Poser des plaques de verre sur la banquise pourrait-il sauver les glaces de l’Arctique ?

Un interview de François Gervais par le magazine en ligne Atlantico

Arctic Ice Project, une organisation à but non lucratif américaine basée à Menlo Park (Californie) propose de répandre sur la banquise une fine couche de microsphères de verre réfléchissantes en dioxyde de silicium («silice»), afin d’augmentera la réflectivité de la glace et d’amorcer ainsi une boucle de rétroaction positive qui refroidirait l’Arctique. François Gervais, membre du comité scientifique de l’association des climato-réalistes, répond aux questions d’Atlantico sur ce projet de géo-ingénierie.

Atlantico : Le projet à but non lucratif Arctic Ice Project, basé en Californie voudrait disperser une fine couche de poudre de verre réfléchissante sur certaines parties de l’Arctique, dans le but de la protéger des rayons du soleil et d’aider la glace à se reconstituer. Ce mécanisme pourrait-il s’avérer efficace pour lutter contre la fonte des glaces de l’Arctique et pour réduire le réchauffement climatique ?
François Gervais : Le verre est transparent aux rayons du soleil. Lorsqu’il fait très chaud, on ne trouve pas la fraîcheur en restant derrière une vitre exposée au soleil. Cela s’appelle l’effet de serre. Mettre la glace de l’Arctique « sous serre » apparaît passablement contre-intuitif.
La superficie de banquise arctique varie saisonnièrement d’environ 15 millions de kilomètres carrés à la fin de l’hiver à 4 à 5 millions de kilomètres carrés à la fin de l’été. Le « revêtement » ne devrait concerner ainsi qu’un tiers à un quart de la banquise, minimisant l’impact si tant est qu’il s’avère efficace. Le « revêtement » serait enfoui sous la neige ou dispersé par les tempêtes en hiver. Il faudrait donc le renouveler chaque été.
Par ailleurs, si l’extension de la banquise à son minimum estival a effectivement diminué depuis qu’on la mesure par satellite depuis 40 ans, c’est pour retrouver une valeur déjà observée auparavant, dans les années 1945, comme le montrent Alekseev et coauteurs (Int. J. Climatology 36, 3407–3412 (2016), suggérant une composante naturelle au changement climatique. Parallèlement, la banquise antarctique, elle, augmente en moyenne de 11300 kilomètres carrés par an depuis 40 années qu’on la mesure par satellite (Parkinson doi: 10.1073/pnas.1906556116). Elle a retrouvé à la fin de cet hiver austral une extension supérieure à la moyenne après trois années où elle restait moindre.
La géo-ingénierie pourrait-elle être une solution face au réchauffement climatique ?
Si la France semble avoir connu un réchauffement supérieur à la moyenne mondiale qui est d’à peu près 1°C, ce n’est pas le cas en Antarctique comme déjà évoqué, ou en Amérique du Nord par exemple qui a plutôt tendance à se refroidir (Z. Gan et coauteurs Earth & Space Science 6, 387-397 (2019).
Peindre en blanc les surfaces construites comme le font déjà les habitants des pays chauds en badigeonnant les terrasses à la chaux, méthode peu coûteuse et facilement généralisable, augmenterait plus sûrement l’albédo de la planète que la méthode peu convaincante de l’Arctic Ice Project.

Atantico : “Jouer” ainsi avec la nature représente-t-il un danger pour la planète et générer d’autres effets néfastes ?
François Gervais : Selon les estimations de l’Arctic Ice Project, couvrir 4 millions de kilomètres carrés de banquise supposerait au moins 50 millions de tonnes de poudre de verre chaque année. Cela pose la question de la pureté du matériau pour éviter toute pollution. La fabrication, l’acheminement et l’épandage d’un tel tonnage, plus généralement le gigantisme de l’opération, ne serait certainement pas innocent et sans nuisances environnementales. Gageons que la faune locale, ours blancs et phoques, les premiers étant grands consommateurs des seconds, n’apprécierait guère une telle invasion saisonnière de leur habitat naturel…

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