L’Agence internationale de l’énergie ment

Rémy Prud’homme

(Version mise à jour le 4 mars 2023)


L’AIE (Agence Internationale de l’Energie) vient de publier ce qu’elle appelle un « Rapport de politique » intitulé : Les subventions à la consommation des combustibles fossiles en 2022.  Ce très bref texte (7 pages) contient ou suggère deux affirmations. La première est que le montant des subventions accordées par les gouvernements du monde aux combustibles fossiles (pétrole, gaz, charbon, et électricité – qui n’est pourtant pas un combustible fossile) s’élève en 2022 à plus de 1000 milliards de dollars, en forte augmentation. La seconde est que les pays développés sont les principaux coupables. La conclusion de politique qui en est tirée est que cela va à l’encontre des décisions de la COP de Glasgow sur le climat, et qu’il faut au plus vite supprimer toutes ces subventions, afin d’augmenter d’au moins 1000 milliards de dollars les prix payés par les consommateurs. Ce texte a été repris tel quel – ou amplifié – par tous les médias, en France, et sans doute ailleurs. Citons par exemple Jean-Marc Vittori, un journaliste compétent, honnête et influent, qui écrit, dans un article des Echos au joli titre (l’essence à contresens), en s’appuyant explicitement sur le rapport de l’AIE : « La politique énergétique menée depuis un an dans les pays avancés va exactement à l’encontre de celle qui devra être mise en œuvre ». Il est facile de montrer que cette analyse repose sur un double mensonge.

Un mot d’abord sur la notion de subvention. Entre le coût de production d’un bien et son prix de vente, il y a l’Etat. Soit un bien dont le coût de production est 100. S’il est vendu 140, il est taxé, de 40. S’il est vendu 70, il est subventionné, de 30. Les combustibles fossiles sont-ils subventionnés, ou taxés, dans le monde ? La réponse est : cela dépend des pays, et des années.

Considérons le cas du gazole, qui est significatif (le gazole est le plus important des combustibles automobiles, qui sont une bonne partie du pétrole, qui est sans doute le plus important des combustibles fossiles) et pour lequel on dispose de données précises. Le coût hors-taxes du litre de gazole en France en février 2023 est de 0,92 euros. En première approximation, ce coût est le même dans tous les pays : le pétrole, qui en est le composant majeur, a un prix mondial ; les coûts de transport, de raffinage, de distribution varient peu. Dans un pays comme la France, le gazole est vendu 1,90 euros : il y est donc taxé à hauteur de 1,02 € (toujours par litre)[1] ; en multipliant par la consommation annuelle de gazole, on a le montant de l’impôt prélevé sur ce combustible en 2022 . Dans un pays comme l’Algérie, le gazole est vendu 0,20 € : il est donc subventionné à hauteur de 0,70 € par litre. On peut faire une évaluation identique pour chacun des pays du globe.

Elle produit un double résultat. Primo, le gazole est taxé dans la plupart des pays du monde, pour environ 350 milliards ; et il est subventionné dans une poignée de pays seulement, à hauteur d’environ 80 milliards[2]. Secondo, les pays subventioneurs sont tous des pays en développement (Iran, Venezuela, Arabie Saoudite, Algérie, Egypte, Russie, Vietnam) ; et tous les pays développés (Europe, Etats-Unis, Australie, etc.) sont des pays taxeurs. Cette réalité – que les experts de l’AIE connaissent certainement fort bien – est exactement l’antithèse de l’image véhiculée par l’AIE, et imposée aux opinions occidentales.

Comment l’AIE transforme-t-elle une taxation massive en son contraire, un subventionnement massif ? C’est bien simple : en ne considérant que les pays subventionneurs, c’est-à-dire en ignorant complètement les pays taxeurs, et en faisant tout pour persuader le lecteur que l’analyse concerne tous les pays du globe. Le tour de passe-passe est classique. Cela s’appelle un mensonge par omission, ou la restriction mentale. Les Jésuites passaient pour pratiquer cet art avec talent, mais les fonctionnaires de l’AIE sont au moins aussi habiles qu’eux. Dans la lettre du rapport de l’AIE, rien d’inexact. Son titre (« les subventions aux combustibles fossiles ») annonce correctement son contenu. Mais l’esprit du rapport, en associant étroitement « subventions » à « combustibles fossiles », et en produisant des chiffres effrayants, répand l’idée, totalement inexacte, que le monde subventionne ces combustibles. Le rapport donne même la liste des subventionneurs : Iran, Chine, Inde, Arabie Saoudite, Egypte, Indonésie, Algérie, Venezuela, liste qui est d’ailleurs à peu près celle que produit notre méthode simpliste pour le gazole. Mais cette liste est soigneusement cachée dans une référence difficile d’accès (qui m’aurait échappé si un ami avisé ne me l’avait pas signalée).

Il est vrai qu’un certain nombre de gouvernements taxeurs ont en 2022 mis en œuvre des «boucliers» pour amortir l’impact des hausses conjoncturelles des prix des combustibles fossiles sur les revenus de leurs ressortissants. Il s’agit bien là de subventions. Mais elles ont généralement été modestes, et bien inférieures aux taxations constatées. La taxation nette des subventions a donc diminué en 2022. Mais une moindre taxation reste une taxation, et il n’est pas sérieux de la baptiser subvention[3]. En France, pour les carburants, la ristourne a évolué entre 0,10 et 0,30 euros par litre – à comparer aux 1,02 €/l de taxes. De plus, et sans doute surtout, ces boucliers sont une réponse temporaire, et désirable, à un phénomène temporaire, et indésirable, de hausse brutale des prix.

Comment, et pourquoi, une institution réputée sérieuse et objective comme l’AIE devient-elle une officine militante ? La qualité technique de ses agents, et de ses dirigeants, ne peut pas être en cause. La raison de cette dérive semble être que l’AIE a été conquise par la religion dominante, la religion écologique.  On le voit bien dans le pamphlet étudié ici. Il est explicitement placé sous le signe du climat. La première phrase du rapport[4] donne le « la » : « Le Pacte sur le Climat de Glasgow [la COP 26] a souligné que l’élimination des subventions aux combustibles fossiles est un pas en avant fondamental vers une transition énergétique réussie ». La COP l’a dit, donc il faut éliminer les combustibles fossiles, qui sont le grand Satan, et nous allons contribuer à ce combat sacré en montrant qu’ils sont lourdement subventionnés. La messe est dite. Cette focalisation de l’AIE sur la lutte contre le démon combustibles fossiles est devenue la marque de fabrique de l’AIE. C’est ainsi, par exemple, que l’édition 2022 de son célèbre World Energy Oulook, (longtemps l’ouvrage de référence sur l’énergie) est pratiquement entièrement consacrée à la réduction des rejets de CO2 des énergies, et ignore presque totalement la question des prix des énergies – en 2022 ! Puisque plus de 80% de l’énergie prend la forme de combustibles fossiles, l’AIE n’est plus l’Agence pour l’énergie, mais l’Agence contre l‘énergie. L’AIE est devenue une sorte de filiale du GIEC.

Pas que l’AIE. On trouve cet alignement idéologique dans à peu près toutes les organisations internationales, de l’ONU à la Commission Européenne, en passant par le FMI ou la Banque Mondiale. Et dans des centaines d’ONGs, de Greenpeace au Forum de Davos. Ainsi que dans la quasi-totalité des médias. Et donc dans les opinions publiques. L’idéologie balaie la réalité. On se consolera en constatant que toutes ces mêmes instances, sans exception, ont longtemps condamné le nucléaire, avant, semble-t-il, de commencer à changer de discours, sinon encore de politique.


[1] Une analyse plus fine décomposerait ce montant en 0,18€ de TVA, qui est la taxe ordinaire des biens en France et 0,84€ de surtaxation propre au gazole.

[2] Ces chiffres sont des estimations par excès, car ils multiplient la taxation/subvention unitaire du gazole routier par consommation totale de gazole, alors que la taxation unitaire du gazole non routier est souvent inférieure à celle du gazole routier. Ils donnent cependant des ordres des grandeur significatifs. Constater des taxations n’est ni les approuver ni les critiquer.

[3] On l’a longtemps fait en France à propos du gazole. Le gazole était un peu moins taxé que l’essence, mais beaucoup que tous les autres biens, à l’exception du tabac et de l’essence. Tous les écologistes, et presque tous les médias, répétaient à l’envi : le gazole est subventionné.

[4] Pour être plus précis, il s’agit de la première phrase du deuxième paragraphe du texte ; le premier paragraphe a une simple fonction introductive formelle sans contenu.

Partager

10 réflexions au sujet de « L’Agence internationale de l’énergie ment »

  1. Votre article est très intéressant et bien écrit. Mais il manque des petites choses tout de même : en Europe et ailleurs, les États subventionnent leurs producteurs d’énergie (car ils sont essentiels au fonctionnement des entreprises, des services publics, des transports, etc…), subventionnent la construction ou le maintien de centrales à gaz et à charbon, ou alors (comme c’est le cas en France) on re-nationalise des entreprises privées comme EDF et on leur impose un “tarif réglementé” pour revendre leur électricité à leurs concurrents (afin de donner l’illusion d’une concurrence). En Allemagne on rallume des centrales à charbon, on extrait des millions de tonnes de lignite par an. En Norvège on extrait du gaz pour le revendre au reste de l’Europe. Les tarifs du gaz et de l’électricité se négocient au niveau de l’Union Européenne, on crée des groupes de travail sur le sujet, on paie des ministres et des députés pour en discuter et créer de nouvelles réglementations. L’Europe investit des milliards pour construire NordStream 2 (beau gâchis).
    Il ne s’agit donc pas de regarder seulement les aides aux consommateurs sur le gaz ou l’électricité, ou les accises sur le carburant routier, mais de prendre en compte tous les aspects de la chaîne. En ce sens, oui, les investissements et subventions aux énergies fossiles restent très élevés, mais ils sont encore nécessaires : la transition énergétique vers le 100% renouvelable prendra encore du temps, 10 voire 15 ans, et d’ici là, il faudra bien continuer à se chauffer, à alimenter les entreprises et à faire rouler les voitures et voler les avions. Une fois que le parc énergétique sera à majorité renouvelable et sera suffisant pour alimenter particuliers et entreprises, et que les centrales à énergies fossiles pourront fermer, à ce moment là seulement les investissements et subventions aux énergies fossiles diminueront.

    • Le 100% renouvelable est impossible.
      Regardez “Planet of the humans”.
      L’Allemagne utilise du gaz et du charbon pour épauler le vent et le soleil qui ne sont pas pilotables.
      Mais puisque des hommes pensent que piloter le climat est possible (limiter la hausse des températures à 2°C d’ici 2100), peut-être que ces mêmes hommes pensent qu’ils peuvent ordonner au vent et au soleil et rendre ces sources d’énergies “pilotables”.
      Bien sûr on peut toujours stocker dans des batteries…

      • Stocker les énergies éolienne et photovoltaïque est le dernier serpent de mer brandi par les écologistes, jamais en panne d’imagination pour nous faire avaler l’avenir radieux du Zéro CO2.
        Sauf pour de modestes réseaux isolés et pour des périodes brèves le stockage de l’énergie est une lubie inaccessible. Il faut lire l’article publié par WUWT il y a un an à ce sujet:
        https://wattsupwiththat.com/2022/03/29/the-people-promising-us-net-zero-have-no-clue-about-the-energy-storage-problem/
        J’ajouterais que l’amortissement du coût astronomique des unités de stockage des énergies non pilotables à l’échelle d’un pays devrait logiquement être répercuté sur le prix de revient du KWh propre à ces énergies, ce qui aurait la vertu de le rendre immédiatement et définitivement non-compétitif.

    • @Ramirez,
      En prenant en compte “tous les aspects de la chaîne”, pourriez vous référencer une subvention relative au pétrole ?

      Il semble que l’essentiel de vos exemples d’investissement correspondent à des centrales électriques à charbon ou au gaz, c’est à dire que ces investissements sont des conséquences directes de la volonté de certains pays de diminuer ou supprimer leur parc nucléaire trop rapidement. En d’autres termes, ils sont issus d’une mauvaise anticipation des capacités du renouvelable à couvrir les besoins en électricité.

      Pensez-vous réellement que dans “10 ou 15 ans” les énergies renouvelables pourront couvrir tous les besoins sachant qu’elles dépendent du vent ou encore du soleil ? Entre 2009 et 2019, les chiffres de l’UE nous disent qu’environ 600 milliards d’euros ont été directement investis dans l’éolien et le solaire, pour un gain en valeur absolue de la couverture en électricité européenne d’environ 2% de la demande. C’est-à-dire rien ou presque.

      Sans même évoquer le fait que les métaux rares nécessaires à la fabrication de batteries importées sont extraits et transportés en brûlant du pétrole, c’est-à-dire même en inventant des batteries et des voitures, avions et trains ayant un coût carbone de 0, sans nucléaire il ne semble pas rationnel d’imaginer que la demande puisse être couverte par les renouvelables ; même dans 50 ans. Les états subventionnent-t-ils le nucléaire et investissent-t’ils dans la sécurité des parcs ?

    • EDF qui perd beaucoup d’argent depuis qu’on l’oblige à vendre à perte son électricité à ses concurrents (on est chez les fous !) est en cours de re-nationalisation, ce qui ne va certainement pas contribuer à sa rentabilité. Ses pertes vont donc s’accentuer de sa mauvaise gestion par des fonctionnaires énarques incompétents qui n’auront aucune incitation à l’améliorer.
      Les pertes seront donc comblées, comme à la SNCF avec de l’argent public et seront fatalement considérées comme des subventions par les écolos, avec toute la mauvaise foi qui les caractérise.

  2. Ce samedi à Bruz (Ille & Vilaine et non Morbihan !), François Gervais a convaincu ceux qui doutaient encore, que la bataille contre le CO2 est menée une bande d’aliénés. Sa démonstration du caractère vital de ce gaz rare, des effets bénéfiques de son augmentation dans l’atmosphère par l’accroissement de la biomasse était très convaincante. De même que l’administration de la preuve que le réchauffement précède toujours l’accroissement de la pression partielle, qu’il s’agisse des périodes longues, ou même courtes (croissances saisonnières).
    Bref, ce fut une réussite, merci aux organisateurs; on attend la bande vidéo pour la diffuser.

    • Même démonstration brillante de F. Gervais devant une salle comble à Carnoux-en-Provence (Bouches du Rhône) il y a une quinzaine de jours.

  3. D’accord avec 99% de ce qui est dit dans ces publications scientifiques ainsi que les commentaires. En effet le solaire et l’éolien sont des énergies intermittentes et l’électricité ne se stocke pas (ou peu, ou mal).
    La stocker en produisant de l’hydrogène est très onéreux.
    Mais ne peut-on imaginer stoker ces énergies de façon hydraulique ? Cela n’est à ma connaissance évoqué nulle part.
    Cela demanderait à être étudié, étant donné la quantité d’énergie solaire perdue dans les pays chauds…
    Et le problème des batteries de voitures par exemple est étudié sous l’angle des connaissances actuelles – s’il avait été étudié en fonction des connaissances d’il y a cent ans, peu de véhicules électriques auraient 600km d’autonomie…les progrès semblent infinis dans ce domaine comme dans d’autres.
    Si dans quelques années on atteint par exemple 1000km d’autonomie, des recharges très rapides avec de nouveaux matériaux non polluants et localisés en Occident (on peut rêver), tous les blocages actuels de la voiture électrique pourraient sauter.
    Ce n’est qu’un avis de profane mais qui s’intéresse à ces questions énergétiques -peut-être est-ce héréditaire – mais j’aimerais avoir l’avis de personnes compétantes.
    Par avance merci

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

captcha