse et totalement irréaliste) porterait l’impact à 5 centièmes de degré (au lieu de 3). Son impact reste également négligeable. C’est pourquoi, il n’est pas excessif de dire que les politiques de transition énergétique des pays de l’OCDE sont inutiles.

L’impact des politiques de la France sur les températures

Ce qui est vrai pour l’ensemble des pays de l’OCDE – que la transition énergétique ne sert à rien – est encore plus vrai pour la seule France, pour au moins deux raisons.

Le poids des émissions de la France – La première est que la France ne pèse pas lourd, et de moins en moins lourd, dans les émissions anthropiques de CO2 du globe : actuellement 0,3 Gt, soit 1% du total mondial des émissions, qui ne représente lui-même que 1% du stock de CO2, censé définir la température. Si la France cessait demain, par on ne sait quel miracle, de rejeter du CO2, cela réduirait le stock de CO2 dans l’atmosphère de 1 dix-millième, et l’impact sur la température serait totalement insignifiant.

Le caractère exemplaire de la France – L’argument souvent avancé pour justifier la transition énergétique en France  est que nous devons donner l’exemple aux autres pays du monde. La réponse est que nous le donnons déjà, l’exemple, et qu’il n’est nullement suivi. La France est en effet l’un des pays du monde où les émissions de CO2 par rapport au PIB sont les plus basses, comme le suggère le tableau 2. Cela provient principalement du fait que notre électricité est, grâce à la part du nucléaire dans notre mélange électrique, l’une des plus décarbonées du globe. Des cinq grandes sources d’électricité, deux rejettent du CO2 : le charbon (beaucoup), le gaz (moitié moins), et trois n‘en rejettent pas : l’hydraulique, le nucléaire et les renouvelables.

Tableau 2 – Contenu en CO2 de l’économie et de l’électricité, Pays du G8, 2017 et 2013

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Sources : Banque Mondiale pour les PIB ; BP Statistics pour les rejets de CO2 globaux et pour la production d’électricité ; AIE, cité par le ministère de la Transition pour les rejets de CO2 du secteur électrique. Notes : le ratio pour l’économie est exprimé en tonnes de CO2 par millions de dollars de PIB ; le ratio pour l’électricité en tonnes de CO2 par million de MWh.

Répétons que les centrales nucléaires produisent de l’électricité sans rejets de CO2. On s’excuse d’avoir à rappeler cette évidence. On le fait parce qu’elle n’est pas du tout partagée par l’ensemble des Français. Un sondage récent montre en effet que 78% des Français pensent que l’électricité nucléaire contribue au réchauffement climatique[4]. Leur opinion ne doit évidemment rien à leur expérience personnelle, mais tout à ce qu’ils ont lu ou entendu sur le sujet dans ou sur les manuels scolaires, les journaux, les radios, les télévisions, les réseaux sociaux. On mesure ici au passage l’incroyable ampleur de la désinformation qui règne en France en matière d’énergie.

La transition énergétique en France est donc particulièrement inutile. Nous avons déjà fait beaucoup, plus que les autres, en matière de décarbonation. Ce que nous pouvons faire de mieux pour le globe, c’est donner de la publicité à nos succès (au lieu de clamer que nous allons tout changer), dans l’espoir que ces succès seront parfois imités, tout en continuant à améliorer notre productivité en carbone.

Pour conclure sur l’inutilité d’une transition énergétique radicale en France, on donnera l’exemple, moins général mais plus parlant, des centrales électriques au charbon en France et en Chine. Il y a encore 4 centrales au charbon en France, d’une capacité de 3 GW, qui produisent 1,8% de l’électricité de notre pays. Le gouvernement est décidé à fermer ces centrales dans les années à venir, et fait grand cas de cette décision, présentée par le Président de la République lui-même comme une contribution majeure à la transition énergétique. Dans le même temps, la Chine (longtemps et peut-être même toujours vantée par les écologistes français comme un modèle à imiter[5]) va construire environ 560 centrales au charbon, d’une capacité de 259 GW. Un minuscule pas en avant et un grand bond en arrière : -4 en France, +560 en Chine. Dire que l’exemple français ne fait guère école est une litote.

II – Une politique dispendieuse

Cette politique de transition inutile est cependant fort coûteuse. Pour estimer ce coût, il faudrait passer (i) des objectifs généraux (réduire les rejets de CO2 de moitié d’ici 2050), (ii) aux objectifs sectoriels (réduire les rejets de CO2 du système de transport de x%, etc.), (iii) puis aux moyens qui vont être employés à cet effet (augmenter de y% les impôts sur les carburants), (iv) puis estimer les conséquences directes et indirectes de la mise en œuvre de ces moyens (une réduction de z% de la mobilité), et (v) enfin estimer le coût de ces conséquences pour les finances publiques (l G€ par an) et pour l’économie (n G€ par an). C’est une tâche très lourde, que les pouvoirs publics se gardent bien d’entreprendre; la question du coût de leurs politiques de transition ne semble d’ailleurs pas leur principale préoccupation. On se contentera de l’esquisser, en décrivant ce qui est actuellement décidé ou envisagé, et en essayant de le chiffrer, sur le seul cas de la France.

Le point de départ de l’analyse est la répartition par secteurs des rejets de CO2 (que la transition vise à réduire).

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                         Source : CITEPA. Note : Autres = principalement agriculture.

Quatre secteurs dominent le tableau : les transports, principalement routiers ; l’énergie, principalement l’électricité ; le secteur résidentiel et tertiaire (chauffage et eau chaude) ; et l’industrie. Dans la plupart des autres pays du monde, la répartition est très différente. Elle est dominée par l’électricité, dont la production représente environ 40% des rejets de CO2 du globe, et dans beaucoup de pays par l’industrie.

Comme le montrent les points d’interrogation du tableau, le projet de transition énergétique n’est chiffré qu’en ce qui concerne la réduction du total. On ne sait pas ce qui est visé pour chacun des secteurs. Tous sont lourdement taxés, réglementés, et subventionnés. Le ministère responsable se flatte de disposer de plusieurs dizaines de taxes environnementales (Ministère de l’Environnement 2017, p. 109 seq. en recense pas moins de 36) pour un montant de plus de 50 milliards d’euros (Ministère de la Transition écologique 2017). On se focalisera sur les deux secteurs qui semblent plus particulièrement faire l’objet de politiques engagées au nom de la transition énergétique: l’électricité, et les transports.

L’électricité

La focalisation de la politique de transition sur l’électricité est paradoxale puisqu’il s’agit, on l’a vu, d’un secteur dans lequel la France est exemplaire. Cette focalisation se manifeste par la volonté cent fois répétée de diminuer la part du nucléaire afin d’augmenter celle de l’éolien et du photovoltaïque. Le ministère de la Transition le dit très clairement : « l’énergie éolienne a vocation à constituer un des piliers [c’est nous qui soulignons] du système électrique français ». Dans un contexte de stagnation de la consommation (qui n’a pas augmenté au cours des quinze dernières années, et dont on voit mal pourquoi elle augmenterait au cours des trente prochaines années), plus de renouvelables, c’est moins de nucléaire. Cette évolution est engagée au nom de la transition énergétique. Là, on n’est plus dans le paradoxe, mais dans la manipulation et le mensonge. Fermer des centrales nucléaires qui ne rejettent pas de CO2 et les remplacer par des éoliennes qui n’en produisent pas non plus ne réduira pas d’un gramme nos rejets de CO2.

En réalité, cela aura plutôt pour effet de les augmenter, pour deux raisons. La plus importante est que l’électricité éolienne et photovoltaïque est intermittente et aléatoire. Elle est produite lorsque le vent souffle (25% des heures de l’année) et/ou que le soleil brille (12% des heures de l’année), pas forcément au moment où l’on en a besoin. L’électricité ne se stocke pas. Pour se prémunir contre une panne généralisée, on est obligé de maintenir en activité des centrales thermiques, comme les centrales au charbon que l’on va fermer, ou des centrales au gaz qu’il va falloir construire à grands frais, qui rejettent du CO2. L’autre raison est que la construction de milliers d’éoliennes, qui ont des fondations de 1500 tonnes de béton chacune, implique la production de millions de tonnes de béton, une activité qui émet beaucoup de CO2 [6].

Il y a peut-être de bonnes raisons de préférer les éoliennes aux centrales nucléaires (nous voyons mal lesquelles), mais il n’est pas sérieux de le faire au nom de la transition énergétique. Elles sont doublement inutiles : inutiles pour réduire le CO2 français, réduction qui est elle-même inutile pour réduire la température

Cette politique a un coût, ou si l’on préfère un surcoût, par rapport à ce que serait le coût de l‘électricité en l’absence de renouvelables intermittents. Ce surcoût est à la fois direct et indirect (Prud’homme 2017).

Surcoût direct – Le coût de production direct de l’électricité éolienne et photovoltaïque (ce que déboursent les promoteurs) a été plus élevé que le coût de production de l’électricité traditionnelle. Les promoteurs ont donc demandé, et obtenu, des subventions. Sans subventions, pas d’éolien et pas de photovoltaïque, en France comme ailleurs. Lorsque l’Espagne a supprimé ces subventions, les investissements dans les renouvelables se sont immédiatement arrêtés. Ces subventions ont généralement pris la forme d’obligations d’achat à des prix élevés : EDF est obligé d’acheter toute l’électricité renouvelable produite, qu’elle en ait besoin ou pas, à un prix élevé, pendant une quinzaine d’années (la durée de vie de l‘investissement). Pour le producteur, c’est le pied : un marché assuré, à un prix rémunérateur. Un fonds spécial rembourse ensuite EDF de la différence entre le prix qu’elle a payé et le coût « normal » de l’électricité.

Cette différence est une mesure du surcoût direct des renouvelables. Elle est connue et officielle, grâce à la CRE, la Commission de Régulation de l’Energie, qui la calcule chaque année (pour donner le montant du chèque de remboursement). Ce surcoût s’élève actuellement à environ 5 milliards d’euros par an, et il augmente régulièrement. La CRE a calculé que le montant cumulé de ces surcoûts sera (avec des hypothèses très prudentes) de 57 milliards pour les années 2014-25.

Qui paye ce surcoût direct ? Vous et moi, les consommateurs d’électricité, au moyen d’une taxe assise sur la consommation d’électricité, baptisée CSPE ou Contribution au service public de l’électricité (Ah qu’en termes choisis ces choses-là sont dites !). Son taux augmente d’année en année. Son montant figure (en très petites lettres) sur votre facture d’électricité. Comme vous pouvez le voir en examinant attentivement cette facture, le fisc impose au passage une TVA à 20% sur cette taxe, dont le caractère de « valeur ajoutée » n’est pas évident. Les 5 milliards de CSPE nous coûtent donc en réalité 6 milliards.

  Surcoût indirect – Eolien et solaire imposent également d’autres coûts aux riverains des installations, et au système électrique. Les éoliennes massacrent les paysages ; de ce fait elles dévalorisent les immeubles proches ; la perte de valeur causée par les éoliennes déjà implantées en France a été évaluée à plus de 20 milliards, ce qui est une forme de surcoût. Les éoliennes nuisent à la flore et à la faune, et les éoliennes en mer sont pires que les éoliennes sur terre. La multiplicité des « fermes » (une expression bucolique qui décrit bien mal la réalité industrielle) éoliennes et solaires entraîne une augmentation des coûts de transport de l’électricité, d’au moins 1 milliard par an. Leur intermittence aléatoire implique des filets de sécurité ou des contrats d’interruption coûteux. Le stockage, s’il existait, serait également très coûteux. Le pire est sans doute ce qu’on appelle l’effet d’éviction : la priorité accordée à l’électricité renouvelable oblige les centrales classiques à réduire temporairement leur activité, donc à amortir leur coûts fixes sur une production moindre, donc à en augmenter le coût. On connaît mal ces surcoûts indirects, mais les estimations disponibles suggèrent que leur importance est du même ordre de grandeur que les surcoûts directs. Qui va les supporter ? Toujours vous et moi, les consommateurs d’électricité, sous forme de prix plus élevés.

Comment évoluent ces surcoûts unitaires (au kWh produit) au cours des années, avec l’augmentation de la part des intermittents dans le mélange électrique ? Les surcoûts directs diminuent, principalement parce que le prix des composants importés (turbines éoliennes et panneaux solaires) baisse. Mais les surcoûts indirects augmentent.

     Surprix – Surcoûts directs et indirects se retrouvent bien entendu  dans le surprix payé par les utilisateurs. En Europe, on observe que ce prix est une fonction directe et croissante du taux de pénétration dans les renouvelables, comme le montre le graphique ci-après.

Figure 1 – Prix de vente de l’électricité en fonction de la art des intermittents renouvelables dans le mélange électrique, 2015

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Là où la part des renouvelables (éolien et solaire) est faible, le prix est bas. Là où elle est forte, le prix est élevé. Les ménages allemands paient leur électricité deux fois plus cher que les ménages français. Le programme prévu dans la transition énergétique française implique au moins un doublement du prix de l’électricité.

Les transports

En France, le secteur des transports est de loin le secteur qui rejette le plus de CO2. Ces rejets viennent principalement du transport routier de personnes et de marchandises. Depuis longtemps déjà, on cherche à réduire l’importance de cette activité, et donc de ces rejets. Les politiques engagées à cet effet sont nombreuses, coûteuses, et malheureusement inefficaces.

Des tentatives nombreuses – La panoplie des armes anti-voiture est très fournie. Sans prétendre à l’exhaustivité, on en citera huit :

  • Remplacer les camions par des trains de marchandises ;
  • Remplacer la voiture par le train pour les longs trajets ;
  • Favoriser le co-voiturage ;
  • Développer les transports en communs dans les villes ;
  • Réduire les vitesses ;
  • Développer le vélo (et la trottinette) ;
  • Remplacer le diesel par l’essence ;
  • Remplacer les carburants par de l’électricité.

Des tentatives coûteuses – Pour atteindre ces objectifs, les politiques n’ont pas lésiné sur les moyens : taxer très lourdement le transport automobile, et subventionner lourdement les modes alternatifs.

Le montant des taxes spécifiques sur le transport routier, c’est-à-dire des taxes qui ne frappent pas les autres biens, s’élève à 45 milliards en 2017. Ce n’est guère moins que l’impôt sur les sociétés (57 milliards) et 60% du montant de l’impôt sur le revenu (77 milliards). C’est trois plus que ce que les administrations publiques, Etat et collectivités territoriales, dépensent en investissements et en fonctionnement pour les routes. La plus importante de ces taxes est bien entendu la TICPE, la taxe sur les carburants, dont le montant s’élève à près de 36 milliards d’euros en 2017[7]. Les carburants routiers sont, après le tabac, le bien le plus lourdement taxé en France.

Le gouvernement avait l’intention d’alourdir encore cette fiscalité en augmentant la taxe carbone. Il y a, provisoirement, renoncé. Dans l’hypothèse de la nécessité d’une réduction des rejets de CO2 (hypothèse que nous avons rejetée), le principe de cette taxe n’est pas absurde. Si le carbone est un mal, le taxer en général, sous toutes ses formes, est désirable. Cela exercera une pression pour que tous les acteurs en consomment (et donc en rejettent) moins, de mille façons possibles que l’on n’a même pas besoin de connaître ou d’imaginer. Plus la taxe carbone sera lourde, plus les rejets de CO2 seront réduits. Une bonne taxe carbone pourrait ainsi remplacer, et avantageusement, toutes les autres formes de politiques anti-carbone, et assurer à elle seule la transition énergétique.

C’est la mise en œuvre de ce beau principe qui pose problèmes. Il suppose une grande confiance dans la toute puissance des mécanismes de marché. Soulignons deux difficultés, parmi d’autres. Le mal étant global, mondial, il faut que le remède soit appliqué dans tous les pays du monde ; sinon, la mise en œuvre dans un seul pays se traduira par des déplacements d’activité – et de rejets de carbone – vers les autres pays. En réalité, une taxe carbone unique dans le monde est une utopie politiquement et socialement absurde. Deuxièmement, la taxe carbone étant hégémonique dans son principe, sa mise en œuvre suppose l’abolition préalable des autres taxes et interdictions en vigueur. En réalité, particulièrement en France, la taxe carbone est partout introduite comme une addition, pas comme une substitution. Le débat récent relatif à la taxe carbone sur les carburants en France l’illustre bien. Un argument de ses partisans a été : la preuve que nous pouvons parfaitement supporter une taxe carbone à 45 euros, c’est que la Suède en a une à 120 euros et n’en souffre pas du tout. Cet argument cachait le fait que la TIPCE en place depuis longtemps fonctionne, dans les transports, exactement comme une taxe carbone. En fait, le montant des taxes sur les carburants est plus élevé en France qu’en Suède.

Les modes alternatifs, en revanche, sont lourdement subventionnés. Ils en ont un peu honte, et essayent de le cacher ; la SNCF prétend même parfois faire des bénéfices, et avec l’aide des médias, réussit à le faire croire[8]. En réalité, la différence entre ses dépenses annuelles et ses recettes annuelles est d’environ 14 milliards[9] par an, comme le savent tous les spécialistes, et comme le très officiel rapport Spinetta (2018) l’a bien montré. Cette différence est comblée par des subventions diverses ou par une augmentation de la dette, elle-même effacée de temps en temps par une subvention ad hoc. La prétendue réforme de la SNCF introduite en 2018 ne changera rien à cette situation. Elle prévoit au contraire une augmentation immédiate des investissements de 2 ou 3 milliards par an, qui augmentera d’autant les subventions à la SNCF dans les prochaines années.

La situation est pire encore pour les transports en commun locaux. Leur déficit (dépenses de fonctionnement et d’investissement moins recettes commerciales) s’élève à environ 9 milliards par an. Il est principalement couvert par le produit d’un impôt spécifique, le Versement Transport, assis sur les salaires. Au total donc, environ 23 milliards de subventions par an. Ces chiffres sont à peu près constants depuis une dizaine d’années.

A côté de ces subventions massives aux transports publics, les aides aux autres tentatives de réduire les rejets de COdu transport sont modestes. L’exception pourrait être le développement du véhicule électrique. La subvention est actuellement de 6000 euros à l’achat. Si le nombre de véhicules concernés augmentait, comme le souhaite le gouvernement, jusqu’à atteindre un million de véhicules par an (hypothèse bien improbable), cela coûterait aux contribuables 6 milliards par an.

Des tentatives inefficaces – Pour l’essentiel, toutes ces coûteuses tentatives pour réduire les rejets de CO2 du secteur des transports sont restées sans effet. Les véhicules à moteur continuent à assurer l’essentiel des déplacements de marchandises et de personnes. Non pas à cause d’une politique du tout-routier (comme on le dit parfois) mais au contraire (comme on l’a vu ci-dessus) malgré une politique du moins-routier.

Cela est patent dans le domaine des marchandises En dépit d’une bonne dizaine de « plans frets » visant à doubler, ou même à tripler, la part du rail, et appuyés sur des milliards d’euros, la part du rail subventionné stagne ou diminue régulièrement alors que celle du camion ponctionné augmente. En tonnes*km, le fret ferroviaire représente aujourd’hui moins de 10% du total. En dépense des chargeurs, ce qui est bien plus significatif, il représente moins de 2% du total.

S’agissant des transports locaux quotidiens, qui comprennent notamment les déplacements domicile-travail, (et qui sont bien connus grâce à de lourdes enquêtes nationales transports et déplacements, malheureusement trop rares) la voiture assure 89% des déplacements (mesurés en passagers*km). Cela n’est pas vrai à Paris, où un excellent réseau de métros, de trains de banlieue, et de RER réduit considérablement cette part. Mais, contrairement à ce que croient les élites qui habitent la capitale, Paris n’est pas la France. En matière de transport, Paris et le reste de la France sont deux pays différents.

Pour l’ensemble des transports de voyageurs, les véhicules à moteur (voitures, deux-roues, autobus et autocar) représentent 87% des déplacements mesurés en voyageurs*kilomètres. La bicyclette n’en assure que 0,5%. Pour gonfler ce chiffre, les zélateurs du vélo s’expriment en nombre de déplacements (comme si on pouvait additionner ou comparer un déplacement de 1 km avec un déplacement de 50 km), et se limitent, sans le préciser, aux déplacements urbains, qui sont évidemment les seuls qui peuvent s’effectuer en vélo.

On pourrait multiplier les exemples. Le transport en France actuellement, est essentiellement automobile. Certains le déplorent. Mais il faut bien le constater. Cela s’explique par la supériorité de ce mode pour la grande majorité des déplacements (pas tous), en termes de rapidité, de coût, de confort, de souplesse. La sur-taxation massive de l’automobile, et la subvention massive des autres modes, ne parviennent pas à changer cette situation.

C’est pourquoi les rejets de CO2 du secteur ne diminuent guère. Ils ont diminué un peu au cours des années passées. Pas parce que la circulation automobile a diminué au profit des modes alternatifs ; elle a au contraire légèrement augmenté. Mais parce que les rejets de CO2 au km parcouru se sont réduits, grâce au progrès de la technologie des véhicules.

Cela signifie aussi que freiner le transport routier, c’est en fait freiner le transport tout court. Le poids du routier est si grand, les possibilités de substitutions sont si faibles, que des taxes et des contraintes supplémentaires conduisent nécessairement à une hausse des coûts de transport en général, qui engendre forcément une diminution de la mobilité. Dans les agglomérations, la diminution de la mobilité réduit la taille effective du marché de l’emploi, et donc son efficacité. Moins de mobilité, ce sont des travailleurs qui ont moins accès aux emplois qu’ils souhaitent, et des entreprise qui ont moins accès aux travailleurs qu’elles souhaitent : c’est une moindre productivité, et même une augmentation du chômage. Diminuer la mobilité au niveau du pays, c’est réduire les échanges entre régions, et donc les gains de l’échange. On connaît bien le rôle des infrastructures de transport dans l’attractivité et la prospérité d’un pays ou d’une zone. Mais améliorer les infrastructures en détériorant le coût de leur utilisation, c’est ne rien améliorer du tout.

Il faut au passage dénoncer l’abus qui est fait de l’argument « ça va réduire les rejets de CO2 » pour justifier n’importe quel projet ou action de transport. Il n’est pas sérieux de défendre le projet de liaison ferroviaire à grande vitesse entre Lyon et Turin, qui coûtera plus de 30 milliards d’euros (à partager avec l’Italie) en disant que ce projet va économiser quelques milliers de tonnes de CO2 ; dire cela n‘est pas un argument, mais un prétexte.

Plus choquant encore, cette affirmation diffusée sur le site officiel de la Délégation Interministérielle à la Sécurité Routière : « En roulant à 80 km/h plutôt qu’à 90 km/h, diminution du CO2 de 30% ». Cette mesure controversée, qui consiste à réduire ainsi les vitesse maximales autorisées, réduira les vitesses moyennes de 2 à 5 km/h, et selon les formules du ministère de la Transition lui-même la consommation de carburant[10] – et donc le CO2 rejeté – de 1 à 2%. Ecrire 30% à la place de 1% ou 2% est une affabulation grossière. Tous les amoureux de la vérité et de la République sont tristes de la voir publiée sous le timbre de la République française. CO2, que de gros mensonges on commet en ton nom !

III – Une politique injuste

Les politiques dites de transition énergétique sont non seulement inutiles et dispendieuses, elles sont également régressives [11]. Elles pèsent davantage sur les pauvres que sur les riches, par rapport au revenu, et même souvent en valeur absolue. Sur les ménages pauvres, sur les régions pauvres, et sur les pays pauvres.

Régressivité interpersonnelle

Les secteurs qui rejettent le plus de CO2 sont l’électricité, le transport routier, et le logement. Les politiques de réduction du CO2 vont principalement viser ces secteurs, et en augmenter le coût. Le malheur veut que dans ces trois secteurs, la consommation augmente moins vite que le revenu. Pour chacun d’entre eux, la part de la dépense est plus grande chez les ménages pauvres que chez les ménages riches. Taxer ces dépenses ou en augmenter le coût pèsera donc bien plus lourd chez les ménages pauvres que chez les ménages riches. Un chiffre résume cette situation : celui de l’élasticité-revenu [12] de la demande de ces biens. Des calculs conduits sur les données de l’enquête sur les budgets des ménages de 2011 (la plus récente disponible) font apparaître des élasticités-revenu de 0,5 pour l’électricité, et de 0,8 pour les carburants. Ces estimations surestiment l’élasticité car elles sont calculées non pas par rapport au revenu des ménages mais par rapport à leurs dépenses.

Cette réalité est bien connue, depuis longtemps. Les pauvres sont plus durement affectés que les riches par la fiscalité environnementale. Les gouvernements le savent bien, et pour limiter les dégâts sociaux introduisent des systèmes d’aides aux ménages pauvres, comme par exemple le chèque énergie, ou des primes pour l’achat de voitures neuves moins émettrices de CO2. De la main droite, il fait augmenter le prix de l’énergie et des carburants (au moyen de taxes ou de régulations), de la main gauche il exonère ou subventionne les plus pauvres pour la consommation de ces biens. Mais ces exonérations ou subventions sont en pratique très loin d’effacer le caractère fondamentalement régressif des hausses de prix causées par la transition énergétique.

Il y a même des cas où ces aides deviennent régressives. C’est le cas des véhicules électriques. Ils sont subventionnés à hauteur d’au moins 6000 euros par véhicule. Même avec cette aide leur prix demeure bien trop élevé pour un ménage pauvre. Cette aide ne bénéficie en pratique qu’aux ménages riches, généralement pour l’achat d’une deuxième voiture.

Cette situation débouche sur une précarité énergétique croissante. Un nombre de plus en plus important de ménages n’ont plus assez d’argent pour se chauffer ou pour se déplacer. Le phénomène a été analysé par l’INSEE (Cochez et al, 2015) sous le nom de « vulnérabilité énergétique », définie comme la situation dans laquelle un ménage consacre plus de 8% de son revenu au chauffage de son logement et/ou plus de 4,5% de son revenu à ses déplacements. 22% des ménages sont en situation de vulnérabilité énergétique pour le logement ou pour les déplacements, et 3% pour les deux à la fois. Cette vulnérabilité frappe particulièrement les personnes seules et les moins de 30 ans. L’étude a simulé l’impact de fortes hausses des prix de l’énergie. Une hausse de 40% du coût du chauffage porterait le taux de vulnérabilité au logement de 15% à 27%, presque un doublement. Une hausse du prix des carburants de 30% porterait celui des déplacements de 10% à 17%. Cette précarité énergétique ne frappe pas que la France. Elle est également préoccupante en Allemagne et au Royaume-Uni. Les politiques de transition énergétique n’en sont pas la seule cause ; mais elles y contribuent dans une mesure importante.

Régressivité interrégionale

La régressivité interrégionale, c’est-à-dire le fait que certaines régions soient plus touchées que d’autres par les politiques de transition énergétique, est moins connue, mais pas moins importante. Le phénomène est illustré par le tableau suivant.

Tableau 4 – Dépenses d’électricité des ménages en électricité et en carburant, par zones géographiques, 2011

GDN

Source : INSEE, Enquête budget ménages 2011
Note : Les données en euros ont vieilli, mais la hiérarchie reste significative ; c’est pourquoi les indices sont plus significatifs que les valeurs en euros.

     Il est très frappant. Comme le prix de l’électricité et des carburants est identique sur tout le territoire, la dépense reflète les différences de consommation. Elles sont considérables. Un ménage rural consomme 60% de plus d’électricité qu’un ménage parisien, et 110% de plus en carburants. Rapportés au revenu, qui est évidemment plus élevé dans les grandes agglomérations que dans les zones rurales ou les petites villes, les écarts de dépenses seraient encore plus importants. Les augmentations du prix de l’électricité ou des carburants qui résultent des mesures prises pour réduire le rejet de CO2 (du type taxe carbone) frappent donc beaucoup plus lourdement les zones  rurales et les petites villes. En simplifiant beaucoup : environ deux fois plus en valeur absolue et trois fois plus en valeur relative (relativement au revenu des ménages). Elles aggravent sérieusement les fractures territoriales. En regardant ce tableau, on comprend mieux la géographie des gilets jaunes.

Beaucoup d’autres mesures vont dans le même sens. La localisation des éoliennes, par exemple, est très largement concentrée dans les zones ou espaces les plus pauvres. Pas d’éoliennes à l’Ile de Ré ou dans le Lubéron, et pratiquement pas en Ile-de-France. Les dommages qu’elles causent, comme la dévaluation des immeubles, sont donc concentrés dans ces zones pauvres. Il en va de même pour la gêne causée par le changement de vitesse maximale autorisée de 90 à 80 km/h. Cette gêne ne concerne pas du tout les Parisiens : ils effectuent leurs déplacements quotidiens à moins de 50 km/h, et l’essentiel de leurs déplacements de vacances ou de week-end à 130 km/h sur des autoroutes. Elle concerne en revanche à peu près tous les Creusois qui n’utilisent pratiquement que les routes départementales affectées par cette mesure.

Régressivité internationale

L’injustice la plus grave concerne sans doute la répartition des coûts de la transition énergétique entre pays riches et pays pauvres. En valeur absolue, en dollars, le surcoût d’une réduction donnée de CO2 (en remplaçant par exemple une centrale au charbon par des éoliennes) est le même en Allemagne et en Inde. Disons qu’il est de 200 dollars. Mais il faut bien voir que 200 dollars, c’est plus, beaucoup plus, en Inde qu’en Allemagne. C’est 100 heures de travail en Inde et 2 heures et demie de travail en Allemagne. Les pays pauvres ne peuvent tout simplement pas se payer notre transition énergétique.

On essaye de les persuader du contraire avec deux arguments, également très faibles. Le premier est que réduire leurs émissions de CO2 est de leur propre intérêt, en ce que cela leur évitera les coûts d’un réchauffement excessif. Mais ces coûts sont des coûts pour demain, pour la fin du siècle, et tels que les modèles les prévoient. Aujourd’hui, de tels coûts n’existent pas. Contrairement à ce qui est dit et répété dans les pays riches, le nombre et l’intensité des tempêtes n’augmentent pas, ni la pluviométrie, ni la sécheresse, ni le niveau des mers (au delà de 2 mm par an), ni la maladie (la mortalité infantile et l’espérance de vie s’améliorent au contraire partout), ni la famine (qui a disparu des pays en paix). La production agricole, loin de diminuer, augmente au contraire à peu près partout, plus vite que la population, en particulier du fait de l’augmentation de la teneur en CO2, qui est la nourriture naturelle des plantes.

Le deuxième argument est qu’on leur a promis 100 milliards de dollars par an s’ils acceptaient de jouer notre jeu. C’était à Copenhague, en 2009, à la COP 15. Une somme considérable, une offre tentante. Mais une promesse de Gascon. Neuf COPs plus tard, on ne sait toujours pas qui exactement payera cette manne, ni qui en bénéficiera, selon quels critères et avec quels contrôles.

Ces arguments n’ont, à juste titre, nullement convaincu les pays pauvres, et en particulier la Chine et l’Inde. Leur priorité est le développement économique, pas du tout la transition énergétique. Ils l’ont toujours dit clairement (et honnêtement), en particulier à la COP de Paris, et ils n’ont pris aucun engagement concret de diminution de leurs rejets de CO2. Lorsqu’il y a contradiction entre ces deux objectifs, ils choisissent le développement.

Les pays riches ont tout aussi fait un choix inverse, non seulement pour eux-mêmes, mais pour les autres. Entre transition énergétique et développement des pays pauvres, les pays riches préfèrent la transition. Ce qui a été perçu comme un véritable « impérialisme climatique » a été particulièrement net en matière d’électricité. Les pays pauvres, en particulier en Afrique, mais aussi en Inde ou au Pakistan, veulent des centrales au charbon, parce qu’elles produisent une électricité meilleur marché, dont ces pays ont un besoin vital. Les pays riches, et les banques publiques de développement qu’ils contrôlent, à commencer par la Banque Mondiale mais aussi l’aide publique française, ont décidé de refuser de financer, y compris sous forme de prêts remboursables, toute centrale à charbon. Les ONG environnementales ont exigé le même comportement des banques privées. En pratique, ce refus n’a pas eu trop de conséquences, car la Chine s’est substituée aux pays développés ; elle finance (à des taux plus élevés que la Banque Mondiale) les centrales à charbon dont les pays pauvres estiment avoir besoin pour se développer. Mais ce refus laissera des traces socio-politiques.

Conclusion

Comme à peu près tous les climato-réalistes, l’auteur n’est en rien un ennemi de l’environnement, ni de l’intervention publique, bien au contraire. Il est très sensible, et depuis très longtemps (Prud’homme 1980), aux nuisances que l’empreinte croissante de l’homme peut causer à la nature et à notre environnement: pollutions de toutes sortes, consommation excessive des ressources naturelles, atteintes à la biodiversité, destruction du patrimoine naturel et culturel, etc. Il sait bien que la lutte contre ces dommages potentiellement considérables et parfois irréversibles doit être constante, et qu’elle implique nécessairement de multiples interventions des pouvoirs publics.

Nous avons eu le bonheur de voir que, au cours des décennies passées, cette lutte a souvent été un succès. Dans les pays développés en tout cas, et pour des dizaines de polluants, les niveaux de pollution sont aujourd’hui bien inférieurs à ce qu’ils étaient il y a quarante ans, et a fortiori à ce qu’ils étaient au 19ème siècle (Gerondeau 2018). La disparition des ressources naturelles comme le fer, le cuivre ou le pétrole, présentée dans les années 1970 comme imminente et catastrophique, ne s’est pas produite. Les dommages dramatiques que la dégradation de l’environnement allaient, nous prédisait-on, causer à la santé et la longévité ne se sont pas du tout réalisées, bien au contraire. Certes, tout n’est pas parfait en matière d’environnement, et beaucoup reste à faire. Mais la combinaison du progrès scientifique, de l’intervention politique, et du marché a porté de beaux fruits, et elle a démenti complètement la plupart des prévisions catastrophiques brandies par les activistes de l’environnement.

Au cours des deux dernières décennies la peur du réchauffement de la planète a remplacé la peur de la dégradation de l’environnement. La lutte contre le CO2 a pris la place de la lutte contre les pollutions. Comme dans Le Rhinocéros d’Eugène Ionesco, cette lutte contre le CO2, sous le nom de transition énergétique, envahit les esprits et les institutions. Symboliquement, en France (pas dans tous les pays, heureusement) le ministère de l’Environnement a effacé le mot « environnement » de son intitulé, pour devenir le « ministère de la Transition écologique et solidaire ». Lorsqu’il y a conflit entre promotion d’industries (prétendument) écologiques et défense de l’environnement, comme dans le cas des éoliennes, le ministère de la Transition devient un ennemi de l’environnement. Les éoliennes massacrent les paysages (y compris ceux qui sont inscrits au Patrimoine mondial de l’humanité), tuent des chauves-souris par milliers, déversent des millions de tonnes de béton dans les campagnes, etc. Dans un combat à fronts renversés, le ministère de la Transition soutient fermement les promoteurs de l’éolien contre les défenseurs de l’environnement. Il dispense les industriels de l’éolien du permis de construire, ignore les avis négatifs des gestionnaires des parcs naturels terrestres ou marins affectés, et multiplie les obstacles aux recours juridiques des riverains impactés.

C’est cet hégémonisme, cette nouvelle peur, et notre amour de l’environnement, qui nous ont conduit à essayer de regarder d’un peu plus près la « transition énergétique ». Avec des chiffres et pas seulement avec des slogans. En quoi consiste-t-elle exactement ? Quels sont ses objectifs ? A quels coûts peuvent-ils être atteints ? Avec quelles conséquences économiques et sociales ? Nous sommes heureux de présenter au public et au débat les modestes résultats de cet effort : la « transition » en cours est culpabilisante, mais elle n’est ni écologique, ni solidaire, et encore moins économique.


Références

Gerondeau, Christian. 2018. L’air est pur à Paris. L’Artilleur. 101 p.

Gervais, François. 2018. L’Urgence climatique est un leurre. L’Artilleur. L’Artilleur. 302 p.

Ministère de l’Environnement, de l’énergie et de la mer. 2017. Fiscalité environnementale – Un état des lieux.

Ministère de la transition écologique et solidaire. 2018. Les principales taxes environnementales en 2016.

 Nordhaus, William. 2013. The Climate Casino. Yale University Press. 378 p.

Prud’homme, Rémy. 1980. Le ménagement de la nature – Des politiques contre la pollution. Dunod. 212 p.

Prud’homme, Rémy. 2017. Le Mythe des énergies renouvelables. L’Artilleur. 315 p.

Spinetta, Jean-Cyril. 2018. L’Avenir du transport ferroviaire. Rapport au premier ministre. 120 p.

Rittaud, Benoit. 2010. Le Mythe


[1] En jargon, la sensibilité de court terme est appelée TCR, la sensibilité de long terme ECS.

[2] En fait 55%, mais prendre 50% améliore la lisibilité et la compréhension.

[3] Gt = milliards de tonnes. On utilise les symboles suivants : K (kilo) = milliers ; M (méga) = millions ; G (giga) = milliards ; T (tera) = milliers de milliards.

[4] Baromètre Développement Durable d’EDF, Enquête 2017. A la question : « Indiquez si selon vous les centrales nucléaires contribuent à l’effet de serre (au réchauffement climatique », 44% des Français répondent « Beaucoup », et 34% « Un peu ». Ces pourcentages sont particulièrement élevés chez les jeunes ; et augmentent au cours des années.

[5] « En matière d’énergies renouvelables, on aurait intérêt à s’inspirer de la Chine » Yannick Jadot, 8 janvier 2018, BFMTV

[6] La construction d’une centrale nucléaire implique également l’utilisation de béton : 18 fois moins, au kwh d’électricité produit, que des éoliennes.

[7] Ce montant ne comprend pas la TVA que les carburants payent comme tous les biens et service, mais il comprend la TVA sur la TIPCE générée par la taxe qui est une extension de la taxe spécifique.

[8] A cet effet, elle compte les subventions dont elle bénéficie come des « recettes », ce qui fait sourire – jaune – n’importe quel entrepreneur.

[9] Sans compter le déficit du régime spécifique de retraite de la SNCF (environ 3 milliards par an).

[10] Si C est la consommation de carburant et V la vitesse, on a :

C=0,1381-2,34*10-3*V+1,6*10-5*V2. De toutes façons, tous les automobilistes savent bien qu’en diminuant sa vitesse de 2 ou 5 km/, on ne réduit pas sa consommation de 30%.

[11] Un impôt (et par extension une politique) est dit proportionnel lorsqu’il augmente comme le revenu, progressif lorsqu’il augmente plus vite que le revenu, et régressif lorsqu’il augmente moins vite que le revenu. Lorsque le revenu est multiplié par 2, un impôt proportionnel est multiplié par 2, un impôt progressif par 3 ou 4, un impôt régressif par 1,5.

[12] L’élasticité-revenu nous dit de combien varie la demande lorsque le revenu augmente de 10%. Si la demande augmente de 10%, l’élasticité-revenu est de 1 ; si elle augmente de 5%, l’élasticité est de 0,5 ; si elle augmente de 20%, l’élasticité et de 2.

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