Par Rémy Prud’homme, professeur des universités (émérite)
Le climat, comme la démographie, sont des déterminants majeurs de l’évolution de nos sociétés, de nos économies, de nos comportements.
La démographe, une science à la fois simple et incertaine
De tout temps, les hommes, et en particulier les hommes de pouvoir et/ou de religion, ont cherché à prévoir l’évolution du nombre des humains et celle de la température de la terre. Cette prise en compte met en jeu trois grands acteurs : la science, la croyance, et la politique ; ou si l’on préfère : le savant, le journaliste, et l’élu. La science informe (parfois) la croyance. La science et surtout la croyance façonnent (en partie) la politique. La politique, réciproquement, oriente (significativement) à la fois la science et la croyance. Cela est vieux comme le monde. Les deux grandes idéologies du vingtième siècle en offrent des exemples caricaturaux : le marxisme s’est voulu « socialisme scientifique », et le nazisme s’est prétendu basé sur la « science allemande » (Hitler chercha, et trouva, cent savants allemands pour condamner la science d’Einstein, qui répondit : « Très bien. Mais pourquoi cent ? Un seul suffirait. Avec des arguments »). La question démographique a précédé la question climatique. Il n’est peut-être pas inutile de d’essayer d’examiner celle-ci à la lumière de celle-là.
La science démographique est à la fois simple et incertaine. Elle repose sur un petit nombre de paramètres : les taux de fécondité, l’espérance de vie, et les migrations. Donnez à un démographe l’évolution future de ces paramètres, et il vous prédira avec une bonne précision l’évolution de la population d’un pays donné, ou d’un ensemble de pays, ou du globe. Le problème est que l’évolution de ces paramètres est difficile à prévoir. Comment se comparent les prévisions faites il y a 50 ou 100 ans avec les évolutions effectivement enregistrées ? Bien pour les prévisions faites par les scientifiques. Fort mal par les prophéties véhiculées par les croyances.
Le principal centre de recherche démographique au niveau mondial a été le département de la population des Nations Unies, mis en place en 1948; et en France L’INED, créé en 1945. La science démographique a donc une origine politique, et non universitaire. Elle a correctement rempli sa mission. Les chercheurs de ces deux institutions ont bien compris que l’évolution exponentielle qu’ils avaient sous les yeux, et qui avait caractérisé la première moitié du vingtième siècle, ne serait pas durable, et qu’elle se transformerait en une évolution en S, avec un taux de croissance diminuant progressivement, jusqu’à stagner, voire finalement à devenir négatif.
Mais ces analyses sérieuses, et correctes, ont été très mal reprises par les leaders d’opinion, et plus généralement par la croyance, qui en sont restés à la vision exponentielle. Le maître à penser en la matière était évidemment Malthus, qui contrastait (en 1800) la forte croissance exponentielle de la population avec la faible croissance linéaire de la production agricole. Cette approche catastrophique a été largement dominante. Elle est parfaitement illustrée par le livre Population Bomb (1968) de Paul Ehrlich, professeur à Stanford, qui affirmait sans nuance que des famines globales causeraient avant la fin du siècle des millions de victimes. Son livre fut un best-seller dans le monde entier, et le livre de chevet des ONG environnementalistes. Plus prosaïquement, jusqu’à une date très récente, des milliers de discours politiques et d’articles journalistiques ont dénoncé la « démographie galopante » qui allait nous « submerger ». L’évolution de la réalité à complètement ridiculisé ces prophéties, mais pendant plus de 60 ans, la critique de ces sottises a été totalement inaudible. La soif d’apocalypse, déguisée en science, pesait plus lourd que les travaux des experts. La mauvaise monnaie, comme savent les économistes, chassa la bonne.
Le cas du climat est plus complexe
Le cas du climat a été, et reste, différent : en matière de complexité, d’épistémologie, d’enjeux, d’actions, et d’information.
Complexité – Tout d’abord, la réalité scientifique du phénomène est bien plus complexe pour le climat que pour la population: elle ne se résume pas au jeu de trois paramètres (comme pour la population), mais de quelques trois cent paramètres, parfois encore mal identifiés ou mal connus.
Epistémologie – Le rôle du politique dans la production des connaissances a été encore plus important et déterminant dans le domaine du climat que dans celui de la population. Dans les deux cas, la connaissance a été principalement d’origine politique et inter-étatique. Le GIEC, qui est une émanation des Nations-Unies, est au climat ce que la Division de la population de l’ONU a été à la démographie. Le « I » de GIEC veut dire intergouvernemental, pas international. Le GIEC n’a rien à voir avec les sociétés savantes qui structurent les chercheurs dans la plupart des disciplines, des mathématiques à l’économie ou à la médecine, dans les différents pays et au niveau du globe ; ces sociétés savantes sont (très généralement) universitaires, pluralistes, et indépendantes. Le GIEC au contraire fait, et dit, ce que ses maîtres politiques lui demandent de faire et de dire. Ses statuts lui prescrivent explicitement ce qu’il doit « trouver » ou « prouver » : que le réchauffement de la terre est rapide, et principalement d’origine anthropique. Le résultat précède la recherche, plutôt que l’inverse, ce qui n’est pas une définition de la démarche scientifique.
Enjeux – Les enjeux sociaux, politiques, économiques de l’évolution des populations et des températures sont considérables, sans commune mesure (au moins à première vue) avec les enjeux de la plupart des autres disciplines, comme l’astronomie ou la littérature. C’est ce qui justifie intervention, financement, et orientation par les Etats de la recherche sur la population et le climat. Qui paye contrôle. Mais les enjeux climatiques sont bien plus importants que les enjeux démographiques, ou plus exactement perçus comme tels.
Actions – Les connaissances ainsi produites ont directement motivé et orienté de nombreuses décisions publiques. Un peu en matière de démographie, comme les politiques natalistes en France, ou les politiques de l’enfant unique en Chine : beaucoup en matière de climat (ou au nom du climat) dans tous les pays développés. La « transition énergétique » ou la « décarbonation rapide », sont devenues des composantes majeures des politiques publiques, avec leurs cortèges de taxes, de subventions, d’interdictions, de prescriptions, de soi-disant innovations. L’impact de ces politiques « climatiques » sur l’économie est devenu considérable, comparable par son ampleur à l’impact des politiques monétaires par exemple. C’est ainsi, notamment, que le taux de croissance de la productivité d’un pays (en Europe) est d’autant plus faible que le taux de décarbonation de ce pays est élevé. Les bons élèves en productivité sont les cancres en décarbonation.
Science et croyance – On a vu que pour la démographie la science différait complètement de la croyance. Rien de tel pour le climat. Le fait marquant est que la croyance populaire ne se distingue guère de la pensée scientifique. Greta Thunberg, qui a quitté l’école à 15 ans, est religieusement écoutée par les docteurs du GIEC (et ne les écoute pas). Les COP annuelles illustrent caricaturalement cet étrange pot-pourri : 50 000 militants, auto-proclamés « lanceurs d’alerte », et venus de tous les coins du globe, mélangés à 500 scientifiques, sous la houlette d’un petit millier de politiciens.
En matière de démographie et de climat, ce n’est pas la science qui oriente le pouvoir mais le pouvoir qui oriente la science
En conclusion, on dira que l’analyse sommaire ci-dessus remet en cause le schéma classique, selon lequel une science autonome informe un pouvoir rationnel – ce qui engendre le progrès. Premièrement, il y a des domaines (comme la démographie et le climat) où ce n’est pas la science qui oriente le pouvoir mais au contraire le pouvoir qui oriente la science, au risque de l’endogénéité et de l’inefficacité. Deuxièmement, entre la science et le pouvoir il y a un troisième larron : la croyance. Elle n’est pas produite par la science, et souvent même lui tourne le dos. Hélas, on observe que le pouvoir préfère souvent s’inspirer de la croyance plutôt que de la science.
