Texas : la grande panne électrique de 2021

Rémy Prud’homme

Il y a deux ans, le Texas a connu une grave crise électrique qui mérite notre attention. Cet État est grossièrement comparable à la France en termes de superficie, de PIB, et de production d’électricité. Il constitue à lui seul l’un des trois grands systèmes électriques des États-Unis, et échange très peu avec les deux autres. La part des renouvelables intermittents dans l’électricité produite (et consommée) au Texas est importante, et croissante : 24% pour l’éolien et 4% pour le photovoltaïque en 2021 – ce qui ne va pas de soi dans le premier État pétrolier des États-Unis – même si l’essentiel de la production reste assuré par le gaz naturel (42%) et le charbon (19%).

Ceux qui voient des complots partout, et en particulier dans un État très républicain comme le Texas (le fief de la famille Bush), voient sans doute l’histoire de cette crise électrique comme le résultat d’un complot entre trois méchants : le général Hiver, le Dieu Éole (le gardien des vents), et le patron du lobby pétrolier texan. Ces sinistres individus se réunissent dans un saloon de Dallas un soir de janvier 2021. Ils organisent en secret une machination pour discréditer l’électricité éolienne. Quelques jours plus tard, la crise.

Le premier comploteur, le général Hiver, lance une terrible vague de froid qui va s’abattre sur le Texas (et sur une bonne partie du centre des États-Unis du 10 au 20 février 2021. Dans cet État habituellement chaud ou torride, le thermomètre descend à -19° Celsius (à Dallas), un niveau qui n’avait pas été observé depuis plus de 70 ans, et le Texas se recouvre de neige et de glace. Cela ne fait pas l’affaire des Verts de tous les pays du monde qui ne jurent que par le « réchauffement accéléré » de toute la planète. Ils essayent d’abord de cacher la chose ; puis trouvent des scientifiques qui expliquent doctement que ces vagues de froid sont la conséquence, et donc la preuve, de ce réchauffement accéléré. Cela fait encore moins l’affaire du système électrique texan. Certaines des sources d’électricité traditionnelles sont affectées par des pompes qui gèlent ou des canalisations qui éclatent[1] et voient leur production diminuer.

Le deuxième comploteur, Éole, intervient alors. Lui qui assurait en moyenne 24% de la production d’électricité du Texas (et parfois bien davantage) retient son souffle. La production d’électricité éolienne décline. Elle décline même beaucoup. À deux reprises (le 16 février à 1 h, et le 17 février à 14h), au pire moment, elle représente moins de 2% de la demande d’électricité. L’électricité éolienne n’est pas au rendez-vous.

Le système ne parvient pas à répondre à la demande. Il est victime d’un effet boule de neige : l’énergie nécessaire pour transporter le gaz et le charbon commence elle-même à manquer, et l’insuffisance d’électricité freine la production d’électricité. Les prix de l’électricité flambent. Les gestionnaires du réseau coupent la fourniture aux zones ou aux clients non stratégiques. Quatre millions et demi de personnes ont été sans électricité pendant trois jours, et onze millions ont vécu des coupures. Cette grande panne a tué plusieurs centaines de personnes (de 250 à 700 selon les estimations). Le montant des dommages a été évalué à 200 milliards de dollars, environ 10% du PIB du Texas. On raconte que cela aurait pu être bien plus grave encore, que l’on a été à deux doigts d’un effondrement total du système – et que seul le sang-froid et le professionnalisme des gestionnaires du réseau ont évité le désastre.

Trois jours plus tard, le gouverneur du Texas a limogé le patron et tout le conseil d’administration d’ERCOT (Electricity Reliability Council Of Texas), l’entité responsable de la gestion du réseau ; de ce point de vue le Texas ressemble davantage au Japon qu’à la France.

Il n’y a évidemment aucun complot, mais simplement la simultanéité de deux évènements aléatoires – une situation qui peut se produire n’importe où n’importe quand, et dont la gravité augmente avec le poids des renouvelables intermittents. La leçon – très classique – de cet épisode est qu’un Gigawatt non pilotable d’électricité éolienne, ça n’est pas du tout égal à un Gigawatt pilotable d’électricité au gaz ou à l’atome, et qu’il est ridicule de les additionner ou de les substituer. Les Texans l’ont sans doute compris. On voudrait être sûr que les parlementaires français qui viennent de voter (avec une rare et touchante quasi-unanimité) le triplement de nos parcs éoliens et solaires l’ont également compris.


[1] Beaucoup disent que la demande d’électricité a augmenté, du fait d’un recours aux radiateurs électriques. Mais les données détaillées de la demande heure par heure (disponibles sur le site de l’EIA (Energy Information Administration) ne corroborent pas cette affirmation.

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20 réflexions au sujet de « Texas : la grande panne électrique de 2021 »

  1. Excepté les choix politiques à dessein, toutes les crises, y compris les guerres, sont la résultante de plusieurs facteurs concomitants. Ce qui, sur le papier, ne peut pas, ou ne dois pas, arriver. En qualité d’ingénieur en aéronautique je connais bien ce type de risque relevant de la “loi de Murphy”, ou de ce que perso j’appelle la loi de Chirac (les emmerdes volent en escadrille) ! Le Boeing 747 est conçu avec 4 réacteurs, qui disposent de circuit redondants et distincts, et de cycle de maintenance décalé. Ainsi, en théorie il est impossible que les 4 réacteurs tombent simultanément en panne, à tel point que le manuel de gestion des pannes ne donne pas de procédure dans ce cas ! L’avion étant homologué pour voler et se poser avec 1 seul réacteur. Et pourtant, c’est arrivé une fois, lorsqu’un Boeing est passé dans un nuage volcanique…

    En aéronautique on prévoit le pire de façon à y répondre. On envisage des conjonctures en théorie très peu probables, pour voir ce qui se passe et quelle procédure mettre en face. Sur un avion de ligne, les circuits dit primaires (essentiels) sont au minimum triplés et souvent quadruplés… Au cas où.

    Il devrait en être de même avec notre réseau d’électricité. Or, nous partons maintenant sur des scénarios où la moindre conjoncture défavorable sera difficilement gérée. On fabrique un avion avec un seul réacteur, en priant pour qu’il ne s’arrête pas… perso, je ne monte pas….

    • L’ENA ne les a pas formés à avoir un esprit critique, mais plutôt à se maintenir autant que possible dans le fil du vent dominant à l’instant présent. Pour l’instant il souffle dans le sens de la mondialisation, du Great Reset et du changement climatique. Prendre une direction légèrement déviante serait pour eux suicidaire !

  2. En recherchant innocemment qui était l’auteur de cet article je me rends compte que lui aussi est un des journalistes de Valeurs actuelles. C’est incroyable, vous criez au loup comme quoi les scientifiques sont politisés mais en fait je réalise que la majorité des rédacteurs d’articles de ce site sont des gens hautement politisés… quasi tous journaliste de Valeurs actuelles… je ne sais même pas quoi en penser.

    Hormis ça je n’ai pas d’avis sur cet article si ce n’est l’ironie malvenue de ce passage dont on aurait pu se passer “des scientifiques qui expliquent doctement que ces vagues de froid sont la conséquence, de ce réchauffement accéléré.” puisque c’est un phénomène partiellement expliqué bien que pas parfaitement compris.

    • Le problème n’est pas tellement cette phrase, c’est que quoi qu’il se passe, c’est “pile je gagne, face tu perds”.

      C’est la même politique que pour les radars routiers. Ca ne résout rien à part remplir les caisses de l’Etat, mais quand il y a moins d’accidents, c’est grâce aux radars donc on en met plus parce que ce serait efficace, et quand il y a plus d’accidents, c’est qu’il n’y a pas assez de radars donc on en met plus.

      Il fait chaud, c’est le réchauffement climatique; il fait froid, c’est le dérèglement climatique et d’ailleurs c’est même la faute au réchauffement. Ou vu récemment dans un journal lors de la vague de froid sibérien, je paraphrase, “cette vague de froid ne doit pas remettre en cause le réchauffement climatique”. En résumé, quand ça ne rentre pas dans les cases, on ignore, comme le GIEC veut ignorer le Premium médiéval (je ne sais plus quel ponte du GIEC avait dit ça).

      Et on mélange allègrement des événements météo avec le climat. Comme s’il n’y avait qu’un climat d’ailleurs, personnellement, ce n’est pas ce que j’ai appris en géographie, rien qu’en France il y a plusieurs climats.

      • Pas le “Premium” Médiéval, mais “l’Optimum climatique Médiéval”.
        L’ennui pour le GIEC, c’est qu’on a mis en évidence plusieurs autres “optimums” durant l’Holocene, dont certains beaucoup plus chauds que l’actuel.
        Là le GIEC est aux abonnés absents.

    • Ben ça alors, les bras m’en tombent.

      L’auteur n’est pas journaliste à Valeurs Actuelles. Il est prof de fac ! que Valeurs Actuelles reprennent un de ses acticles, c’est une autre histoire.
      Le climat est devenue une affaire politique ? parce que certains articles de ce prof sont repris dans la presse de droite et pas dans celle de gauche, c’est le triste confirmation que la presse de gauche n’admet pas la thèse de ceux qui constestent la causalité CO2-réchauffement climatique.
      Ca ne veut rien dire d’autre, et ça dit beaucoup !

    • J’ai beau chercher, mais je n’ai pas encore réussi à trouver en QUOI les articles très pertinents de R. Prud’homme seraient “politisés”. Selon vous, la question climatique devrait se situer sur quel bord politique ?

    • Maxah, Il est exceptionnel de trouver un journaliste de droite en France, l’immense majorité est située à gauche. Vous en trouvez un qui travaille pour valeurs actuelles, n’allez pas penser que c’est la majorité du genre. En ce qui concerne le climat, la dévotion au Giec et aux instances réchauffistes est clairement de gauche. Pour un sujet scientifique il ne devrait pas y avoir de marqueur politique, mais ce sujet n’est plus scientifique depuis longtemps. Il s’agit de la pire opération de bourrage de crâne jamais orchestrée. L’extrême gauche a échoué au vingtième siècle à imposer son système collectiviste, (malgré ses efforts et près de 100 millions de morts). Les héritiers de ces idéologues tiennent enfin le moyen d’en finir avec le capitalisme. Je ne pense pas que les scientifiques soient majoritairement politisés, ils bossent simplement là ou il y a du budget, et le réchauffement climatique est porteur.

    • Auriez-vous un contre-argument sur le fond (l’augmentation des risques de blackout avec le taux de pénétration des générateurs non commandables) ?

    • @Maxah donc toute personne de gauche, centre ou droite dite “modérée” ne doit jamais émettre la moindre critique ni le moindre doute sur tout ce qui touche à la prétendue catastrophe climatique à venir (et ses conséquences économiques). Sinon elle est excommuniée et devient, de fait, d’extrême droite, qu’elle le veuille ou non. Je caricature à peine.

      Non, Remy Prud’homme ou Benoit Rittaud ne sont pas des journalistes. Personnellement leurs opinions politiques générales ne m’intéressent pas vraiment, en tout cas cela n’est pas un critère pertinent pour valider un raisonnement sur tel ou tel sujet précis, argumenté et référencé ; tout comme les sophismes ad hominem, les arguments d’autorité, de nombre, les consensus et autres prix.

      Les discussions sur le fond de chaque question, sans connotation morale ou interprétation de prétendues intentions cachées des interlocuteurs, me semblent plus intéressantes. Ce n’est pas de la naïveté, c’est au contraire la seule méthode pour avoir une chance d’être rationnel.

  3. Que l’auteur soit de droite ou de gauche n’a aucun intérêt. Ce qui pose question, ce sont les faits qu’il expose, même si sur la forme, l’ironie est peut-être un peu excessive, quoique… face aux déclarations délirantes des réchauffistes, c’est de bonne guerre.
    Abandonnons le réchauffement climatique, anthropique ou pas. Et voyons les décisions qui découlent de ces affirmations, qu’elles soient avérées, ou pas. J’ai eu tendance à penser -il y a quelques années- que peut-être, on allait faire de bonnes choses, même si c’est pour de vraies fausses bonnes mauvaises raisons, après tout, pourquoi pas ?

    Et bien non ! En prime, les écologistes, non contents de nous bassiner avec un réchauffement qui serait catastrophique, entraînent des politiques encore plus délirantes, imposent des solutions ahurissantes de stupidité qui sont prises sans aucune étude d’impact sérieuse.
    “Regardez ce vent ! Il y a des mégawatts à récupérer!” ai-je entendu l’autre jour à la téloche, de la bouche d’un politique qui manifestement ne sait pas ce qu’est un mégawatt.

    Plantons des éoliennes et la Terre va refroidir.
    Roulons en voiture à pile rechargeable et la Terre va refroidir.
    Roulons à vélo et la Terre va refroidir.
    Mangeons du soja bio et la Terre va refroidir.
    Fermons les centrales nucléaires et la Terre va refroidir.
    Toutes ces injonctions sont d’une stupidité insondable.

    Je vis en zone rurale. Ici, quand les gens prennent leur bagnole, c’est pour faire quelque chose, pas pour aller glander. Je n’ai encore vu personne aller à Brico-machinchose à vélo pour acheter 4 sacs de ciment.
    Nucléaire ou pas, l’énergie, c’est toujours dangereux, mais vital. Une bonne raison pour ne pas laisser des zozos s’en mêler.

    • @homme des bois
      vous avez oublié l’essentiel
      “”””Equipez vous en pompes à chaleur et la terre va se refroidir “””””
      Je ne sais pas mettre la photo de celui qui nous conseille cela à tout va

  4. Tiens, au passage (bien que ce soit hors sujet), un article gratuit qui explique les tremblements de terre en Turquie-Syrie N. Par suite du poinçonnement Eurasie-Afrique depuis le début du Tertiaire, la croûte turque est lentement expulsée vers l’est comme un noyau de prune et participe au chevauchement de l’arc hellénique en Méditerranée orientale. Istamboul est sur un décrochement majeur nord, en limite de la Mer Noire. Situation très risquée au plan sismique. D’ici à ce que le détroit des Dardanelles se bouche, vous devinez les réactions politiques…
    Certains vont jusqu’à dire que les Américains ont trouvé le moyen de réactiver le processus par des techniques militaires nouvelles pour punir Erdogan de s’écarter de l’Otan !!! ça promet.
    Enfin, petit moment de fun au petit dej’.
    https://www.researchgate.net/publication/358811708_Late_Cenozoic_Evolution_and_Present_Tectonic_Setting_of_the_Aegean-Hellenic_Arc

    • Un pseudo scientifique turc est allé jusqu’à prétendre que les récents séismes auraient été déclenchés par les variations barométriques importantes dues au changement climatique (on ne prête qu’aux riches…) appuyant (ou soulageant) plus ou moins fortement sur la croûte terrestre. Ce pauvre homme ignore que la Lune provoque des marées terrestres journalières d’une autre amplitude, plus de 15 cm, 100 fois plus importantes !
      Changeons de sujet. Une autre nuisance des parcs éoliens offshore serait à prendre en compte et devrait déclencher l’ire de Greenpeace: Outre les millions d’oiseaux marins qu’ils vont hacher chaque année, ces parcs vont contribuer à l’extinction de la Baleine Franche dont il ne reste que 300 individus environ en Atlantique: https://www.cfact.org/2022/09/27/how-to-kill-whales-with-offshore-wind/

    • François Hollande, Manille, février 2015 :
      “le réchauffement climatique, si on veut savoir ce qu’il peut être, venez ici, vous le voyez, c’est à dire des tsunamis, des tremblements de terre, des catastrophes”

      • Exact. F. Hollande, pur produit de l’ENA exempt de tout “souillure” un tant soit peu scientifique…
        Je crois même savoir que Mme C. Lepage, ministre, a répété elle aussi cette ineptie sur le mode psittaciste…

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