La SVB ou les infortunes de la vertu

Rémy Prud’homme

La SVB (Silicon Valley Bank), cette banque californienne qui vient de faire faillite, était une banque verte et vertueuse. La plupart de ses clients étaient des start-ups high tech des domaines de l’énergie et de l’environnement. Mais surtout, la SVB cochait toutes les cases de l’engagement ESG, c’est-à-dire environnemental, social, et managérial, et s’en vantait hautement. Elle se flattait de ne pas travailler principalement pour gagner de l’argent, mais prioritairement pour défendre l’environnement, promouvoir un monde plus juste, et pratiquer une meilleure gouvernance.

La SVB prêtait de préférence à des entreprises elles-mêmes vertes et vertueuses, soucieuses de réduire leur empreinte carbone. Dans son « rapport ESG  annuel », elle suit scrupuleusement les procédures recommandées par le Forum Mondial de Davos pour apparaître comme une « entreprise capitaliste responsable ». Elle se vante de « bénéficier d’une force de travail diversifiée » (avec 45% de femmes dans son conseil d’administration) et « s’engage à augmenter la diversité à tous les niveaux de la compagnie ». Elle est fière d’avoir donné l’exemple en divisant par plus de 2 ses émissions de gaz à effet de serre. Bref, la SVB était un modèle d’engagement. Elle méritait (et elle a sans doute obtenu) un ou plusieurs prix de vertu.

La vertu, hélas, n’est pas toujours récompensée. Lorsque la SVB a été menacée, les entreprises (supposées vertueuses) qu’elle avait financées, loin de voler à son secours, l’ont laisser tomber comme une vieille savate, et ont précipité sa faillite.

Surtout, de mauvais esprits se demandent s’il n’y a pas un lien entre cette vertu et cette faillite. Ils ne peuvent pas le prouver. Tout semble au contraire suggérer que les difficultés de la SVB proviennent de ses placements excessifs dans des bons du Trésor dont la valeur vénale a beaucoup diminué du fait de la hausse rapide des taux d’intérêt américains. On peut cependant imaginer que la préoccupation de l’environnement (très désirable) a chassé le souci du risque (nécessaire, surtout pour une banque), et empêché la SVB de voir venir la perte de valeur de ses avoirs. Le poste de responsable des risques était vacant depuis près d’un an. Les banques qui cherchent d’abord à gagner de l’argent n’y arrivent pas toujours ; celles qui n’essayent pas ont encore moins de chances d’y parvenir.

Allons, séchez vos larmes. Dans le Justine ou les infortunes de la vertu de Sade, tout est bien qui finit bien. Grâce à l’aide sa sœur, qui avait commencé sa carrière dans un bordel avant de séduire un riche aristocrate, Justine termine sa vie vertueuse et malheureuse dans le calme et l’aisance. Il en ira de même pour la SVB ou du moins pour ses dirigeants.

P. S. – Juste après avoir écrit ces lignes j’apprends que Crédit Suisse, la grande banque suisse menacée de faillite, faisait concurrence à SVB en matière de vertu verte. En décembre 2022, elle publiait son « Plan d’Action Climatique » relatif à sa « contribution à l’avènement d’une société zéro carbone ». Ce document décrit comment son portefeuille d’investissement va être modifié à cet effet. Il rappelle aussi que Crédit Suisse participe à l’Initiative des Marchés Durables, et a déjà rejoint l’Alliance des Banques Zéro Carbone. Vous voilà rassuré(e). Sur la vertu de Crédit Suisse, sinon sur sa durabilité.

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