Remi Aubry
Naïveté et bons sentiments, alliés à la démagogie et à la prétention, avec un zeste de culpabilité, ne sont pas les ingrédients d’une politique environnementale digne de ce nom.
Au départ, la production réglementaire européenne en matière d’environnement affichait l’ambition d’une approche harmonisée des sujets à travers l’Union européenne : politique de l’eau, politique de l’énergie, des déchets, etc. Toutes construites avec le souci de la préservation du fameux « level playing field », c’est-à-dire des conditions de réalisation d’un marché unique et prospère à travers l’ensemble d’un bloc civilisationnel du genre ambitieux : liberté d’entreprendre, de commercer, d’échanger, etc.
Cette belle idée, ces dernières décennies, a commencé à sérieusement dégénérer. L’Union européenne est atteinte d’une folie de développement de grandes déclarations environnementales qui se traduisent par une législation devenue folle, avec l’illusion de se trouver à l’avant-garde d’un combat imaginaire pour la préservation de la planète, souvent avec en arrière-plan l’idée de se punir du développement qu’elle aurait atteint. C’est ainsi qu’elle prend le leadership de l’agitation : l’exemple flagrant le plus récent en est le « Green Deal », qui comprend des dispositions visant à interdire aux établissements bancaires européens tout investissement dans des activités qui ne seraient pas compatibles avec le développement durable. Dans ce schéma, l’Union européenne considère « évidemment » que lesdits établissements n’auront plus le droit d’investir dans tout ce qui a trait à la production, l’exploitation et la vente d’énergies fossiles (gaz, pétrole, charbons). Est ainsi développée une « taxonomie verte » qui répertorie les activités selon qu’elles soient « vertueuses » ou non. Ce « Green Deal » comporte également un volet morbide nommé « From Farm To Fork » (de la fourche à la fourchette) qui prévoit de revenir au concept de zones agricoles improductives, donc de jachère, bridant toute évolution de son agriculture alors que son climat tempéré lui imposerait de produire pour contribuer à l’alimentation d’une population mondiale sans cesse croissante.
Très concrètement, l’interdiction de financer toute énergie fossile revient à carrément abandonner tout développement dans les pays qui n’ont pas encore atteint la maturité énergétique et qui ont besoin de gaz, charbon, pétrole encore pour quelques décennies, l’Union européenne ayant d’ores et déjà décidé qu’elle, la vertueuse Europe, n’avait plus besoin de ces énergies… (ce qui est violemment FAUX).
Une des conséquences de l’abandon de ces marchés pour les organismes financiers de l’Union européenne est que les financements encore nécessaires dans le domaine des énergies seront réalisés par des pays hors UE, notamment la Chine, les Etats-Unis et… le Royaume-Uni qui vient de quitter ce bateau devenu ivre.
La conséquence agricole est que l’Europe abandonne son rôle de fournisseur de denrées alimentaires dans sa zone d’influence, dont l’Afrique du Nord et les zones désertiques surpeuplées de l’Afrique qui, n’ayant pas le potentiel de production agricole nécessaire même avec des investissements augmentés, se tourneront vers les productions en provenance d’Amérique latine ou d’Asie du Sud (avec les effets connus sur la disparition de la forêt amazonienne ou tropicale).
La politique européenne est désastreuse, en cela qu’elle a simplement « garni » d’environnement les clauses des accords, notamment commerciaux, que l’Union européenne négocie avec ses partenaires internationaux. C’est ainsi que la Chine, complaisamment, a annoncé modestement sa « neutralité carbone » en 2060 (soit dix années après l’auto déclaration de neutralité carbone de l’UE. Cela permet à la Chine de continuer à massivement produire son électricité avec des centrales au charbon car il lui est physiquement impossible de se passer de cette source d’énergie pour assurer le confort minimal à ses populations.
L’Union européenne parachève son suicide industriel avec son paquet climat « fit for 55 » paru en juillet 2021, annonçant la réduction de 55% de ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, puis sa « neutralité carbone » d’ici 2050. Les impacts de cette politique désastreusement volontariste n’ont pas été analysés, autant les impacts, financiers que sociaux et environnementaux. Pour certaines des industries lourdes persistant sur le territoire, l’impact financier est tout simplement rédhibitoire :
De 400 à 500 euros supplémentaires pour fabriquer une tonne d’aluminium, ce qui signifie la disparition de cette industrie avec toutes les conséquences sur l’aval de la chaîne de valeur : industries automobile, aéronautiques seront rapidement non viables et quitteront rapidement le territoire européen.
Ce package « fit for 55 » entraînera mécaniquement une augmentation du prix de la tonne de CO2 émise, tellement la foi est grande en ce marché du carbone, alpha et oméga de la politique climatique de Gribouille de l’Union européenne : c’est très simple, YAKA faire payer les usines qui fument…
Il a été calculé en France par l’UNIDEN (Union des Industries Utilisatrices d’Énergie) que, à 85€/t, l’impact est de 46% de la valeur ajoutée des secteurs industriels membres de l’UNIDEN : agroalimentaire, automobile, chimie, ciment/chaux, énergie, matériaux de construction, métaux, papier, transport, verre. Or, les spéculateurs se réjouissent de le voir dépasser les 100€/t en 2030 puis les 130-150€/t en 2050. L’industrie européenne sera morte bien avant…
La physique nous dit qu’il n’y a que trois moyens de réduire les émissions de gaz à effet de serre de l’industrie, qui résultent en grande majorité de la production d’énergie, mais aussi de ce qu’on appelle les émissions des procédés (exemple de la réaction calco-carbonique qui génère du CO2 dans le cas de la fabrication de ciment et de chaux) :
- L’efficacité énergétique pour l’atteinte du rendement optimal, elle consiste à se rapprocher au maximum du rendement théorique du procédé industriel concerné. N’en déplaise aux fonctionnaires de la Commission européenne, pour fondre de l’acier, pour fondre du sable et du carbonate et faire du verre, pour atteindre les conditions de température et de pression d’une réaction chimique, pour évaporer de l’eau et extraire du sucre de la betterave, il faut de l’énergie, l’efficacité énergétique).
Sur ce point, l’industrie européenne est très proche de l’asymptote et n’a pas besoin de « signal-prix » du CO2 pour faire tous les efforts qui s’imposent, puisque l’énergie représente déjà une part significative des coûts de revient (second poste de coût après la matière première en ce qui concerne le sucre).
2. Les ruptures technologiques dans les procédés qui permettraient d’établir un nouveau rendement théorique par innovation radicale. Par exemple une nouvelle voie de synthèse (cas de la production de paracétamol) s’appuiera sur des nouveaux procédés plus efficients intrinsèquement).
Sur ce sujet, l’industrie européenne n’a encore nul besoin d’un « signal-prix » du CO2 : les nouvelles technologies se développent du fait des capacités de R&D et d’investissement des industriels. Au contraire, plus le prix du CO2 est élevé, moins les industriels ont les moyens de dédier de la ressource à la recherche. Les preuves ? Il suffit de voir que les nouvelles électrodes bas carbones ont été découvertes au Canada pour l’industrie de l’aluminium et certainement pas en Europe où les industriels concernés luttent chaque année pour leur survie sans aucun moyen de se projeter. Au lieu d’investir, ils achètent des allocations de droits d’émissions (ce que les ploucs appellent des « droits à polluer » !)…
3. L’accès durable et compétitif à de l’énergie bas carbone en quantité suffisante et quand l’industrie en a besoin. C’est le cas de l’électrolyse de l’eau pour faire de l’Hydrogène, de la biomasse pour la production de chaleur, etc.
Sur ce sujet, il est parfaitement inutile de pénaliser l’industrie européenne qui n’est pas responsable de la volonté de l’Allemagne d’arrêter le nucléaire, ni du plafonnement inévitable du productible renouvelable en Europe. A quoi cela sert-il de pénaliser l’industrie si on oriente la biomasse vers les réseaux de chaleur. A quoi cela sert-il de pénaliser l’industrie si on oriente l’électricité renouvelable vers les centres de stockage de données (data centers) ?
En résumé, alors que l’industrie est de très loin le seul secteur qui a prouvé son utilité et qui a montré des progrès extraordinaires ces dernières années en termes de réduction d’émissions de CO2 et d’innovations, on continue sans relâche à lui taper sur la tête avec un rasoir 4 lames :
- La directive EU-ETS qui ne vise à présent plus qu’à enrichir les traders (et EDF) sans aucun lien avec son objectif initial qui était de fixer des quotas d’émissions réalistes par secteur ;
- La directive ENR qui va introduire des obligations pour les industriels alors même qu’ils ne pourront les honorer car d’autres leur prendront les ressources nécessairement limitées (cf. les PPA préemptés par les Apple, Google et Amazon…) ;
- La directive taxation de l’énergie qui va encore augmenter les taxes pour l’industrie
- La directive efficacité énergétique qui va imposer encore des standards plus élevés alors même qu’on atteint les limites de la thermodynamique.
Et ceci dans quel but ? A +46% de coût sur la VA, quelle solution a-t-on si ce n’est à délocaliser en Chine ou aux US ? Ou pire, en Inde ?
Quant au CBAM (Carbon Border Adjustment Mechanism ou Taxe Carbone aux Frontières), il sera massivement contourné : pour s’en convaincre, il suffit de voir les actions déjà démarrées par la Chine, la Russie, la Turquie pour introduire leurs marchés et dédier les actifs efficaces ou les ressources renouvelables à l’exportation…
En résumé, ce package « fit for 55 » n’aura AUCUN impact sur le climat, bien au contraire, son application risque bien de sonne le glas définitif de l’industrie européenne condamnée à :
- Ne plus pouvoir exporter faute d’être compétitive ;
- Ne plus pouvoir servir les secteurs de son aval (on va importer de Chine l’acier ou l’aluminium ou les produits de base chimiques & pharmaceutiques nécessaire) ;
- Accepter une inflation qui ne bénéficie pas aux européens, et qui va directement dans les poches des traders américains (qui étaient tous sur leurs écrans aujourd’hui pour voir l’état de leur portefeuille spéculatif et prendre éventuellement quelques profits à replacer avantageusement en bitcoins connus pour être bons pour la planète) et de l’industrie chinoise, turque et américaine…
Et, à la fin, sans industrie, que fait l’Europe pour le climat, à part des incantations quasi-religieuses ?
Il est à craindre que personne dans l’institution européenne n’ait réellement fait les calculs d’impact et n’aie vraiment conscience de ce qu’est l’industrie, de son poids dans l’économie, de son rôle pour l’innovation, de son rôle pour rendre la lutte contre le changement climatique plus acceptable (sinon, il n’y aura plus que décroissance ou déclassement qui serait le mot le plus approprié en réalité).
Une fois que les sites industriels européens auront mis la clé sous la porte, l’Union européenne aura perdu la bataille et se sera privée des moyens puissants de lutte contre le changement climatique que sont des unités industrielles performantes et efficaces.
Ce « combat climatique » dont tout le monde se revendique, ne sera plus du tout du ressort du peuple européen, devenu spectateur consommateur puis spectateur tout court, sachant qu’en l’absence d’industrie, c’est l’appauvrissement généralisé qui survient rapidement.
L’industrie européenne doit-elle se résigner à mourir en silence ou peut-elle encore se battre pour produire durablement en Europe ?
