Rémy Prud’homme
Dans le très important débat sur l’(in)utilité des renouvelables intermittents, Mme Wargon, la présidente de la CRE (Commission de Régulation de l’Energie), prend sans nuance la défense desdits renouvelables.
La CRE est l’une de ces agences de régulation prétendument compétentes et indépendantes créées au début du siècle. Pour assurer cette compétence et cette indépendance, on a imaginé de donner aux commissaires de solides garanties d’inamovibilité, et des salaires très élevés (les présidents sont mieux payés que le Président de la République). Beaucoup d’observateurs (y compris l’auteur de ces lignes) ont alors approuvé ces initiatives. Lourde erreur ! Ces privilèges ont fait de ces postes des sinécures très prisées. Les présidents de la République, qui nomment les commissaires, n’ont pas toujours su résister aux pressions de leurs amis politiques. Beaucoup des nominations ont récompensé la fidélité plus que la compétence, et la soumission plus que l’indépendance. Le cas de Mme Wargon illustre ce processus. Conseillère de Kouchner, lobbyiste de Danone, ministre du logement, elle ignorait tout de l’énergie et de l’électricité, mais méritait d’être recasée.
Elle écrit : « Le parc nucléaire fait ses arrêts pour maintenance en été, nous avons alors besoin de davantage de renouvelables. La complémentarité des deux permet d’avoir de l’énergie tout le temps » (Cité dans le Figaro du 8 juillet 2025). Dans tous les pays du monde, un étudiant qui écrirait cela se ferait sérieusement tirer les oreilles. Il est exact que le parc nucléaire fait ses arrêts pour maintenance (et aussi pour rechargement) en été. Mais ce n’est pas par caprice. C’est tout simplement parce que la demande d’électricité en France est bien moindre en été qu’en hiver. Le bon sens le suggère : en été, on se chauffe moins, on s’éclaire moins, et les industries fonctionnent moins. Les chiffrent le montrent, comme par exemple ceux du tableau 1 ci-après.
Tableau 1 – Electricité : demande, production par filière, mois d’été et de décembre 2024

On voit en effet qu’en été, la demande d’électricité est largement inférieure (d’environ un tiers) à la demande d’hiver. Mais on voit surtout que même en été, en dépit de la baisse de production du nucléaire, la production d’électricité classique de la France (nucléaire, hydraulique, et dans une bien moindre mesure, thermique) est déjà bien supérieure à la demande d’électricité de la France. Contrairement à ce que dit Mme Wargon, en été comme en hiver, nous n’avons absolument pas besoin de renouvelables intermittents en France. Sans renouvelables, nous avons déjà un « surplus » confortable. La production des renouvelables intermittents ne fait qu’augmenter ce « surplus ». La production des renouvelables sert à augmenter nos exportations (à des prix souvent bas) et/ou à réduire la production d’électricité classique et en particulier nucléaire (à un coût considérable). Affirmer, comme le fait Mme Wargon, que c’est grâce aux renouvelables que nous avons « de l’énergie tout le temps », est une erreur grossière.
Comment la présidente de la CRE, qui n’est rien moins que bête, peut-elle proférer de telles bêtises ? Pourquoi tant d’élus, de ministres, d’industriels, de commentateurs (à commencer par la journaliste du Figaro qui les rapporte) gobent-ils et répètent-ils ces bêtises ? Bien malin qui le dira. Esquissons quatre éléments de réponse. Ils ne sont pas exclusifs les uns des autres mais au contraire se cumulent et se renforcent.
L’ignorance – Sans être très compliquées, les questions d’électricité requièrent la maîtrise d’un petit nombre de concepts et d’ordre de grandeurs. L’intelligence ne suffit pas. Beaucoup de Français, notamment ceux qui n’ont aucune formation scientifique, ne disposent pas de cette maîtrise. Une bonne moitié des journalistes, par exemple, confondent régulièrement les mégawatts et les mégawattheures.
L’intérêt – Les renouvelables, comme beaucoup de biens subventionnés, donnent lieu à des rentes, qui ont longtemps été juteuses. Qui dit rentes dit lobbys. Qui dit lobby dit discours mensonger ou à tout le moins tendancieux. Un ancien ministre talentueux (dont on taira le nom par charité) est l’avocat et le conseiller juridique d’une entreprise allemande de renouvelables : on ne s’étonnera pas de le voir soutenir fermement les investissements dans ce mode de production d’électricité.
L’aveuglement – le Don Quichotte de Cervantes est sympathique et intelligent, mais il est complètement obnubilé par le monde des romans de chevalerie ; tout ce qu’il voit ou vit s’explique pour lui par ces billevesées : il prend un plat à barbe pour un heaume de chevalier, et un moulin pour un brigand. Son idéologie l’aveugle, elle pense pour lui (ce qui est la définition d’une idéologie). Remplacez Don Quichotte par écologiste, et romans de chevalerie par rapports du GIEC, et vous comprendrez pourquoi des haut-responsables comme Macron, Gutieres ou le pape François, ont pris Greta Thunberg (qui avait abandonné l’école à 15 ans) pour une autorité scientifique. L’idéologie dominante soutient (ou a longuement soutenu) que le nucléaire est le mal, et le renouvelable le bien. Les affidés le croient. Pour eux, le scepticisme (la base de la démarche scientifique) est un crime, un péché, une insulte.
La servilité – Le Président de la République pense et déclare que la multiplication par trois ou quatre des éoliennes et des panneaux solaires est bonne pour la France. Cela suffit pour que toute la machine administrative pense et déclare que la multiplication par cinq ou six des éoliennes et des panneaux solaires est excellente pour la France. Que le dernier mot revienne au politique est bien entendu désirable. Mais que le premier mot lui revienne également l’est beaucoup moins. Ce tout-politique est récent. En matière d’électricité nucléaire dans les années 1960, par exemple, les grandes décisions (le choix entre une filière française et une filière américaine ; le choix pour les cuves et les turbo- alternateurs entre les avantages de la concurrence et ceux du monopole ; le choix du nombre de centrales) ont été prises par les premiers ministres et les chefs de l’Etat ; mais ces décisions, qui furent de bonnes décisions, ont été préparées et éclairées par des études sérieuses, objectives, chiffrées, et indépendantes. Pas par des serviteurs zélés. Par des monsieur Boiteux, pas par des madame Wargon.
Emmanuelle WARGON est, parmi tous ses « mérites », la fille de Lionel STOLERU (qui était, lui, ingénieur de formation). Ce dernier a bien louvoyé pendant sa carrière politique : secrétaire d’état sous Giscard, puis apparenté socialiste, puis candidat pour Génération écologie et enfin soutien de Sarkozy.
Avec un « patrimoine génétique » pareil, on est prêt à accepter n’importe quelle sinécure.