Les écofictions – Mythologies de la fin du monde de Christian Chelebourg

«L’heuristique de la peur» par Viviane Thill

Cet article est consacré à l’essai de Christian Chelebourg, Les écofictions – Mythologies de la fin du monde (Edition Les Impressions Nouvelles – 2012)

 

Dans son livre paru en 2012 aux éditions Les Impressions Nouvelles, Christian Chelebourg évoque les films, les livres et plus généralement les discours qui ont trait à une possible extinction de l’humanité suite à une catastrophe écologique. Tout en concédant qu’il existait une prise de conscience dès les années 1960 et 1970, il situe le surgissement massif de cette « angoisse écologique » après la chute du mur de Berlin, lorsque la crainte d’une guerre nucléaire s’estompe. Les interventions du scientifique James Hansen qui décrit à partir de 1988 les conséquences possibles d’un réchauffement climatique devant le Congrès américain, ont largement contribué, selon Chelebourg, à offrir ce « nouveau destin tragique à la planète ».

« La Terre est en danger, l’homme est en péril, telle est la nouvelle histoire que les sociétés industrielles se donnent en partage », écrit Chelebourg. « Par la manière dont [les écofictions] s’approprient et revisitent l’héritage culturel de l’Occident et notamment son bagage mythologique, elles révèlent l’image que les sociétés industrielles construisent d’elles mêmes.

Le discours écologique contemporain est basé, dit Christian Chelebourg, sur « l’heuristique de la peur » élaborée par Hans Jonas. Pour rendre les citoyens conscients du danger, il faut leur faire peur. Les écofictions ont pour objectif de mettre en scène la catastrophe inéluctable afin de provoquer un sursaut de conscience chez le citoyen.

Le premier levier est la culpabilisation. Le premier chapitre est intitulé « La pollution ou la souillure » et l’auteur argumente que l’idée qui s’est imposée, c’est que « polluer, c’est pécher. » Dans le film d’animation Wall-E (2008), l’humanité a abandonné notre planète et ses montagnes de déchets pour se réfugier dans un énorme vaisseau spatial. Resté sur la Terre dont a disparu la quasi-totalité de la vie (seul un cafard et une petite plante verte survivent miraculeusement), le petit robot Wall-E se retrouve dans le rôle d’Héraclès, nettoyant ad aeternam des écuries d’Augias débordantes de nos ordures.

« Quand la Terre, quand la nature vont nous bouder, qu’est-ce qu’il va nous rester pour nous humaniser ? » demande, face à cet état des choses, Nicolas Hulot dans Le syndrome du Titanic (2009). La personnification de la nature à l’œuvre dans ce film, et dans bien d’autres discours sur l’environnement, est ramenée par Chelebourg au mythe de Gaïa, la déesse-mère.

Au XVIe siècle, Giordano Bruno voyait déjà « la Nature comme un Être sauvage dans lequel l’homme est depuis toujours immergé, comme dans un tissu conjonctif ». Au cinéma, l’idée que la nature est un tout, une entité vivante dans laquelle chaque créature est liée à toutes les autres, est le plus parfaitement mise en scène dans Avatar (2009). Mais si un organisme est menacé, il se défend en se débarrassant de ce qui le met en péril. Dans The Happening de M. Night Shyamalan (2008), la nature se met d’elle même à produire une toxine qui pousse les êtres humains au suicide.

L’homme ou le mollusque

En n’attribuant pas plus de valeur « à l’homme qu’au mollusque », les adeptes de Gaïa seraient ainsi logiquement amenés à militer pour la disparition de l’humanité pour sauver la nature. Et Chelebourg de citer le roman Le parfum d’Adam de Jean-Christophe Rufin (2007) dans lequel des écologistes emploient des méthodes terroristes pour réduire drastiquement la population humaine. Un illuminé du même genre sévit dans 12 Monkeys de Terry Gilliam (1995). Dans le chapitre « L’épidémie ou le fléau », Chelebourg cite également l’agent Smith déclarant dans The Matrix (1999): « Les êtres humains sont une maladie, le cancer de cette planète. Vous êtes un fléau et nous sommes le remède. » « Débarrasser la Terre de son excédent d’humanité et la rendre à la vie sauvage, c’est nettoyer d’un vigoureux coup de balai les écuries d’Augias », résume l’auteur.

De ces élucubrations d’écologistes intégristes, Christian Chelebourg tire une conclusion qui paraît pour le moins généraliste : « Pris au pied de la lettre, le « Je suis ce que je rejette » fait de l’homme non plus seulement le fauteur de pollution de l’environnement, mais la pollution elle-même, la nuisance à éliminer. » Avant de devenir plus explicite : « Quoi qu’il en soit des intentions profondes, les écofictions nous enseignent que les visions […] de Giordano Bruno, recyclées par le discours écologique, entraînent l’imagination active sur la redoutable pente de la tentation génocidaire. »

Dans son Le principe responsabilité, Hans Jonas n’indiquait-il pas que « la démocratie est inapte, au moins temporairement, à provoquer les changements nécessaires dans le comportement des hommes pour éviter la catastrophe » ? Même s’il convient que cette idée a été depuis lors discutée et remise en perspective, Chelebourg n’hésite pas à déclarer que « l’écologie politique ne saurait être démocratique parce qu’en opposant aux peuples l’intérêt supérieur de la nature, en n’envisageant les droits individuels qu’à la lumière d’un conflit avec ceux des générations futures ou du reste des créatures, elle est pour le citoyen présent fondamentalement liberticide. »

Le climat détraqué

Revenant à ses moutons, c’est-à-dire à la symbolique à l’œuvre dans les écofictions, Chelebourg constate au début du deuxième chapitre « Le climat ou la démiurgie », que « l’eau qui enfle offre à l’imagination écologique un symbole matériel de la dissolution qui menace nos sociétés. Pour le rêveur angoissé par le thermomètre, nos métropoles sont des Atlantides en puissance. » C’est que, alors même que « les climatologues ont depuis belle lurette établi que le climat est une des choses les plus changeantes qui soient au monde, l’imagination, elle, s’obstine à en faire un modèle de l’éternel retour. » Du coup, nous nous étonnons de chaque écart. « C’est sur le fond de cette évidence intime que se dégagent les angoisses liées au trouble des saisons. »

Bien sûr, certains films n’hésitent pas à jouer sur cette angoisse, en l’assimilant à l’autre grande peur du XXe siècle, celle de l’holocauste nucléaire, comme le fait The Day After Tomorrow (2004) dont l’affiche représente la Statue de la Liberté (rappelant le célèbre dernier plan de Planet of the Apes en 1968) alors que le titre du film fait référence au téléfilm The Day After (1983) qui racontait en pleine guerre froide les suites d’une guerre atomique. Chelebourg constate que la théorie de « l’hiver nucléaire », popularisée entre autres par Carl Sagan à la même époque, « invalidée peu après » mais toujours ancrée dans l’imaginaire populaire, forme ainsi le « chaînon manquant » entre les films post-apocalyptiques et les écofictions.

The Day After Tomorrow (2004) est pour sa part fondé sur l’idée que le réchauffement climatique pourrait paradoxalement, en provoquant l’inversion du Gulf Stream, amener une glaciation. Idée qui vient tout droit du livre The Coming Global Superstorm de Art Bell et Whitley Strieber (1999). Là, on est en pleine confusion des genres, puisque Bell et Strieber présentent ce livre comme un ouvrage scientifique (ce que ne prétend à aucun moment être le film) alors qu’ils sont producteur à la radio pour le premier et auteur de romans d’horreur pour le deuxième, tous deux avec une prédilection pour le paranormal, comme ne manque pas de le souligner Chelebourg. Mais Bell et Strieber veulent pousser l’humanité à réagir pour éviter la catastrophe climatique. Pour cela, ils lui mettent, une fois de plus, ses erreurs sous le nez.

« Il s’agit en fait d’inciter chacun à accepter un sacrifice minime, un abandon partiel de sa jouissance, au nom de l’intérêt commun ». De cette injonction qui ne paraît pas si déraisonnable, Chelebourg aboutit aussitôt à cette autre formulation : « dans l’ordre des priorités politiques, l’écologie et ses injonctions se substituent à l’exercice de la liberté individuelle. » Pour illustrer ses propos, Chelebourg évoque le superhéros Al Gore qui vole au secours de la planète dans An Inconvenient Truth (2006), en lui opposant le documentaire The Great Global Warming Swindle produit en 2007 par Channel 4. Tout en déclarant vouloir « laisser la polémique de côté », il met les deux films sur le même plan. « Tout n’est que le roman du carbone. » Ce que critique Chelebourg (et sur ce point, il a raison !), c’est la confusion entre science et fiction. Plusieurs pages sont consacrées au thriller State of Fear de Michael Crichton (2004) qui dénonce « le caractère écofictionnel des propos scientifiques eux-mêmes, en révélant comment ils sont inféodés à des stratégies de communication régies par des intérêts économiques et politiques ».

Mais le roman de Crichton va plus loin : « les chercheurs, à ses yeux, ne sont plus que des créateurs de nouvelles peurs au service d’un complexe PoliticoJuridico-Médiatique qu’il présente de manière explicite comme fondamentalement fasciste, sous couvert de libéralisme. »3 Nous y revoilà.

Pour survivre à la catastrophe, certains songent alors à la « terraformation » qui consiste à recréer ailleurs de nouveaux mondes habitables qui pourraient constituer une sorte d’arche de Noé en cas de destruction de la Terre. Qui relève elle-même d’une terraformation à l’envers puisque c’est l’homme qui est en train de modifier et de détraquer le climat de notre planète. Pour Chelebourg, « cette perspective porte, sur le plan de l’imaginaire, les germes d’une grave crise de la démocratie représentative, dans la mesure où elle induit une dévaluation de la figure tutélaire du dirigeant en impliquant sa mauvaise gestion du patrimoine familial. »

France-Culture, qui lui a consacré une émission de deux heures, qualifie l’essai de « polémique »… parce que les journalistes présents n’étaient pas d’accord avec le choix de son corpus de films !

 

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