L’Agence France Presse entre information et propagande

J.C. Bergès (UMR 8586 PRODIG)

jean-claude.berges@univ-paris1.fr


« Nous devons faire face à la réalité du changement climatique », nous alerte l’AFP (Agence France Presse) dans un tweet publié le 23 juin 2021. En publiant ces informations extraites d’un projet de rapport de l’IPCC (Intergovernmental Panel on Climate Change), l’AFP veut insister sur l’urgence d’une action internationale pour limiter les émissions de gaz à effet de serre. Son message est accompagné de photos et de quelques graphiques illustrant les conséquences dramatiques des évolutions à venir. Parmi ces graphiques l’un d’eux (figure 1), cartographiant le risque de sécheresse dans le monde, est particulièrement inquiétant.

Figure 1 : Graphique extrait du tweet AFP

D’après ce graphique une grande partie du monde risque d’être affecté par des déficits en eau. Le sous-titre, « Risque actuel déterminé à partir de la vulnérabilité, du danger et de l’exposition », peut paraître obscur et le calcul de l’indice n’est pas explicité mais il est possible de se référer à la source, clairement indiquée, pour compléter ces informations.

Or, bien qu’elle soit clairement indiquée, la source elle-même n’est pas dépourvue d’ambigüité. Le deuxième volume du sixième rapport de synthèse de l’IPCC doit être publié en 2022 et ne peut pas être une référence. Les informations sont donc contenues dans une publication Carra et al. de 2016. Malheureusement, les bases de données d’articles ne permettent pas d’identifier de scientifique actif travaillant dans ce domaine sous ce nom. Une recherche élargie permet toutefois d’identifier Hugo Carrão, chercheur au JRC-EC (Joint Research Center – European Commission). Celui-ci a publié en 2016 un article sur une cartographie globale des risques de sécheresse. Le dernier graphique (figure 2) de cet article (Carrão et al., 2016) est très similaire au graphique produit par l’AFP ce qui permet de l’identifier comme la source de la carte diffusée dans le tweet.

Figure 2 : Indice global de risque de sécheresse (Carrão et al., 2016)

Malgré des répartitions spatiales identiques, les deux cartes diffèrent par l’échelle de couleur et son interprétation. Alors que la publication initiale a choisi un codage en dégradé de saturation indiquant un point neutre pour la valeur centrale, la publication a sélectionné une autre palette suggérant un point neutre pour la valeur nulle. Cette dernière interprétation est renforcée par les légendes associées à l’échelle de couleur. Par ailleurs, l’échelle de couleur choisie par l’AFP masque un artefact qui n’était pas dissimulé dans la publication originale. En effet, sur le Canada et le États-Unis des limites  administratives apparaissent dans la figure 2 et beaucoup moins dans la figure 1. Cet artefact est vraisemblablement lié à une disparité d’échelle entre les différentes données intégrées dans le calcul de l’indice.

Au-delà de la sémiologie graphique, la question centrale reste celle de la signification de l’indice ainsi cartographié. Les auteurs de l’article précité proposent un indice global évaluant l’impact d’un déficit de précipitations. Cet indice est lui-même le produit de trois indices normalisés sur l’intervalle de 0 à 1 : vulnérabilité, exposition et aléa. L’indice de vulnérabilité est la composition de divers indicateurs sociaux, économiques et d’infrastructures collectés à partir de statistiques nationales ou régionales. L’exposition prend en compte la répartition de la population et l’occupation du sol. Seul l’indice d’aléa est directement relié au régime de précipitations.

Ce dernier indice (figure 3) a été calculé par les auteurs à partir de la base GPCC (Global Precipitation Climatology Center) sur la période 1901-2010. Cette base (Becker et al., 2013) est constituée par le DWD (Deutsch WetterDienst) à partir de relevés de postes pluviométriques. Les données utilisées par Carrao et al. sont fournies sur une grille du demi degré couvrant les surfaces continentales. Malgré cette apparente régularité, la qualité de ces données varie dans l’espace et dans le temps à cause de l’incomplétude du réseau d’observation.

Figure 3 : Indice d’aléa lié au déficit pluviométrique (Carrão et al., 2016)

Le calcul de cet indice d’aléa à partir des cumuls de pluie est très indirect ce qui explique la distribution spatiale surprenante de cet indice de déficit qui présente des valeurs plus hautes en Europe de l’Ouest que dans la zone soudano-sahélienne. Pour l’obtenir, l’indice WASP (Weighted Anomaly Standardized Precipitation) est tout d’abord calculé pour chaque pixel et chaque mois. Cet indice (Lyon et Barnston, 2005) est obtenu par la formule :

où :      

  • ia est une date sous la forme mois-année
  • n est la longueur d’une fenêtre glissante (en pratique de 12 mois)
  • Pia est le cumul de pluie pour l’année a et le mois i
  • Pi est la valeur moyenne du cumul de pluie pour le mois i sur l’ensemble de la base Pa est la valeur moyenne du cumul de pluie tous mois agrégés
  • σi est l’écart type du cumul de pluie pour le mois i

La normalisation par σi, l’écart type, est une pratique courante en statistique pour analyser des variables hétérogènes. Mais s’agissant de cumuls de pluie, qui sont mesurées sur des échelles identiques, elle considérera une anomalie comme d’autant plus importante que la série est localement homogène. Pour ce motif, il n’est pas réellement adapté à une analyse spatiale. Il a été utilisé par Lyon et Barnston pour établir une relation entre ENSO (El Niňo Southern Oscillation) et années humides ou sèches sur l’ensemble de la ceinture inter-tropicale et non pour cartographier les effets de l’ENSO sur les régimes de précipitations.

Ensuite, par une méthode partiellement explicitée, les périodes de sécheresse sont caractérisées par un indice WASP inférieur à sa valeur médiane et l’indice d’aléa pluviométrique se déduit de la probabilité de rencontrer ces périodes.

Cette procédure de calcul s’appuie sur plusieurs étapes intermédiaires dont la validité mériterait d’être confirmée par des donnés de rendement des cultures. Pour montrer l’importance de ces modifications de données, en figure 4 ont été cartographiés les cumuls annuels de précipitations extraits de la base GPCC pour la même période 1901-2010. L’écart considérable avec la figure 3 peut être une conséquence de la normalisation par l’écart type ou de l’absence de caractérisation des séquences sèches dans des zones où les relevés pluviométriques sont très discontinus.

Figure 4 : Cumuls annuels moyens de précipitations pour la période 1901-2010 extraits de la base GPCC

Un point important est que cette construction repose sur une hypothèse de stationnarité de la distribution de pluie. Les analyses sont réalisées sur la période de 110 années couverte par la base GPCC sans qu’il ne soit opéré aucune distinction interne en partie plus ancienne de la série et partie plus récente. Aussi, le terme « actuel » employé par l’AFP en figure 1 ne saurait faire référence à un situation récente. Et, bien sûr, le résultat de Carrão et al. ne s’appuie en aucune manière sur les modèles  de prévision climatique et ne présente donc pas une évolution future.

D’autre part, en reprenant un résultat de l’article Carrão et al. dans un message censé faire état de la position d’un groupe d’experts internationaux, l’AFP entretient une confusion à la fois sur la portée de ce résultat et sur sa reconnaissance par la communauté scientifique.

Les réserves ici formulées ne remettent pas en cause la démarche de l’IPCC mais au contraire montre l’importance de la revue approfondie des données à laquelle cette institution se livre avant de publier ses rapports. En revanche, la diffusion prématurée d’informations par l’AFP soulève une question d’éthique. Au-delà des conditions d’obtention d’une version préliminaire du rapport, la manipulation d’un résultat extrait d’un article, dont la présentation ne peut qu’induire une fausse interprétation, amène  à questionner l’intégrité des auteurs de cette publication par tweet.


Références

AFP, 2021 : tweet https://twitter.com/AFP/status/1407514775882330112 consulté le 1er juillet 2021.

Becker A., Finger P., Meyer-Christoffer A., Rudolf B., SChamm K., Schneider U. & Zeise M., 2013 : A description of the global land-surface precipitation data products of the global precipitation climatology center with sample applications including centennial (trend) analysis from 1901. Earth System Science Data, 5, 71-99.

Carrão H., Naumann G. & Barbosa P., 2016 : Mapping global patterns of drougth risk ; an empirical framework based on sub-national estimates of hazard, exposure and vulnerability. Global Environmental Change, 39, 108-124.

Lyon B. & Barnston A.G., 2005 : ENSO and the spatial extent of interannual precipitation extremes in tropical land area. Journal of Climate, 18, 5095-5109.

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